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Bundesgericht 
Tribunal fédéral 
Tribunale federale 
Tribunal federal 
 
 
 
 
4A_343/2023  
 
 
Arrêt du 13 décembre 2023  
 
Ire Cour de droit civil  
 
Composition 
Mmes les Juges fédérales 
Kiss, juge présidant, Hohl et May Canellas. 
Greffier: M. O. Carruzzo. 
 
Participants à la procédure 
A.________ SA, 
représentée par Me Damien Bender, avocat, 
recourante, 
 
contre  
 
B.________ SA, 
représentée par Me Gérald Page, avocat, 
intimée. 
 
Objet 
arbitrage interne, 
 
recours en matière civile contre la sentence rendue le 15 mai 2023 par un Tribunal arbitral avec siège à Sierre. 
 
 
Faits :  
 
A.  
 
A.a. Le 11 juillet 2017, B.________ SA et C.________, devenue par la suite A.________ SA, ont conclu un contrat ayant pour objet la vente en faveur de cette dernière d'un immeuble à construire, comprenant vingt-deux appartements, ainsi que plusieurs box et places de parking, situés sur le territoire de la commune de Sierre. Les plans et le descriptif de l'objet de la vente, établis par D.________ SA, laquelle est devenue par la suite l'architecte et la direction des travaux du chantier, étaient annexés au contrat.  
 
A.b. Lors de l'exécution du chantier, le représentant de A.________ SA, E.________, a sollicité plusieurs modifications par rapport au descriptif des travaux annexé au contrat.  
Au mois de novembre 2018, B.________ SA s'est engagée à livrer le bâtiment et les places de parc ainsi que les box (sans les aménagements extérieurs) au 1er mai 2019. A la suite de cette communication, A.________ SA a conclu divers contrats de bail, les premiers locataires devant prendre possession des appartements loués le 1er mai 2019. Le délai fixé au 1er mai n'a toutefois pas été respecté. 
 
A.c. Le 24 mai 2019, les parties ainsi qu'un représentant de la commune concernée ont tenu une séance lors de laquelle ils ont inspecté l'immeuble. Au cours de celle-ci, un permis d'habiter provisoire pour les appartements a été délivré oralement, avant d'être confirmé par écrit le 9 août 2019. Aucune remarque n'a été faite quant à l'état de l'immeuble.  
 
A.d. Les parties se sont encore rencontrées à plusieurs reprises par la suite.  
Par lettre du 24 juillet 2019, A.________ SA a résumé sa position au sujet des défauts affectant selon elle l'immeuble ainsi que des moins-values qu'elle exigeait sur le prix de vente. Elle a annoncé avoir payé la moitié du solde du prix de vente encore impayé, le reste devant être versé une fois les points en suspens réglés. 
Les deux derniers appartements non occupés de l'immeuble ont été loués avec effet au 1er octobre 2019, tandis que les box et les places de parc sont demeurés inutilisables jusqu'au 4 août 2020. 
 
A.e. Le 24 janvier 2020, B.________ SA a soutenu que la "longue liste de défauts" évoquée par A.________ SA dans un courrier daté du 16 septembre 2019 était tardive, car la prise de possession des locaux était intervenue en mai 2019 et les états des lieux des appartements ne mentionnaient pas de défauts mais uniquement des retouches.  
Par la suite, A.________ SA a signalé encore plusieurs défauts à B.________ SA, laquelle en a contesté l'existence et a refusé toute intervention de sa part. 
 
A.f. La séance tendant à la "réception finale de l'immeuble" est intervenue le 28 mai 2020 en présence des représentants des parties et de la direction des travaux. Un procès-verbal de ladite séance, indiquant notamment que la prise de possession des locaux avait eu lieu en 2019 et contenant une liste de défauts allégués, a été établi et signé par les parties ainsi que par la direction des travaux.  
Le 19 juin 2020, les parties se sont rencontrées une nouvelle fois et ont signé une liste actualisée des défauts. Elles ont également apposé leur signature sur un document mentionnant qu'à cette date l'ouvrage était considéré comme reçu. 
Le permis d'habiter définitif pour l'entier du complexe immobilier a été délivré le 4 août 2020. 
 
A.g. Après plusieurs échanges de correspondances, A.________ SA a transmis à B.________ SA la dernière version de ses listes de défauts et l'a sommée de procéder aux travaux de réfection d'ici au 17 mai 2021.  
B.________ SA ayant manifesté son refus d'effectuer toute réfection, A.________ SA a renoncé à son droit à la réparation, en date du 29 avril 2021, et a exigé le paiement de dommages-intérêts positifs, sans toutefois en quantifier le montant. 
 
B.  
Le 4 octobre 2021, B.________ SA, se fondant sur le compromis arbitral signé par les parties, a initié une procédure d'arbitrage à l'encontre de A.________ SA. Selon le dernier état de ses conclusions, la défenderesse devait être condamnée à lui verser un montant de 100'000 fr. correspondant au solde du prix de vente non réglé, ainsi que la somme de 846'478 fr. 73 pour différents travaux à plus-value effectués par elle, le tout avec intérêts. 
La défenderesse a conclu au rejet intégral de la demande. Elle a aussi élevé des prétentions à titre reconventionnel tendant, en dernier lieu, au paiement de la somme de 600'776 fr. 70. Elle a déclaré invoquer la compensation de ce montant avec les prétentions de la demanderesse. 
Un Tribunal arbitral ad hoc, composé de trois arbitres, a été constitué et son siège fixé à Sierre. 
Les experts désignés par le Tribunal arbitral aux fins de se prononcer sur la réalité des défauts invoqués ont rendu leur rapport final le 4 juillet 2022, puis un rapport d'expertise complémentaire en date du 19 août 2022. 
Le Tribunal arbitral a rendu sa sentence finale le 15 mai 2023, au terme de laquelle il a condamné B.________ SA à verser à A.________ SA la somme de 141'623 fr. 56. En bref, il a admis que la demanderesse avait droit au paiement de la somme de 100'000 fr. correspondant au solde du prix de vente et d'un montant de 51'510 fr. 34 au titre de la différence entre les plus-values et moins-values du complexe immobilier, soit un total de 151'510 fr. 34. Il a par ailleurs accueilli les prétentions reconventionnelles à hauteur de 293'133 fr. 90. Après compensation des montants réciproquement dus, le Tribunal arbitral a ainsi reconnu que B.________ SA devait la somme de 141'623 fr. 56 à son adversaire. Les motifs qui étayent cette décision seront évoqués plus loin dans la mesure utile à la compréhension des critiques dont celle-ci est la cible. 
 
C.  
Le 29 juin 2023, A.________ SA (ci-après: la recourante) a formé un recours en matière civile aux fins d'obtenir l'annulation de ladite sentence (cause 4A_343/2023). 
Le même jour, B.________ SA a aussi interjeté un recours au Tribunal fédéral contre cette sentence (cause 4A_349/2023). 
Au terme de sa réponse du 14 septembre 2023, B.________ SA (ci-après: l'intimée) a conclu au rejet, dans la mesure de sa recevabilité, du recours formé par son adversaire. 
Le Tribunal arbitral a déposé des observations relatives aux deux recours interjetés à l'encontre de sa sentence. 
La recourante a déposé une réplique spontanée en persistant dans ses conclusions initiales. 
 
 
Considérant en droit :  
 
1.  
En l'espèce, deux recours ont été formés à l'encontre de la même sentence. Cela étant, les questions soulevées dans les mémoires de recours diffèrent sensiblement et la réponse à leur apporter est susceptible de varier. Dans ces conditions, il ne se justifie pas, du point de vue de l'économie de la procédure, de joindre les causes 4A_343/2023 et 4A_349/2023. 
 
2.  
C onformément à l'art. 77 al. 1 let. b de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110), le recours en matière civile est recevable contre les sentences rendues dans un arbitrage interne aux conditions fixées par les art. 389 à 395 du Code de procédure civile du 19 décembre 2008 (CPC; RS 272) lorsque, comme c'est ici le cas, les parties n'ont pas fait usage de la possibilité d'un opting out prévue à l'art. 353 al. 2 CPC. Qu'il s'agisse de l'objet du recours, de la qualité pour recourir, des conclusions prises par l'intéressée ou du délai de recours, aucune de ces conditions de recevabilité ne fait problème en l'espèce. Rien ne s'oppose à l'entrée en matière. Demeure réservé l'examen de la recevabilité, sous l'angle de leur motivation, des critiques formulées par la recourante.  
 
3.  
 
3.1. Les motifs de recours sont plus restreints lorsque celui-ci a pour cible une sentence arbitrale plutôt qu'un jugement étatique. En matière d'arbitrage interne, ils sont énoncés exhaustivement à l'art. 393 CPC. Conformément au principe d'allégation, la partie recourante doit invoquer l'un de ces griefs et développer une argumentation circonstanciée censée démontrer en quoi l'analyse effectuée dans la sentence viole le précepte invoqué (art. 77 al. 3 LTF; arrêts 4A_139/2021 du 2 décembre 2021 consid. 1.2; 4A_7/2019 du 21 mars 2019 consid. 2; 4A_542/2015 du 16 février 2016 consid. 1.2). La motivation doit être présentée dans l'acte de recours même; un simple renvoi au contenu d'écritures antérieures ou de pièces du dossier est insuffisant (arrêt 4A_143/2015 du 14 juillet 2015 consid. 1.2 et les références citées). Au demeurant, la partie recourante ne saurait se servir de la réplique pour invoquer des moyens, de fait ou de droit, qu'elle n'a pas présentés en temps utile, c'est-à-dire avant l'expiration du délai de recours non prolongeable (art. 100 al. 1 LTF en liaison avec l'art. 47 al. 1 LTF), ou pour compléter, hors délai, une motivation insuffisante (arrêts 4A_600/2016 du 29 juin 2017 consid. 1.2; 4A_34/2016 du 25 avril 2017 consid. 2.2).  
 
3.2. Le Tribunal fédéral statue sur la base des faits constatés dans la sentence attaquée (cf. art. 105 al. 1 LTF). Il ne peut rectifier ou compléter d'office les constatations des arbitres, même si les faits ont été établis de manière manifestement inexacte ou en violation du droit (cf. art. 77 al. 2 LTF qui exclut l'application de l'art. 105 al. 2 LTF). En revanche, il conserve la faculté de revoir l'état de fait à la base de la sentence attaquée si l'un des griefs mentionnés à l'art. 393 CPC est soulevé à l'encontre dudit état de fait ou que des faits ou des moyens de preuve nouveaux sont exceptionnellement pris en considération dans le cadre de la procédure du recours en matière civile (arrêt 4A_215/2020 du 5 août 2020 consid. 3 et les références citées).  
 
4.  
Dans un unique moyen, la recourante, invoquant l'art. 393 let. e CPC, soutient que le Tribunal arbitral aurait sombré dans l'arbitraire au moment de calculer le montant des intérêts, prévus contractuellement, en relation avec les acomptes payés par l'intimée sur le prix de vente. 
 
4.1. L'art. 393 let. e CPC précise que la sentence issue d'un arbitrage interne peut être attaquée lorsqu'elle est arbitraire dans son résultat parce qu'elle repose sur des constatations manifestement contraires aux faits résultant du dossier ou parce qu'elle constitue une violation manifeste du droit ou de l'équité.  
Une constatation de fait est arbitraire au sens de l'art. 393 let. e CPC uniquement si le tribunal arbitral, à la suite d'une inadvertance, s'est mis en contradiction avec les pièces du dossier, soit en perdant de vue certains passages d'une pièce déterminée ou en leur attribuant un autre contenu que celui qu'ils ont réellement, soit en admettant par erreur qu'un fait est établi par une pièce alors que celle-ci ne donne en réalité aucune indication à cet égard. L'objet du grief d'arbitraire en matière de faits est donc restreint: il ne porte pas sur l'appréciation des preuves et les conclusions qui en sont tirées, mais uniquement sur les constatations de fait manifestement réfutées par des pièces du dossier. La façon dont le tribunal arbitral exerce son pouvoir d'appréciation ne peut pas faire l'objet d'un recours; le grief d'arbitraire est limité aux constatations de fait qui ne dépendent pas d'une appréciation, c'est-à-dire à celles qui sont inconciliables avec des pièces du dossier (arrêt 4A_215/2020, précité, consid. 4). 
L'arbitraire proscrit par l'art. 393 let. e CPC est également réalisé si la sentence arbitrale constitue une violation manifeste du droit. Seul le droit matériel est visé, à l'exclusion du droit de procédure (ATF 142 III 284 consid. 3.2; arrêt 4A_642/2017 du 12 novembre 2018 consid. 5.1). Demeurent réservées, par analogie avec la jurisprudence relative à l'art. 190 al. 2 let. e LDIP, les fautes de procédure qui portent atteinte à l'ordre public procédural (arrêt 4A_600/2016, précité, consid. 3.1 et la référence citée). 
 
4.2. Dans la sentence attaquée (n. 422 ss), le Tribunal arbitral, se référant à l'allégué 463 du mémoire de réponse et de demande reconventionnelle ainsi qu'à la pièce 511 produite par la recourante, relève que celle-ci soutient avoir payé cinq acomptes sur le prix de vente en date des 18 juillet 2017, 3 novembre 2017, 24 juillet 2019, 20 mai 2020 et 1er février 2021. Il observe ensuite que l'intimée, dans sa pièce V-172, a mentionné des dates de paiement différentes s'agissant desdits acomptes. Au moment de se prononcer sur la question controversée, le Tribunal arbitral considère que la recourante n'a pas prouvé les dates de paiement des différents acomptes, tout en relevant que la pièce JR-511 n'est qu'un tableau établi par l'intéressée. Dans ces conditions, il estime qu'il convient d'opter pour le calcul proposé par l'intimée sur la base des indications figurant dans sa pièce V-172 dont le contenu n'a pas été contesté par la recourante (sentence, n. 431).  
 
4.3. Il saute aux yeux, à la lecture de l'argumentation présentant un caractère appellatoire marqué, que la recourante confond à l'évidence le Tribunal fédéral avec une juridiction d'appel. L'intéressée se borne en effet à critiquer l'appréciation des preuves opérée par le Tribunal arbitral, et singulièrement des pièces JR-511 et V-172, ce qui n'est pas admissible dans le cadre d'un recours en matière civile dirigé contre une sentence arbitrale interne. En l'occurrence, le Tribunal arbitral a constaté que les positions des parties divergeaient en ce qui concerne la date de paiement des divers acomptes sur le prix de vente. Sur la base de son appréciation des preuves disponibles, il a considéré que la recourante avait échoué à apporter la preuve de la date de ces divers paiements. La recourante insiste certes sur le fait qu'elle a bel et bien contesté les informations figurant dans la pièce V-172 produite par son adversaire, contrairement à ce qu'a laissé entendre le Tribunal arbitral. Elle fait aussi grief aux arbitres d'avoir indiqué dans leur sentence que la pièce JR-511 n'était qu'un simple tableau produit par elle. Selon la recourante, ceci démontrerait que le Tribunal arbitral a omis de tenir compte des avis de débit bancaires en faveur d'un notaire, documents annexés audit tableau qui, d'après elle, prouveraient les dates de paiement des acomptes sur le prix de vente versés à l'intimée. Cela étant, même à supposer que les annexes en question aient échappé par inadvertance aux arbitres, ce qui n'est pas établi, cela ne suffit de toute manière pas encore à taxer la solution retenue par eux d'arbitraire au sens de l'art. 393 let. e CPC. Comme le relève en effet à bon droit l'intimée, aucun des avis de débit annexés au tableau concerné ne permet d'établir la date à laquelle les montants crédités sur le compte du notaire en question ont été versés effectivement à l'intimée. Cette dernière mentionne du reste, sans être contredite par son adversaire, que l'un des avis comporte la mention suivante "ne rien verser au vendeur tant que l'acte n'est pas inscrit", ce qui démontre qu'un décalage a pu exister entre le moment où le notaire a reçu les fonds et celui où ceux-ci ont été versés à l'intimée. Aussi ne saurait-on admettre que le Tribunal arbitral se serait mis en contradiction avec les pièces du dossier, en considérant que la recourante avait échoué à prouver la date de paiement effective des différents acomptes. L'argument selon lequel le paiement des acomptes devait être effectué sur le compte du notaire concerné, avancé pour la première au stade de la réplique par la recourante, est irrecevable. En tout état de cause, l'intéressée n'indique pas où et quand elle aurait allégué, lors de la procédure d'arbitrage, que le versement desdits acomptes devait, selon l'accord passé par les parties, être opéré sur le compte du notaire en question et que c'est le moment de la réception des fonds par ce dernier qui était décisif pour calculer les intérêts contractuellement dus.  
 
5.  
Au vu de ce qui précède, le recours doit être rejeté dans la mesure de sa recevabilité. La recourante, qui succombe, supportera les frais de la présente procédure (art. 66 al. 1 LTF) et versera des dépens à l'intimée (art. 68 al. 1 et 2 LTF). 
 
 
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :  
 
1.  
Le recours est rejeté dans la mesure où il est recevable. 
 
2.  
Les frais judiciaires, arrêtés à 5'000 fr., sont mis à la charge de la recourante. 
 
3.  
La recourante versera à l'intimée une indemnité de 6'000 fr. à titre de dépens. 
 
4.  
Le présent arrêt est communiqué aux mandataires des parties et au Tribunal arbitral avec siège à Sierre. 
 
 
Lausanne, le 13 décembre 2023 
 
Au nom de la Ire Cour de droit civil 
du Tribunal fédéral suisse 
 
La Juge présidant : Kiss 
 
Le Greffier : O. Carruzzo