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Bundesgericht 
Tribunal fédéral 
Tribunale federale 
Tribunal federal 
 
 
 
 
8C_612/2023  
 
 
Arrêt du 13 mars 2024  
 
IVe Cour de droit public  
 
Composition 
MM. et Mme les Juges fédéraux Wirthlin, Président, 
Viscione et Métral. 
Greffière : Mme Castella. 
 
Participants à la procédure 
A.________, 
représenté par M e Thomas Büchli, avocat, 
recourant, 
 
contre  
 
Caisse nationale suisse d'assurance en cas d'accidents (CNA), Division juridique, Fluhmattstrasse 1, 6002 Lucerne, 
intimée. 
 
Objet 
Assurance-accidents (lien de causalité), 
 
recours contre l'arrêt de la Cour de justice de la République et canton de Genève du 8 août 2023 (A/4104/2019 ATAS/589/2023). 
 
 
Faits :  
 
A.  
A.________, né en 1971, était employé de chantier auprès de B.________ SA depuis 2016. A ce titre, il était obligatoirement assuré contre le risque d'accident auprès de la Caisse nationale suisse d'assurance en cas d'accidents (CNA). 
Le 17 janvier 2018, alors qu'il ponçait un plafond en se tenant sur une échelle, il est tombé d'une hauteur de 2 mètres sur le dos. La CNA a pris en charge le cas. 
Dans un rapport du 20 juin 2018, le docteur C.________, spécialiste en neurochirurgie, a fait état d'une lombosciatalgie gauche persistante malgré deux séances d'infiltration épidurale L5-S1 sur petite hernie discale L5-S1 gauche. Il indiquait en outre que la petite hernie discale pouvait irriter la racine S1 gauche et causer les symptômes de l'assuré; il proposait, en cas de résistance au traitement conservateur, une chirurgie pour décomprimer la racine S1 gauche ainsi qu'une résection microchirurgicale de la petite hernie discale. Le 27 juin 2018, le docteur D.________, spécialiste en chirurgie orthopédique et traumatologie de l'appareil locomoteur et médecin d'arrondissement de la CNA, a estimé qu'il existait une causalité probable avec l'accident, qu'il ne fallait pas tarder à intervenir, le cas évoluant depuis quatre mois, et qu'il était d'accord avec le docteur C.________. Par lettre du 3 juillet 2018, la CNA a confirmé la prise en charge de l'intervention chirurgicale, que le docteur C.________ a pratiquée le 12 octobre 2018 ("ouverture du récessus L5-S1 gauche, résection du kyste et résection microchirurgicale de la hernie discale L5-S1 gauche"). 
Par décision du 4 juillet 2019, confirmée sur opposition le 4 octobre suivant, la CNA a mis fin à ses prestations avec effet au 31 juillet 2019, se fondant sur l'appréciation médicale du docteur D.________ du 3 juillet 2019, selon laquelle le statu quo sine était atteint le 1 er juillet 2019.  
 
B.  
Saisie d'un recours contre la décision sur opposition du 4 octobre 2019, la Chambre des assurances sociales de la Cour de justice de la République et canton de Genève a mis en oeuvre une expertise judiciaire, qu'elle a confiée au docteur E.________, spécialiste en chirurgie orthopédique et traumatologie de l'appareil locomoteur. Celui-ci a rendu son rapport le 24 février 2022 et l'a complété le 21 décembre 2022, en réponse aux questions de l'assuré. 
Par arrêt du 8 août 2023, la juridiction cantonale a rejeté le recours. 
 
C.  
A.________ forme un recours en matière de droit public contre cet arrêt, en concluant à sa réforme dans le sens du maintien de son droit aux prestations d'assurance au-delà du 12 juillet 2019. A titre subsidiaire, il conclut à l'annulation de l'arrêt attaqué et au renvoi de la cause à la juridiction cantonale pour complément d'instruction et nouvel arrêt dans le sens des considérants. Il sollicite par ailleurs le bénéfice de l'assistance judiciaire. 
La CNA conclut au rejet du recours. La cour cantonale et l'Office fédéral de la santé publique ont renoncé à se déterminer. 
Le recourant a répliqué. 
 
 
Considérant en droit :  
 
1.  
Le recours est dirigé contre un arrêt final (art. 90 LTF) rendu en matière de droit public (art. 82 ss LTF) par une autorité cantonale de dernière instance (art. 86 al. 1 let. d LTF). Il a été déposé dans le délai (art. 100 LTF) et la forme (art. 42 LTF) prévus par la loi. 
 
2.  
 
2.1. L'arrêt entrepris confirme la décision sur opposition de l'intimée du 4 octobre 2019, de sorte qu'il reconnaît le droit du recourant à des prestations d'assurance jusqu'au 31 juillet 2019. En tant que le recourant requiert des prestations au-delà du 12 juillet 2019, ses conclusions sont irrecevables pour la période allant jusqu'au 31 juillet 2019, faute d'intérêt à recourir. Pour la période ultérieure, il convient d'entrer en matière et d'examiner si le recourant peut, comme celui-ci le soutient, prétendre aux prestations d'assurance sur la base de l'art. 6 al. 3 LAA.  
 
2.2. La procédure porte sur l'octroi ou le refus de prestations en espèces de l'assurance-accidents, de sorte que le Tribunal fédéral n'est pas lié par les faits établis par la cour cantonale (art. 105 al. 3 LTF).  
 
3.  
 
3.1. Selon l'art. 6 al. 3 LAA, l'assurance alloue ses prestations pour les lésions causées à l'assuré victime d'un accident lors du traitement médical. Le but de cette disposition est de faire porter à l'assureur-accidents le risque des mesures médicales qu'il prend en charge (IRENE HOFER, in Basler Kommentar, Unfallversicherungsgesetz, 2019, n° 111 ad art. 6 LAA). En ce qui concerne les mesures de traitement ayant causé le dommage, elles n'ont pas à remplir les caractéristiques d'un accident, d'une faute professionnelle (violation de règles de l'art) ou d'une atteinte à l'intégrité corporelle au sens pénal (ATF 128 V 169 consid. 1c). L'assureur-accidents n'est toutefois obligé de prendre en charge que les lésions qui sont dans un rapport de causalité naturelle et adéquate avec le traitement et les examens médicaux entraînés par l'accident assuré. Le lien de causalité adéquate entre les soins médicaux prodigués et les lésions en cause doit être examiné selon la règle générale du cours ordinaire des choses et de l'expérience de la vie (ATF 129 V 177 consid. 3 et 4; arrêts 8C_171/2023 du 17 janvier 2024 consid. 3.1; 8C_704/2022 du 27 septembre 2023 consid. 3.2 et les références; voir également FRÉSARD/MOSER-SZELESS, L'assurance-accidents obligatoire, in Soziale Sicherheit, SBVR, vol. XIV, 3 e éd. 2016, p. 947 s., n. 148 ss).  
 
3.2. S'agissant de la valeur probante d'une expertise judiciaire, le juge ne s'écarte en principe pas sans motifs impérieux des conclusions d'une expertise médicale judiciaire (ATF 143 V 269 consid. 6.2.3.2), la tâche de l'expert étant précisément de mettre ses connaissances spéciales à la disposition de la justice afin de l'éclairer sur les aspects médicaux d'un état de fait donné. Selon la jurisprudence, peut notamment constituer une raison de s'écarter d'une expertise judiciaire le fait que celle-ci contient des contradictions ou qu'une surexpertise ordonnée par le tribunal en infirme les conclusions de manière convaincante. En outre, lorsque d'autres spécialistes émettent des opinions contraires aptes à mettre sérieusement en doute la pertinence des déductions de l'expert, on ne peut pas exclure, selon les cas, une interprétation divergente des conclusions de ce dernier par le juge ou, au besoin, une instruction complémentaire sous la forme d'une nouvelle expertise médicale (ATF 135 V 465 consid. 4.4; 125 V 351 consid. 3b/aa).  
 
4.  
La cour cantonale a reconnu une pleine valeur probante au rapport d'expertise judiciaire du 24 février 2022 et à son complément du 21 décembre suivant. Aussi s'est-elle ralliée à l'appréciation du docteur E.________, selon laquelle le syndrome vertébral lombaire actuel n'était pas en lien de causalité avec les suites de l'intervention du 12 octobre 2018. Le recourant présentait déjà, avant l'accident du 17 janvier 2018, et selon des documents d'imagerie de 2005, des troubles dégénératifs de la colonne lombaire, sous forme d'arthrose discale en L4-L5, L5-S1, protrusion discale L4-L5 et hernie sous-ligamentaire médiane et gauche L5-S1. Au vu d'une IRM du 27 mars 2018, qui ne montrait pas de lésion traumatique visible mais les mêmes lésions déjà constatées en 2005 (hormis une très discrète augmentation de la hernie L5-S1 gauche, tout à fait compatible avec l'évolution spontanée de la lésion entre 2005 et 2018), le lien de causalité entre l'incapacité de travail, d'une part, l'accident du 17 janvier 2018 ou l'intervention du 12 octobre 2018, d'autre part, avait cessé le 12 juillet 2019, soit neuf mois après cette intervention. De même, les plaintes du recourant - sur fond de rachis dégénératif déjà constaté en 2005, pouvant créer des gênes douloureuses - ne s'expliquaient plus, ni par l'accident, ni par l'intervention en question. Dans son complément d'expertise du 21 décembre 2022, le docteur E.________ avait en outre précisé que le bombement du disque L4-L5 - d'origine dégénérative et déjà présent sur une IRM du 1 er septembre 2005 - et son contact avec la racine S1 n'avaient pas été causés par l'intervention du docteur C.________ et qu'ils n'en étaient pas non plus la conséquence, ces éléments trouvant leur explication dans l'évolution naturelle d'une affection rachidienne dégénérative.  
Dans ces circonstances, il importait peu qu'aux dires du recourant, le docteur C.________ fût parti de la prémisse erronée d'une petite hernie discale résistante au traitement conservateur depuis quelques mois. Par ailleurs, l'expert prenait clairement position en défaveur des thèses soutenues par les docteurs F.________ et G.________, spécialistes en médecine interne générale, respectivement en rhumatologie - selon lesquels une fibrose, consécutive à l'opération, était à l'origine des plaintes du recourant - en exposant qu'il ne retenait ni la fibrose péri-radiculaire ni la micro-instabilité comme un élément péjorant les douleurs et la situation fonctionnelle du recourant. Dans ces circonstances, la survenance d'une lésion qui aurait été causée lors du traitement médical n'était pas établie au degré requis de la vraisemblance prépondérante. Aussi les juges cantonaux ont-ils refusé, par appréciation anticipée des preuves, de donner suite à la demande d'audition du docteur C.________ et d'instruire plus avant les points mis en exergue par le recourant en lien avec l'intervention pratiquée le 12 octobre 2018. 
 
5.  
Le recourant soutient que l'opération du 12 octobre 2018 a provoqué des douleurs qui justifieraient le maintien des prestations d'assurance au-delà du 12 juillet 2019. Il se plaint en substance de ce que l'opération ne pouvait avoir aucun effet bénéfique compte tenu de l'atteinte dégénérative préexistante, estimant choquant que l'intimée n'ait pas à assumer les conséquences d'une opération qui d'emblée n'avait aucun potentiel de soulagement. Toujours dans l'optique de remettre en cause le bien-fondé de l'intervention, il fait valoir que le docteur C.________ ignorait l'existence depuis 13 ans d'un rachis dégénératif, de sorte qu'il avait préconisé l'intervention sur la base d'une anamnèse incomplète, l'intimée ayant oublié la partie du dossier qui documentait le rachis dégénératif (à savoir les dossiers relatifs à des accidents antérieurs). Le docteur D.________ aurait en outre indiqué qu'il n'y avait pas d'accident antérieur, informations manifestement fausses. La recommandation de procéder à l'opération se fonderait ainsi sur une connaissance partielle de la situation en violation de l'art. 43 al. 1 LPGA. Le recourant fait également valoir qu'il ne parle pas français, qu'il n'a pas osé remettre en cause l'intervention et qu'il a cédé aux relances réitérées de l'intimée, laquelle aurait pu réduire ses prestations pour défaut de collaboration. Le recourant reproche à la cour cantonale de n'avoir pas analysé ces griefs à l'aune des dispositions de la LAA et d'avoir refusé les mesures d'investigation complémentaires sollicitées, en violation de son droit d'être entendu et de l'art. 61 LPGA. Pour le reste, il serait incontesté que la fibrose est une conséquence de l'opération du 12 octobre 2018 et que les douleurs lombaires sont des complications connues de cette opération, en référence à la réponse du docteur E.________ à la question 1.6 du complément d'expertise. Il ne serait enfin pas non plus contesté que son état de santé s'était péjoré immédiatement après l'intervention. 
 
6.  
En l'occurrence, il est établi que l'opération a été préconisée dans le cadre du traitement médical pris en charge par l'intimée pour les suites de l'accident assuré. Ce qui est ici déterminant, sous l'angle de l'art. 6 al. 3 LAA, c'est de pouvoir imputer la symptomatologie douloureuse lombaire dont se plaint le recourant à l'intervention du 12 octobre 2018. Dans ce contexte, le point de savoir s'il était indiqué de pratiquer l'opération du 12 octobre 2018 n'est pas pertinent (cf. arrêt 8C_171/2023 précité consid. 6.4). En effet, que ce fût le cas ou non, l'intimée est tenue, sur le principe, de prendre en charge les lésions causées par le traitement médical de l'accident assuré. Or, la majeure partie de l'argumentation du recourant consiste à remettre en cause l'indication de l'opération, voire son propre consentement à s'y soumettre, sans discuter des (supposées) lésions causées par l'intervention. Au demeurant, son argumentation repose essentiellement sur de simples allégations, sans référence à des pièces précises, comme lorsqu'il affirme que le docteur D.________ aurait indiqué qu'il n'y avait pas eu d'accident antérieur ou lorsqu'il semble soutenir que l'intimée l'aurait poussé à s'y soumettre contre son gré. Le pouvoir d'examen élargi du Tribunal fédéral, au sens de l'art. 105 al. 3 LTF (cf. consid. 2.2 supra), ne signifie toutefois pas que le recourant peut se limiter à opposer sa version des faits et son appréciation des preuves à celles des premiers juges sans motivation circonstanciée et sans étayer ses allégations (cf. art. 42 al. 1 et 2 LTF; cf. arrêt 8C_809/2016 du 5 avril 2017 consid. 3.2.1 et 3.2.2). Quoi qu'il en soit, les premiers juges pouvaient renoncer, sans violer le droit d'être entendu du recourant ou les dispositions qu'il cite (art. 6, 10, 19 LAA et art. 61 LPGA), à toute mesure d'instruction complémentaire destinée à examiner le caractère indiqué de l'opération du 12 octobre 2018, dès lors qu'ils ont retenu que les troubles persistants au-delà du mois de juillet 2019 n'étaient pas dû à cette intervention, ni davantage à l'accident du 17 janvier 2018. 
Pour le reste, en soutenant qu'il est incontesté que l'opération a provoqué une fibrose ayant entraîné une symptomatologie douloureuse ou encore que son état de santé s'est immédiatement aggravé après l'intervention, le recourant ne convainc pas. L'expertise judiciaire a précisément été ordonnée parce que l'origine des plaintes faisait l'objet d'avis divergents (cf. ordonnance d'expertise du 15 juin 2021 p. 16). De surcroît, le docteur E.________ a conclu, au regard de l'IRM de la colonne lombaire du 11 avril 2019, que l'on se trouvait plus "en processus d'une cicatrice post-opératoire à six mois plutôt que d'une réelle fibrose péri-radiculaire qui occasionnerait un effet de masse ou de compression" et qu'en tout cas, le syndrome vertébral lombaire n'était pas en lien avec les suites de l'intervention (rapport d'expertise du 24 février 2022, réponses aux questions de la Chambres des assurances sociales, p. 3 s.). Enfin, on ne voit, dans l'argumentation du recours, aucun motif impérieux qui aurait dû conduire les juges cantonaux à s'écarter de l'expertise judiciaire. 
 
7.  
Au vu de ce qui précède, le recours, mal fondé, doit être rejeté, sans qu'il soit nécessaire d'ordonner des mesures d'instruction complémentaires. 
 
8.  
Le recourant, qui succombe, a demandé à bénéficier de l'assistance judiciaire gratuite. Une partie ne remplit les conditions de l'assistance judiciaire que si elle ne dispose pas de ressources suffisantes et si ses conclusions ne paraissent pas vouées à l'échec (art. 64 al. 1 LTF; ATF 140 V 521 consid. 9.1). Au regard des motifs avancés dans le mémoire de recours, celui-ci apparaissait d'emblée dénué de chances de succès et la requête d'assistance judiciaire doit dès lors être rejetée. Le recourant doit par conséquent payer les frais judiciaires (cf. art. 66 al. 1 LTF) et ne peut pas prétendre à la prise en charge des honoraires de son avocat. 
 
 
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :  
 
1.  
Le recours est rejeté dans la mesure où il est recevable. 
 
2.  
La demande d'assistance judiciaire est rejetée. 
 
3.  
Les frais judiciaires, arrêtés à 800 fr., sont mis à la charge du recourant. 
 
4.  
Le présent arrêt est communiqué aux parties, à la Chambre des assurances sociales de la Cour de justice de la République et canton de Genève et à l'Office fédéral de la santé publique. 
 
 
Lucerne, le 13 mars 2024 
 
Au nom de la IVe Cour de droit public 
du Tribunal fédéral suisse 
 
Le Président : Wirthlin 
 
La Greffière : Castella