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Bundesgericht 
Tribunal fédéral 
Tribunale federale 
Tribunal federal 
 
 
 
 
8C_302/2023  
 
 
Arrêt du 16 novembre 2023  
 
IVe Cour de droit public  
 
Composition 
MM. les Juges fédéraux Wirthlin, Président, Maillard et Métral. 
Greffier : M. Colombi. 
 
Participants à la procédure 
A.________, 
représenté par Me Hervé Bovet, avocat, 
recourant, 
 
contre  
 
Caisse nationale suisse d'assurance en cas d'accidents (CNA), Division juridique, Fluhmattstrasse 1, 6002 Lucerne, 
intimée. 
 
Objet 
Assurance-accidents (lien de causalité), 
 
recours contre l'arrêt du Tribunal cantonal du canton de Fribourg du 21 avril 2023 (605 2022 129). 
 
 
Faits :  
 
A.  
 
A.a. A.________, né en 1971, travaillait en qualité de charpentier depuis 1986 et était, à ce titre, assuré obligatoirement contre le risque d'accidents et de maladies professionnelles auprès de la Caisse nationale suisse d'assurance en cas d'accidents (CNA). À la suite d'un grave accident de moto survenu le 5 août 1990, il a notamment présenté un traumatisme crânio-cérébral, une lésion complète du plexus brachial droit (entraînant une paralysie du membre supérieur droit), ainsi qu'une fracture des deux os de l'avant-bras, du col de l'omoplate et de l'aile iliaque droits. Après avoir obtenu en 1996 un CFC de dessinateur en génie civil grâce à des mesures de réadaptation de l'assurance-invalidité, l'assuré a été mis au bénéfice d'un quart de rente dès le 1er novembre 1998, augmenté à une demi-rente à partir du 1er février 1999. De son côté, la CNA lui a alloué une rente d'invalidité de 25 % dès le 1er août 1996, puis de 50 % à partir du 1er décembre 1997.  
 
A.b. Relevant que son état de santé s'était péjoré et qu'il souffrait depuis 2016 d'omalgies, de cervicalgies et d'une épicondylite gauche, A.________ a déposé en mars 2020 une demande de révision auprès de l'office AI (ci-après: OAI), lequel lui a reconnu, tenant compte également d'une gonalgie au genou droit, un degré d'invalidité de 60 % et le droit à trois quarts de rente dès la même période.  
 
A.c. Confrontée à une demande analogue, la CNA a refusé une augmentation de la rente d'invalidité par décision du 5 avril 2022, confirmée sur opposition le 12 juillet 2022, estimant que les lésions provoquées par l'accident de moto ne s'étaient pas aggravées.  
 
B.  
Saisie d'un recours contre la décision sur opposition du 12 juillet 2022, la I e Cour des assurances sociales du Tribunal cantonal du canton de Fribourg l'a rejeté par arrêt du 21 avril 2023. 
 
C.  
A.________ interjette un recours en matière de droit public contre cet arrêt, en concluant à son annulation et à ce que l'intimée soit astreinte à lui verser une rente d'invalidité de 60 % à partir du 1er mars 2020. A titre subsidiaire, il conclut à l'annulation de l'arrêt attaqué et au renvoi de la cause à la cour cantonale pour qu'elle ordonne une expertise médicale. 
L'intimée conclut au rejet du recours. La juridiction cantonale et l'Office fédéral de la santé publique ont renoncé à se déterminer. 
 
 
Considérant en droit :  
 
1.  
Le recours est dirigé contre un arrêt final (art. 90 LTF) rendu en matière de droit public (art. 82 ss LTF) par une autorité cantonale de dernière instance (art. 86 al. 1 let. d LTF). Il a été déposé dans le délai (art. 100 LTF) et la forme (art. 42 LTF) prévus par la loi. Le recours est donc recevable. 
 
2.  
 
2.1. Le recours en matière de droit public peut être formé pour violation du droit, tel qu'il est délimité par les art. 95 et 96 LTF. Le Tribunal fédéral applique le droit d'office (art. 106 al. 1 LTF), n'étant limité ni par les arguments de la partie recourante, ni par la motivation de l'autorité précédente. Le Tribunal fédéral n'examine en principe que les griefs invoqués, compte tenu de l'exigence de motivation prévue à l'art. 42 al. 2 LTF, et ne peut pas aller au-delà des conclusions des parties (art. 107 al. 1 LTF).  
 
2.2. S'agissant d'une procédure concernant l'octroi ou le refus de prestations en espèces de l'assurance-accidents, le Tribunal fédéral n'est pas lié par les faits constatés par la juridiction précédente (art. 97 al. 2 et art. 105 al. 3 LTF).  
 
3.  
Le litige porte sur la révision de la rente d'invalidité perçue par le recourant, en particulier sur l'existence d'un lien de causalité entre l'accident du 5 août 1990 et les problèmes de santé apparus dès 2016. 
 
4.  
 
4.1. L'arrêt entrepris expose de manière complète les dispositions et la jurisprudence applicables en l'espèce, s'agissant notamment du droit aux prestations d'assurance en cas de séquelles tardives (art. 11 OLAA [RS 832.202]; arrêt 8C_560/2017 du 3 mai 2018 consid. 4), de la révision d'une rente d'invalidité (art. 17 LPGA [RS 830.1]), ainsi que du lien de causalité naturelle et adéquate entre l'événement dommageable et l'atteinte à la santé (cf. ATF 148 V 138 consid. 5.1.1). Les premiers juges ont également rappelé les principes applicables à l'appréciation des preuves dans le domaine des assurances sociales (ATF 130 III 321 consid. 3) et à la détermination de la valeur probante des avis médicaux (ATF 125 V 353 consid. 3; cf. également ATF 134 V 231 consid. 5.1). Il suffit d'y renvoyer.  
 
4.2. On rappellera en outre qu'il n'est pas nécessaire que l'accident soit la cause unique ou immédiate de l'atteinte à la santé: il suffit qu'associé éventuellement à d'autres facteurs, il ait provoqué l'atteinte à la santé, c'est-à-dire qu'il apparaisse comme la condition sine qua non de cette atteinte. Savoir si l'événement assuré et l'atteinte en question sont liés par un rapport de causalité naturelle est une question de fait que l'administration ou, le cas échéant, le juge, examine en se fondant essentiellement sur des renseignements d'ordre médical, et qui doit être tranchée à la lumière de la règle du degré de vraisemblance prépondérante, appliquée généralement à l'appréciation des preuves dans l'assurance sociale (ATF 142 V 435 consid. 1; 129 V 177 consid. 3.1; arrêt 8C_580/2021 du 20 avril 2022 consid. 3.2).  
 
5.  
 
5.1. Le tribunal cantonal a tout d'abord constaté qu'après avoir arrêté en 1997 de travailler comme dessinateur en génie civil en raison de difficultés à se déplacer sur le chantier avec son théodolite, le recourant avait exercé jusqu'en 2004 une activité de livreur de parquet. Par la suite, il avait travaillé en tant que contrôleur laitier à 20 % et en qualité de chauffeur livreur à un taux de 30 % (diminué à 20 % en janvier 2020 en raison de l'aggravation de son état de santé). La cour cantonale a aussi établi que, dans le cadre de cette dernière activité, le recourant se rendait dans des fromageries en Valais ou dans le Jura (300 km-480 km/jour) et devait porter des caisses d'environ 10 kg et les installer sur le camion, le tout avec le bras gauche seulement.  
 
5.2. Les juges fribourgeois ont ensuite discuté les différents rapports médicaux relatifs aux affections du recourant. Trois médecins traitants (le docteur B.________, spécialiste en médecine interne et en infectiologie, le docteur C.________ et la doctoresse D.________, chiropraticiens) en attribuent la cause à la sursollicitation du membre supérieur gauche sain en lien avec le handicap généré par l'accident. Cela a été relevé également par l'expertise du docteur E.________ (spécialiste en rhumatologie et en médecine interne générale), mandaté par l'OAI. Le tribunal cantonal a ensuite décrit le rapport médical du docteur F.________ (spécialiste en médecine interne générale et médecin-conseil de la CNA) du 21 mars 2022, niant l'hypothèse d'une aggravation structurelle des lésions organiques provoquées par l'accident du 5 août 1990. D'après ce médecin, cet évènement n'avait provoqué aucune lésion structurelle au niveau du rachis cervical, au genou droit ou au membre supérieur gauche, ces derniers troubles étant dégénératifs; il a en outre relevé que les deux emplois exercés par le recourant impliquaient des contraintes physiques considérables et, lors de la procédure de recours cantonal, il a confirmé ses conclusions.  
 
5.3. Les constatations de fait qui précèdent ne sont pas contestées dans le recours.  
 
6.  
Le recourant défend l'existence d'un lien de causalité entre les affections nouvellement apparues et l'accident de 1990. 
 
6.1. Selon la jurisprudence, les rechutes et les séquelles tardives ont ceci en commun qu'elles sont attribuables à une atteinte à la santé qui, en apparence seulement, mais non dans les faits, était considérée comme guérie. Il y a rechute lorsque c'est la même maladie qui se manifeste à nouveau. On parle de séquelles tardives lorsqu'une atteinte apparemment guérie produit, au cours d'un laps de temps prolongé, des modifications organiques ou psychiques qui conduisent souvent à un état pathologique différent (ATF 123 V 137 consid. 3a; 118 V 293 consid. 2c; 105 V 35 consid. 1c; arrêts 8C_307/2019 du 6 novembre 2019 consid. 4.1; 8C_560/2017 consid 4). Il incombe à l'assuré d'établir, au degré de vraisemblance prépondérante, l'existence d'un rapport de causalité naturelle entre la nouvelle atteinte et l'accident. A cet égard, la jurisprudence considère que plus le temps écoulé entre l'accident et la manifestation de l'affection est long, et plus les exigences quant à la preuve, au degré de la vraisemblance prépondérante, du rapport de causalité naturelle doivent être sévères (arrêts 8C_448/2022 du 23 novembre 2022 consid. 2.3; 8C_232/2019 du 26 juin 2020 consid. 3.3; 8C_282/2019 du 18 octobre 2019 consid. 4.2).  
 
6.2. La cour cantonale a rappelé que les parties du corps en question n'avaient pas été lésées au cours de l'accident de 1990. Selon les médecins, les nouvelles lésions "[n'étaient] pas seulement liées à une sursollicitation du membre sain, mais [s'inscrivaient] dans un contexte de troubles dégénératifs progressifs". Cela ressortait notamment du dernier rapport du docteur B.________, ainsi que de l'expertise du docteur E.________. Les troubles du recourant semblaient s'être manifestés dans le cadre de son activité professionnelle, comme estimé par l'intéressé lui-même lors de sa demande de révision à l'intention de l'OAI. De même, la remarque du docteur F.________ sur les contraintes physiques considérables de l'activité exercée laissait entendre que celles-ci étaient également responsables des troubles constatés. Selon les juges fribourgeois, il était possible d'admettre que ces troubles trouvaient, en partie et de manière indirecte, leur origine dans l'accident de 1990. Toutefois, d'autres facteurs étaient intervenus au cours des 26 années subséquentes, comme l'exercice durant de nombreuses années d'une activité professionnelle physiquement contraignante. Ces facteurs étaient la cause principale des affections actuelles. Les sévères exigences quant à la preuve, au degré de la vraisemblance prépondérante, du rapport de causalité n'étaient dès lors pas respectées en l'espèce et l'intimée n'était pas tenue de prendre en charge les nouvelles atteintes au titre de séquelles tardives.  
 
6.3. Le recourant nie avoir jamais soutenu que les parties du corps affectées par les nouveaux troubles avaient été lésées lors de l'accident. Il aurait en revanche démontré que l'utilisation du seul membre supérieur gauche sain avait entraîné les nouvelles lésions invalidantes. La sursollicitation serait due à l'accident, lequel aurait rendu le membre supérieur droit inutilisable; l'intimée n'aurait d'ailleurs pas prétendu qu'il y aurait une autre cause.  
 
6.4.  
 
6.4.1. Ni l'intimée, ni la cour cantonale n'ont répondu à l'argument du recourant selon lequel la sursollicitation du membre supérieur gauche était imposée par l'impossibilité d'utiliser la partie du corps directement affectée par l'accident de 1990, en dépit des avis exprimés dans ce sens par les différents médecins traitants et par le docteur E.________ dans son expertise. L'intimée et son médecin conseil, pour leur part, se bornent à affirmer que l'accident n'a pas entraîné directement de modification structurelle des membres lésés et que les nouvelles lésions sont dégénératives, en concluant que le lien de causalité doit être nié sans avoir véritablement examiné si celles-ci résultent d'une sursollicitation due à l'empêchement d'utiliser le membre supérieur droit. Pourtant, le docteur F.________ même paraît bien l'admettre, en insistant sur la charge que représente l'activité professionnelle du recourant pour une personne monomanuelle - indirectement, donc, en raison des limitations dues à l'accident. Lors de son rapport du 23 août 2022, ce médecin s'interroge également de manière plutôt rhétorique sur le caractère adapté d'une telle activité. Or, si cette activité peut être considérée comme inadaptée, c'est bien en raison de l'empêchement du membre supérieur droit et de la sursollicitation que l'activité en question entraîne sur le membre supérieur gauche. Par ailleurs, le simple fait que le recourant ait exercé une activité inadaptée aux atteintes à la santé d'origine accidentelle n'est pas suffisant pour nier le lien de causalité avec les troubles qui en résultent. Autre est la question de savoir si l'on peut exiger de lui qu'il y mette fin et dans quelle mesure cela peut entraîner une amélioration de son état de santé.  
 
6.4.2. Qui plus est, le docteur F.________ et la CNA paraissent se méprendre sur la notion de causalité, en exigeant, pour la constater, que l'accident ait entraîné directement une atteinte structurelle au membre lésé. De même, le raisonnement des premiers juges ne peut pas être suivi lorsque, tout en admettant que les troubles trouvent en partie et de manière indirecte leur origine dans l'accident de 1990, ils nient le lien de causalité au motif que celui-ci ne serait pas la cause principale. Comme rappelé plus haut (cf. consid. 4.2 supra), l'obligation de prester de l'assureur-accident existe également lorsque l'accident n'est qu'une cause partielle de l'atteinte à la santé. Cela dit, les avis des médecins traitants et l'expertise ordonnée par l'OAI, vouée principalement à déterminer l'évolution de l'incapacité de travail du recourant, ne permettent pas non plus d'apprécier de manière claire si les cervicalgies, les omalgies et l'épicondylite gauches apparues dès 2016 sont en lien de causalité avec les séquelles accidentelles. Il y a donc lieu de mettre en oeuvre une expertise par un médecin indépendant conformément à la procédure de l'art. 44 LPGA. Sur la question du rapport de causalité entre l'accident et les atteintes au genou droit, en revanche, l'argumentation du recourant ne convainc pas. Le docteur F.________ a nié un tel rapport de causalité de manière convainquante dans son rapport du 23 août 2022, en observant que l'atteinte existe depuis 1999, que sa péjoration a été progressive au vu des IRM décrites par le docteur E.________ et qu'elle était de nature dégénérative, sans qu'un lien avec l'accident puisse être établi au degré de la vraisemblance prépondérante. Dans ce contexte, ni les médecins traitants, ni le docteur E.________ ne rendent plausible que l'absence d'utilisation du membre supérieur droit, en raison de séquelles accidentelles, aurait entraîné une sursollicitation du genou droit, de sorte qu'un complément d'instruction pour clarifier cette hypothèse ne se justifie pas.  
 
7.  
Il s'ensuit que le recours doit être partiellement admis, l'arrêt cantonal annulé et la cause renvoyée à la CNA pour qu'elle ordonne une expertise médicale relative au rapport de causalité entre les cervicalgies et les atteintes au membre supérieur gauche, d'une part, et l'accident assuré, d'autre part, puis statue à nouveau sur la demande de révision de rente présentée par le recourant. 
 
8.  
En ce qui concerne la répartition des frais judiciaires, le renvoi de la cause pour nouvel examen et décision revient à obtenir gain de cause au sens des art. 66 al. 1 et 68 al. 1 et 2 LTF, indépendamment du fait qu'une conclusion ait ou non été formulée à cet égard, à titre principal ou subsidiaire (ATF 146 V 28 consid. 7; 141 V 281 consid. 11.1; 137 V 210 consid. 7.1; arrêt 8C_120/2023 du 11 octobre 2023 consid. 7). L'intimée, qui succombe, supportera ainsi les frais judiciaires (art. 66 al. 1 LTF) et versera une indemnité de dépens au recourant (art. 68 al. 1 et 2 LTF). La cause sera renvoyée à l'autorité cantonale pour nouvelle décision sur les dépens de la procédure précédente (art. 68 al. 5 LTF). 
 
 
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :  
 
1.  
Le recours est partiellement admis. L'arrêt du Tribunal cantonal du canton de Fribourg, Cour des assurances sociales, du 21 avril 2023 et la décision sur opposition de la Caisse nationale suisse d'assurance en cas d'accidents (CNA) du 12 juillet 2022 sont annulés. La cause est renvoyée à la CNA pour instruction complémentaire et nouvelle décision. Le recours est rejeté pour le surplus. 
 
2.  
Les frais judiciaires, arrêtés à 800 fr., sont mis à la charge de l'intimée. 
 
3.  
L'intimée versera au recourant la somme de 2'800 fr. à titre de dépens pour la procédure devant le Tribunal fédéral. 
 
4.  
La cause est renvoyée au Tribunal cantonal du canton de Fribourg, Cour des assurances sociales, pour nouvelle décision sur les dépens de la procédure antérieure. 
 
5.  
Le présent arrêt est communiqué aux parties, au Tribunal cantonal du canton de Fribourg, Cour des assurances sociales, et à l'Office fédéral de la santé publique. 
 
 
Lucerne, le 16 novembre 2023 
 
Au nom de la IVe Cour de droit public 
du Tribunal fédéral suisse 
 
Le Président : Wirthlin 
 
Le Greffier : Colombi