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Bundesgericht 
Tribunal fédéral 
Tribunale federale 
Tribunal federal 
 
 
 
 
6B_1443/2021  
 
 
Arrêt du 13 février 2023  
 
Cour de droit pénal  
 
Composition 
Mmes et M. les Juges fédéraux 
Jacquemoud-Rossari, Présidente, 
Denys et van de Graaf. 
Greffier: M. Barraz. 
 
Participants à la procédure 
A.________, 
représentée par Me Romain Canonica, avocat, 
recourante, 
 
contre  
 
1. Ministère public de la République et canton de Genève, 
route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy, 
2. B.________ Inc., 
intimés. 
 
Objet 
Abus de confiance; principe d'accusation, 
 
recours contre l'arrêt de la Cour de justice de la République et canton de Genève, Chambre pénale d'appel et de révision, du 1er novembre 2021 (P/9687/2011 AARP/337/2021). 
 
 
Faits :  
 
A.  
Par jugement du 15 décembre 2020, le Tribunal de police de la République et canton de Genève a reconnu A.________ coupable d'abus de confiance et l'a condamnée à une peine pécuniaire de 100 jours-amende à 2'000 fr. le jour-amende, avec sursis pendant trois ans. 
 
B.  
Par arrêt du 1er novembre 2021, la Chambre pénale d'appel et de révision de la Cour de justice de la République et canton de Genève a rejeté l'appel formé par A.________. En résumé, elle a retenu les faits suivants: 
 
B.a. Un contrat a été conclu le 22 mai 2006 entre C.________ SA, représentée par A.________, directrice, et E.________, administrateur, et la société B.________ Inc., représentée par D.________. Il portait sur le "prêt" de 300'000 USD par B.________ Inc. et ne prévoyait rien quant à l'utilisation des fonds par C.________ SA.  
 
B.b. B.________ Inc. a versé 300'000 USD sur le compte de F.________ SA, dont A.________ était bénéficiaire économique et signataire, à défaut pour C.________ SA de disposer d'un compte bancaire. Directement ou indirectement, ces fonds ont fait l'objet de retraits d'espèces, de sorte qu'en deux mois, la totalité du montant versé par B.________ Inc. a été épuisée. Les fonds en question n'ont jamais été comptabilisés au bilan de C.________ SA.  
 
B.c. À défaut pour C.________ SA d'avoir remboursé la somme due à temps, un avenant au contrat a été signé dans le but de prolonger l'échéance contractuelle. À l'exception d'un paiement de 60'000 USD, C.________ SA n'a pas remboursé la somme, malgré ses nombreuses promesses et les demandes répétées de B.________ Inc. C.________ SA a indiqué qu'elle n'avait jamais reçu les fonds et a contesté être la débitrice du montant réclamé. Elle a par la suite reconnu être la débitrice de B.________ Inc. Elle a fourni toutes sortes d'explications pour justifier le retard dans le paiement de la somme due, sans toutefois donner suite aux demandes de preuves de B.________ Inc.  
 
B.d. Une transaction extrajudiciaire a été conclue entre C.________ SA et B.________ Inc., qui prolongeait une nouvelle fois le délai de paiement. Malgré les promesses de C.________ SA, aucun remboursement n'est intervenu. Elle n'a pas répondu aux interrogations de B.________ Inc. quant à l'affectation des fonds et s'est contentée d'indiquer ce qui suit : " concernant la traçabilité des avoirs, ce montant est arrivé sur le compte F.________ SA, propriété de A.________, G.________, et cet argent a servi pour une transaction commerciale avec votre cliente [...] . Nous avons l'intention de régler notre dette [...] . Le retard que nous avons subi est indépendant de notre volonté [...]". C.________ SA n'a pas démontré le bien-fondé de ses dires, en particulier concernant la " transaction commerciale " évoquée. L'examen de la documentation bancaire figurant au dossier n'a pas permis d'en déceler l'existence.  
 
B.e. Le commandement de payer notifié par B.________ Inc. à C.________ SA a conduit à sa faillite. Les tentatives de A.________ d'éviter ce résultat ont échoué. B.________ Inc. a, selon ses déclarations, reçu 55'000 USD le 7 août 2009 et 5'000 ou 6'000 USD suite à la faillite de C.________ SA.  
 
C.  
A.________ forme un recours en matière pénale au Tribunal fédéral contre l'arrêt cantonal du 1er novembre 2021 et conclut principalement, avec suite de frais et dépens, à la réforme de l'arrêt précité en ce sens qu'elle est libérée du chef d'accusation d'abus de confiance. Subsidiairement, elle conclut à l'annulation de l'arrêt précité et au renvoi de la cause à l'autorité précédente pour nouvelle décision. 
 
D.  
Invités à se déterminer sur le recours, la cour cantonale a renoncé à formuler des observations, tandis que le ministère public a conclu à son rejet. Quant à B.________ Inc., elle a requis le versement de sûretés en garantie des dépens, requête rejetée par ordonnance du 13 décembre 2022. Alors qu'un nouveau délai a été fixé à B.________ Inc. pour se déterminer sur le recours, elle n'en a pas fait usage. A.________ a présenté des observations quant à l'écriture du ministère public et quant à la qualité de partie de B.________ Inc. 
 
 
Considérant en droit :  
 
1.  
La recourante reproche à la cour cantonale d'avoir violé la maxime d'accusation en se fondant sur des éléments qui ne ressortent pas de l'acte d'accusation pour retenir l'existence de valeurs patrimoniales confiées au sens de l'art. 138 ch. 1 CP
 
1.1.  
 
1.1.1. L'art. 9 CPP consacre la maxime d'accusation. Selon cette disposition, une infraction ne peut faire l'objet d'un jugement que si le ministère public a dé posé auprès du tribunal compétent un acte d'accusation dirigé contre une personne déterminée sur la base de faits précisément décrits. En effet, le prévenu doit connaître exactement les faits qui lui sont imputés et les peines et mesures auxquelles il est exposé, afin qu'il puisse s'expliquer et préparer efficacement sa défense (ATF 143 IV 63 consid. 2.2; 141 IV 132 consid. 3.4.1). Le tribunal est lié par l'état de fait décrit dans l'acte d'accusation (principe de l'immutabilité de l'acte d'accusation), mais peut s'écarter de l'appréciation juridique qu'en fait le ministère public (art. 350 al. 1 CPP), à condition d'en informer les parties présentes et de les inviter à se prononcer (art. 344 CPP). Il peut également retenir dans son jugement des faits ou des circonstances complémentaires, lorsque ceux-ci sont secondaires et n'ont aucune influence sur l'appréciation juridique. Le principe de l'accusation est également déduit de l'art. 29 al. 2 Cst. (droit d'être entendu), de l'art. 32 al. 2 Cst. (droit d'être informé, dans les plus brefs délais et de manière détaillée, des accusations portées contre soi) et de l'art. 6 par. 3 let. a CEDH (droit d'être informé de la nature et de la cause de l'accusation; arrêts 6B_136/2021 du 6 septembre 2021 consid. 3.3; 6B_1188/2020 du 7 juillet 2021 consid. 2.1; 6B_623/2020 du 11 mars 2021 consid. 1.1).  
Selon l'art. 325 CPP, l'acte d'accusation désigne notamment les actes reprochés au prévenu, le lieu, la date et l'heure de leur commission ainsi que leurs conséquences et le mode de procéder de l'auteur, les infractions réalisées et les dispositions légales applicables de l'avis du ministère public. En d'autres termes, l'acte d'accusation doit contenir les faits qui, de l'avis du ministère public, correspondent à tous les éléments constitutifs de l'infraction reprochée au prévenu. L'acte d'accusation définit l'objet du procès et sert également à informer le prévenu (fonction de délimitation et d'information; ATF 143 IV 63 consid. 2.2; 141 IV 132 consid. 3.4.1 et les références citées; arrêt 6B_136/2021 précité consid. 3.3). 
 
1.1.2. Commet un abus de confiance au sens de l'art. 138 ch. 1 al. 2 CP celui qui, sans droit, aura employé à son profit ou au profit d'un tiers des valeurs patrimoniales qui lui avaient été confiées.  
Sur le plan objectif, l'infraction à l'art. 138 ch. 1 al. 2 CP suppose qu'une valeur ait été confiée, autrement dit que l'auteur ait acquis la possibilité d'en disposer, mais que, conformément à un accord (exprès ou tacite) ou un autre rapport juridique, il ne puisse en faire qu'un usage déterminé, en d'autres termes, qu'il l'ait reçue à charge pour lui d'en disposer au gré d'un tiers, notamment de la conserver, de la gérer ou de la remettre (ATF 133 IV 21 consid. 6.2). Le comportement délictueux consiste à utiliser la valeur patrimoniale contrairement aux instructions reçues, en s'écartant de la destination fixée (ATF 129 IV 257 consid. 2.2.1). L'alinéa 2 de l'art. 138 ch. 1 CP ne protège pas la propriété, mais le droit de celui qui a confié la valeur patrimoniale à ce que celle-ci soit utilisée dans le but qu'il a assigné et conformément aux instructions qu'il a données; est ainsi caractéristique de l'abus de confiance au sens de cette disposition le comportement par lequel l'auteur démontre clairement sa volonté de ne pas respecter les droits de celui qui lui fait confiance (ATF 129 IV 257 consid. 2.2.1; 121 IV 23 consid. 1c; 119 IV 127 consid. 2; arrêt 6B_1383/2016 du 16 mai 2018 consid. 1.1). Lorsque les valeurs sont confiées à une personne morale et que le devoir de les utiliser de la manière convenue incombe à cette dernière, l'art. 29 let. a CP permet de punir l'organe qui a utilisé les valeurs à d'autres fins (arrêts 6B_356/2016 du 6 mars 2017 consid. 2.3; 6B_162/2015 du 18 novembre 2015 consid. 3.1). 
Du point de vue subjectif, l'auteur doit avoir agi intentionnellement et dans un dessein d'enrichissement illégitime, lequel peut être réalisé par dol éventuel (ATF 118 IV 32 consid. 2a). Celui qui dispose à son profit ou au profit d'un tiers d'un bien qui lui a été confié et qu'il s'est engagé à tenir en tout temps à disposition de l'ayant droit s'enrichit illégitimement s'il n'a pas la volonté et la capacité de le restituer immédiatement en tout temps. Celui qui ne s'est engagé à ne tenir le bien confié à disposition de l'ayant droit qu'à un moment déterminé ou à l'échéance d'un délai déterminé ne s'enrichit illégitimement que s'il n'a pas la volonté et la capacité de le restituer à ce moment précis (ATF 133 IV 21 consid. 6.1.2; 118 IV 27 consid. 3a). Le dessein d'enrichissement illégitime fait en revanche défaut si, au moment de l'emploi illicite de la valeur patrimoniale, l'auteur en paie la contre-valeur, s'il avait à tout moment ou, le cas échéant, à la date convenue à cet effet, la volonté et la possibilité de le faire (" Ersatzbereitschaft "; ATF 118 IV 32 consid. 2a).  
 
1.2. Par ordonnance pénale du 19 septembre 2019 ayant tenu lieu d'acte d'accusation (art. 356 al. 1 CPP), le ministère public reprochait à la recourante, en sa qualité d'organe de C.________ SA, d'avoir utilisé le montant versé par B.________ Inc. à son propre profit, contrairement aux instructions reçues, à savoir le financement d'une transaction portant sur de l'or, et, en définitive, de ne pas avoir remboursé ce montant. De l'avis du ministère public, les fonds ont bien été reçus par C.________ SA (" Les USD 300'000.- reçus par C.________ SA "), mais la recourante ne les a pas affectés au but convenu, raison pour laquelle elle se serait rendue coupable d'abus de confiance. Dans cette hypothèse, les fonds ont été confiés à C.________ SA, dont la recourante était un organe.  
 
1.3. La condamnation de la recourante par la cour cantonale est le résultat d'un raisonnement différent. Elle a retenu que les fonds ont été versés sur le compte de F.________ SA, dont la recourante était un organe assumant le rôle d'auxiliaire d'encaissement, mais n'ont jamais été remis à C.________ SA, qui était la cocontractante de B.________ Inc. et à qui les fonds devaient revenir. D'après la cour cantonale, les fonds n'ont pas été reçus par C.________ SA mais ont été conservés sans droit par la recourante (" l'appelante [ici: la recourante] ne recevait nullement l'argent pour elle-même mais devait le remettre à C.________ SA, ou en tous les cas en faire usage dans l'intérêt des parties, permettant en définitive à C.________ SA de payer les sommes convenues à B.________ Inc. à la date fixée. L'appelante était ainsi auxiliaire de l'encaissement des fonds et n'en avait personnellement pas la libre disposition, ni ne pouvait se les approprier. [...] Il ne ressort toutefois nullement du dossier que les fonds originalement reçus ont été transférés à C.________ SA. [...] Partant, l'appelante a bien employé illicitement la somme qui lui a été confiée, et qui devait être remise ou affectée d'une manière ou d'une autre à C.________ SA dans l'intérêt des parties au contrat "; arrêt attaqué consid. 2.3.1 à 2.3.3, p. 13 et 14). Dans cette hypothèse, les fonds ont été confiés à F.________ SA, dont la recourante était un organe. En revanche, la cour cantonale ne retient pas que la recourante, en sa qualité d'organe de C.________ SA, aurait renoncé à l'exécution de la transaction convenue. Au contraire, elle s'écarte des faits retenus par le ministère public et l'autorité de première instance en retenant que le contrat a été conclu dans un but " commercial ", sans autres précisions quant à la nature du but convenu.  
 
1.4. La cour cantonale ne s'est pas contentée de proposer un nouveau raisonnement juridique, mais s'est écartée des faits décrits dans l'ordonnance pénale. Elle a nouvellement retenu que les fonds confiés par B.________ Inc. à F.________ SA, dont la recourante était un organe, n'avaient jamais été remis à C.________ SA, alors que le ministère public a retenu le contraire. Ce faisant, elle a violé le principe de l'immutabilité de l'acte d'accusation. Même en supposant que la réception ou non des fonds par C.________ SA pouvait être appréciée distinctement par la cour cantonale (étant précisé que le ministère public a tantôt retenu que C.________ SA avait reçu les 300'000 USD, tantôt que l'argent avait été versé sur le compte personnel de la recourante, laquelle n'a jamais été en mesure d'expliquer comment il a réellement été affecté, déclaration dont on pourrait déduire que la recourante n'a en réalité jamais démontré avoir remis les fonds à C.________ SA), il n'en demeure pas moins que l'ordonnance pénale précitée ne contenait pas tous les faits essentiels qui ont permis à la cour cantonale de condamner la recourante. En particulier, on ne décèle pas en quoi la recourante répondrait pour F.________ SA du fait que les fonds n'ont pas été remis à C.________ SA, puisque l'ordonnance pénale ne fait aucune mention de la qualité d'organe de la recourante. De même, il n'est rien dit du rôle de F.________ SA dans la transaction entre C.________ SA et B.________ Inc., de sorte qu'il n'est pas possible de déterminer si, comme l'a retenu la cour cantonale, elle agissait en qualité d'auxiliaire d'encaissement. Finalement, le ministère public ne s'est pas avancé sur une éventuelle obligation, contractuelle ou non, de F.________ SA de remettre les fonds à C.________ SA. Que ces éléments aient été évoqués lors de l'instruction n'est pas déterminant, dès lors que le ministère public a, dans son ordonnance pénale, cristallisé les agissements pour lesquels il entendait renvoyer la recourante en jugement.  
 
1.5. En condamnant la recourante pour abus de confiance, la cour cantonale a violé le droit fédéral, en particulier le principe d'immutabilité de l'acte d'accusation (art. 350 al. 1 CPP) et la maxime d'accusation (art. 9 et 325 CPP).  
 
2.  
Compte tenu de ce qui précède, le recours doit être admis, l'arrêt attaqué annulé et la cause renvoyée à l'autorité cantonale pour nouvelle décision dans le sens des considérants. Les autres griefs formulés par la recourante deviennent par conséquent sans objet. 
La recourante, qui obtient gain de cause, ne supporte pas de frais (art. 66 al. 1 LTF) et peut prétendre à une indemnité de dépens à la charge de la République et canton de Genève (art. 68 al. 1 et 2 LTF). 
 
 
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :  
 
1.  
Le recours est admis, l'arrêt attaqué est annulé et la cause est renvoyée à l'autorité cantonale pour nouvelle décision dans le sens des considérants. 
 
2.  
Il n'est pas perçu de frais judiciaires. 
 
3.  
La République et canton de Genève versera à la recourante la somme de 3'000 fr. à titre de dépens pour la procédure devant le Tribunal fédéral. 
 
4.  
Le présent arrêt est communiqué aux parties et à la Cour de justice de la République et canton de Genève, Chambre pénale d'appel et de révision. 
 
 
Lausanne, le 13 février 2023 
 
Au nom de la Cour de droit pénal 
du Tribunal fédéral suisse 
 
La Présidente : Jacquemoud-Rossari 
 
Le Greffier : Barraz