Chapeau
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8. Extrait de l'arrêt de la IIe Cour de droit public du 20 février 1997 dans la cause B. et R. contre Tribunal administratif du canton de Vaud et Office de contrôle des habitants et de police des étrangers du canton de Vaud (recours de droit administratif)
Regeste
Art. 7 LSEE et
art. 105 al. 2 OJ; autorisation de séjour, mariage fictif, abus de droit, pouvoir d'examen, questions de fait et de droit.
Des indices insuffisants de mariage fictif ne permettent pas à eux seuls de retenir un abus du droit à se prévaloir d'un mariage existant (consid. 4 et 5).
Etat de fait incomplet, absence de distinction claire des questions de fait et de droit; renvoi au tribunal administratif cantonal (consid. 6).
Faits à partir de page 49
A.- B., ressortissante roumaine née en 1957, est entrée en Suisse en 1990. Après avoir sollicité en vain une demande d'asile, elle a été refoulée le 25 mai 1992.
Par la suite, elle a épousé A., ressortissant suisse né en 1941, et a obtenu en janvier 1993 une autorisation de séjour, laquelle a également été délivrée à sa fille, R., ressortissante roumaine née en 1979 d'un premier mariage.
Par décision du 16 novembre 1995, notifiée le 23 novembre 1995, l'Office cantonal de contrôle des habitants et de police des étrangers du canton de Vaud (ci-après: l'Office cantonal) a refusé de renouveler les autorisations de séjour de B. et de sa fille, considérant que l'intéressée s'était mariée uniquement dans le but d'éluder les dispositions de police des étrangers.
Par arrêt du 3 septembre 1996, le Tribunal administratif a rejeté le recours déposé par l'intéressée contre cette décision, considérant que le point de savoir si le mariage était fictif pouvait rester indécis car, de toute façon, l'intéressée invoquait abusivement un mariage qui n'existait plus que formellement pour obtenir une prolongation de son autorisation de séjour et de celle de sa fille.
B.- Agissant le 4 octobre 1996 par la voie du recours de droit administratif, B., qui intervient également pour sa fille, demande au Tribunal fédéral d'annuler l'arrêt du Tribunal administratif du 3 septembre 1996 et d'inviter l'Office cantonal à renouveler leurs autorisations de séjour. L'Office cantonal s'en remet aux déterminations du Tribunal administratif, qui renonce à déposer des observations. L'Office fédéral des étrangers conclut au rejet du recours dans la mesure où il est recevable.
Le Tribunal fédéral admet le recours et renvoie l'affaire au Tribunal administratif pour complément d'instruction et nouvelle décision.
Extrait des considérants:
4. a) En l'espèce, l'autorité intimée a retenu que la recourante affirmait être tombée amoureuse de son futur mari dès leur première rencontre en 1992. Toutefois, interrogés par la police en mai 1995 dans le cadre d'une enquête pénale, les époux avaient tous deux fait allusion à un mariage blanc, de sorte que l'on pouvait douter de leur volonté de créer une véritable union conjugale.
Toujours selon l'autorité intimée, la question du caractère fictif du mariage pouvait cependant rester indécise car, de toute façon, la recourante invoquait abusivement un mariage qui n'existait plus que formellement pour obtenir la prolongation de son autorisation de séjour et de celle de sa fille. En effet, l'intéressée, qui après le refus
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de sa demande d'asile ne cachait pas son intérêt à épouser un Suisse, avait été présentée à son futur époux par une amie et avait proposé à celui-ci une somme d'argent en échange d'un mariage. Or, il était évident qu'elle tirait d'une telle union des avantages manifestes en matière de police des étrangers. En outre, bien qu'elle durât toujours, la vie commune des époux avait été marquée par de nombreux incidents et, surtout, par l'activité de prostituée régulièrement exercée par la recourante en plein accord avec son époux. L'autorité intimée concluait ainsi à l'existence manifeste d'un abus de droit et précisait encore que l'intention, récemment exprimée par l'époux, d'adopter sa belle-fille, ne pouvait renverser cette très forte présomption.
b) Dans son mémoire de recours, l'intéressée déclare qu'elle-même et son époux forment maintenant un véritable couple, qu'elle a définitivement renoncé à se prostituer, qu'elle dispose d'une formation d'infirmière acquise en Roumanie et qu'elle a suivi en Suisse un cours d'auxiliaire de santé organisé par la Croix-Rouge. A titre de faits nouveaux, elle indique qu'elle a passé les examens sanctionnant le cours suivi et qu'elle a effectué un stage du 10 juin au 9 septembre 1996 dans un hôpital, lequel lui a délivré un certificat attestant qu'elle avait exécuté ses tâches consciencieusement et avec ponctualité. Par ailleurs, elle souligne que la volonté de son époux d'adopter sa fille date en réalité de quelques années déjà.
5. a) Lorsque le recours de droit administratif est dirigé, comme en l'espèce, contre la décision d'une autorité judiciaire, le Tribunal fédéral ne peut revoir les faits constatés dans la décision que s'ils sont manifestement inexacts ou incomplets ou s'ils ont été établis au mépris de règles essentielles de procédure (
art. 105 al. 2 OJ). Au demeurant, le principe de l'officialité subsiste: le Tribunal fédéral conserve la compétence de vérifier de son chef les constatations de fait dans le cadre fixé par l'
art. 105 al. 2 OJ (
ATF 97 V 134 consid. 1 p. 136/137; ANDRÉ GRISEL, Traité de droit administratif, Neuchâtel 1984, vol. II, p. 931).
En l'espèce, ainsi qu'on va le voir ci-après (considérants b et d), l'état de fait de la décision entreprise souffre de lacunes manifestes au vu de la complexité du cas: d'une part, de nombreux éléments pertinents figurant au dossier n'ont pas été mentionnés dans la décision attaquée et, d'autre part, des questions de fait essentielles n'ont pas été suffisamment instruites.
b) aa) Il ressort de l'arrêt attaqué certains indices de mariage fictif: versement d'une somme d'argent, avantages sur le plan de la
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police des étrangers, vie conjugale houleuse, activité de prostituée. Le dossier révèle en outre un élément pertinent supplémentaire en faveur du mariage fictif: l'époux, né en 1941, est de seize ans plus âgé que la recourante, née en 1957.
bb) Toutefois, il ne faut pas sous-estimer d'autres indices allant en sens contraire. Notamment, ainsi que l'a constaté l'autorité intimée, les époux vivent toujours ensemble.
De plus, il ressort du dossier, soit des procès-verbaux d'interrogatoires des époux par la police les 19 mai, 31 mai et 7 juillet 1995, que la vie commune - avec la fille de la recourante - dure pratiquement depuis le mariage du 27 novembre 1992, soit depuis près de quatre ans lors de la décision attaquée du 3 septembre 1996. Puis, selon ces mêmes déclarations, les époux ont eu, voire ont toujours selon la recourante, des relations sexuelles. En outre, l'intéressée a produit devant l'autorité cantonale trente-quatre photos, portant sur une période de novembre 1992 à juin 1995, qui montrent pour la plupart les époux enlacés lors du mariage, lors de vacances en Roumanie ou lors de festivités diverses, et qui ont une apparence de vérité. Enfin, le consentement du père de R. du 19 octobre 1993, figurant au dossier, à l'adoption de sa fille par A., établit que des démarches ont effectivement été entreprises en vue de cette adoption il y a trois ans déjà.
cc) Ainsi, les indices qui se dégagent de l'arrêt attaqué et du dossier sont divergents; ils ne permettent donc pas de conclure à un mariage fictif. En particulier, il est significatif que la vie commune dure pratiquement depuis le mariage de manière ininterrompue, même si c'est avec des hauts et des bas.
c) L'autorité intimée a laissé ouverte la question du mariage fictif car, de toute façon, la recourante invoquait abusivement un mariage qui n'existait plus que formellement. Le Tribunal administratif a tiré cette conclusion essentiellement des indices de mariage fictif qu'il avait rassemblés. Toutefois, de tels indices ne suffisent pas à fonder un abus de droit au sens de la jurisprudence (
ATF 121 II 97 consid. 4a p. 103/104).
L'
art. 7 al. 2 LSEE (RS 142.20) prévoit expressément, en cas de mariage fictif, la suppression du droit à l'autorisation de séjour du conjoint étranger. Cependant, lorsque les indices de mariage fictif sont insuffisants pour considérer celui-ci comme avéré, il n'est pas admissible de conclure à une déchéance du droit à l'autorisation de séjour, du seul fait de la légèreté de ces indices, au motif qu'il y aurait abus de droit. Il faut au contraire que les éléments de fait qui
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permettent de retenir l'abus de droit soient réunis. Or, il s'agit-là d'une situation différente, soit le maintien d'un mariage, qui n'existe plus que formellement, dans le seul but d'obtenir une autorisation de séjour. Au demeurant, dans ce cadre, il n'est pas exclu de tenir également compte des faits constituant des indices de mariage fictif, s'ils sont manifestement établis, pour déterminer s'il y a abus de droit.
d) D'autres éléments que les indices de mariage fictif mentionnés au considérant b ci-dessus ressortent, non pas de l'arrêt attaqué, mais des procès-verbaux précités, et laissent penser que le mariage de la recourante n'est qu'un cadre fictif maintenu pour des raisons étrangères à l'accomplissement d'une vie conjugale et familiale protégée par l'art. 7 al. 1 LSEE. Si une telle hypothèse est avérée, l'abus de droit pourrait alors être admis.
En effet, certaines déclarations indiquent que la recourante ne reste auprès de son époux que pour assurer son séjour et celui de sa fille. Avec le consentement de son époux, elle a poursuivi après le mariage ses activités de masseuse érotique pendant au moins deux ans; elle a ajouté à cet égard que, lorsqu'elle avait voulu cesser, ce métier la "dégoûtant", son mari l'avait forcée à continuer - ce qu'il nie - en la menaçant de demander le divorce. De plus, elle a reproché à son époux de la frapper "souvent", et a précisé qu'elle ne s'était rendue à l'hôpital "qu'à deux reprises". Enfin, elle a déclaré: "Je pense qu'il m'aime comme je l'aime aussi. En effet, après avoir payé 7'000 fr. à mon époux, je suis tombée amoureuse de lui. Je rectifie, en fait, je vous ai dit cela car je dois absolument rester dans votre pays afin d'y élever convenablement ma fille. En effet, il n'y a pas de travail en Roumanie. Pour ces raisons, je voudrais obtenir la nationalité suisse, soit après trois ans de mariage".
De même, il n'est pas exclu que l'époux ne renonce au divorce que pour pouvoir continuer à profiter des gains de prostituée de sa femme. Selon ses propres dires, il ne dispose que de ses rentes d'assurance-invalidité et d'assurance-maladie, de 3'400 fr. par mois, le magasin qu'il gère n'étant pas encore rentable. Or, on ne saurait passer sous silence qu'il a avoué avoir signé le bail du salon de massage de son épouse ouvert en août 1994 (bien qu'il déclare à cet égard avoir cru que l'appartement était destiné à une amie de sa femme), qu'il a admis avoir régulièrement conduit son épouse sur son lieu de travail et avoir reçu mensuellement de celle-ci 2'300 fr. - somme qu'il savait tirée de la prostitution - soit un montant total d'au moins 36'000 fr. De plus, il a déposé une requête de mesures protectrices
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de l'union conjugale, retirée par la suite. Enfin, il a déclaré: "Maintenant, j'ai vraiment envie de divorcer (...). Je reconnais que j'ai fait une connerie d'accepter ce mariage en blanc."
Ainsi, certains indices laissent penser que les époux maintiennent leur mariage pour d'autres motifs que la vie conjugale. Toutefois, ces éléments ne sont pas suffisamment établis pour conclure à l'abus de droit; des informations essentielles manquent au dossier. En particulier, on ignore si et à quelles conditions les époux ont l'intention de poursuivre la vie commune. On ne sait pas non plus si l'époux de la recourante a toujours l'intention d'adopter sa belle-fille, soit, notamment, si une demande formelle a finalement été déposée. Enfin, il n'est pas établi que les allégués de la recourante à l'intention de l'autorité intimée, selon lesquels elle aurait commencé une nouvelle formation dans le domaine de la santé, soient avérés. De même, on ignore si le contrat de bail du salon de massage a été résilié, ce qui devrait normalement être le cas si la recourante a effectivement changé d'activité.
6. a) La restriction du pouvoir d'examen découlant de l'
art. 105 al. 2 OJ permet de décharger le Tribunal fédéral de l'établissement des faits: comme il peut normalement considérer que les faits que l'instance inférieure a tenu pour prouvés sont suffisamment établis, sauf exceptions très limitées, le Tribunal fédéral peut se consacrer à sa tâche essentielle dans le cadre du recours de droit administratif, soit l'application uniforme du droit fédéral (cf.
ATF 119 Ib 193 consid. 4a p. 199/200). L'
art. 105 al. 2 OJ prend dès lors toute son importance, d'autant plus que la réforme de la loi sur l'organisation judiciaire, qui avait notamment pour but d'alléger la tâche du Tribunal fédéral, a élargi le champ d'application de cette disposition en introduisant le nouvel
art. 98a al. 1 OJ (loi fédérale du 4 octobre 1991, RO 1992 p. 288; voir également FF 1991 II p. 461 ss, spéc. p. 471, 474, 476 et 477 et PETER UEBERSAX, Zur Entlastung der eidgenössischen Gerichte durch eidgenössische Schieds- und Rekurskommissionen sowie durch die Neuregelung des verwaltungsrechtlichen Klageverfahrens, in: PJA 10/94 p. 1223 ss, spéc. p. 1240).
Par ailleurs, la limitation de l'
art. 105 al. 2 OJ rend essentielle la distinction des questions de fait et de droit (ALFRED KÖLZ/ISABELLE HÄNER, Verwaltungsverfahren und Verwaltungsrechtspflege des Bundes, Zurich 1993, no 424 p. 242, et les arrêts cités:
ATF 116 Ib 299 consid. 2d p. 307/ 308;
ATF 115 Ib 408 consid. 1b p. 409/410;
ATF 112 Ib 154 consid. 2 p. 157;
ATF 112 V 1 consid. 3b p. 4; voir aussi
ATF 122 V 221 consid. 3 p. 223 et
ATF 120 Ib 305 consid. 4a p. 308/309).
Si le Tribunal fédéral dispose d'un pouvoir d'examen limité en ce qui concerne l'examen des faits, il applique d'office et librement le droit fédéral. Compte tenu de cette différence dans le pouvoir d'examen, et pour que le but visé par l'extension des cas où intervient l'art. 105 al. 2 OJ soit atteint, il convient également que l'arrêt cantonal distingue en principe l'établissement des faits et l'application du droit.
b) En l'espèce, l'état de fait exposé par l'autorité intimée est manifestement incomplet et il ne permet pas au Tribunal fédéral de résoudre les questions de droit litigieuses. Or, il n'appartient en principe pas à celui-ci de compléter l'état de fait de l'arrêt attaqué, pratiquement comme un juge de première instance, surtout lorsque le dossier ne permet pas d'établir sans difficulté l'ensemble des faits déterminants.
En outre, l'arrêt attaqué mêle les questions de fait et de droit. Or, ce procédé, qui ne facilite pas l'application de l'art. 105 al. 2 OJ, est déjà discutable en lui-même, mais est encore plus critiquable lorsque, comme en l'occurrence, l'affaire est complexe et qu'il devient difficile de distinguer sur tel ou tel point particulier si l'instance cantonale considère un fait comme établi ou si elle passe déjà à une interprétation du point de vue juridique.