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Bundesgericht 
Tribunal fédéral 
Tribunale federale 
Tribunal federal 
 
 
 
 
1C_19/2023  
 
 
Arrêt du 11 octobre 2023  
 
Ire Cour de droit public  
 
Composition 
MM. les Juges fédéraux Kneubühler, Président, 
Chaix, Haag, Müller et Merz. 
Greffière : Mme Rouiller. 
 
Participants à la procédure 
A.________, représenté par Me Raphaël Jakob, avocat, 
recourant, 
 
contre  
 
Direction générale des affaires institutionnelles et des communes du canton de Vaud (DGAIC), Autorité d'indemnisation LAVI, place du Château 1, 1014 Lausanne. 
 
Objet 
Indemnisation LAVI; demande de réparation du dommage matériel, 
 
recours contre l'arrêt de la Cour de droit administratif 
et public du Tribunal cantonal du canton de Vaud 
du 22 novembre 2022 (GE.2022.0223). 
 
 
Faits :  
 
A.  
Par jugement du 9 avril 2020, le Tribunal correctionnel de la République et canton de Genève a reconnu B.________ coupable notamment de traite d'êtres humains qualifiée. En 2016, il avait fait venir en Suisse A.________, ressortissant ukrainien, pour le faire travailler sur un chantier à Blonay (VD) avec d'autres ouvriers; il l'avait logé dans des conditions insalubres et avait systématiquement différé le versement de son salaire. Une fois le chantier terminé, B.________ avait disparu, laissant aux ouvriers une enveloppe contenant de l'argent à se partager. A.________ avait ainsi été rémunéré 970 euros pour une activité du 11 août au 3 octobre 2016, à raison de six jours par semaine, pour un total de 385 heures. Le Tribunal correctionnel a alloué à A.________ une somme de 5'000 fr. à titre de réparation morale et une somme de 13'577 fr. 15, sous déduction de 970 euros, correspondant au salaire non perçu, à titre de dommages-intérêts. 
 
B.  
Le 11 août 2020, A.________ a déposé une requête auprès de l'instance genevoise d'indemnisation LAVI, concluant à l'allocation de 5'000 fr. à titre de réparation morale et de 12'543 fr. à titre d'indemnité pour les salaires impayés. Par décision du 30 juin 2022, la Direction générale des affaires institutionnelles et des communes du canton de Vaud - Autorité d'indemnisation LAVI (DGAIC), à qui la requête avait été transmise au vu du lieu de l'infraction, lui a alloué 4'000 fr. à titre de réparation morale et a rejeté sa demande d'indemnisation pour le salaire non perçu. 
Par arrêt du 22 novembre 2022, la Cour de droit administratif et public du Tribunal cantonal vaudois (CDAP) a rejeté le recours formé contre cette décision. A.________ ne pouvait prétendre à une indemnisation correspondant à son salaire non perçu, dans la mesure où ce poste de dommage constituait un préjudice matériel/purement économique, dont l'indemnisation était expressément exclue par l'art. 19 al. 3 LAVI. Au surplus, l'art. 4 § 2 de la Convention européenne des droits de l'homme (CEDH; RS 0.101) n'instituait pas une obligation positive de l'Etat d'indemniser le préjudice matériel des victimes de traite d'êtres humains; l'art. 15 de la Convention du Conseil de l'Europe sur la lutte contre la traite des êtres humains (CETEH; RS 0.311.543) ne conférait pas non plus à A.________ un droit subjectif à l'indemnisation de son salaire impayé. 
 
C.  
Par acte du 9 janvier 2023, A.________ forme un recours en matière de droit public. Il demande principalement au Tribunal fédéral de réformer l'arrêt cantonal en ce sens qu'une indemnité de 12'543 fr. lui est octroyée. Subsidiairement, il conclut à ce que la cause soit renvoyée à l'autorité précédente pour nouvelle décision dans le sens des considérants. Il requiert aussi l'octroi de l'assistance judiciaire. 
La CDAP renonce à se déterminer et se réfère aux considérants de son arrêt. Le DGAIC conclut au rejet du recours. Consulté, l'Office fédéral de la justice renonce à formuler des observations. Le recourant renonce à formuler des observations supplémentaires. 
 
 
Considérant en droit :  
 
1.  
Dirigé contre une décision finale (art. 90 LTF) rendue en dernière instance cantonale (art. 86 al. 1 let. d et al. 2 LTF) dans une cause de droit public (art. 82 let. a LTF), le recours est en principe recevable comme recours en matière de droit public selon les art. 82 ss LTF, aucune des exceptions mentionnées à l'art. 83 LTF n'étant réalisée. Le recourant a un intérêt à obtenir l'annulation ou la modification de l'arrêt attaqué qui confirme le refus de lui accorder l'indemnisation LAVI requise (art. 89 al. 1 LTF). 
Les autres conditions de recevabilité énoncées aux art. 82 ss LTF sont remplies, de sorte qu'il y a lieu d'entrer en matière. 
 
2.  
La LAVI est entrée en vigueur le 1 er janvier 2009. Selon son art. 1 al. 1, toute personne qui a subi, du fait d'une infraction, une atteinte directe à son intégrité physique, psychique ou sexuelle (victime) a droit au soutien prévu par la LAVI. Les art. 19 ss LAVI prévoient que la victime peut demander une indemnisation pour le dommage subi. L'art. 19 LAVI, dont il est ici question, est formulé comme suit:  
Section 1 Indemnisation 
Art. 19 Droit 
1 La victime et ses proches ont droit à une indemnité pour le dommage qu'ils ont subi du fait de l'atteinte ou de la mort de la victime. 
2 Le dommage est fixé selon les art. 45 (Dommages-intérêts en cas de mort) et 46 (Dommages-intérêts en cas de lésions corporelles) du code des obligations. Les al. 3 et 4 sont réservés. 
3 Le dommage aux biens et le dommage pouvant donner lieu à des prestations d'aide immédiate et d'aide à plus long terme au sens de l'art. 13 ne sont pas pris en compte. 
4 Le préjudice lié à l'incapacité d'exercer une activité ménagère ou de prodiguer des soins aux proches, n'est pris en compte que s'il se traduit par des frais supplémentaires ou par une diminution de l'activité lucrative. 
La notion de dommage au sens de la LAVI correspond de manière générale à celle du droit de la responsabilité civile (ATF 133 II 361 consid. 4; arrêt 1C_407/2016 du 1er juin 2017 consid. 2.1.1). Il peut ainsi être renvoyé aux principes posés par les art. 46 al. 1 CO en cas de lésions corporelles (ATF 128 II 49 consid. 3.2; arrêt 1C_407/2016 du 1er juin 2017 consid. 2.1.1) et 45 CO en cas de mort; comme exposé, l'art. 19 al. 2 LAVI y fait d'ailleurs expressément référence (arrêt 1C_407/2016 du 1er juin 2017 consid. 2.1.1). Cependant, le législateur a choisi de ne pas reprendre en tous points le régime de la responsabilité civile et l'instance LAVI peut donc au besoin s'en écarter (cf. ATF 133 II 361 consid. 5.1; 129 II 312 consid. 2.3). Ainsi, toutes les prétentions résultant des dispositions sur la responsabilité civile ne fondent pas nécessairement le droit à une aide financière au sens de la législation sur l'aide aux victimes, solution par ailleurs confirmée par le fait que la LAVI ne couvre notamment pas le dommage purement patrimonial et/ou économique (cf. art. 19 al. 3 LAVI). Des solutions spécifiques sont donc possibles, même si des différences en matière de détermination du dommage ne se justifient qu'exceptionnellement (arrêts 1C_407/2016 du 1er juin 2017 consid. 2.1.1; 1C_845/2013 du 2 septembre 2014 consid. 5). Dans tous les cas, lorsqu'une des conditions des art. 41 ss CO fait défaut, une indemnisation LAVI n'entre pas en considération (ATF 133 II 361 consid. 5.1; arrêt 1C_407/2016 du 1er juin 2017 consid. 2.1.1). 
 
3.  
Le recourant reproche à la CDAP d'avoir violé l'art. 19 al. 3 LAVI en refusant de lui octroyer une indemnité correspondant au salaire qu'il aurait dû obtenir pour son travail. 
Il considère que ses prétentions, correspondant au salaire non perçu, ne tombent pas sous le coup de l'art. 19 al. 3 LAVI. Selon lui, cet article devrait être lu en lien avec l'art. 19 al. 2 LAVI, qui prévoit que le dommage est fixé selon les art. 45 CO (dommages-intérêts pour cause de mort) et 46 CO (dommages-intérêts en cas de lésions corporelles). Les restrictions qui découlent de l'art. 19 al. 3 LAVI ne concerneraient par conséquent que les cas de mort ou de lésions corporelles. Dans la mesure où l'indemnisation à laquelle le recourant prétend ne trouve pas son fondement dans les art. 45 et 46 CO, l'art. 19 al. 3 LAVI ne s'appliquerait pas au cas d'espèce et le salaire impayé devrait être indemnisé au sens de l'art. 19 al. 1 LAVI. Seule cette interprétation s'avérerait en outre conforme au droit international (cf. consid. 4 ci-dessous). 
A défaut d'une telle interprétation, le recourant estime que la LAVI, en ne prévoyant pas explicitement le droit de la victime de traite d'êtres humains d'obtenir une indemnisation du fait de cette atteinte, consacre une lacune que le juge devrait combler. 
 
3.1. La juridiction cantonale a considéré que le salaire impayé dont le recourant sollicitait l'indemnisation ne résultait pas de l'atteinte directe à son intégrité et ne se rapportait pas à des frais qu'il n'aurait pas dû engager s'il n'avait pas subi d'atteinte, tels que des frais de traitement, de défense, d'expertise, de soins ou d'assistance à domicile. Cette prétention constituait un dommage matériel et/ou purement économique, que la LAVI ne couvrait pas.  
L'autorité précédente a également estimé que l'art. 19 al. 3 LAVI excluait expressément le dommage patrimonial, de sorte qu'il n'y avait pas de lacune s'agissant de l'indemnisation du préjudice matériel et/ou économique découlant de l'exploitation de la force de travail des victimes de traite d'êtres humains. 
 
3.2. La loi s'interprète en premier lieu selon sa lettre (interprétation littérale). Lorsqu'un texte légal est clair, l'autorité qui applique le droit ne peut s'en écarter que s'il existe des motifs sérieux de penser que ce texte ne correspond pas en tous points au sens véritable de la disposition visée et conduit à des résultats que le législateur ne peut avoir voulus et qui heurtent le sentiment de la justice ou le principe de l'égalité de traitement. De tels motifs peuvent résulter des travaux préparatoires, du fondement et du but de la prescription en cause, ainsi que de sa relation avec d'autres dispositions. L'art. 190 Cst. ne fait pas obstacle à une interprétation qui irait à l'encontre du texte de la disposition légale. S'il existe de bonnes raisons d'admettre que le texte de la disposition ne reproduit pas son vrai sens - la ratio legis - il est possible de s'en écarter afin d'interpréter la disposition selon son sens véritable, surtout si celui-ci apparaît plus conforme à la Constitution (ATF 149 I 2 consid. 3.2.1; 145 II 270 consid. 4.1; 139 I 257 consid. 4.2).  
Si le texte n'est pas absolument clair, si plusieurs interprétations sont possibles, il convient de rechercher quelle est la véritable portée de la norme, en la dégageant de tous les éléments à considérer, soit notamment des travaux préparatoires (interprétation historique), du but de la règle, de son esprit, ainsi que des valeurs sur lesquelles elle repose, singulièrement de l'intérêt protégé (interprétation téléologique) ou encore de sa relation avec d'autres dispositions légales (interprétation systématique). Le Tribunal fédéral ne privilégie aucune méthode d'interprétation, mais s'inspire d'un pluralisme pragmatique pour rechercher le sens véritable de la norme; il ne se fonde sur la compréhension littérale du texte que s'il en découle sans ambiguïté une solution matériellement juste (ATF 149 IV 9 consid. 6.3.2.1; 147 IV 385 consid. 2.1). 
 
3.3. Il n'est pas contesté, avec raison, qu'une victime de traite d'êtres humains puisse, par le biais de prétentions civiles, requérir la réparation par l'auteur d'un dommage économique correspondant aux salaires non perçus; l'infraction de traite d'êtres humains à des fins d'exploitation du travail entraîne en effet une atteinte non seulement à la liberté des victimes, mais également à leurs droits patrimoniaux dans la mesure où les prestations de travail d'un employé ont une valeur économique (cf. Nadia Meriboute/Fabio Burgener, Prétentions civiles des victimes de traite d'êtres humains à des fins d'exploitation du travail, forumpoenale 3/2021, p. 210). En l'occurrence, la question qui se pose est celle de savoir si, lorsqu'elle ne peut se tourner vers l'auteur de l'infraction, la victime de traite d'êtres humains peut obtenir de l'Etat, à titre subsidiaire, une indemnisation pour les salaires impayés.  
 
3.4. L'art. 19 al. 3 LAVI prévoit que le dommage aux biens n'est pas indemnisé dans le cadre de la LAVI (cf. arrêt 1C_407/2016 du 1er juin 2017 consid. 2.1.1). Le texte légal, qui paraît clair, semble également correspondre à la volonté du législateur d'exclure l'indemnisation par la LAVI des dommages matériel et économique.  
En effet, l'art. 19 al. 3 LAVI n'a pas donné lieu, lors de son adoption, à des discussions particulières dans le cadre des débats parlementaires, au cours desquels il a par ailleurs été mentionné qu'une indemnisation pour les dommages matériels n'était pas prévue (BO 2006 CN 1096). Au surplus, le Message relatif à la révision totale de la LAVI rappelle le principe de subsidiarité de l'aide aux victimes, qui est conçue comme un geste de solidarité de la collectivité; son fondement n'est par conséquent pas comparable à celui d'une créance issue d'une responsabilité civile et l'Etat n'a pas à couvrir l'entier du préjudice subi (Message du 9 novembre 2005 concernant la révision totale de la loi fédérale sur l'aide aux victimes d'infractions, FF 2005 6683, [ci-après: le Message] 6701 s., ch. 1.2.2). Le Message précise ainsi que, selon l'art. 19 al. 3 LAVI, il n'y a pas lieu de prendre en considération les dommages aux biens ( Sachschaden; danni materiali); l'indemnisation ne vise à couvrir que le dommage subi du fait de l'atteinte ( Beeinträchtigung; lesione) ou de la mort de la victime (Message, 6736, ch. 2.3.1 ad art. 19).  
Au surplus, le Rapport explicatif de la Commission d'experts pour la révision de la LAVI du 25 juin 2002 estime que la seule référence aux art. 45 et 46 CO permet déjà d'exclure une indemnisation pour les dommages matériels et patrimoniaux (Commission d'experts pour la révision de la loi fédérale sur l'aide aux victimes, Projet de révision totale de la loi fédérale sur l'aide aux victimes d'infractions (LAVI) - Rapport explicatif, 2002, p. 36). En lien avec l'art. 19 LAVI, la Conférence suisse des offices de liaison de la loi fédérale sur l'aide aux victimes d'infractions (CSOL-LAVI) précise que "[s]euls les dommages en relation avec des atteintes à l'intégrité corporelle, psychique ou sexuelle sont indemnisés dans le cadre de l'aide aux victimes. Autrement dit, il s'agit de dommages chez la personne (cf. art. 19 al. 1 et 2 LAVI). Les dommages matériels ne sont pas pris en compte, comme le prévoit expressément l'art. 19 al. 3 LAVI" (Recommandations de la CSOL-LAVI relatives à la LAVI révisée, 2010, p. 36, ch. 4.5.1). 
De manière analogue, la majorité de la doctrine estime que l'art. 19 al. 3 LAVI exclut clairement la prise en charge des dommages patrimoniaux dans le cadre de l'indemnisation LAVI (Stéphanie Converset, Aide aux victimes d'infractions et réparation du dommage, 2009, p. 200; Meriboute/Burgener, op. cit., p. 212; Jean-Luc Schwaar, La nouvelle loi sur l'aide aux victimes d'infraction - Nouveautés en matière d'indemnisation, in Das revidierte Opferhilfegesetz/La nouvelle loi fédérale sur l'aide aux victimes d'infractions (ci-après: La nouvelle LAVI), 2009, p. 88; Eva Weishaupt, Finanzielle Leistungen gemäss Opferhilfegesetz, in La nouvelle LAVI, 2009, p. 67). Dans le commentaire de la LAVI, Peter Gomm propose une légère nuance: se référant au texte allemand de la loi, il considère que l'art. 19 al. 3 LAVI ne concerne que les dommages matériels, à l'exclusion des dommages patrimoniaux; l'indemnisation d'un dommage patrimonial ne tomberait ainsi pas sous le coup de l'art. 19 al. 3 LAVI et devrait suivre les règles du droit civil auxquelles renvoie l'art. 19 al. 2 LAVI (Peter Gomm, in Kommentar zum Opferhilferecht, 2020, n° 16 ad art. 19 LAVI) et à l'aune desquelles le Tribunal fédéral a, sous l'ancien droit, laissé ouverte la question de savoir si ce type de dommage devait être pris en charge (cf. arrêt 1A.168/2002 du 14 janvier 2003 consid. 2.5.1 et références; Stéphanie Converset, op. cit., p. 200). 
Au vu de ce qui précède, les éléments soulevés par le recourant ne sont pas suffisants pour s'écarter d'une interprétation littérale de l'art. 19 al. 3 LAVI. La situation que le recourant déplore ne saurait par conséquent être corrigée par la voie de l'interprétation. De même, il ne peut être conclu à l'existence d'une lacune proprement dite, qui devrait être comblée par le juge. 
Partant, le grief de violation de l'art. 19 al. 3 LAVI doit être rejeté. 
 
4.  
Il y a toutefois encore lieu d'examiner si le refus d'indemnisation respecte le droit international. Le recourant soutient à cet égard que l'application faite de l'art. 19 al. 3 LAVI serait contraire aux obligations de la Suisse découlant de l'art. 4 § 2 CEDH et de l'art. 15 de la Convention du Conseil de l'Europe sur la lutte contre la traite des êtres humains entrée en vigueur en Suisse le 1 er avril 2013 (CETEH; RS 0.311.543).  
 
4.1. L'art. 15 al. 3 CETEH dispose qu'un droit des victimes à être indemnisées par les auteurs d'infractions doit être prévu par les parties dans leur droit interne. L'al. 4 du même article prévoit que chaque partie adopte les mesures législatives ou autres nécessaires pour faire en sorte que l'indemnisation soit garantie, dans les conditions prévues dans son droit interne, par exemple par l'établissement d'un fonds pour l'indemnisation des victimes ou d'autres mesures ou programmes destinés à l'assistance et l'intégration sociales des victimes qui pourraient être financés par les avoirs provenant de l'application des mesures prévues à l'art. 23 CETEH. Il n'est pas contesté que l'art. 15 CETEH n'est pas directement applicable ( self-executing; cf. mémoire de recours, p. 6).  
Selon le Rapport explicatif de la CETEH, le concept d'indemnisation vise la réparation pécuniaire du préjudice subi, qui recoupe à la fois le préjudice matériel et le préjudice moral dû à la souffrance subie (Conseil de l'Europe, Rapport explicatif de la Convention du Conseil de l'Europe sur la lutte contre la traite des êtres humains, 2005, n° 197). A titre d'exemple de préjudice matériel, ce rapport mentionne le coût des soins médicaux, mais ne spécifie rien en lien avec des arriérés de salaire (Conseil de l'Europe, Rapport explicatif de la Convention du Conseil de l'Europe sur la lutte contre la traite des êtres humains, 2005, n° 197; cf. aussi Barbara Linder, Article 15 - Compensation and legal redress, in A Commentary on the Council of Europe Convention on Action against Trafficking in Human Beings, 2020, n° 15.10). 
Dans le cadre du deuxième cycle d'évaluation de la mise en oeuvre de la CETEH, entamé en 2018, le Groupe d'experts sur la lutte contre la traite d'êtres humains (GRETA) du Conseil de l'Europe, qui procède à une évaluation de la mise en oeuvre de la CETEH dans les Etats parties, ne semble pas avoir relevé de problème en lien avec l'indemnisation des salaires non perçus par les victimes de traite d'êtres humains (GRETA, Rapport concernant la mise en oeuvre de la CETEH par la Suisse - Deuxième cycle d'évaluation, 2019, n° 201). Le GRETA paraît néanmoins avoir identifié cette problématique dans le cadre du troisième cycle d'évaluation, entamé en 2023; le questionnaire soumis à la Suisse comporte en effet plusieurs aspects en lien avec le recouvrement des salaires non versés à des victimes de traite d'êtres humains. En réponse à ces questions, la Suisse renvoie majoritairement à l'art. 19 LAVI et aux règles de calcul du dommage issues du droit civil (GRETA, Questionnaire pour l'évaluation de la mise en oeuvre de la CETEH - Troisième cycle d'évaluation, 2023, ch. 3.5 et 4). 
 
4.2. L'art. 4 § 2 CEDH, qui, contrairement à l'art. 15 CETEH, est directement applicable (ATF 145 I 308 consid. 3.4.3; arrêt 2C_334/2022 du 24 novembre 2022 consid. 2.1.1), prévoit que nul ne peut être astreint à accomplir un travail forcé ou obligatoire. Même si elle n'y est pas expressément mentionnée, la traite d'êtres humains relève également de cet article (arrêt de la CourEDH Rantsev contre Chypre et Russie du 7 janvier 2010, § 273 ss et références; ATF 145 I 308 consid. 3.4.3).  
L'art. 4 CEDH entraine différentes obligations positives pour les Etats, notamment celles de mettre en place un cadre juridique et règlementaire approprié pour réprimer les actes visés par l'art. 4 CEDH et d'instaurer des mesures de prévention et de protection des victimes. Ils doivent également garantir l'effectivité de l'enquête et de la procédure judiciaire (arrêts de la CourEDH S.M. contre Croatie du 25 juin 2020, § 306; Chowdury contre Grèce du 30 mars 2017, § 103 ss; Nula Frei, Identifizieren, Schützen, Unterstützen: Neue Rechtsprechung des EMGR zum Opferschutz bei Menschenhandel, Asyl 3/17, p. 15). Ces obligations positives doivent être interprétées à la lumière de la CETEH (ATF 145 I 308 consid. 3.4.3; arrêts précités de la CourEDH Chowdury, § 104; Rantsev, § 274 et 285; Meriboute/Burgener, op. cit., p. 208; Frei, op. cit., p. 21).  
Dans l'arrêt Chowdury précité, la CourEDH a examiné, au regard de l'art. 4 CEDH, la situation de travailleurs recrutés comme main d'oeuvre agricole en Grèce. Elle a jugé que la Grèce avait failli à certaines des obligations positives découlant de l'art. 4 § 2 CEDH, en particulier à l'obligation d'instaurer des mesures de prévention et de protection des victimes de traite (arrêt Chowdury, § 115), ainsi qu'à l'obligation de mener une enquête et une procédure effectives (arrêt Chowdury, § 122 et 127). La CourEDH a reconnu qu'un préjudice matériel, correspondant aux salaires non perçus, découlait de cette violation. Elle a par conséquent octroyé une indemnité correspondante aux requérants sur la base de l'art. 41 CEDH (arrêt Chowdury, § 134). Dans ce cadre, la CourEDH a balayé l'argument de la Grèce qui considérait que le montant des salaires impayés n'avait pas de lien de causalité avec la violation de l'art. 4 CEDH (arrêt Chowdury, § 132).  
Depuis cet arrêt, certains auteurs, sur lesquels se fonde le recourant, considèrent que la Suisse a l'obligation, au sens de l'art. 4 § 2 CEDH interprété à la lumière de l'art. 15 al. 4 CETEH, de mettre en place un système d'indemnisation des victimes de traite qui permette la réparation du dommage correspondant au salaire impayé principalement par les auteurs d'infraction, mais également, de manière subsidiaire, par l'Etat (Meriboute/Burgener, op. cit., p. 208). Ils suggèrent deux solutions alternatives pour s'assurer que les victimes de traite d'êtres humains puissent bénéficier d'une indemnisation subsidiaire par l'Etat du dommage correspondant aux salaires impayés: une modification de la LAVI afin d'y intégrer un régime spécifique pour les victimes de traite d'êtres humains ou la création d'un fonds spécial en dehors de la LAVI (Meriboute/Burgener, op. cit., p. 212). 
 
4.3. Avec la cour cantonale, il convient de retenir que, dans l'arrêt de la CourEDH Chowdury, la violation de l'art. 4 CEDH ne découlait pas de l'absence d'indemnisation pour le préjudice matériel, mais de la violation de la Grèce de ses obligations de prendre des mesures pour protéger les victimes de traite et d'assurer une enquête et une procédure effectives. Il ne ressort ainsi pas de la jurisprudence de la CourEDH que l'art. 4 CEDH, même interprété à la lumière de l'art. 15 CETEH, prévoie une obligation positive d'instaurer un mécanisme d'indemnisation subsidiaire par l'Etat des victimes de traite d'êtres humains à hauteur des salaires qu'elles n'auraient pas perçus. Par ailleurs, il n'est pas contesté en l'espèce que le recourant a bénéficié d'une enquête et d'une procédure effectives et qu'il a obtenu une indemnisation pour tort moral.  
Au surplus, le recourant ne peut, en l'état, rien tirer de l'art. 15 al. 4 CETEH. En effet, même si cet article impose l'adoption des mesures nécessaires pour assurer l'indemnisation du préjudice matériel des victimes, il ne ressort ni du texte de la disposition, ni du Rapport explicatif y relatif que le préjudice matériel visé irait au-delà des dommages déjà pris en charge par la LAVI. Celle-ci prévoit en effet que le dommage en cas de lésions corporelles est indemnisé selon les règles du droit civil (art. 19 al. 2 LAVI); à ce titre, les frais médicaux et des dommages-intérêts résultant d'une incapacité de travail et/ou d'une atteinte à l'avenir économique de la victime peuvent lui être remboursés. Cela étant, la législation suisse paraît en l'état conforme aux exigences de la CETEH, dont le Rapport explicatif cite, comme seul exemple de préjudice matériel devant être indemnisé, les frais médicaux résultant de l'atteinte. Néanmoins, si le GRETA semble vouloir examiner la question de l'indemnisation des salaires non perçus par les victimes de traite (cf. consid. 4.1 ci-dessus), le Rapport d'évaluation relatif au troisième cycle d'évaluation pourrait apporter certaines clarifications relatives à la notion de préjudice matériel visé par l'art. 15 al. 4 CETEH, qui pourraient conduire, le cas échéant, le législateur suisse à se pencher sur la question. 
 
4.4. Partant, et sans minimiser le tort subi par le recourant, le grief de violation du droit international est mal fondé et doit être rejeté.  
 
5.  
Il résulte de ce qui précède que le recours doit être rejeté. Le recourant a demandé l'assistance judiciaire et les conditions d'octroi en paraissent réunies, dès lors que le recours n'était pas d'emblée dénué de chances de succès (art. 64 al. 1 LTF). Il y a lieu de désigner Me Raphaël Jakob en qualité d'avocat d'office et de fixer ses honoraires, qui seront supportés par la Caisse du Tribunal fédéral (art. 64 al. 2 LTF). Il n'est pas perçu de frais judiciaires (art. 30 al. 1 LAVI). 
 
 
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :  
 
1.  
Le recours est rejeté. 
 
2.  
La demande d'assistance judiciaire est admise. Me Raphaël Jakob est désigné comme avocat d'office et ses honoraires, supportés par la caisse du Tribunal fédéral, sont fixés à 2'000 fr. 
 
3.  
Il n'est pas perçu de frais judiciaires. 
 
4.  
Le présent arrêt est communiqué au mandataire du recourant, à l'Office fédéral de la justice, ainsi qu'à la Direction générale des affaires institutionnelles et des communes (DGAIC) et à la Cour de droit administratif et public du Tribunal cantonal du canton de Vaud. 
 
 
Lausanne, le 11 octobre 2023 
 
Au nom de la Ire Cour de droit public 
du Tribunal fédéral suisse 
 
Le Président : Kneubühler 
 
La Greffière : Rouiller