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Bundesgericht 
Tribunal fédéral 
Tribunale federale 
Tribunal federal 
 
 
 
 
6B_706/2023  
 
 
Arrêt du 15 avril 2024  
 
Ire Cour de droit pénal  
 
Composition 
MM. et Mme les Juges fédéraux 
Denys, Juge présidant, Muschietti et van de Graaf. 
Greffier : M. Barraz. 
 
Participants à la procédure 
1. A.________, 
2. B.________, 
3. C.________, 
tous les trois représentés par 
M es Olivier Adler et Naïma Bouaziz, avocats, 
recourants, 
 
contre  
 
Ministère public central du canton de Vaud, 
avenue de Longemalle 1, 1020 Renens (VD), 
intimé. 
 
Objet 
Droit d'être entendu (exploitabilité des preuves), 
 
recours contre le jugement de la Cour d'appel pénale 
du Tribunal cantonal vaudois, du 18 janvier 2023 
(n° 7 PE19.024262-RMG/KEL). 
 
 
Faits :  
 
A.  
Par jugement du 20 janvier 2022, le Tribunal de police de l'arrondissement de Lausanne a libéré A.________, B.________ et C.________ des chefs de prévention d'entrave aux services d'intérêt général, d'empêchement d'accomplir un acte officiel, de violation simple des règles de la circulation routière et de contravention à la Loi vaudoise du 19 mai 2009 sur les contraventions (RS/VD 312.11; LContr). 
 
B.  
 
B.a. Par annonce du 3 février 2022, puis déclaration motivée du 11 mars 2022, le ministère public a interjeté appel contre le jugement du 20 janvier 2022, concluant à sa réforme en ce sens que A.________, B.________ et C.________ sont reconnus coupables d'entrave aux services d'intérêt général, d'empêchement d'accomplir un acte officiel et de violation simple des règles de la circulation routière et condamnés chacun à une peine pécuniaire de 20 jours-amende avec sursis pendant deux ans, ainsi qu'à une amende de 300 francs.  
 
B.b. Le 13 avril 2022, A.________ a déposé un appel joint sur la question de l'indemnité au sens de l'art. 429 CPP. Par ailleurs, il a sollicité que le ministère public soit invité à se déterminer sur plusieurs questions relatives au DVD produit avec sa déclaration d'appel.  
 
B.c. Par avis du 24 novembre 2022, le Président de la Cour d'appel pénale du Tribunal cantonal vaudois a informé les parties que, conformément à l'art. 344 CPP, applicable par analogie en vertu de l'art. 379 CPP, la cour cantonale se réservait le cas échéant de retenir l'infraction de contrainte au sens de l'art. 181 CP en relation avec les faits dénoncés.  
 
B.d. Par jugement du 18 janvier 2023, la Cour d'appel pénale du Tribunal cantonal vaudois a rejeté l'appel joint de A.________. En revanche, elle a partiellement admis l'appel du ministère public en réformant comme suit le jugement du 20 janvier 2022:  
 
- libère A.________ des chefs de prévention d'entrave aux services d'intérêt général et de contravention à la LContr, le reconnaît coupable de contrainte, d'empêchement d'accomplir un acte officiel et de violation simple des règles de la circulation routière et le condamne à une peine pécuniaire de 30 jours-amende à 40 fr. le jour, avec sursis pendant deux ans, ainsi qu'à une amende de 100 fr., la peine privative de liberté de substitution en cas de non-paiement fautif étant fixée à un jour; 
- libère B.________ des chefs de prévention d'entrave aux services d'intérêt général et de contravention à la LContr, le reconnaît coupable de contrainte, d'empêchement d'accomplir un acte officiel et de violation simple des règles de la circulation routière et le condamne à une peine pécuniaire de 30 jours-amende à 10 fr. le jour, avec sursis pendant deux ans, ainsi qu'à une amende de 100 fr., la peine privative de liberté de substitution en cas de non-paiement fautif étant fixée à un jour; 
- libère C.________ des chefs de prévention d'entrave aux services d'intérêt général et de contravention à la LContr, le reconnaît coupable de contrainte, d'empêchement d'accomplir un acte officiel et de violation simple des règles de la circulation routière et le condamne à une peine pécuniaire de 30 jours-amende à 50 fr. le jour, avec sursis pendant deux ans, ainsi qu'à une amende de 100 fr., la peine privative de liberté de substitution en cas de non-paiement fautif étant fixée à un jour. 
La cour cantonale a statué sur la base des faits suivants: 
 
B.d.a. Né en 1958, A.________ est à la retraite.  
Né en 1990, B.________ a achevé ses études universitaires et est actuellement à la recherche d'un emploi. 
Né en 1984, C.________ exerce la profession d'employé dans la communication. 
L'extrait du casier judiciaire des précités ne comporte aucune inscription. 
 
B.d.b. Le 27 septembre 2019, le collectif Climat Strike a organisé une manifestation, sous l'appellation "grève du climat", laquelle avait été autorisée par la Ville de Lausanne selon un itinéraire bien défini qui passait notamment par l'avenue de Rhodanie avant de se terminer au bord du lac vers les Pyramides de Vidy. Vers 11h50, peu avant d'atteindre la destination finale du cortège, à la hauteur de l'avenue Pierre de Coubertin, une scission a été opérée parmi les manifestants, apparemment à l'appel de militants du mouvement Extinction Rebellion (ci-après: XR). En effet, ceux-ci ont annoncé, au moyen d'un mégaphone, que les participants qui le souhaitaient, pouvaient soit poursuivre selon l'itinéraire autorisé soit participer à leur action de blocage, qui avait pour cible le giratoire de la Maladière. Près de 500 manifestants ont répondu positivement à cet appel. C'est ainsi qu'entre 11h50 et 16h15, à l'avenue de Rhodanie, sans avoir obtenu d'autorisation préalable pour se réunir là où ils l'ont fait, plusieurs manifestants au nombre desquels figuraient A.________, B.________ et C.________ se sont réunis, certains sur la chaussée et d'autres sur le trottoir. Vers 13h55, les forces de l'ordre ont enjoint aux manifestants, par l'usage d'un mégaphone, de se disperser et de libérer la chaussée. Certains n'ont pas obtempéré et 48 d'entre eux, dont A.________, B.________ et C.________, se sont assis sur la chaussée et se sont tenus entrelacés les uns aux autres. Une centaine d'autres manifestants passifs et debout ont été refoulés en direction de la piscine de Bellerive. Entre 14h05 et 16h15, la police a procédé à l'évacuation des 48 manifestants récalcitrants, un à un, y compris A.________, B.________ et C.________, lesquels ont opposé une résistance physique, notamment en s'agrippant les uns aux autres.  
 
C.  
A.________, B.________ et C.________ forment un recours commun en matière pénale au Tribunal fédéral contre le jugement du 18 janvier 2023. Avec suite de frais, dépens et indemnité équitable au sens de l'art. 429 al. 1 let. a CPP, les recourants concluent principalement à la réforme du jugement attaqué dans le sens de leur total acquittement, subsidiairement à son annulation et au renvoi de la cause à la Cour d'appel pénale du Tribunal cantonal vaudois pour nouvelle décision dans le sens des considérants. B.________ et C.________ sollicitent en outre d'être mis au bénéfice de l'assistance judiciaire. 
 
 
Considérant en droit :  
 
1.  
Les recourants font grief à la cour cantonale de ne pas avoir constaté l'inexploitabilité - en raison de leur illicéité - des images filmées par la police lors de la manifestation du 27 septembre 2019. Dans ce contexte, ils invoquent également un déni de justice, respectivement une violation de leur droit d'être entendus. 
 
 
1.1.  
 
1.1.1. L'exploitabilité des moyens de preuves obtenus illégalement est réglée par l'art. 141 CPP. Ainsi, les preuves administrées en violation de l'art. 140 CPP sont absolument inexploitables (al. 1), celles qui ont été administrées d'une manière illicite ou en violation de règles de validité par les autorités pénales ne sont pas exploitables, à moins que leur exploitation soit indispensable pour élucider des infractions graves (al. 2), alors que celles qui ont été administrées en violation de prescriptions d'ordre sont exploitables (al. 3). Les pièces relatives aux moyens de preuves non exploitables doivent être retirées du dossier pénal, conservées à part jusqu'à la clôture définitive de la procédure, puis détruites (al. 5).  
 
1.1.2. Une autorité commet un déni de justice formel et viole l'art. 29 al. 1 Cst. lorsqu'elle n'entre pas en matière dans une cause qui lui est soumise dans les formes et délais prescrits, alors qu'elle devrait s'en saisir (ATF 142 II 154 consid. 4.2; 135 I 6 consid. 2.1; 134 I 229 consid. 2.3). Elle viole en revanche le droit d'être entendu découlant de l'art. 29 al. 2 Cst. lorsqu'elle ne respecte pas son obligation de motiver ses décisions afin que le justiciable puisse les comprendre et exercer ses droits de recours à bon escient. Pour satisfaire à cette exigence, il suffit que l'autorité mentionne au moins brièvement les motifs qui l'ont guidée et sur lesquels elle a fondé sa décision. Elle n'a pas l'obligation d'exposer et de discuter tous les faits, moyens de preuve et griefs invoqués par les parties, mais peut au contraire se limiter à ceux qui, sans arbitraire, peuvent être tenus pour pertinents (ATF 147 IV 249 consid. 2.4; 146 II 335 consid. 5.1; 143 IV 40 consid. 4.3.4; 142 II 154 consid. 4.2; 138 I 232 consid. 5.1). La motivation peut d'ailleurs être implicite et résulter des différents considérants de la décision (ATF 141 V 557 consid. 3.2.1). Elle se rend enfin coupable d'une violation du droit d'être entendu si elle omet de se prononcer sur des griefs qui présentent une certaine pertinence ou de prendre en considération des allégués et arguments importants pour la décision à rendre (ATF 141 V 557 consid. 3.2.1; 133 III 235 consid. 5.2; arrêts 6B_904/2023 du 18 janvier 2024 consid. 2.3; 6B_1113/2022 du 12 septembre 2023 consid. 1.1).  
 
1.2. L'autorité de première instance a considéré que le rapport de police du 7 octobre 2019 ne détaillait pas suffisamment le comportement des recourants pour permettre, à l'aune du principe in dubio pro reo, leur condamnation pénale. C'est pourquoi elle les a acquittés (jugement attaqué, consid. 3.1). L'appel formé par le ministère public contre le jugement de première instance visait uniquement à contester cette appréciation des moyens de preuves ( ibidem). À l'appui de son raisonnement, le ministère public a produit un DVD contenant notamment plusieurs images vidéo filmées par la police lors de la manifestation du 27 septembre 2019 (déclaration d'appel du 11 mars 2022, p. 1), images vidéo censées " corroborer les événements tels qu'ils sont décrits dans le rapport du 7 octobre 2019 et attester également du comportement oppositionnel des manifestants " ( ibidem, p. 2). Il convient de relever que ces images vidéo, qui ne figuraient jusqu'ici pas au dossier, étaient au centre de l'argumentation du ministère public.  
Lors des débats d'appel, après avoir obtenu un certain nombre de précisions quant aux images vidéo produites par le ministère public, les recourants ont réitéré leur conclusion tendant à leur retranchement du dossier (jugement attaqué, p. 3 et 4). Cette réquisition a été rejetée sur le siège par la cour cantonale, laquelle s'est référée aux motifs exposés dans le jugement à venir (jugement attaqué, p. 5), motifs dont la teneur est la suivante: " Quand bien même il est douteux, au regard des dispositions légales, que ces moyens de preuve soient illicites, comme le soutiennent les prévenus, ils ne sont de toute manière pas décisifs compte tenu du rapport établi par la police, qui contient, à lui seul, tous les éléments nécessaires à l'établissement des faits, sans qu'il soit nécessaire de se fonder sur les vidéos produites par le Ministère public. Il n'y a dès lors pas lieu de se prononcer sur le retranchement de ces vidéos " (jugement attaqué consid. 3.4, p. 34).  
 
1.3. La sanction prévue par l'art. 141 CPP est l'inexploitabilité des moyens de preuves concernés (cf. supra consid. 1.1.1). À dessein, le législateur a renoncé à parler de nullité de la preuve, concept manquant de souplesse, puisque " ce qui compte, c'est que de telles preuves ne puissent être opposées aux personnes que l'on cherche à protéger au moyen des dispositions sur la preuve, c'est-à-dire surtout les prévenus " (Rapport explicatif relatif à l'avant-projet d'un code de procédure pénale suisse, ch. 241.2, p. 108). Ainsi, l'art. 141 CPP vise avant tout - quoique pas exclusivement - à protéger les justiciables de l'utilisation contre eux de moyens de preuves administrés de manière illicite. Se pose dès lors la question du sort qui doit être réservé à des moyens de preuves allégués illicites, dont les tribunaux n'entendent pas se prévaloir (i.e. exploiter) pour justifier une condamnation, à défaut pour ceux-ci d'être jugés probants. Autrement dit, il s'agit de savoir s'il subsiste un intérêt à la constatation du caractère illicite d'un moyen de preuves et à la détermination du sort qui doit lui être réservé, à défaut pour celui-ci d'être exploité concrètement.  
À cette question, la cour cantonale a répondu par la négative, en jugeant qu'à défaut pour les images vidéo produites par le ministère public d'être probantes, il n'était pas nécessaire de se prononcer sur le caractère illicite de leur administration, respectivement sur le sort qui devait leur être réservé (cf. supra consid. 1.2 in fine).  
Les images vidéo ici litigieuses ont revêtu un caractère décisif, contrairement à l'avis de la cour cantonale. Le rapport de police du 7 octobre 2019 est le principal élément de preuve utilisé à charge contre les recourants, et il s'oppose directement - du moins en partie - aux déclarations de ces derniers. En cela, on ne saurait nier son importance. Or, il a été jugé lacunaire par l'autorité de première instance, ce qui a poussé le ministère public à le corroborer au moyen d'images vidéo. Sans préjuger du fait que ces images vidéo étaient strictement nécessaires dans l'appréciation des moyens de preuves, il n'en demeure pas moins qu'elles ont joué un rôle dans la confirmation du contenu du rapport de police précité, auquel elles ont à tout le moins conféré une force probante accrue. Si l'on ne peut exclure que le rapport de police précité se suffise à lui-même, il n'en demeure pas moins que les images vidéo ont eu - ou auraient pu avoir - un impact sur l'appréciation de sa force probante, étant rappelé qu'il s'agit du principal élément à charge contre les recourants. Compte tenu du caractère potentiellement décisif de ces images vidéo, dont la licéité est mise en doute par les recourants, la cour cantonale ne pouvait faire l'économie de se prononcer sur la licéité de leur administration et sur le sort qui devait leur être réservé en cas d'inexploitabilité. En ne le faisant pas, elle a violé le droit d'être entendu des recourants. Dans cette mesure, le jugement attaqué doit être annulé et la cause renvoyée à la cour cantonale pour nouvelle décision dans le sens des considérants. 
 
2.  
Dans un second grief de nature formelle, les recourants font valoir que la cour cantonale aurait violé leur droit d'être entendus en basant en partie leur condamnation sur un reportage de la RTS auquel ils n'ont pas eu l'occasion d'être confrontés, respectivement à propos duquel ils n'ont pas pu se déterminer. Même à considérer que la cour cantonale aurait ainsi violé leur droit d'être entendus, il y a lieu de constater que cette éventuelle violation est sans conséquence en l'espèce, compte tenu du renvoi de la cause à l'autorité précitée, renvoi dans le cadre duquel il lui incombera de procéder à nouveau à l'établissement des faits et à l'appréciation des moyens de preuve suite à la reconnaissance ou non du caractère illicite des images vidéo dont il était question supra au consid. 1, et dans le cadre duquel les recourants seront libres de se déterminer à propos de ce reportage de la RTS (à ce propos, v. ATF 143 IV 380 consid. 1.4.1; arrêts 6B_1068/2021 du 9 mai 2022 consid. 3.2; 6B_1012/2020 du 8 avril 2021 consid. 1.1; 6B_249/2021 du 13 septembre 2021 consid. 6.1). Partant, le grief des recourants est rejeté.  
 
3.  
Le recours doit être admis, le jugement attaqué annulé et la cause renvoyée à la cour cantonale pour nouvelle décision (cf. supra consid. 1.3). Au regard de la nature procédurale des vices examinés et dans la mesure où le Tribunal fédéral n'a pas traité la cause sur le fond, ne préjugeant ainsi pas de l'issue de celle-ci, il peut être procédé au renvoi sans ordonner préalablement un échange d'écritures (ATF 133 IV 293 consid. 3.4.2).  
Les recourants, qui obtiennent gain de cause, peuvent prétendre à des pleins dépens à la charge du canton de Vaud (art. 68 al. 1 LTF) et ne supportent pas de frais judiciaires (art. 66 al. 1 LTF). La requête d'assistance judiciaire formée par B.________ et C.________ est sans objet. 
 
 
 
 
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :  
 
1.  
Le recours est admis, le jugement attaqué est annulé et la cause est renvoyée à la cour cantonale pour nouvelle décision. 
 
2.  
La requête d'assistance judiciaire formée par B.________ et C.________ est sans objet. 
 
3.  
Il n'est pas perçu de frais judiciaires. 
 
4.  
Le canton de Vaud versera aux recourants une indemnité totale de 3'000 fr. à titre de dépens pour la procédure devant le Tribunal fédéral. 
 
5.  
Le présent arrêt est communiqué aux parties et à la Cour d'appel pénale du Tribunal cantonal vaudois. 
 
 
Lausanne, le 15 avril 2024 
 
Au nom de la Ire Cour de droit pénal 
du Tribunal fédéral suisse 
 
Le Juge présidant : Denys 
 
Le Greffier : Barraz