Chapeau
149 III 28
4. Extrait de l'arrêt de la IIe Cour de droit civil dans la cause A. contre Office cantonal des faillites de l'Etat de Fribourg (recours en matière civile)
5A_385/2022 du 1er septembre 2022
Regeste
Art. 93, 197 al. 2 et
art. 221 LP; inventaire de la faillite, caractère saisissable d'un avoir de prévoyance du pilier 3a.
L'art. 93 LP doit être respecté dans la faillite et les biens qui ne peuvent pas être saisis en vertu de cette disposition ne peuvent pas non plus faire partie de la masse en faillite. Par ailleurs, de jurisprudence constante, le salaire et autres revenus professionnels sont soustraits au dessaisissement du failli après l'ouverture de la faillite (cf. art. 197 al. 2 LP). Cette jurisprudence s'applique aux prestations de la prévoyance professionnelle versées au failli qui a atteint l'âge de la retraite (consid. 6.2).
Faits à partir de page 29
A.a Le 26 mai 2020, A. a demandé le prélèvement de son compte de prévoyance 3a auprès de la banque B. au motif de son départ à la retraite. Le solde de ce compte était de 37'068 fr. 37.
A.b Le 11 août 2020, A. faisant l'objet de poursuites, l'Office des poursuites de la Sarine a saisi le compte de prévoyance en question et ordonné à la banque B. de lui verser le montant de 35'656 fr. 50.
A. a déposé une plainte contre le procès-verbal de saisie du 11 août 2020. La Chambre des poursuites et faillites du Tribunal cantonal de l'Etat de Fribourg (ci-après: chambre des poursuites et faillites) a rejeté la plainte du débiteur par arrêt du 30 septembre 2020. Par arrêt du 10 juin 2021 (5A_844/2020), le Tribunal fédéral a admis le recours déposé contre cette décision. Il a rappelé que les prestations du 3ème pilier A sont relativement saisissables au sens de l'art. 93 LP après la survenance de l'évènement assuré et que, lorsque la prestation est servie sous forme de capital, seule la rente à laquelle donne droit ce capital est saisissable. Ainsi, si le minimum vital du débiteur est couvert par une partie de la rente acquise fictivement avec la prestation en capital, la part de la rente excédant le minimum vital est saisissable à hauteur de sa valeur d'estimation durant une année. Fondé sur ce qui précède, la chambre des poursuites et faillites a partiellement admis la plainte par arrêt de renvoi du 9 août 2021. Elle a renvoyé la cause à l'Office des poursuites de la Sarine afin qu'il procède au calcul de la rente viagère annuelle et établisse un nouveau procès-verbal de saisie.
A.c Le 20 septembre 2021, le Président du Tribunal civil de la Sarine a prononcé la faillite personnelle de A. et a chargé l'Office cantonal des faillites de procéder à la liquidation des biens du failli.
A.d Le 24 septembre 2021, l'Office des poursuites de la Sarine a informé A. que la rente saisissable avait été arrêtée à 1'765 fr. et que la saisie en faveur des créanciers des poursuites n° x et y serait dès lors limitée à ce montant. Quant au solde de 33'891 fr. 50, compte tenu de la faillite prononcée le 20 septembre 2021, celui-ci était transféré auprès de l'Office cantonal des faillites, conformément à ses instructions.
BGE 149 III 28 S. 30
Le 3 janvier 2022, l'Office cantonal des faillites a porté à l'inventaire dans la faillite n° z la créance "OP Sarine, transfert saisie cpte 3A B." pour un montant de 33'891 fr. 50.
B. Par acte du 21 janvier 2022, A. a déposé plainte contre la décision du 3 janvier 2022 de l'Office cantonal des faillites. Il a conclu à ce que le montant de 33'891 fr. 50 lui soit restitué et à ce que cette somme soit enlevée de l'inventaire dans la faillite.
Par arrêt du 4 mai 2022, la chambre des poursuites et faillites a rejeté la plainte et confirmé l'inventaire dans la faillite n° z du 3 janvier 2022.
C. Par acte posté le 23 mai 2022, A. interjette un recours en matière civile contre cet arrêt. Il conclut à sa réforme, en ce sens que l'inventaire dans la faillite n° z du 3 janvier 2022 est modifié, notamment en ce sens que le n° 38 avec l'objet "OP Sarine, transfert saisie cpte 3A B." d'un montant de 33'891 fr. 50 est enlevé et que, partant, ledit montant est restitué au plaignant. En substance, il se plaint de la violation des règles de la bonne foi (
art. 5 al. 3 et 9 Cst.), de son droit d'être entendu (
art. 29 al. 2 Cst.) et de l'art. 197 al. 1 et 2 en relation avec l'
art. 93 al. 1 et 2 LP.
Il requiert d'être mis au bénéfice de l'assistance judiciaire.
Invités à déposer des observations, l'autorité de surveillance a renoncé à le faire et l'office a renvoyé à sa détermination transmise à l'autorité de surveillance.
D. Par ordonnance du 20 juin 2022, l'effet suspensif a été attribué au recours.
Le Tribunal fédéral a admis le recours.
Extrait des considérants:
6.2 Selon l'
art. 197 LP, tous les biens saisissables du failli au moment de l'ouverture de la faillite forment une seule masse, quel que soit le lieu où ils se trouvent, et sont affectés au paiement des créanciers (al. 1). Les biens qui échoient au failli jusqu'à la clôture de la faillite rentrent dans la masse (al. 2).
(...)
6.2.3.1 De jurisprudence constante, le salaire et autres revenus professionnels du failli ne lui échoient pas au sens de l'
art. 197 al. 2 LP BGE 149 III 28 S. 31
et sont par conséquent soustraits au dessaisissement du failli. Le Tribunal fédéral considère que l'expression "échoir" doit s'entendre de ce qui ne provient pas d'une activité personnelle de l'acquéreur, de sorte que toute la fortune nette qui peut entrer dans le patrimoine autrement que par cette activité (p. ex. succession, donation, loterie) entre dans la masse (
ATF 72 III 83 consid. 3). En principe, le failli peut donc encore disposer librement de son salaire malgré la faillite et les créanciers dont les créances sont antérieures à l'ouverture de la faillite n'ont pas le droit de mettre la main sur cet actif (
ATF 121 III 382 consid. 2;
ATF 114 III 26 consid. 1a,
ATF 114 III 40 consid. 2;
ATF 111 III 73 consid. 3b;
ATF 109 III 80 consid. 2a; arrêt 5P.426/2002 du 17 janvier 2003 consid. 2.2, in Pra 2003 n° 170 p. 927). Cette règle permet ainsi au failli de se créer une nouvelle situation déjà pendant la procédure de poursuite (
ATF 72 III 83 précité consid. 4).
Le Tribunal fédéral a précisé que la notion d'actifs échéant au débiteur prévue à l'art. 197 al. 2 LP devait se concevoir de manière restrictive et que n'en faisait pas partie l'indemnité perçue par l'employé pour résiliation prématurée du contrat de travail (ATF 77 III 34 consid. 3).
Cette jurisprudence concernant le revenu provenant du travail fait l'objet de critiques. Les auteurs dont celles-ci émanent estiment ainsi, pour en limiter la portée, que les autres revenus relativement saisissables visés par l'
art. 93 LP entrent dans la masse (GILLIÉRON, Commentaire de la loi fédérale sur la poursuite pour dettes et la faillite, 2001, n
os 25 ss ad
art. 197 LP; ROMY, in Commentaire romand, Poursuite et faillite, 2005, n° 28 ad
art. 197 LP; cf. aussi SCHOBER, in Kommentar zum Bundesgesetz über Schuldbetreibung und Konkurs SchKG, 4
e éd. 2017, n° 8 ad
art. 197 LP). D'autres, en revanche, considèrent que cette jurisprudence s'applique également au revenu versé au débiteur en compensation du manque à gagner. Ils motivent leur point de vue en relevant que ce revenu de remplacement a pour but de dédommager le débiteur qui ne peut plus se constituer un patrimoine en raison de son activité personnelle. Ce revenu n'est pas non plus "échu" au débiteur pendant la faillite; il n'est donc pas visé par l'
art. 197 al. 2 LP, à l'instar du revenu de l'activité lucrative, et reste entièrement soustrait à la masse en faillite (HUNKELER, in Basler Kommentar, Bundesgesetz über Schuldbetreibung und Konkurs, 2021 n° 87 ad
art. 197 LP; cf. aussi KREN KOSTKIEWICZ, in SchKG Kurzkommentar, 2
e éd. 2014, n° 21 ad
art. 197 LP, qui reprend telle quelle la jurisprudence fédérale et renvoie au commentaire précité).
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Il n'y a pas lieu d'examiner les critiques en lien avec la jurisprudence selon laquelle les revenus professionnels du failli sont soustraits au dessaisissement de celui-ci. En effet, un changement de jurisprudence ne peut notamment se justifier que lorsqu'il apparaît que les circonstances ou les conceptions juridiques ont évolué ou qu'une autre pratique respecterait mieux la volonté du législateur. Les motifs du changement doivent être objectifs et d'autant plus sérieux que la jurisprudence est ancienne, afin de ne pas porter atteinte sans raison à la sécurité du droit (
ATF 147 III 14 consid. 8.2 et les références). Ces conditions strictes ne sont pas remplies.
Il sied donc seulement d'examiner si cette jurisprudence s'applique également aux prestations de la prévoyance professionnelle servies suite à la survenance d'un cas d'assurance. Pour assurer l'égalité avec les assurés qui perçoivent leurs prestations de prévoyance professionnelle sous forme de rentes versées avant et après l'ouverture de la faillite, on ne peut y répondre en l'espèce en se contentant de constater que le capital en cause a été versé au failli avant l'ouverture de la faillite de sorte que, l'art. 93 LP s'appliquant, l'entier du capital résiduel après éventuelle déduction de la rente annuelle devrait lui revenir.
6.2.3.2 Dans un arrêt publié aux
ATF 109 III 80, le Tribunal fédéral a rappelé les principes précités mais a considéré que ceux-ci ne s'appliquaient pas à la prétention en cause - soit une indemnité revenant statutairement à un membre qui sort de la caisse de pension suite à la résiliation du contrat de travail. En effet, cette indemnité ne résultait pas des prestations de travail du failli pendant la procédure de faillite, mais de la résolution des rapports entre lui et la caisse de pension. Il a considéré que le capital constitué auprès de cette caisse devait être comparé à de l'épargne que le failli aurait pu constituer avant l'ouverture de la faillite sur le produit de son travail et qui aurait dû être comprise dans la masse. Par la suite, dans des arrêts publiés aux
ATF 117 III 20 et
ATF 118 III 43, il a confirmé cette jurisprudence au vu de la nouvelle législation alors en vigueur et exposé que ni l'art. 92 ch. 13 ni l'ancien
art. 93 LP ne s'appliquaient au versement en espèces au failli par une institution de prévoyance fondé sur l'ancien art. 331c al. 1 let. b ch. 2 CO dont celui-ci était totalement libre, de sorte que cet avoir n'était pas soustrait au dessaisissement du failli.
Il ressort de cette jurisprudence que le Tribunal fédéral a voulu inclure dans la masse active après l'ouverture de la faillite uniquement
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les versements des caisses de pension qui correspondent, selon la législation actuelle, aux prestations de sortie au sens de l'art. 5 de la loi fédérale du 17 décembre 1993 sur le libre passage dans la prévoyance professionnelle vieillesse, survivants et invalidité (LFLP; RS 831.42). S'il considérait que, dans tous les cas, en application de l'
art. 197 al. 2 LP, seuls les revenus du travail n'y entrent pas, contrairement à tous les autres actifs visés par l'
art. 93 LP, il n'aurait pas déterminé la nature du versement litigieux dans les arrêts précités. Il se serait contenté de constater qu'il ne s'agissait pas de revenus du travail. Il faut donc admettre que les motivations de la jurisprudence sur la soustraction au dessaisissement du failli des revenus du travail acquis postérieurement à l'ouverture de la faillite valent aussi pour les prestations de prévoyance professionnelle versées suite à la survenance d'un cas d'assurance.
6.2.3.3 Il faut retenir de ce qui précède que les prestations de la prévoyance professionnelle versées au failli qui a atteint l'âge de la retraite visent le maintien du niveau de vie de manière appropriée. Comme le revenu issu de l'activité professionnelle, elles sont relativement saisissables et traitées comme telles dans la faillite. Au vu de la conception étroite de l'
art. 197 al. 2 LP, conception qui ne vise au demeurant pas à encourager le failli à continuer son activité lucrative mais à lui permettre de se créer une nouvelle situation financière, ces prestations doivent être traitées de la même manière que les revenus professionnels et soustraites au dessaisissement du failli après l'ouverture de la faillite.