125 I 257
Avis important:
Les versions anciennes du navigateur Netscape affichent cette page sans éléments graphiques. La page conserve cependant sa fonctionnalité. Si vous utilisez fréquemment cette page, nous vous recommandons l'installation d'un navigateur plus récent.
Les versions anciennes du navigateur Netscape affichent cette page sans éléments graphiques. La page conserve cependant sa fonctionnalité. Si vous utilisez fréquemment cette page, nous vous recommandons l'installation d'un navigateur plus récent.
Chapeau
125 I 257
24. Extrait de l'arrêt de la Ie Cour de droit public du 24 juin 1999 dans la cause J.H. contre Président du Tribunal cantonal du canton de Vaud (recours de droit public)
Regeste
Art. 4 Cst., art. 8 CEDH et art. 7 al. 1 de la Convention relative aux droits de l'enfant; liberté personnelle; droit de consulter le dossier de tutelle archivé.
Rappel des principes gouvernant le droit de consulter un dossier personnel archivé, sous l'angle du droit d'être entendu, de la liberté personnelle et de l'art. 8 CEDH (consid. 3a et 3b). Droit de l'enfant de connaître son ascendance (consid. 3c).
Pesée des intérêts en présence (consid. 4).
Le 12 février 1958, la Justice de paix du cercle d'Yverdon (ci-après: la Justice de paix) a, en application de l'art. 311 aCC, désigné le Tuteur général du canton de Vaud (ci-après: le Tuteur général)
BGE 125 I 257 S. 258
comme curateur de l'enfant à naître de P.H., célibataire née le 15 décembre 1940. Selon cette décision, le curateur avait pour mission de «sauvegarder les droits de cet enfant quant à sa paternité, sa pension alimentaire et son éducation». Le curateur était d'ores et déjà autorisé à «ouvrir action en paternité contre le père présumé et à recourir devant toute instance». Le procès-verbal relatant l'interrogatoire de la future mère, le 25 janvier 1958, désignait un dénommé A. comme le père présumé de l'enfant.Entendu le 26 juillet 1958, A. a contesté être le père de l'enfant. Tout en reconnaissant avoir entretenu des relations sexuelles avec P.H. durant la période allant de novembre 1956 à février 1958, puis une dernière fois en avril 1958, il a indiqué que leur liaison s'était distendue notamment après le 27 novembre 1957, date à laquelle P.H. lui avait adressé une lettre de rupture et avoué avoir eu des relations avec d'autres hommes à l'époque de la conception.
Le 5 novembre 1958, P.H. a admis avoir entretenu des relations sexuelles en mars 1958 avec un dénommé B.
Le 18 décembre 1958, P.H. a donné le jour à J.H.
Entendu le 1er février 1959, B. a nié être le père de l'enfant. Le 24 février 1959, il a cependant admis avoir entretenu des relations sexuelles avec P.H. dans la nuit du 15 au 16 mars 1958.
Entendu le 24 février 1959, un dénommé C. a reconnu avoir entretenu des relations sexuelles avec P.H. les 22, 28 et 29 mars 1958.
Le 6 mars 1959, P.H. a confirmé les déclarations de B. et de C.
Le 7 mars 1959, le Tuteur général a présenté, au nom de P.H. et de J.H., une demande d'assistance judiciaire en matière civile, en vue d'ouvrir contre B. une action en paternité au sens de l'art. 307 aCC.
Le 3 avril 1959, le Bureau d'assistance judiciaire du Département de justice et police du canton de Vaud a rejeté la requête, car «il apparaît que le procès ne serait pas engagé par une personne raisonnable plaidant à ses propres frais».
Le 21 mai 1959, le Tuteur général a proposé à la Justice de paix l'abandon de l'action en paternité: compte tenu d'une période de conception fixée à mi-mars 1958, le père de l'enfant pouvait être aussi bien A., B. que C., sans que l'un d'eux ne puisse cependant être désigné avec une certitude suffisante; une action en paternité était dans ces conditions dépourvue d'emblée de toute chance de succès.
Le 20 juin 1959, la Justice de paix a relevé le Tuteur général de sa fonction de curateur au sens de l'art. 311 aCC et l'a désigné comme tuteur de J.H., qui a été placé dans une famille d'accueil.
P.H. est décédée en 1998.
Le 18 mars 1998, J.H. a demandé au Tuteur général le droit de consulter le dossier établi à son sujet.
Le 31 août 1998, il a réitéré sa requête, en expliquant que la consultation de son dossier lui était nécessaire pour les besoins du traitement psychiatrique qu'il suivait.
Le 30 octobre 1998, le Tribunal cantonal a autorisé la consultation du dossier pour la période allant du 3 avril 1959 au 4 juin 1968. En revanche, il a interdit la consultation des pièces antérieures au 3 avril 1959 et de la détermination du 21 mai 1959, la communication de ces documents pouvant porter atteinte aux intérêts des personnes citées.
Le 12 novembre 1998, J.H. est revenu à la charge, en demandant à pouvoir consulter la partie cachée de son dossier.
Le 11 mars 1999, le Tribunal cantonal a rejeté la requête, en confirmant qu'il n'autorisait pas la consultation des pièces antérieures au 3 avril 1959, ni la communication du 21 mai 1959, au motif que cela pouvait léser les intérêts éminemment personnels des personnes mentionnées dans l'enquête en recherche de paternité.
Le Tribunal fédéral a admis le recours de droit public formé par J.H. contre cette décision, qu'il a annulée.
Extrait des considérants:
3. Pour le recourant, le refus de l'autoriser à consulter les pièces du dossier antérieures au 3 avril 1959, ainsi que la communication du 21 mai 1959, violerait son droit d'être entendu garanti par l'art. 4 Cst., ainsi que l'art. 8 CEDH.
a) La portée du droit d'être entendu et les modalités de sa mise en oeuvre sont tout d'abord déterminées par la législation cantonale, dont le Tribunal fédéral revoit l'application sous l'angle restreint de l'arbitraire (ATF 124 I 241 consid. 2 p. 242/243; ATF 124 II 49 consid. 3a p. 51; ATF 122 I 153 consid. 3 p. 158; ATF 121 I 225 consid. 2a p. 227, 230 consid. 2b p. 232, et les arrêts cités). Il examine en revanche librement si les garanties minimales consacrées par le droit constitutionnel fédéral ont été respectées (ATF 124 I 241 consid. 2 p. 242/243; ATF 124 II 49 consid. 3a p. 51; ATF 122 I 153 consid. 3 p. 158, et les arrêts cités). Le recourant n'invoquant pas la violation de règles du droit cantonal régissant son droit d'être entendu, c'est à la lumière de l'art. 4 Cst. qu'il convient d'examiner son grief (ATF 124 I 49 consid. 3a p. 51; ATF 119 Ia 136 consid. 2c p. 138, 260 consid. 6 p. 260/261, et les arrêts cités).
b) Le droit de consulter le dossier, déduit directement de l'art. 4 Cst., peut être exercé non seulement au cours d'une procédure, mais aussi de manière indépendante, hors de toute procédure, par exemple pour consulter, comme en l'espèce, un dossier archivé. Dans ce dernier cas, le requérant doit faire valoir un intérêt digne de protection à l'exécution de cette mesure (ATF 122 I 153 consid. 6a p. 161). Le droit de consulter le dossier archivé peut toutefois être supprimé ou limité dans la mesure où l'intérêt public ou l'intérêt prépondérant de tiers exigent que tout ou partie des documents soient tenus secrets (ATF 122 I 153 consid. 6a p. 161, et les arrêts cités). Dans cette hypothèse, conformément au principe de la proportionnalité, l'autorité doit autoriser l'accès aux pièces dont la consultation ne compromet pas les intérêts en cause (ATF 122 I 153 consid. 6a p. 161, et les arrêts cités).
Le droit de consulter le dossier contenant des données personnelles ressortit aussi au droit constitutionnel non écrit de la liberté personnelle, qui ne tend pas seulement à assurer la liberté de mouvement ou à protéger l'intégrité personnelle, mais garantit aussi, de manière générale, le respect de la personnalité (ATF 124 I 40 consid. 3a p. 42, 85 consid. 2 p. 86/87, 170 consid. 2b p. 171/172, 336 consid. 4a p. 338; ATF 123 I 112 consid. 4a p. 118; ATF 122 I 153 consid. 6b/bb p. 162/162, 279 consid. 3 p. 288, 360 consid. 5a p. 362, et les arrêts cités). L'établissement, le traitement et la conservation de données personnelles par l'administration constitue une atteinte à la liberté personnelle (ATF 122 I 153 consid. 6b/bb p. 163), admissible, à l'instar de toute restriction à cette liberté, que si elle repose sur une base légale, est ordonnée dans l'intérêt public et respecte le principe de la proportionnalité; la liberté personnelle, en tant qu'institution fondamentale de l'ordre juridique, ne saurait toutefois être complètement supprimée ou vidée de son contenu par les restrictions légales qui peuvent lui être apportées dans l'intérêt public (ATF 124 I 40 consid. 3a p. 42, 80 consid. 2c p. 81, 170 consid. 2b p. 171/172, 176 consid. 5a p. 177, 203 consid. 2b p. 204/205, 336 consid. 4c p. 340, et les arrêts cités).
L'établissement, le traitement et la conservation de données personnelles entre aussi dans le champ d'application de l'art. 8 CEDH (arrêts de la Cour européenne des droits de l'homme du 7 juillet 1989, Gaskin c. Royaume-Uni, Série A, vol. 160, par. 37 et du 26 mars 1987, Leander c. Suède, Série A, vol. 116, par. 48; ATF 122 I 153 consid. 6b/cc p. 163/164, et les références citées). Dans l'arrêt Gaskin, la Cour européenne des droits de l'homme, sans vouloir
BGE 125 I 257 S. 261
affirmer de manière abstraite l'existence d'un droit général, tiré de l'art. 8 CEDH, à consulter des données et renseignements détenus par l'administration au sujet de la vie privée et familiale des citoyens (arrêt précité, par. 37), a néanmoins admis que la personne, prise en charge dès sa prime enfance, après le décès de sa mère, par les services sociaux étatiques, et placée chez divers parents nourriciers (arrêt précité, par. 10), dispose d'un intérêt primordial, protégé par l'art. 8 de la Convention relative aux droits de l'enfant, à connaître les renseignements recueillis par l'administration, afin d'être en mesure de connaître et comprendre son enfance et ses années de formation (arrêt précité, par. 49). A cet intérêt légitime s'oppose celui de l'Etat, lié à la confidentialité des dossiers officiels si l'on souhaite recueillir des informations objectives et dignes de foi, ainsi que l'intérêt de tiers, notamment des informateurs (arrêt précité, par. 49). Un système qui subordonne le droit de consulter le dossier à l'assentiment des informateurs cités dans ce dossier, est en principe compatible avec l'art. 8 CEDH, s'il charge un organe indépendant de décider de la remise des informations dont la consultation est demandée et qu'un informateur refuse d'y consentir (arrêt précité, par. 49; pour un commentaire, cf. Ulrike Elisabeth Binder, Die Auswirkungen der Europäischen Menschenrechtskonvention und des UN-Übereinkommens über die Rechte des Kindes vom 20. Dezember 1989 auf Rechtsfragen im Bereich der medizinisch assistierten Fortpflanzung, Francfort-sur-le-Main, 1998, p. 92-96).c) Indépendamment du droit de consulter le dossier, il convient aussi de prendre en compte, dans ce contexte, le droit de l'enfant de connaître son ascendance.
aa) Avant l'adoption de normes spécifiques dans ce domaine, la jurisprudence avait abordé, sans le trancher, le point de savoir si le droit de connaître son ascendance découlait directement de la liberté personnelle.
Dans l'arrêt X., concernant un état de fait analogue à la présente affaire, le Tribunal fédéral, après avoir rappelé les limites du droit constitutionnel non écrit de la liberté personnelle, avait considéré que la reconnaissance du droit de consulter le dossier de tutelle archivé, le cas échéant indépendamment d'une procédure pendante, dépendait d'une pesée d'intérêt à faire sous l'angle de l'art. 4 Cst., examen dans lequel il convenait aussi de prendre en compte les intérêts de toutes les parties en présence, y compris ceux liés à la protection de la liberté personnelle de tiers (ATF 112 Ia 97 consid. 5b p. 100-102; cf. à ce propos THOMAS COTTIER, Die Suche nach der
BGE 125 I 257 S. 262
eigenen Herkunft: Verfassungsrechtliche Aspekte. Beihefte zur Zeitschrift für Schweizerisches Recht, Heft 6, Bâle, 1987, p. 27-29, qui déduit pour sa part un tel droit de la liberté personnelle, p. 39-48; dans le même sens, du même auteur, Kein Recht auf Kenntnis des eigenen Vaters?, Recht 1986 p. 135ss).Dans l'arrêt K. et consorts, concernant l'arrêté saint-gallois sur les interventions dans la procréation humaine, le Tribunal fédéral avait renoncé à préciser si l'enfant issu d'une procréation médicalement assistée disposait d'un droit, fondé sur la liberté personnelle, à connaître l'identité du donneur de sperme, tout en mettant en doute le droit de ce dernier de prétendre à un anonymat absolu (ATF 115 Ia 234 consid. 6d p. 254-256; critique à cet égard: SUZETTE SANDOZ/OLIVIER MEXIN, Liberté personnelle et procréation médicalement assistée: quelles limites au pouvoir créateur du juge constitutionnel?, RDS 1995 I p. 453ss; CYRIL HEGNAUER, Künstliche Fortpflanzung und persönliche Freiheit, ZBl 1991 p. 341ss).
bb) Dans l'intervalle est entrée en vigueur pour la Suisse, le 26 mars 1997, la Convention relative aux droits de l'enfant, conclue à New York le 20 novembre 1989 (ci-après: la Convention; RS 0.107). A teneur de l'art. 7 al. 1 de la Convention, l'enfant est enregistré aussitôt à sa naissance et a dès celle-ci le droit à un nom, le droit d'acquérir une nationalité et, dans la mesure du possible, le droit de connaître ses parents et d'être élevé par eux. L'art. 7 al. 1 de la Convention est directement applicable (STEPHAN WOLF, Die UNO-Konvention über die Rechte des Kindes und ihre Umsetzung in das schweizerische Kindesrecht, RJB 1998 p. 113ss, 131); partant, il peut être invoqué devant les tribunaux.
Le peuple et les cantons ont en outre accepté, le 17 mai 1992, l'art. 24novies Cst., régissant les techniques de procréation et le génie génétique. A teneur de l'art. 24novies al. 2 let. g Cst., l'accès d'une personne aux données relatives à son ascendance est garanti (cf. art. 119 al. 2 let. g nCst.). Dès lors, à l'instar de l'enfant adopté auquel le secret de l'adoption (art. 268b CC) n'est pas opposable au regard des art. 28 CC et 7 al. 1 de la Convention (Cyril Hegnauer, Droit suisse de la filiation, 4ème éd., Berne, 1998, 13.11; Philippe Meier/Martin Stettler, Droit civil VI/1, L'établissement de la filiation, Fribourg, 1998, no 384-388), l'enfant issu d'une procréation médicalement assistée a le droit de connaître son ascendance, qui comprend le droit d'accéder aux données y relatives (STETTLER, op.cit., no 377-383; BINDER, op.cit., p. 148-151; WOLF, op.cit., p. 131; INGEBORG SCHWENZER, Die UN-Kinderrechtskonvention
BGE 125 I 257 S. 263
und das schweizerische Kindesrecht, PJA 1994 p. 817ss, 820/821). Le projet de loi sur la procréation médicalement assistée (LPMA), concrétisant l'art. 24novies al. 2 let. g Cst., assure à l'enfant issu d'une procréation médicalement assistée le droit d'obtenir des renseignements sur le donneur de sperme (art. 27 LPMA; cf. le Message du Conseil fédéral du 24 juin 1996 relatif à l'initiative populaire «pour la protection de l'être humain contre les techniques de reproduction artificielle - initiative pour une procréation respectant la dignité humaine» et à la loi fédérale sur la procréation médicalement assistée - LPMA, FF 1996 III p. 197ss, p. 268/269).cc) De l'art. 24novies al. 2 let. g Cst., mis en relation avec l'art. 7 al. 1 de la Convention, certains auteurs tirent un droit général de l'enfant - quel que soit son mode d'engendrement, et non pas seulement en cas de procréation médicalement assistée - de connaître son ascendance comme aspect de la liberté personnelle et comme droit constitutionnel inaliénable et imprescriptible (Marina Mandofia Berney/Olivier Guillod, Liberté personnelle et procréation assistée. Quelques réflexions, RSJ 1993 p. 205ss).
Il n'est pas nécessaire de trancher ce point en l'espèce. Le recourant invoque uniquement les art. 4 Cst. et 8 CEDH sous l'angle du droit à la consultation du dossier de tutelle. Il ne se prévaut ni de la liberté personnelle, ni de l'art. 7 al. 1 de la Convention. Il ne prétend pas davantage disposer, indépendamment des normes qu'il invoque, d'un droit, opposable à l'Etat, d'obtenir le dévoilement de l'identité, consignée dans le dossier de l'autorité de tutelle, des hommes dont l'un d'entre eux pourrait être son père naturel.
4. L'accès au dossier en pareil cas dépend d'une soigneuse pesée des intérêts en présence (ATF 115 Ia 234 consid. 6d p. 255; ATF 112 Ia 97 consid. 5b p. 100/101; s'agissant de la consultation du dossier médical, cf. ATF 122 I 153 consid. 6a p. 161 et les arrêts cités). Le Tribunal fédéral examine librement si l'intérêt public ou privé opposé l'emporte sur celui du requérant (ATF 112 Ia 97 consid. 5b p. 101). L'art. 4 Cst. n'est pas violé sous cet aspect si l'autorité a pesé correctement les intérêts en présence et notamment si elle a suffisamment tenu compte de l'intérêt du requérant, tiré de sa liberté personnelle (ATF 112 Ia 97 consid. 5b p. 102). Pour en décider, le Tribunal fédéral statue sur la base du dossier intégral - y compris les pièces dont la consultation a été refusée au recourant (cf. ATF 122 I 153 consid. 3 in fine p. 158/159, et les arrêts cités).
a) L'intérêt que fait valoir le recourant est exclusivement d'ordre thérapeutique. Selon un certificat médical établi le 15 novembre
BGE 125 I 257 S. 264
1998 par le Dr G., psychiatre et psychothérapeute, le recourant souffre depuis l'été 1997 d'un «état dépressif avec somatisations sévères ayant entraîné de graves troubles cardiaques qui ont justifiés (sic) l'indication à une prise en charge psychothérapeutique». Selon ce certificat, «l'organisation de l'identité» du recourant serait «particulièrement lacunaire». La «question de ses origines, de son inscription dans une filiation et une histoire», serait devenue pour le recourant «l'objet d'une importante souffrance identitaire engendrant des mouvements de compensation dangereux sur le plan de sa vie somatique accompagnés par une dépression enkystée». Le Dr G. a estimé essentiel que le recourant puisse accéder à tout dossier, source ou document «lui permettant une historicisation personnelle afin de consolider son socle identitaire, ceci dans un but thérapeutique pour lui permettre de recouvrer de manière durable un équilibre psychosomatique».Il n'y a pas de motifs de mettre en doute le diagnostic du Dr G., ni le lien de causalité qu'il établit entre les souffrances physiques et psychiques endurées par le recourant, d'une part, et le secret pesant sur l'identité de son père, d'autre part. L'autorité intimée ne conteste pas la réalité de l'intérêt allégué par le recourant. Or, la jurisprudence accorde une importance primordiale au fait que celui qui veut consulter le dossier de tutelle pour connaître l'identité de son père naturel formule cette requête non par simple curiosité, soif de vérité, appât de lucre ou désir de revanche, mais en raison d'une véritable souffrance pouvant conduire à la maladie (ATF 112 Ia 97 consid. 6b in fine p. 102). Sur le vu du certificat médical du 15 novembre 1998, l'existence d'un tel intérêt ne prête pas à discussion en l'occurrence.
Pour le surplus, le recourant ne poursuit aucun but économique. L'action en paternité que l'ancien droit reconnaissait à l'enfant naturel (art. 307 al. 2 aCC) devait être intentée au plus tard un an après la naissance (art. 308 aCC). En l'espèce, il est constant que ce délai de prescription (cf. CYRIL HEGNAUER, Berner Kommentar, art. 302-327 CC , 1969, N. 11 ad art. 308) a expiré sans avoir été utilisé, le Tuteur général ayant renoncé à ouvrir l'action en raison du rejet, le 3 avril 1959, de la requête d'assistance judiciaire présentée dans ce but.
Enfin, il convient de tenir compte, dans l'appréciation de l'intérêt du recourant à obtenir la consultation du dossier, de ce qu'il s'agit là pour lui du seul moyen d'obtenir les renseignements qu'il recherche. Personne ne peut l'informer à ce sujet: sa mère est décédée,
BGE 125 I 257 S. 265
emportant dans sa tombe un secret dont la famille d'accueil du recourant n'a pas eu connaissance. Quant aux fonctionnaires des autorités de tutelle et de justice de paix qui auraient pu informer le recourant - pour autant que celui-ci puisse les identifier et les interroger -, ils étaient de toute manière liés par le secret de fonction, y compris après la fin de celle-ci. Le recourant agit ainsi en dernier recours; le rejet de sa requête le priverait définitivement de tout espoir de découvrir ce qu'il cherche à savoir.Dans ces circonstances, son intérêt à pouvoir consulter l'intégralité du dossier est fondamental, sérieux et actuel.
b) Il n'est pas exclu que dans certains cas, la protection même des intérêts d'un requérant puisse commander de lui refuser tout ou partie de l'accès à son dossier (cf. ATF 122 I 153 consid. 6c/cc, p. 166/167, avec un aperçu des vues doctrinales sur la question). En l'occurrence toutefois, les autorités cantonales n'ont pas évoqué un tel intérêt, qui n'est pas discernable de prime abord. Il n'y a donc pas lieu de s'y arrêter.
c) Parmi les intérêts opposés à celui du recourant, il faut considérer en premier lieu celui de sa mère. Même à l'égard de son enfant, celle-ci peut exiger que ne soient pas découverts des faits qui relèvent de sa propre sphère privée, garantie par la liberté personnelle. On pourrait aisément comprendre qu'elle ne tienne pas à ce que soient ravivés les souvenirs d'un comportement qui, dans les circonstances et les termes de l'époque, a dû lui être reproché comme une méconduite (cf. ATF 112 Ia 97 consid. 6e p. 106). La préservation de l'image de la mère, de son estime de soi et de celle de son enfant, pourrait, selon les circonstances, justifier de garder secrets des renseignements de nature à porter atteinte à leur équilibre respectif et mutuel. En l'espèce toutefois, l'autorité n'avait pas à prendre en compte un tel intérêt, la mère du recourant étant décédée dans l'intervalle.
d) Le Tribunal cantonal a justifié le rejet de la requête exclusivement au regard des intérêts de tiers, soit ceux de A., B. et C. Une fois écarté l'intérêt économique - une action en paternité étant désormais exclue définitivement - cet intérêt, auquel le Tribunal cantonal a reconnu un caractère prépondérant, se résume à celui du droit des tiers de ne pas voir dévoilé leur passé strictement personnel sans motif impérieux (cf. ATF 112 Ia 97 consid. 6c-g p. 102-106). En d'autres termes, il conviendrait de prémunir ces hommes contre l'irruption soudaine dans leur existence, quarante ans plus tard, d'un enfant dont l'un d'eux est probablement le père.
aa) Cette appréciation méconnaît certains éléments établis, ressortant du dossier.
La demande du recourant tend uniquement à connaître les faits entourant les circonstances de sa conception. Sans l'exclure, cela n'implique pas nécessairement que le recourant veuille repérer A., B. et C. (à supposer que cela soit possible), les rencontrer ou leur demander des comptes. Au demeurant, A., B. et C. n'ignorent pas l'existence du recourant, à défaut de son identité précise: au moment de son interrogatoire, A. savait que la mère du recourant était enceinte; quant à B. et C., ils ont été entendus après la naissance du recourant. Même si aucun d'eux n'a voulu assumer la paternité du recourant et si aucune action en justice n'a pu être intentée contre eux à cette fin, ces hommes ne sauraient ignorer l'éventualité que le recourant vienne un jour frapper à leur porte.
bb) Il reste à examiner si les intérêts de A., B. et C., ainsi précisés, l'emportent sur celui du recourant. Cette évaluation - rendue difficile par le fait que l'on ignore tout de ce qu'il est advenu de ces personnes depuis l'époque des faits -, repose en partie sur des conjectures. On ne saurait reprocher pour autant au Tribunal cantonal d'avoir statué sans avoir donné l'occasion à ces personnes de se prononcer sur la demande présentée par le recourant. Il serait en effet excessif d'exiger en pareil cas de l'autorité qu'elle procède à des recherches de grande ampleur pour retrouver la trace de personnes peut-être disparues depuis longtemps, lorsque cette autorité estime d'emblée, de manière abstraite, que l'intérêt de ces personnes s'oppose à la révélation d'informations touchant à leur sphère privée.
A supposer que le recourant, informé de leur identité et des quelques indications biographiques se trouvant au dossier, se mette à la recherche de A., B. et C. et parvienne à les retrouver, il ne pourrait de toute manière rien obtenir d'eux, ni argent, ni réparation d'aucune sorte, ni aide thérapeutique. Toute démarche visant à établir une filiation, par le truchement d'un examen scientifique, par exemple, serait exclue d'emblée sans leur consentement. Quant à l'atteinte éventuelle à leur paix familiale que pourraient redouter A., B. et C., elle paraît réduite par l'écoulement du temps et le fait qu'à l'époque, ces hommes étaient célibataires. A supposer qu'ils aient ultérieurement fondé une famille, ils pourraient tout au plus encourir de la part de leurs proches la critique d'avoir gardé secret un épisode antérieur de leur vie.
Enfin, on ne saurait écarter complètement l'hypothèse que A., B. et C. aient intérêt au dévoilement de leur identité. Bien qu'à l'époque, ils
BGE 125 I 257 S. 267
aient refusé d'assumer une paternité éventuelle, il n'est pas absolument exclu qu'ils puissent aujourd'hui éprouver du soulagement à connaître le recourant, ou même être satisfaits à l'idée d'avoir une descendance.Tout bien pesé, l'intérêt lié à la préservation de la sphère privée de A., B. et C., paraît, sur le vu des circonstances d'espèce, devoir céder le pas devant celui du recourant à une consultation de l'intégralité du dossier.
Le grief de violation de l'art. 4 Cst., mis en relation avec la liberté personnelle et l'art. 7 al. 1 de la Convention, est ainsi bien fondé.