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Bundesgericht 
Tribunal fédéral 
Tribunale federale 
Tribunal federal 
 
 
 
 
8C_443/2022  
 
 
Arrêt du 22 février 2023  
 
IVe Cour de droit public  
 
Composition 
MM. et Mme les Juges fédéraux Wirthlin, Président, Heine et Abrecht. 
Greffière : Mme Elmiger-Necipoglu. 
 
Participants à la procédure 
SWICA Assurances SA, 
Service juridique, Römerstrasse 37, 8401 Winterthur, 
recourante, 
 
contre  
 
A.________, 
représentée par Me Thierry Sticher, avocat, 
intimée. 
 
Objet 
Assurance-accidents (lien de causalité), 
 
recours contre l'arrêt de la Cour de justice de la République et canton de Genève du 31 mai 2022 (A/425/2020 ATAS/510/2022). 
 
 
Faits :  
 
A.  
 
A.a. A.________ a travaillé en dernier lieu comme vendeuse pour la société B.________ et était assurée à ce titre de manière obligatoire contre le risque d'accident auprès de la SWICA Assurances SA (ci-après: SWICA). À une date indéterminée au courant du mois d'octobre 2016, l'assurée a raté une marche dans les escaliers et s'est blessée au genou droit; elle a continué à travailler en pensant que "ça allait". En décembre 2016, l'assurée a senti son genou droit "lâcher" en montant dans un tram. Elle n'a pas interrompu son travail malgré des douleurs. Le 18 janvier 2017, l'assurée a senti son genou droit "lâcher" alors qu'elle sortait de sa voiture. Elle a été mise en arrêt de travail dès le 19 janvier 2017. SWICA a pris en charge le cas.  
 
A.b. Par la suite, l'assurée a été en arrêt maladie respectivement en congé maternité jusqu'au 26 mars 2018. Le 1er octobre 2018, le docteur C.________, médecin traitant de l'assurée, a indiqué que l'état de sa patiente, notamment les gonalgies, s'était aggravé. Le 15 avril 2019, l'assurée s'est soumise à une arthroscopie avec shaving de la lésion cartilagineuse, des micro-fractures du pole inférieur de la roture et du condyle fémoral interne.  
 
A.c. Après la mise en oeuvre d'une expertise orthopédique (rapport du 2 septembre 2019 du docteur D.________, spécialiste FMH en chirurgie orthopédique), SWICA a rendu le 24 octobre 2019 une décision par laquelle elle a déclaré que l'assurée n'avait plus aucun droit aux prestations d'assurance au-delà du 30 avril 2017. Cette décision a été confirmée sur opposition le 6 janvier 2020.  
 
B.  
Contre la décision sur opposition du 6 janvier 2020, l'assurée a interjeté un recours auprès de la Chambre des assurances sociales de la Cour de justice de la République et Canton de Genève (ci-après: la cour cantonale). Après avoir constaté que les parties se fondaient sur des avis médicaux contradictoires, la cour cantonale a ordonné le 7 septembre 2021 une expertise judiciaire qu'elle a confiée au Prof. E.________, Professeur honoraire à l'université F.________ et spécialiste FMH en chirurgie orthopédique. 
Sur la base du rapport de cet expert rendu le 10 décembre 2021, la cour cantonale a admis le recours de l'assurée et a réformé la décision rendue par SWICA en ce sens qu'elle a condamné cette dernière à prendre en charge les frais de traitement et les indemnités journalières jusqu'au 1er janvier 2020, sous réserve des autres conditions d'assurance, et lui a renvoyé la cause pour calcul des prestations dues. 
 
C.  
SWICA forme un recours en matière de droit public contre cet arrêt, en concluant à sa réforme dans le sens de la confirmation de sa décision sur opposition du 6 janvier 2020. Elle sollicite en outre l'octroi de l'effet suspensif à son recours. 
L'intimée conclut au rejet du recours et s'en remet à justice en ce qui concerne la requête d'effet suspensif. La cour cantonale et l'Office fédéral de la santé publique ont renoncé à se déterminer. 
 
D.  
Par ordonnance du 27 septembre 2022, le juge instructeur a admis la requête d'effet suspensif. 
 
 
Considérant en droit :  
 
1.  
 
1.1. Le recours est recevable contre les décisions finales, soit celles qui mettent fin à la procédure (art. 90 LTF), et contre les décisions partielles, soit celles qui statuent sur un objet dont le sort est indépendant de celui qui reste en cause (art. 91 let. a LTF) ou qui mettent fin à la procédure à l'égard d'une partie des consorts (art. 91 let. b LTF). Les décisions préjudicielles et incidentes autres que celles concernant la compétence ou les demandes de récusation (cf. art. 92 LTF) ne peuvent faire l'objet d'un recours que si elles peuvent causer un préjudice irréparable (art. 93 al. 1 let. a LTF) ou si l'admission du recours peut conduire immédiatement à une décision finale qui permet d'éviter une procédure probatoire longue et coûteuse (art. 93 al. 1 let. b LTF).  
 
1.2. En règle générale, une décision de renvoi ne met pas fin à la procédure (ATF 133 V 477 consid. 4.2; arrêt 8C_819/2017 du 25 septembre 2018 consid. 1.2.1, non publié in ATF 144 V 354, mais in SVR 2019 UV n° 13 p. 51) et n'est pas non plus de nature à causer un préjudice irréparable aux parties, le seul allongement de la durée de la procédure ou le seul fait que son coût s'en trouve augmenté n'étant pas considéré comme constitutif d'un tel dommage (ATF 133 V 477 consid. 5.2.1 et 5.2.2). Néanmoins, si l'arrêt de renvoi ne laisse aucune latitude de jugement à l'autorité administrative appelée à statuer (à nouveau), il est assimilé à une décision finale et peut, de ce fait, faire l'objet d'un recours en matière de droit public (ATF 144 V 280 consid. 1.2).  
En l'espèce, l'arrêt attaqué s'analyse comme une décision de renvoi qui, en tant qu'elle oblige SWICA à allouer des prestations d'assurance jusqu'au 1er janvier 2020, sous réserve des autres conditions d'assurance, ne laisse aucune latitude de jugement à l'assureur-accidents appelé à statuer à nouveau et doit donc être assimilée à une décision finale. 
 
1.3. Pour le surplus, le recours est dirigé contre un arrêt rendu en matière de droit public (art. 82 ss. LTF) par une autorité cantonale de dernière instance (art. 86 al. 1 let. d LTF). Il a été déposé dans le délai (art. 100 LTF) et la forme (art. 42 LTF) prévus par la loi. Il est donc recevable.  
 
2.  
 
2.1. Est litigieux le point de savoir si la cour cantonale a violé le droit fédéral en condamnant la recourante à allouer des prestations d'assurance jusqu'au 1er janvier 2020, "sous réserve des autres conditions d'assurance".  
 
2.2. Le recours en matière de droit public peut être formé pour violation du droit, tel qu'il est délimité par les art. 95 et 96 LTF. Le Tribunal fédéral applique le droit d'office (art. 106 al. 1 LTF) et n'est limité ni par les arguments de la partie recourante, ni par la motivation de l'autorité précédente. Cela étant, le Tribunal fédéral n'examine en principe que les griefs invoqués, compte tenu de l'exigence de motivation prévue à l'art. 42 al. 2 LTF, sauf en cas d'erreurs juridiques manifestes (ATF 145 V 304 consid. 1.1; 141 V 234 consid. 1).  
 
2.3. Lorsque la décision qui fait l'objet d'un recours concerne l'octroi ou le refus de prestations en espèces de l'assurance-accidents, le Tribunal fédéral n'est pas lié par les faits établis par l'autorité précédente (art. 97 al. 2 et 105 al. 3 LTF). Aussi, lorsque sont en jeu des prestations en espèces et en nature, comme c'est le cas ici, le Tribunal fédéral dispose-t-il d'un pouvoir d'examen étendu en ce qui concerne les faits communs aux deux types de prestations (arrêt 8C_712/2021 du 10 août 2022 consid. 2.2).  
 
3.  
 
3.1. La cour cantonale a correctement exposé les dispositions légales régissant le droit aux prestations de l'assurance-accidents (art. 6 al. 1 LAA), les principes jurisprudentiels relatifs aux notions de causalité naturelle et adéquate (ATF 146 V 51 consid. 5.1 in fine; 142 V 435 consid. 1; 129 V 177 consid. 3.1), ainsi que la jurisprudence en matière d'appréciation de rapports médicaux (ATF 134 V 231 consid. 5.1; 125 V 351 consid. 3), de sorte qu'on peut y renvoyer, avec les précisions suivantes.  
 
3.2. S'agissant de la valeur probante d'une expertise judiciaire, le juge ne s'écarte en principe pas sans motifs impérieux des conclusions d'une expertise médicale judiciaire (ATF 143 V 269 consid. 6.2.3.2), la tâche de l'expert étant précisément de mettre ses connaissances spéciales à la disposition de la justice afin de l'éclairer sur les aspects médicaux d'un état de fait donné. Selon la jurisprudence, peut notamment constituer une raison de s'écarter d'une expertise judiciaire le fait que celle-ci contient des contradictions ou qu'une surexpertise ordonnée par le tribunal en infirme les conclusions de manière convaincante. En outre, lorsque d'autres spécialistes émettent des opinions contraires aptes à mettre sérieusement en doute la pertinence des déductions de l'expert, on ne peut pas exclure, selon les cas, une interprétation divergente des conclusions de ce dernier par le juge ou, au besoin, une instruction complémentaire sous la forme d'une nouvelle expertise médicale (ATF 135 V 465 consid. 4.4 et la référence citée).  
 
3.3. Selon l'art. 16 LAA, l'assuré totalement ou partiellement incapable de travailler (art. 6 LPGA) à la suite d'un accident a droit à une indemnité journalière (al. 1); l'indemnité journalière de l'assurance-accidents n'est pas allouée s'il existe un droit à une indemnité journalière de l'assurance-invalidité ou à une allocation de maternité, de paternité ou de prise en charge selon la loi du 25 septembre 1952 sur les allocations pour perte de gain (al. 3).  
 
4.  
 
4.1. En l'espèce, la cour cantonale a accordé une pleine valeur probante à l'expertise judiciaire du Prof. E.________, considérant que l'avis divergent du docteur D.________ concernant le caractère dégénératif ou traumatique des lésions ne permettait pas de la mettre en doute.  
 
4.2. La recourante reproche aux premiers juges d'avoir procédé à une appréciation arbitraire des preuves en accordant une pleine valeur probante au rapport d'expertise du Prof. E.________, qui contiendrait de nombreuses incohérences.  
 
4.3. Dans son rapport d'expertise, le Prof. E.________ a retenu comme diagnostics avec répercussion sur la capacité de travail une chondropathie rotulienne post-traumatique droite ainsi qu'une chondropathie fémorale grade III-IV circonscrite droite. Ces atteintes étaient en lien de causalité certain (100 %) avec les accidents survenus en octobre 2016 (chute sur un escalier métallique) et en décembre 2016 (lâchage douloureux), aggravées par la chute en janvier 2017. L'expert a indiqué que ce lien était d'autant plus certain au vu de l'évolution favorable, post-chirurgicale, qui permettait une reprise de l'activité adaptée le 1er août 2019, puis de l'activité habituelle dès le 1er janvier 2020. Interrogé sur l'existence d'un état maladif préexistant, il a répondu qu'avant les accidents survenus en 2016 et 2017, le genou droit de l'assurée était parfaitement fonctionnel et asymptomatique. Néanmoins, le genou n'était pas à 100 % intact puisqu'il existait des micro-géodes dont l'apparition était antérieure aux accidents et qui ne représentaient pas nécessairement un état pathologique comme le relevait la littérature médicale; il n'existait donc pas véritablement de dysplasie patellaire ou tout du moins était-elle très discrète; il ne s'agissait donc pas d'un état maladif préexistant mais plutôt d'une variation de la norme.  
S'agissant de la capacité de travail, l'expert a indiqué qu'après une période d'incapacité de travail totale du 19 janvier au 14 septembre 2017 liée notamment au problème du genou droit et suivie d'une incapacité totale du 15 septemD._bre 2017 au 26 mars 2018 liée à la grossesse suivie du congé maternité, l'assurée était apte à reprendre une activité adaptée avec limites de station debout prolongée, de port de charge et de montée et descente d'échelles entre le 27 mars 2018 et le 1er octobre 2018, le médecin traitant ayant certifié le 2 octobre 2018 que l'assurée n'était plus apte à travailler à cause de son genou droit. Après l'intervention du 15 avril 2019 et jusqu'au 31 juillet 2019, une reprise dans une activité adaptée a été admise par l'expert, puis une reprise totale sans limitation fonctionnelle dans l'activité habituelle dès le 1er janvier 2020. 
 
4.4. Contrairement à l'avis de la recourante, le rapport d'expertise du Prof. E.________ ne contient pas de contradiction qui aurait permis aux juges cantonaux de s'en écarter ou qui aurait nécessité qu'ils mettent en oeuvre une surexpertise.  
 
4.4.1. En effet, dans la mesure où l'expert a affirmé que les atteintes constatées étaient entièrement à mettre sur le compte des événements accidentels que l'intimée a subis en 2016 et 2017, puis a nié l'existence d'un état maladif préexistant (cf. consid. 4.3 supra), force est de constater que la question d'un statu quo sine vel ante ne se pose pas (cf. ATF 146 V 51 consid. 5.1; arrêt 8C_606/2021 du 5 juillet 2022 consid. 3.2). Quand bien même cette terminologie a été utilisée par l'expert, il n'en demeure pas moins qu'on comprend aisément la réponse qu'il a donnée de manière cohérente et constante à la question de savoir à partir de quand, compte tenu des séquelles accidentelles, la recourante était apte à reprendre le travail dans une activité adaptée (trois mois après l'opération, soit le 1er août 2019), respectivement dans son activité habituelle (dès le 1er janvier 2020).  
 
4.4.2. L'affirmation de la recourante selon laquelle l'expert aurait admis un lien de causalité entre les événements accidentels et les atteintes constatées au seul motif que des symptômes étaient apparus après l'accident tombe à faux. S'il est vrai que le principe "post hoc ergo propter hoc" ne suffit pas en soi à établir un rapport de causalité entre une atteinte à la santé et un accident (ATF 119 V 335 consid. 2b/bb; RAMA 1999 n° U 341 p. 408 s., consid. 3b; arrêt 8C_117/2020 du 4 décembre 2020 consid. 3.1), on ne saurait cependant dénier toute valeur probante à un rapport médical qui, comme en l'espèce, ne fait que relever - parmi d'autres éléments permettant d'évaluer l'existence d'un lien de causalité - l'absence d'atteintes ou de troubles avant les événements accidentels en cause.  
 
4.4.3. C'est également en vain que la recourante cherche à remettre en cause la valeur probante de l'expertise judiciaire en reprochant à l'expert de n'avoir pas tenu compte du fait que "l'obésité morbide et des jambes en X (valgus) [constituaient] fréquemment la cause de chondropathies rotuliennes par surcharge". En effet, on rappellera que le Prof. E.________ a effectué un examen clinique le 1er novembre 2021, avant de rédiger son rapport d'expertise. Dans ce cadre, il a notamment relevé des généralités sur l'état de santé de l'intimée, telles que la taille, le poids, l'indice de masse corporelle et l'alignement des membres inférieurs. Il a ensuite procédé à une évaluation du genou en fonction des scores internationaux, lesquels ont permis de démontrer que l'intimée avait un bon résultat post-opératoire. Par conséquent, le grief selon lequel l'expert n'aurait pas tenu compte des spécificités anatomiques de l'intimée est manifestement mal fondé.  
 
4.5. Il résulte de ce qui précède que la cour cantonale n'a pas violé le droit fédéral en reconnaissant une pleine valeur probante au rapport d'expertise judiciaire du Prof. E.________ et en statuant sur la base des conclusions contenues dans ce rapport. C'est aussi sans violer le droit fédéral qu'elle a condamné la recourante à verser les prestations d'assurance jusqu'au 1er janvier 2020, sous réserve de la période pendant laquelle l'intimée aurait perçu des allocations de maternité (cf. consid. 3.3 et 4.3 supra)  
 
5.  
Le recours se révèle mal fondé et doit être rejeté. La recourante, qui succombe, supportera les frais judiciaires (art. 66 al. 1 LTF) et versera une indemnité de dépens à l'intimée (art. 68 al. 1 et 2 LTF). 
 
 
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :  
 
1.  
Le recours est rejeté. 
 
2.  
Les frais judiciaires, arrêtés à 800 fr., sont mis à la charge de la recourante. 
 
3.  
La recourante versera à l'intimée la somme de 2800 fr. à titre de dépens pour la procédure devant le Tribunal fédéral. 
 
4.  
Le présent arrêt est communiqué aux parties, à la Cour de justice de la République et canton de Genève, Chambre des assurances sociales, et à l'Office fédéral de la santé publique. 
 
 
Lucerne, le 22 février 2023 
 
Au nom de la IVe Cour de droit public 
du Tribunal fédéral suisse 
 
Le Président : Wirthlin 
 
La Greffière : Elmiger-Necipoglu