Chapeau
149 II 225
21. Extrait de l'arrêt de la IIe Cour de droit public dans la cause A. et B. contre Association C. et Ville de Genève Service de la petite enfance (recours en matière de droit public)
2C_849/2021 du 17 janvier 2023
Regeste
Art. 9 Cst.; art. 132 al. 2 et 3 de la loi genevoise du 26 septembre 2010 sur l'organisation judiciaire; art. 6 de la loi genevoise du 12 décembre 2019 sur l'accueil préscolaire; art. 13 du règlement de la Ville de Genève pour l'accueil préscolaire; nature juridique (droit public ou privé) d'une clause contractuelle fixant le prix de pension pour l'accueil d'un enfant en âge préscolaire par une association privée exclusivement par renvoi à une règlementation communale.
Nature juridique d'un avenant modifiant le prix de pension pour l'accueil d'un enfant en âge préscolaire par une association privée. Détermination du caractère public ou privé des prestations caractéristiques d'une telle relation contractuelle. L'accueil d'enfants en âge préscolaire n'étant pas une tâche publique au sens des dispositions légales applicables, cette prestation ressortit au droit privé. En revanche, la fixation exclusive du prix de pension par la Ville de Genève poursuit un intérêt public (consid. 5).
Faits à partir de page 226
A. Association C. (ci-après: l'Association) est une association sans but lucratif, au sens des art. 60 ss du Code civil suisse, basée à Genève. L'Association est une structure d'accueil de la petite enfance subventionnée par la Ville de Genève qui, selon ses statuts, a notamment pour but d'accueillir des enfants en âge préscolaire.
B. et A., parents de D. née en 2017, ont signé en juin 2017 un contrat d'accueil avec l'Association pour la prise en charge de D. Par lettre circulaire distribuée en août et octobre 2019, l'Association a informé B. et A. qu'un changement de tarification entrerait en vigueur le 1er novembre 2019. Le prix de pension serait désormais calculé sur la base de l'avis de taxation de l'année précédente et serait plafonné à 20'000 fr. par an.
B. Le 11 juillet 2020, B. et A. ont signé un nouveau contrat d'accueil avec l'Association valable dès le 1
er novembre 2019. Le 22 décembre 2020, l'Association a adressé à B. et A. un avenant audit contrat faisant état d'un revenu déterminant de 336'286 fr., soit un montant supérieur au plafond fixé à 220'000 fr. Il en résultait un prix de pension mensuel de 1'454.60 fr. avec effet au 1
er novembre 2019. Le 22 janvier 2021, suite à la production de documents complémentaires, l'Association leur a adressé un nouvel avenant retenant un revenu déterminant de 232'364 fr., le prix de pension restant donc inchangé à 1'454.60 fr.
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Par acte déposé à la Chambre administrative de la Cour de justice du canton de Genève (ci-après: la Cour de justice) le 22 février 2021, B. et A. ont formé un "recours" contre l'avenant du 22 janvier 2021, en concluant principalement à son annulation. Par arrêt du 21 septembre 2021, la Cour de justice a déclaré l'"action contractuelle" interjetée par ces derniers irrecevable, au motif que la contestation qui lui était soumise relevait du droit privé.
C. Agissant par la voie du recours en matière de droit public, B. et A. demandent au Tribunal fédéral d'annuler l'arrêt de la Cour de justice du 21 septembre 2021 et de lui renvoyer la cause pour qu'elle procède à un examen au fond et rende un nouveau jugement.
Le Tribunal fédéral a admis le recours.
(résumé)
Extrait des considérants:
5. Les recourants se plaignent d'une application arbitraire (
art. 9 Cst.) du droit cantonal et communal. Selon eux, l'interprétation faite par les juges précédents des dispositions cantonales et communales pertinentes est arbitraire en ce qu'elle aboutit à conclure que l'avenant litigieux est un contrat de droit privé et non une décision administrative.
5.1 Selon l'art. 132 al. 2 de la loi genevoise du 26 septembre 2010 sur l'organisation judiciaire (LOJ/GE; rs/GE E 2 05), le recours à la Chambre administrative de la Cour de justice est notamment ouvert contre les décisions des autorités et juridictions administratives au sens de l'article 4 de la loi du 12 septembre 1985 sur la procédure administrative (LPA/GE; rs/GE E 5 10). Aux termes de l'
art. 4 al. 1 LPA/GE, sont considérées comme des décisions au sens de l'article 1, les mesures individuelles et concrètes prises par l'autorité dans les cas d'espèce fondées sur le droit public fédéral, cantonal, communal et ayant pour objet a) de créer, de modifier ou d'annuler des droits ou des obligations; b) de constater l'existence, l'inexistence ou l'étendue de droits, d'obligations ou de faits; c) de rejeter ou de déclarer irrecevables des demandes tendant à créer, modifier, annuler ou constater des droits ou obligations. L'art. 132 al. 3 LOJ/GE précise que la Chambre administrative de la Cour de justice connaît également, en instance cantonale unique, des actions fondées sur le droit public qui ne peuvent pas faire l'objet d'une décision au sens de l'alinéa 2 et qui découlent d'un contrat de droit public.
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5.2 Appelé à revoir l'interprétation d'une norme cantonale ou communale sous l'angle de l'arbitraire, comme en l'espèce, le Tribunal fédéral ne s'écarte de la solution retenue par l'autorité cantonale de dernière instance que si celle-ci apparaît insoutenable, en contradiction manifeste avec la situation effective, adoptée sans motifs objectifs et en violation d'un droit certain; en revanche, si l'application de la loi défendue par l'autorité cantonale ne s'avère pas déraisonnable ou manifestement contraire au sens et au but de la disposition ou de la législation en cause, cette interprétation sera confirmée, même si une autre solution - même préférable - paraît possible (cf.
ATF 144 I 113 consid. 7.1 et la référence).
5.3 La résolution du litige implique de clarifier la nature juridique de l'avenant litigieux, autrement dit de déterminer s'il constitue une décision administrative ou s'il s'insère dans un contrat et, dans ce dernier cas de figure, s'il relève du droit privé ou du droit public. En effet, seul un acte rendu dans l'exercice de la puissance publique ouvrirait la voie du recours (cf. art. 132 al. 2 LOJ/GE et 4 LPA/GE), respectivement de l'action (cf. art. 132 al. 3 LOJ/GE), devant la Chambre administrative de la Cour de justice.
5.4 En l'espèce, l'avenant litigieux, intitulé "fréquentation et prix de pension", comporte des engagements pris réciproquement par l'Association et les recourants, à savoir l'accueil de l'enfant des recourants au sein de l'Association durant les périodes de fréquentation mentionnées dans l'avenant, en contrepartie du paiement du prix de pension qui y est mentionné. L'avenant ne constitue donc pas un acte unilatéral adopté par une autorité, au sens de l'
art. 4 LPA/GE. De plus, l'avenant concrétise une manifestation concordante des volontés des intéressés sur les éléments essentiels relatif à la prise en charge de l'enfant - mise à part le mode de fixation du prix de pension, contesté en l'espèce - ce qui est le propre d'une relation contractuelle (cf.
art. 1 al. 1 CO;
ATF 127 III 248 consid. 3d; arrêt 4A_69/2019 du 27 septembre 2019 consid. 3.1). L'avenant litigieux s'inscrit ainsi dans une relation contractuelle, comme l'a constaté l'instance précédente.
5.5 Reste à déterminer la nature juridique de cette relation, respectivement si celle-ci se rapproche du droit privé ou du droit administratif.
5.5.1 En principe, le Tribunal fédéral s'appuie sur plusieurs critères pour déterminer si une contestation relève du droit public ou du droit privé, à savoir sur le critère des intérêts, le critère dit fonctionnel, le critère du sujet ou de la subordination et le critère modal (ou
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critère de la sanction); aucune de ces théories ne l'emportant a priori sur les autres (cf.
ATF 138 I 274 consid. 1.2;
ATF 138 II 134 consid. 4.1 et références; arrêt 2C_727/2018 du 5 juin 2019 consid. 1.2).
Toutefois, tant la jurisprudence que la doctrine s'accordent pour dire que, lorsqu'il s'agit de déterminer la nature juridique d'un contrat qu'aucune législation ne définit elle-même, le critère privilégié à prendre en compte est celui de son
objet, considéré sous l'angle des intérêts en présence et de la fonction du contrat (cf.
ATF 134 II 297 consid. 2.2;
ATF 126 II 171 consid. 2b;
ATF 105 Ia 392 consid. 3;
ATF 103 Ia 31 consid. 2a; THIERRY TANQUEREL, Manuel de droit administratif, 2
e éd. 2018, p. 343; PIERRE MOOR, Droit administratif, vol. II, 3
e éd. 2011, p. 428; HÄFELIN/MÜLLER/UHLMANN, Allgemeines Verwaltungsrecht, 8
e éd. 2020, n. 1294). En ce sens, le critère de la subordination ou du sujet n'est pas déterminant, car tant la jurisprudence fédérale que la doctrine ont admis que deux entités de droit public peuvent conclure un contrat de droit privé, de même que deux sujets de droit privé peuvent passer un contrat de droit administratif (cf.
ATF 103 Ib 335 consid. 3;
ATF 99 Ib 115 consid. 2; HÄFELIN/MÜLLER/UHLMANN, op. cit., n. 1340; TANQUEREL, op. cit., p. 349 et 343; MOOR, op. cit., p. 433; TSCHANNEN/ MÜLLER/KERN, Allgemeines Verwaltungsrecht, 5
e éd. 2022, n. 978).
Selon le critère des intérêts, un contrat est de droit administratif lorsqu'il sauvegarde exclusivement ou principalement l'intérêt public (cf.
ATF 138 II 134 consid. 4.1; arrêt 2C_727/2018 du 5 juin 2019 consid. 1.3). Quant au critère fonctionnel, il prévoit qu'un contrat appartient au droit administratif lorsqu'il tend directement à l'accomplissement de tâches publiques, à moins que la législation topique ne soumette cette activité au droit privé (cf.
ATF 138 II 134 consid. 4.3.1 et références; arrêt 2C_727/2018 du 5 juin 2019 consid. 4.1). Les tâches publiques sont déterminées par la Constitution et les lois et procèdent d'un choix politique. Le cas échéant, il appartient au législateur de déterminer si la tâche publique incombe aux organes étatiques ou si elle est déléguée à des personnes ou entités privées. En d'autres termes, c'est l'interprétation des normes légales ou constitutionnelles qui détermine ce qui est une tâche publique, qui assume cette tâche et comment celle-ci doit être menée à bien (cf.
ATF 138 II 134 consid. 4.3.1; arrêt 2C_727/2018 du 5 juin 2019 consid. 1.4).
L'application du critère des intérêts et du critère fonctionnel à l'
objet du contrat s'effectue en examinant les prestations contractuelles qui
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revêtent des caractéristiques particulières sous l'angle de la distinction à établir (cf. DUBEY/ZUFFEREY, Droit administratif général, 2014, p. 377; MOOR, op. cit., p. 434). Lorsque coexistent, dans un même contrat, des prestations ou des clauses relevant aussi bien du droit public que du droit privé, le Tribunal fédéral soumet la contestation aux règles de droit applicables en fonction de la prestation ou de la clause litigieuse (cf.
ATF 103 II 314 consid. 3c).
5.5.2 Il convient ainsi d'examiner si les prestations caractéristiques ou les clauses de l'avenant litigieux poursuivent principalement des intérêts publics ou privés, respectivement si elles tendent ou non à l'accomplissement d'une tâche publique.
5.5.3 L'instance précédente a conclu que le contrat liant les recourants à l'Association était régi par le droit privé principalement du fait que l'Association était une entité de droit privé jouissant de la personnalité juridique, qu'elle était autonome tant financièrement que dans son organisation, et qu'elle n'était contrôlée ni par le canton ni par la Ville de Genève. Ce raisonnement ne saurait toutefois être suivi. En effet, si les caractéristiques des co-contractants jouent un rôle dans l'examen du critère du sujet ou de la subordination, ledit critère n'est toutefois pas pertinent pour déterminer la nature juridique de la relation nouée entre eux, et plus particulièrement de la prestation ou clause litigieuse réglée par l'avenant, car comme on l'a déjà indiqué, il n'est pas exclu qu'un contrat de droit administratif puisse être conclu entre deux sujets de droit privé (cf. supra consid. 5.5.1).
5.5.4 Dans la présente cause, tant la prestation effectuée par l'Association, à savoir l'accueil d'un enfant en âge préscolaire, que la contre-prestation des recourants, à savoir le paiement d'un prix de pension fixé sur la base d'un tarif émanant d'une réglementation communale qui est à la base du litige, revêtent des caractéristiques qui sont propres à chacune de ces prestations. Pour définir ces caractéristiques, un survol des fondements juridiques de l'accueil préscolaire des enfants dans le canton de Genève s'impose au préalable.
I. De l'accueil des enfants en âge préscolaire
5.5.5 Dans le canton de Genève, l'accueil des enfants en âge préscolaire est régi par les art. 200 à 203 de la Constitution de la République et canton de Genève du 14 octobre 2012 (Cst./GE; RS 131. 234), qui figurent au titre VI, chapitre 3 de ladite Constitution, intitulé "Tâches publiques". Ces dispositions prévoient que l'offre de places d'accueil de jour pour les enfants en âge préscolaire est
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adaptée aux besoins (
art. 200 Cst./GE) et que le canton et les communes organisent l'accueil préscolaire (
art. 201 al. 1 Cst./GE), évaluent les besoins, planifient, coordonnent et favorisent la création de places d'accueil (
art. 201 al. 2 Cst./GE). Les communes ou groupements de communes financent la construction et l'entretien des structures d'accueil de jour, tandis que le canton et les communes ou groupements de communes en financent l'exploitation après déduction de la participation des parents et d'éventuelles autres recettes (
art. 202 Cst./GE). L'
art. 203 Cst./GE prévoit que le canton et les communes encouragent la création et l'exploitation de structures d'accueil de jour privées, en particulier les crèches d'entreprise (al. 1); ils favorisent le développement du partenariat entre acteurs publics et privés (al. 2).
Ces dispositions constitutionnelles, en vigueur depuis le 1er juin 2013, ont fait suite à une initiative populaire cantonale (IN 143 "Pour une véritable politique d'accueil de la Petite enfance") qui visait à inscrire dans la constitution genevoise un nouvel article 160G relatif à l'accueil préscolaire. En substance, l'initiative prévoyait que chaque enfant en âge préscolaire devait avoir un droit à une place d'accueil de jour et que le canton et les communes étaient tenus de réaliser ce droit en créant et maintenant des places d'accueil, les communes pouvant toutefois déléguer cette tâche aux associations ou fondations autorisées à exercer cette activité. Cette initiative a cependant été rejetée en votation populaire le 17 juin 2012 au profit d'un contreprojet, dont la teneur est désormais consacrée aux actuels art. 200 à 203 Cst./GE. Selon le rapport de la Commission en charge de rédiger le contreprojet, ce dernier renonçait à créer un large droit constitutionnel à une place d'accueil - contrairement au souhait des initiants - au profit d'une formulation plus atténuée, qui adapte l'offre d'accueil aux besoins (cf. Rapport du 24 novembre 2011 de la Commission chargée de l'élaboration du contreprojet à l'IN 143, IN 143-D PL 10895, p. 4). Eu égard à la mise en oeuvre de ces nouvelles dispositions, ledit rapport précise qu'il "apparaît préférable que la délégation de toute tâche, en rapport avec le présent contreprojet, ne soit ni expressément exclue, ni expressément prévue. Il n'appartient pas à une loi de rang constitutionnel de verrouiller la manière dont la loi d'application doit être rédigée" (Rapport du 24 novembre 2011, op. cit., p. 9-10).
Les art. 200 à 203 Cst./GE énoncent donc un cadre général qui est précisé par la loi du 12 décembre 2019 sur l'accueil préscolaire
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(LAPr; rs/GE J 6 28), entrée en vigueur le 1
er janvier 2020. Le législateur cantonal y a ainsi indiqué que les communes, ou groupements de communes, offrent des places dans les différents modes d'accueil pour les enfants en âge préscolaire et qu'à cette fin, elles peuvent collaborer entre elles ou confier à une association ou à une fondation à but non lucratif la mise à disposition de places d'accueil préscolaire. Les modalités de cette collaboration sont définies statutairement, par voie réglementaire ou contractuelle (art. 6 al. 1 LAPr).
Dans ce contexte, la Ville de Genève s'est dotée d'un Règlement du 20 avril 2016 relatif à l'accueil préscolaire en Ville de Genève et aux conditions d'octroi des subventions aux structures d'accueil (Règlement communal pour l'accueil préscolaire; rs/GE LC 21 551), dont l'art. 1 al. 1 prévoit que, conformément à ses missions et obligations découlant de la Constitution et de la législation cantonales, la Ville de Genève dirige la politique de la petite enfance, planifie, organise et assure le maintien et le développement de l'offre de places d'accueil sur son territoire. A cette fin, elle subventionne les structures d'accueil de la petite enfance sises sur son territoire, aux conditions et dans la mesure définies par le présent règlement (art. 1 al. 2 let. a). La Ville de Genève définit également les priorités en matière d'accueil, les conditions de tarification et les termes de la collaboration avec les autres acteurs publics ou privés actifs dans le domaine de la petite enfance (art. 2). L'art. 13 al. 1 dudit Règlement prévoit que les structures d'accueil appliquent les barèmes des prix de pension fixés par le Conseil administratif et qu'elles ne peuvent y déroger qu'en cas de situation exceptionnelle, moyennant l'accord préalable de leur comité ou conseil de fondation et du Service de la petite enfance. L'art. 14 du Règlement, relatif aux "Conditions de subventionnement", précise en outre que les structures d'accueil peuvent être organisées sous la forme de personnes morales de droit privé ou de droit public (al. 1); mais que leurs statuts ou acte constitutif et règlement doivent avoir été approuvés par le Service de la petite enfance (al. 2).
5.5.6 D'un point de vue historique, il sied encore d'indiquer qu'à l'origine, les structures d'accueil préscolaire en Ville de Genève étaient entièrement privées et n'étaient soutenues ni par la commune, ni par le canton. Progressivement, la Ville de Genève a introduit un mode de subventionnement assorti d'un contrôle de la gestion administrative des structures d'accueil (cf. Rapport du 12 juin 2007 de la Commission chargée d'examiner la proposition en vue de l'extension du
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service public au domaine de la petite enfance et annexe, PR-476 A). A compter de 1984, des manquements dans la gestion du dispositif de la petite enfance par les associations de bénévoles en Ville de Genève ont été recensés. Ainsi, en 1998, la centralisation de la gestion de l'accueil préscolaire sous la houlette d'un employeur unique, à savoir une municipalisation complète du dispositif ou une extension du service public partielle, sous forme d'une fondation de droit public, a été recommandée (Rapport n°170 de la Cour des comptes du canton de Genève, "Audit de performance - Dispositif de la petite enfance - Ville de Genève", mars 2022, p. 26 ss). Des réflexions ont été menées depuis et, en 2021, le Conseil administratif de la Ville de Genève a validé le principe d'une "municipalisation par étapes" des nouvelles structures d'accueil de la petite enfance, qui sera mise en oeuvre à partir de 2023. Cette démarche vise notamment à "reconnaître l'éducation préscolaire comme une mission de service public" (cf. communiqué de presse du Conseil administratif, daté du 31.08.2021, disponible sous:
www.geneve.ch) et la Ville de Genève a indiqué, dans ses observations, que si les discussions en cours visant à municipaliser la prestation d'accueil préscolaire devaient se concrétiser, la réglementation communale devrait alors être adaptée en ce sens.
5.5.7 Il ressort des dispositions constitutionnelles précitées que l'accueil préscolaire dans le canton de Genève comprend différentes tâches qui incombent non seulement au canton et aux communes genevoises, mais également aux associations et fondations à but non lucratif oeuvrant dans le domaine de la petite enfance. Plus précisément, l'exécution de tâches liées à la planification, la coordination, l'encouragement à la création de structures d'accueil, l'aide à l'organisation de ces structures et la prise en charge financière incombent à la Ville de Genève (en partie avec le canton), de sorte que ces tâches revêtent indéniablement la caractéristique de tâches publiques. Par contre, la tâche d'exploiter des structures d'accueil subventionnées, autrement dit celle d'accueillir des enfants en âge préscolaire, n'est mentionnée dans aucune disposition figurant parmi les "tâches publiques" énoncées au titre VI, chapitre 3 de la Cst./GE.
Certes, au terme d'une interprétation littérale de l'art. 6 al. 1 LAPr, soutenue par les recourants, les communes auraient la tâche publique d'offrir directement des places d'accueil préscolaire, tâche qui pourrait être confiée, le cas échéant, à une association de droit privé ou une fondation. En ce sens, l'exploitation des places d'accueil, qui
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incombait historiquement à des entités de droit privé de type association ou fondation indépendantes de la commune, incomberait dorénavant directement à cette dernière, qui pourrait la déléguer à une entité subventionnée, telle que l'Association. Dans ce cas de figure, les relations entre la structure d'accueil subventionnée et les parents, en leur qualité d'usager d'un service communal, relèveraient donc du droit public.
Néanmoins, une interprétation téléologique, historique et systématique de cette disposition, à la lumière des
art. 200 et 201 al. 1 Cst./GE, impose de nuancer ce constat. En effet, le but poursuivi par le législateur cantonal au travers de l'art. 6 al. 1 LAPr est clair: mettre en place un dispositif permettant d'adapter l'offre de places d'accueil aux besoins et formaliser dans la loi la collaboration préexistante entre les communes et les structures d'accueil subventionnées. Les travaux préparatoires ne font toutefois pas état d'une volonté du législateur de modifier le mode de gouvernance de la petite enfance prévalant jusqu'alors en Ville de Genève, en faisant de l'accueil proprement dit des enfants en âge préscolaire une tâche publique à la charge des communes, et le rejet de l'initiative populaire cantonale poursuivant cet objectif démontre du reste le contraire.
A cet égard, le fait que la Ville de Genève participe au financement de l'exploitation des structures d'accueil privées par le biais du subventionnement (art. 8 al. 1 LAPr) ne saurait suffire à faire d'une telle exploitation une tâche publique déléguée auxdites structures. En effet, les subventions sont un instrument important permettant la réalisation d'objectifs politiques communaux et cantonaux sans que l'Etat ne doive agir directement (cf. Rapport 2008 du Conseil fédéral sur les subventions du 30 mai 2008, FF 2008 5651, 5661). Dans ce contexte, le fait que la Ville de Genève puisse exercer une certaine surveillance sur l'Association - en disposant d'une voie consultative lors de l'assemblée générale (art. 15 al. 4 du Règlement pour l'accueil préscolaire), en approuvant ses statuts (art. 14 al. 2 du Règlement pour l'accueil préscolaire) ou encore en fixant les barèmes servant de base pour la fixation du prix des pensions des parents (art. 13 al. 1 du Règlement pour l'accueil préscolaire) - est essentiellement la contrepartie de son obligation de financer l'exploitation des structures d'accueil préscolaire qu'elle subventionne, dans la mesure où les frais ne sont pas couverts par les autres sources de financement (
art. 202 Cst./GE; art. 8 al. 2 LAPr; cf. également arrêt 8C_559/2021 du 20 janvier 2022 consid. 8.2.2). Contrairement à ce que semblent penser
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les recourants, toute activité privée soumise à une surveillance communale ne correspond pas nécessairement à une tâche publique déléguée par ladite commune (cf. ANNE-CHRISTINE FAVRE, La délégation d'activités non économiques ou "à caractère ministériel", in La délégation d'activités étatiques au secteur privé, Favre/Martenet/Poltier [éd.], 2016, p. 145-192, 152).
5.5.8 Par conséquent, l'accueil par l'Association de l'enfant des recourants tend principalement à sauvegarder leurs intérêts privés en leur permettant, moyennant une participation financière, de maintenir chacun une activité professionnelle. En l'absence de choix politique visant à faire de l'accueil de tels enfants une tâche publique, tant le critère des intérêts que celui de la fonction imposent de retenir que la prestation déployée par l'Association ressortit au droit privé. Reste à examiner ce qu'il en est de la contre-prestation requise, et plus particulièrement de son mode de fixation.
II. Du paiement du prix de pension
5.5.9 L'art. 8 LAPr prévoit que les communes ou groupements de communes financent la construction et l'entretien des structures d'accueil préscolaire qu'elles exploitent ou subventionnent (al. 1), et cette disposition précise qu'elles en financent l'exploitation après déduction de la participation des parents, du canton et des autres recettes (al. 2). L'art. 20 LAPr précise que la participation financière des parents pour les places d'accueil préscolaire subventionnées ou exploitées par les communes est fixée en fonction de leur capacité économique et du nombre d'enfants à leur charge. Rappelons également que l'art. 13 al. 1 du Règlement communal pour l'accueil préscolaire, précité, prévoit que les structures d'accueil appliquent les barèmes des prix de pension fixés par le Conseil administratif et qu'elles ne peuvent y déroger qu'en cas de situation exceptionnelle, moyennant l'accord préalable de leur comité ou conseil de fondation et du Service de la petite enfance. A cet égard, dans ses observations, la Ville de Genève a précisé que cette disposition avait pour but de veiller à ce que le prix des pensions pratiqué par les structures d'accueil qu'elle subventionne respecte les principes de la capacité économique des parents et de l'égalité de traitement.
5.5.10 A teneur de la clause 2.4. de l'avenant litigieux, les recourants s'engagent, conformément à l'art. 3 des conditions générales du contrat d'accueil, à payer une pension déterminée sur la base des barèmes fixés par le Conseil administratif de la Ville de Genève et
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de leurs modifications ultérieures. Cette disposition du contrat d'accueil, qui renvoie à l'art. 13 du Règlement communal pour l'accueil préscolaire, empêche tant l'Association que les recourants de déterminer librement le prix de pension pour l'accueil de l'enfant, ce prix étant impérativement fixé par le Conseil administratif et ne pouvant être modifié qu'en cas de situation exceptionnelle. Il en découle une restriction à la liberté contractuelle tant de l'Association que des recourants, restriction qui est motivée par l'objectif de garantir l'égalité de traitement entre les parents des enfants qui fréquentent une structure d'accueil subventionnée et celui de fixer un prix correspondant à leur capacité économique. Ces objectifs constituent indéniablement des intérêts publics, au sens de l'art. 20 LAPr, et la tâche de fixer le barème des prix de pension, dont l'exécution incombe exclusivement au Conseil administratif, doit également être qualifiée de tâche publique.
5.6 Dans la mesure où les recourants s'en prennent uniquement au barème qui leur est appliqué pour déterminer le prix de pension, et non aux clauses de l'avenant relatives aux périodes d'accueil ou aux jours de présence de l'enfant, leur contestation relève du droit public. En effet, l'adoption du barème litigieux fixant le prix de pension à payer par les recourants est de la compétence exclusive du Conseil administratif de la Ville de Genève, conformément à l'art. 13 al. 1 du Règlement communal pour l'accueil préscolaire, de sorte que ledit barème constitue une clause relevant du droit public au sens de l'art. 132 al. 3 LOJ/GE. Par conséquent, la motivation de l'instance précédente selon laquelle l'action contractuelle des recourants est irrecevable au motif que la contestation - pourtant limitée au mode de fixation du prix de pension - relève du droit privé, procède d'une interprétation arbitraire du droit cantonal. Cette interprétation a pour conséquence de priver les recourants de la voie de droit ordinaire pour faire contrôler la conformité au droit de la fixation du prix de pension sur la base d'un barème étatique. Il en découle que la Cour de justice a violé l'
art. 9 Cst. en refusant d'entrer en matière sur le recours au motif que la clause de l'avenant litigieux fixant le prix des pensions dû par les recourants relevait du droit privé.