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Bundesgericht 
Tribunal fédéral 
Tribunale federale 
Tribunal federal 
 
 
 
 
2C_575/2020  
 
 
Arrêt du 30 mai 2022  
 
IIe Cour de droit public  
 
Composition 
Mmes et MM. les Juges fédéraux Aubry Girardin, Présidente, Donzallaz, Hänni, Hartmann et Ryter. 
Greffière : Mme Kleber. 
 
Participants à la procédure 
Uber Switzerland GmbH, 
représentée par Me Rayan Houdrouge, avocat, 
recourante, 
 
contre  
 
Office cantonal de l'emploi du canton de Genève, 
Service juridique, 
rue des Gares 16, 1201 Genève, 
représenté par Me François Membrez, avocat. 
 
Objet 
Location de services, 
 
recours contre l'arrêt de la Cour de justice du canton de Genève, Chambre administrative, du 29 mai 2020 (ATA/535/2020). 
 
 
Faits :  
 
A.  
 
A.a. La société à responsabilité limitée Uber Switzerland GmbH (ci-après: Uber CH), inscrite depuis le 27 mars 2013 au Registre du commerce du canton de Zurich et de siège à Zurich, est une des sociétés du groupe Uber, dont la société mère est Uber Technologies Inc., sise à San Francisco aux Etats-Unis. Uber CH est entièrement détenue par Uber International Holding B.V., dont le siège est à Amsterdam aux Pays-Bas et qui en est également l'associée sans pouvoir de signature. Uber CH a notamment pour but statutaire de fournir des services de marketing et de soutien à d'autres entreprises (apparentées) en relation avec des services liés aux services de transport à la demande et aux services de livraison à la demande par le biais d'appareils mobiles et de services de soutien sur internet et de services connexes (a), ainsi que de fournir des services de diffuseurs de courses (c). Elle peut, pour ce faire, établir des succursales en Suisse et à l'étranger.  
 
A.b. Uber Portier B.V. (ci-après: Uber Portier), de siège à Amsterdam, est une autre société du groupe Uber, dont l'unique actionnaire est Uber International B.V., également de siège à Amsterdam. Selon l'extrait du registre du commerce néerlandais, Uber Portier est active dans la détention de participations financières en tant que holding et dans d'autres activités liées aux technologies de l'information et aux services informatiques.  
 
A.c. Le groupe Uber dispose de locaux à Genève, sis à la route de Saint Julien à Carouge. La plaque d'accueil mentionne Uber et la boîte aux lettres indique Uber Switzerland GmbH.  
 
A.d. Uber Eats (ci-après également: l'application ou la plateforme) est une des plateformes numériques développée par le groupe Uber. Elle propose un service de livraison de plats à domicile. Uber Portier détient les droits sur cette application.  
D'après les explications de deux représentants d'Uber CH, toute personne qui le désirait pouvait s'inscrire sur la plateforme pour devenir livreur, moyennant le téléchargement de l'application, la réponse à un questionnaire et la production d'une pièce d'identité, une photographie et, le cas échéant, un permis de conduire. Une fois connecté à la plateforme, le livreur était géolocalisé et mis en relation avec un restaurateur à proximité sollicitant la livraison de ses plats à des clients finaux. Si le livreur acceptait la demande de livraison, son identité était communiquée au restaurateur, afin que celui-ci puisse lui remettre la commande du client. Les paiements (frais de livraison et frais de service) se faisaient uniquement par voie électronique et il n'était pas possible pour les livreurs de percevoir une rémunération différente. 
 
B.  
 
B.a. Entre fin 2018 et début 2019, des rencontres ont eu lieu entre des représentants du groupe Uber et l'Office cantonal de l'emploi du canton de Genève (ci-après: l'Office cantonal), afin de déterminer si les activités déployées à Genève au moyen de l'application Uber Eats relevaient de la location de services, soumise à autorisation.  
Les représentants du groupe Uber ont remis différents documents à l'Office cantonal, à savoir: 
 
- le "contrat de services technologiques" (CST), qui lie Uber Portier à une personne physique, lui permettant d'exécuter des demandes de livraison provenant d'un utilisateur autorisé par la plateforme, à savoir un restaurateur. Ce contrat règle l'activité des livreurs; 
- une "lettre de contrat-cadre directeur Uber Eats" (contrat-cadre), complétée par un "Addenda Marketplace", qui lie Uber Portier et un restaurateur concernant la plateforme mise à disposition par Uber Portier ou ses sociétés affiliées pour demander des services de livraison; 
- les "conditions générales d'utilisation" (CGU), qui est un contrat conclu entre Uber CH et les livreurs et qui porte sur le matériel publicitaire de la marque (outils équipés d'autocollants amovibles à l'effigie des marques Uber). Par ce contrat, le livreur s'engage à promouvoir la marque Uber Eats lors de la réalisation de services de livraison; 
- les "conditions générales d'Uber", comportant d'une part les "conditions liées au diffuseur de courses à Genève" (CDC), selon lesquelles, pour les besoins de son activité, le groupe Uber avait recours à Uber CH en tant que diffuseur de courses, au sens de la loi applicable, pour le canton de Genève et, d'autre part, les "conditions générales" (CG), qui est un document à l'attention des consommateurs. Ces documents concernent l'activité de la plateforme Uber pour le transport de passagers. 
 
B.b. Par courrier du 21 mars 2019, l'Office cantonal a informé la société Uber CH que les activités déployées par le biais de la plateforme Uber Eats relevaient de la location de services soumise à autorisation. Le bureau de Carouge devait obligatoirement être érigé en succursale.  
Uber CH a contesté la teneur de ce courrier. Elle a notamment fait valoir qu'elle n'était pas partie aux relations contractuelles avec les restaurateurs et les livreurs, qui étaient liés uniquement à Uber Portier. 
 
B.c. Par décision du 11 juin 2019, déclarée exécutoire nonobstant recours, l'Office cantonal, considérant que l'activité d'Uber CH, mettant des livreurs à disposition de restaurateurs, devait être qualifiée de location de services au sens de l'art. 12 de la loi fédérale du 6 octobre 1989 sur le service de l'emploi et la location de services (loi sur le service de l'emploi, LSE; RS 823.11), a enjoint à Uber CH d'inscrire sa succursale de Genève au Registre du commerce de Genève et a assujetti cette succursale à la loi sur le service de l'emploi en application des art. 12 et 13 LSE, ainsi que 26 à 29 de l'ordonnance du 16 janvier 1991 sur le service de l'emploi et la location de services (Ordonnance sur le service de l'emploi, OSE; RS 823.111), dans le cadre de ses activités de livraison de repas à domicile au moyen de la plateforme Uber Eats. L'Office cantonal a en outre imparti à Uber CH un délai de 30 jours pour lui faire parvenir un dossier complet de demande d'autorisation, faute de quoi les peines prévues par la loi seraient prononcées et la cessation des activités de la plateforme Uber Eats ordonnée.  
 
B.d. Uber CH a formé un recours auprès de la Chambre administrative de la Cour de justice du canton de Genève (ci-après: la Cour de justice) contre la décision du 11 juin 2019, que la Cour de justice a rejeté par arrêt du 29 mai 2020.  
 
C.  
Contre l'arrêt du 29 mai 2020, Uber CH forme un recours en matière de droit public au Tribunal fédéral. Elle conclut, sous suite de frais et dépens, à l'annulation de l'arrêt querellé et, en tant que de besoin, à l'annulation de la décision du 11 juin 2019. Principalement, elle conclut également à l'octroi d'une indemnité de dépens pour la procédure cantonale, à ce qu'il soit dit qu'Uber CH n'a pas de rapport contractuel avec les coursiers inscrits sur l'application Uber Eats en vue de leur utilisation de ladite application et qu'elle n'est pas soumise à la LSE pour son activité relative à l'application Uber Eats, ainsi qu'à sa libération de toute injonction d'inscrire une succursale auprès du registre du commerce du canton de Genève et de déposer une demande de pratiquer la location de services auprès de l'Office cantonal. Subsidiairement, elle conclut au renvoi de la cause à l'Office cantonal ou à la Cour de justice pour nouvelle décision dans le sens des considérants. Plus subsidiairement, elle conclut au renvoi de la cause à l'Office cantonal pour instruction complémentaire. 
Uber CH a en outre sollicité l'octroi de l'effet suspensif. L'Office cantonal a conclu au rejet de cette requête. Au fond, il s'en est rapporté à justice quant à la recevabilité du recours et a conclu au rejet de celui-ci dans la mesure où il était recevable, sous suite de frais. La Cour de justice s'en est rapportée à justice quant à la requête d'effet suspensif. Au fond, elle a indiqué n'avoir aucune observation à formuler au sujet du recours, s'en rapporter à justice quant à la recevabilité de celui-ci et persister dans les considérants et le dispositif de son arrêt. 
Par ordonnance du 28 juillet 2020, le Président de la IIe Cour de droit public du Tribunal fédéral a rejeté la requête d'effet suspensif. 
Invité à se déterminer, le Secrétariat d'Etat à l'économie (SECO) a renoncé à se prononcer sur le recours et a renvoyé à l'arrêt attaqué. 
Uber CH a répliqué, en maintenant ses conclusions. L'Office cantonal a dupliqué. Uber CH a déposé d'ultimes observations, en persistant dans ses conclusions. 
 
 
Considérant en droit :  
 
1.  
 
1.1. L'arrêt attaqué est une décision finale (art. 90 LTF), rendue par une autorité judiciaire cantonale supérieure de dernière instance (cf. art. 86 al. 1 let. d et al. 2 LTF) dans une cause de droit public (cf. art. 82 let. a LTF) pour laquelle aucune des exceptions prévues à l'art. 83 LTF n'entre en ligne de compte. La voie du recours en matière de droit public est partant en principe ouverte (cf. aussi art. 38 let. c LSE). Le recours a été formé en temps utile (art. 100 al. 1 LTF) et dans les formes prescrites (art. 42 LTF), par la recourante, destinataire de l'arrêt attaqué qui a un intérêt digne de protection à son annulation ou à sa modification de sorte qu'elle a la qualité pour recourir (art. 89 al. 1 LTF). Il est donc en principe recevable et il convient d'entrer en matière, sous la réserve qui suit.  
 
1.2. Selon un principe général de procédure, les conclusions en constatation de droit ne sont recevables que lorsque des conclusions condamnatoires ou formatrices sont exclues. Sauf situations particulières, les conclusions constatatoires ont donc un caractère subsidiaire (cf. ATF 141 II 113 consid. 1.7; 135 I 119 consid. 4; arrêt 2C_387/2020 du 23 novembre 2020 consid. 1.2).  
En tant que la recourante conclut à ce qu'il soit dit qu'elle n'a pas de rapport contractuel avec les livreurs et qu'elle n'est pas soumise à la loi sur la location de services, elle formule des conclusions en constatation irrecevables. Ces conclusions, qui relèvent de la motivation juridique, n'ont pas de portée propre. 
 
2.  
La recourante a produit à l'appui de son recours des pièces nouvelles consistant en des statistiques et exemples relatifs aux indications que donnent les restaurateurs aux livreurs (nommées "directives raisonnables" dans le contrat cadre). 
 
2.1. En vertu de l'art. 99 al. 1 LTF, aucun fait nouveau ni preuve nouvelle ne peut être présenté à moins de résulter de la décision de l'autorité précédente. Cette exception vise les faits qui sont rendus pertinents pour la première fois par la décision attaquée; peuvent en particulier être allégués des faits nouveaux concernant le déroulement de la procédure devant l'instance précédente, afin d'en contester la régularité, ou encore des faits postérieurs à l'arrêt attaqué permettant d'établir la recevabilité du recours. En dehors de ces cas, les nova ne sont pas admissibles, qu'il s'agisse de faits ou moyens de preuve survenus postérieurement à la décision attaquée ou d'éléments que les parties ont négligé de présenter aux autorités cantonales (ATF 143 V 19 consid. 1.2; 139 III 120 consid. 3.1.2; 136 III 123 consid. 4.4.3).  
 
2.2. En l'occurrence, les pièces déposées avec le recours auraient pu être produites devant la Cour de justice si la recourante estimait ces éléments pertinents. Il ne s'agit pas de pièces nouvelles admissibles, contrairement à ce que prétend celle-ci.  
 
3.  
 
3.1. D'après l'art. 106 al. 1 LTF, le Tribunal fédéral applique le droit d'office. Toutefois, et conformément à l'art. 106 al. 2 LTF, il n'examine la violation de droits fondamentaux ainsi que celle de dispositions de droit cantonal et intercantonal que si ce grief a été invoqué et motivé par la partie recourante, c'est-à-dire s'il a été expressément soulevé et motivé de façon claire et détaillée (ATF 146 IV 114 consid. 2.1; 143 IV 500 consid. 1.1; 142 III 364 consid. 2.4). Sauf exceptions non pertinentes en l'espèce (cf. art. 95 let. c, d et e LTF), on ne peut invoquer la violation du droit cantonal en tant que telle devant le Tribunal fédéral. Il est néanmoins possible de faire valoir que son application consacre une violation du droit fédéral, comme l'interdiction de l'arbitraire (art. 9 Cst.) ou la garantie d'autres droits constitutionnels (ATF 145 I 108 consid. 4.4.1; 142 III 153 consid. 2.5; 140 III 385 consid. 2.3). La partie recourante doit formuler de tels griefs de manière conforme aux exigences de l'art. 106 al. 2 LTF (ATF 143 I 321 consid. 6.1; II 283 consid. 1.2.2; 139 I 229 consid. 2.2).  
 
3.2. Parmi les nombreux griefs énoncés, la recourante se plaint notamment d'une violation de l'art. 19 de la loi cantonale genevoise du 12 septembre 1985 sur la procédure administrative (LPA; rsGE E 5 10), qui consacre la maxime inquisitoire, ainsi que de l'art. 42 LPA, relatif au droit des parties de participer à l'audition des témoins.  
Ces critiques n'ont pas à être traitées. En effet, la recourante se contente d'affirmer que la Cour de justice n'a pas suffisamment instruit la cause, sans expliquer en quoi les précédents juges auraient appliqué de manière arbitraire ou contraire à un autre droit fondamental l'art. 19 LPA ou l'art. 42 al. 1 ou 4 LPA. En tout état, la Cour de céans relève que la Cour de justice s'est fondée sur les contrats liant les différentes parties et produits par la recourante pour déterminer si l'Office cantonal avait retenu à juste titre une situation de location de services. On ne voit pas que cette manière de faire soit arbitraire ou traduise un manquement insoutenable à l'établissement des faits. Il est par ailleurs relevé que la recourante n'indique pas avoir sollicité d'autres mesures d'instruction. 
 
4.  
Le litige porte sur la confirmation par la Cour de justice de la décision de l'Office cantonal enjoignant à la recourante d'inscrire sa succursale de Genève au Registre du commerce de Genève et l'assujettissant à la LSE dans le cadre de ses activités de livraison de repas à domicile au moyen de la plateforme Uber Eats. 
 
4.1. Dans son arrêt, la Cour de justice a tout d'abord retenu que la recourante devait être considérée comme partie aux relations contractuelles avec les livreurs et les restaurateurs, même si les contrats principaux respectifs étaient conclus avec Uber Portier. Elle a ensuite considéré que la relation contractuelle entre la recourante et les livreurs devait être qualifiée de relation de travail, compte tenu du rapport de subordination existant, et celle entre la recourante et les restaurateurs de location de services. Une autorisation était partant nécessaire. Selon la Cour de justice, le bureau à Genève de la recourante, sis dans un autre canton que celui du siège principal (Zurich), constituait non pas une simple adresse postale, mais une section d'établissement devant être transformée en succursale pour satisfaire aux exigences de l'art. 12 LSE. L'Office cantonal était compétent pour ordonner à la recourante de procéder à l'inscription de cette succursale au Registre du commerce genevois.  
 
4.2. La recourante fait valoir, au fond, que la société Uber Portier serait seule partie aux contrats avec les livreurs et les restaurateurs, de sorte qu'elle-même ne pourrait être soumise à aucune obligation en lien avec ces contrats. Pour ce motif déjà, l'arrêt entrepris devrait être annulé. Par ailleurs, la recourante dénonce une violation de l'art. 12 LSE. Elle conteste toute relation de subordination entre Uber Eats et les livreurs et nie que les conditions d'une location de services soient réalisées.  
 
4.3. L'Office cantonal soutient que la Cour de justice a retenu à juste titre que le co-contractant réel des livreurs et restaurateurs était Uber CH. Il estime que c'est également à bon droit que la Cour de justice a retenu une relation de subordination entre Uber et les livreurs, ainsi qu'une situation de location de services entre Uber et les restaurateurs.  
 
4.4. La résolution du litige suppose en premier de se demander si les conditions d'une location de services sont remplies. En effet, si tel n'est pas le cas, les obligations imposées à Uber CH par les autorités genevoises en application de la législation sur la location de services sont infondées et le recours doit être admis pour ce motif déjà, sans qu'il y ait lieu d'examiner le point de savoir avec qui, de Uber CH, de Uber Portier, voire d'une autre entité du groupe les livreurs sont contractuellement liés et, partant, les griefs formulés par la recourante à cet égard.  
Pour examiner si l'on se trouve dans une situation de location de services, il sera fait référence à Uber sans autre précision quant à l'entité du groupe visée. 
 
5.  
Le régime de la LSE en lien avec la location de services se présente comme suit. 
 
5.1. La LSE régit la location de services (art. 1 let. a LSE), mais ne définit pas cette notion. La location de services désigne des relations tripartites entre un employeur (bailleur), une entreprise locataire et un travailleur (arrêts 2C_470/2020 du 22 décembre 2021 consid. 3.3.2, destiné à la publication; 2C_132/2018 du 2 novembre 2018 consid. 4.3.2; cf. message concernant la révision de la loi fédérale sur le service de l'emploi et la location de services, FF 1985 III 524 p. 533 s.). La location de services implique ainsi deux contrats: d'une part un contrat de travail au sens des art. 319 ss CO entre le bailleur de services et le travailleur (cf. art. 19 LSE; ATF 145 III 63 consid. 2.2.1; 119 V 357 consid. 2a) et, d'autre part, un contrat de location de services entre le bailleur et le locataire de services (cf. art. 22 LSE; ATF 137 V 114 consid. 4.2.1; ROMAIN FÉLIX, Location de services versus autres contrats de prestations: critères de distinction, in RÉMY WYLER [éd.], Panorama III en droit du travail, 2017, p. 779 ss, p. 782; FABIAN LOOSER, Der Personalverleih, thèse 2015, p. 116 n. 350, 118 n. 355). L'existence d'un contrat de travail est ainsi une condition préalable à toute situation de location de services au sens de la LSE.  
 
5.2. La LSE impose des exigences spécifiques aux bailleurs de services. Elle les soumet à un régime d'autorisation obligatoire (art. 12 ss LSE), les astreint à fournir des sûretés (art. 14 LSE) et leur impose une obligation de renseigner (art. 17 LSE). La publication d'offres d'emploi (art. 18 LSE), la forme et le contenu du contrat de travail conclu entre le bailleur de services et le travailleur (art. 19 LSE), ainsi que ceux du contrat de location de services entre le bailleur et l'entreprise locataire (art. 22 LSE) sont en outre réglementés strictement (ATF 120 Ia 89 consid. 2c).  
 
5.3. En ce qui concerne les autorisations plus particulièrement, l'art. 12 al. 1 LSE prévoit que les employeurs (bailleurs de services) qui font commerce de céder à des tiers (entreprises locataires de services) les services de travailleurs doivent avoir obtenu une autorisation de l'office cantonal du travail. D'après l'art. 12 al. 2 LSE, outre l'autorisation cantonale, une autorisation du SECO est nécessaire pour louer les services de travailleurs vers l'étranger. La location en Suisse de services de personnel recruté à l'étranger n'est pas autorisée. Aux termes de l'art. 12 al. 3 LSE, si une succursale n'a pas son siège dans le même canton que la maison mère, elle doit avoir obtenu une autorisation; si elle est établie dans le même canton que la maison mère, elle doit être déclarée à l'office cantonal du travail.  
Dans le canton de Genève, l'Office cantonal de l'emploi est l'autorité compétente pour l'application de la LSE (art. 2 de la loi cantonale genevoise du 18 septembre 1992 sur le service de l'emploi et la location de services [LSELS; rsGE J 2 05]; art. 1 du règlement d'exécution du 14 décembre 1992 de la loi sur le service de l'emploi et la location de services [RSELS; rsGE J 2 05.01]). 
 
5.4. L'art. 27 OSE distingue trois formes de location de services: le travail temporaire, le travail en régie et la mise à disposition occasionnelle de travailleurs. Selon l'art. 28 al. 1 OSE, la location de services n'est soumise à autorisation que sous la forme du travail temporaire et de la mise à disposition de travailleurs à titre principal (travail en régie). En cas de travail temporaire (ou travail intérimaire), l'employeur ne conclut pas, dans un premier temps, de véritable contrat de travail avec son employé, mais un contrat-cadre, soit une convention générale de services permettant d'obtenir l'adhésion du travailleur à ses conditions de travail. Il lui propose ensuite un contrat de mission dans une entreprise tierce. Si le travailleur accepte la mission offerte, alors il conclut un contrat de travail effectif avec l'agence de placement. Le salaire n'est pas dû entre deux missions (ATF 137 V 114 consid. 4.2.2). Quant au travail en régie, il se caractérise par le fait que le travailleur est engagé en vue de la location de ses services à diverses entreprises clientes. Cependant, contrairement au travail temporaire, la durée du travail est en principe indépendante des missions effectuées dans les entreprises clientes. Le travailleur demeure lié par un contrat de travail durable avec son employeur. Celui-ci supporte donc le risque éventuel d'inactivité du travailleur entre deux placements. On parle dans ce cas de travail intérimaire improprement dit (ATF 137 V 114 consid. 4.2.2).  
 
6.  
Dès lors qu'il ne peut y avoir de location de services que s'il y a entre le bailleur et le travailleur un contrat de travail, il convient de commencer par vérifier que les livreurs Uber Eats sont des travailleurs au sens des art. 319 ss CO, ce qui est contesté dans le recours. 
 
6.1. La plateforme Uber Eats pour la livraison de repas (de même que la plateforme Uber pour le transport de passagers avec chauffeur) est une plateforme numérique de travail proposant une prestation de travail rémunérée (cf., sur les différents types de plateformes, Conseil fédéral, Conséquences de la numérisation sur l'emploi et les conditions de travail: opportunités et risques, rapport du 8 novembre 2017 [ci-après: conséquences de la numérisation], p. 40; Conseil fédéral, rapport sur les principales conditions-cadre pour l'économie numérique, 11 janvier 2017 [ci-après: rapport sur les conditions-cadre], p. 72 ss; BASSEM ZEIN, Travail pour les plateformes: quelles relations contractuelles?, PJA 2018 p. 711 ss, p. 712). Il est précisé que la qualification de "plateforme numérique de travail" n'a pas d'implication quant à l'éventuelle existence d'un contrat de travail. Une société qui gère une plateforme numérique de travail peut être un simple intermédiaire entre des clients et des prestataires de services. Il n'y a alors pas de contrat de travail entre elle et les personnes qui offrent leurs services (cf. KURT PÄRLI, Arbeits-und sozialversicherungs-rechtliche Fragen der Sharing Economy, 2019, p. 3 à 5, 118 à 120 [cité: Sharing Economy]; RENÉ HIRSIGER, Plattformbeschäftigungen, DTA 2019, p. 291 ss, p. 294; Conseil fédéral, rapport sur les conditions-cadre, p. 72 à 74). Il faut examiner la structure de la plateforme mise en place par la société concernée pour déterminer s'il s'agit d'un simple intermédiaire (cf. par exemple arrêt 2C_500/2016 du 31 octobre 2016 consid. 3.4 à propos de la plateforme Uber pour le transport de passagers). Une société qui gère une plateforme numérique de travail peut aller au-delà de la simple mise en relation entre des clients et des prestataires, en offrant elle-même directement une prestation dont elle fixe les contours. Dans ce cas, la question se pose de savoir si les prestataires auxquels elle recourt pour exécuter cette prestation sont dans une relation de travail avec elle ou demeurent indépendants (cf. Hirsiger, op. cit., p. 299 ss; ZEIN, op. cit., p. 719 ss; KURT PÄRLI, Neue Formen der Arbeitsorganisation, Internet-Plattformen als Arbeitgeber, DTA 2016, p. 243 ss, p. 249 [cité: Neue Formen]).  
A noter que le fait qu'une société gérant une plateforme numérique de travail soit un employeur ne signifie pas encore que, vis-à-vis du ou des destinataire (s) de la prestation, on se trouve dans une situation de location de services. En revanche, on peut relever, parmi les autres cas de figure envisageables, que lorsque le prestataire de service a un contrat de travail non pas avec la société gérant la plateforme numérique, mais avec le destinataire de la prestation, l'activité proposée par la société gérant la plateforme peut tomber sous le coup du placement au sens de l'art. 2 al. 1 LSE, également soumis à autorisation (cf. PÄRLI, Sharing Economy, p. 118 à 120; HIRSIGER, op. cit., p. 304 à 306).  
 
6.2. En l'occurrence, il résulte de l'arrêt entrepris que les restaurateurs ne choisissent pas le livreur et que celui-ci ne choisit pas sa mission; c'est l'application Uber Eats qui attribue un livreur à un restaurateur et à un client final. Il n'y a pas de relation directe entre le livreur et le restaurateur ou le client final. Par ailleurs, selon l'arrêt attaqué, Uber facture directement les prestations et fixe unilatéralement les prix. Les frais de livraison constituent la seule rémunération des livreurs, qui ne sont pas autorisés à accepter d'autres formes de paiement et ne reçoivent pas de paiement direct. Les frais de livraison sont crédités sur les comptes des livreurs par Uber une fois les frais de service déduits. Uber impose ainsi entièrement les conditions tarifaires (cf. arrêt 2C_500/2016 du 31 octobre 2016 consid. 3.4 citant aussi ce critère pour nier le caractère d'intermédiaire d'Uber en lien avec la plateforme pour le transport de passagers). Uber dépend pour sa part du nombre de livraisons effectuées pour réaliser son chiffre d'affaires en lien avec l'application Uber Eats, la distinguant des intermédiaires prélevant des montants mensuels fixes pour leur activité (cf., en assurances sociales à propos d'une centrale de taxis: arrêt 8C_38/2019 du 12 août 2020 consid. 6.1.2). Sur le vu de ces éléments, c'est à juste titre que la Cour de justice a considéré qu'Uber n'était pas un simple intermédiaire entre les acteurs. Se pose la question de savoir si les livreurs demeurent néanmoins indépendants ou s'ils sont dans une relation de travail.  
 
6.3. A teneur de l'art. 319 al. 1 CO, par le contrat individuel de travail, le travailleur s'engage, pour une durée déterminée ou indéterminée, à travailler au service de l'employeur et celui-ci à payer un salaire fixé d'après le temps ou le travail fourni. Les éléments caractéristiques de ce contrat sont donc une prestation de travail, un rapport de subordination, un élément de durée et une rémunération (notamment arrêts 4A_53/2021 du 21 septembre 2021 consid. 5.1.3; 4A_64/2020 du 6 août 2020 consid. 6.1; 4A_10/2017 du 19 juillet 2017 consid. 3.1; 4A_200/2015 du 3 septembre 2015 consid. 4.2.1).  
Le contrat de travail se distingue avant tout des autres contrats de prestation de services, en particulier du mandat, par l'existence d'un lien de subordination (ATF 125 III 78 consid. 4; 112 II 41 consid. 1a/aa et consid. 1a/bb in fine), qui place le travailleur dans la dépendance de l'employeur sous l'angle personnel, organisationnel et temporel ainsi que, dans une certaine mesure, économique (ATF 121 I 259 consid. 3a; arrêts 4A_53/2021 du 21 septembre 2021 consid. 5.1.3.1; 4A_64/2020 du 6 août 2020 consid. 6.2). La dépendance économique du travailleur est un aspect typique du contrat de travail. Est déterminant le fait que, dans le contexte de la prestation que le travailleur doit exécuter, d'autres sources de revenus sont exclues et qu'il ne puisse pas, par ses décisions entrepreneuriales, influer sur son revenu (arrêt 4A_53/2021 du 21 septembre 2021 consid. 5.1.3.2). 
Le travailleur est assujetti à la surveillance, aux ordres et instructions de l'employeur; il est intégré dans l'organisation de travail d'autrui et y reçoit une place déterminée (arrêts 4A_53/2021 du 21 septembre 2021 consid. 5.1.3.1; 4A_64/2020 du 6 août 2020 consid. 6.3.1; 4A_10/2017 du 19 juillet 2017 consid. 3.1). Le contrat de travail est en principe conclu intuitu personae. Il est en effet étroitement lié aux qualités et prestations du travailleur, ce qui implique aussi, sauf accord contraire ou si les circonstances l'y autorisent (art. 321 CO), que celui-ci exécute personnellement la prestation de travail (cf. GEISER/MÜLLER/PÄRLI, Arbeitsrecht in der Schweiz, 4e éd. 2019, p. 136 n. 303; AURÉLIEN WITZIG, Droit du travail, 2018, p. 392 s., n. 1189; JEAN-PHILIPPE DUNAND, Commentaire du contrat de travail, 2013, n. 5 s. ad art. 321 CO).  
En principe, des instructions qui ne se limitent pas à de simples directives générales sur la manière d'exécuter la tâche, mais qui influent sur l'objet et l'organisation du travail et instaurent un droit de contrôle de l'ayant droit, révèlent l'existence d'un contrat de travail plutôt que d'un mandat (arrêts 4A_53/2021 du 21 septembre 2021 consid. 5.1.3.1; 4A_64/2020 du 6 août 2020 consid. 6.3.1 et les arrêts cités). 
Les critères formels, tels l'intitulé du contrat, les déclarations des parties ou les déductions aux assurances sociales, ne sont pas déterminants. Il faut bien plutôt tenir compte de critères matériels relatifs à la manière dont la prestation de travail est effectivement exécutée, tels le degré de liberté dans l'organisation du travail et du temps, l'existence ou non d'une obligation de rendre compte de l'activité et/ou de suivre les instructions, ou encore l'identification de la partie qui supporte le risque économique (arrêts 4A_53/2021 du 21 septembre 2021 consid. 5.1.3.2; 2C_714/2010 du 14 décembre 2010 consid. 3.4.2). 
Constituent des éléments typiques du contrat de travail le remboursement des frais encourus par le travailleur et le fait que l'employeur supporte le risque économique et que le travailleur abandonne à un tiers l'exploitation de sa prestation, en contrepartie d'un revenu assuré (arrêts 4A_53/2021 du 21 septembre 2021 consid. 5.1.3.2; 4A_64/2020 du 6 août 2020 consid. 6.3.5 et les arrêts cités). 
Seul l'examen de l'ensemble des circonstances du cas concret permet de déterminer si l'activité en cause est exercée de manière dépendante ou indépendante (ATF 130 III 213 consid. 2.1; 129 III 664 consid. 3.2; 128 III 129 consid. 1a/aa; arrêt 4A_53/2021 du 21 septembre 2021 consid. 5.1.3.2). 
 
6.4. Les sociétés proposant des prestations de travail par le biais de plateformes numériques ont pour trait commun de reposer sur des modèles plus flexibles de travail. Elles offrent une souplesse temporelle, spatiale et organisationnelle aux prestataires auxquels elles recourent (Conseil fédéral, rapport sur les conditions-cadre, p. 51 s.; Conseil fédéral, conséquences de la numérisation, p. 39 s.). Ceux-ci peuvent souvent s'inscrire sur la plateforme et la quitter sans grandes formalités, puis aménager la quantité et le moment de travail, voire le lieu (cf. ZEIN, op. cit., p. 712 s.). Pour leur part, les sociétés gérant ces plateformes ne disposent pas de locaux ni de matériel affectés à la production des prestations, ceux-ci étant fournis par les prestataires (idem). Un autre trait caractéristique est le transfert de l'évaluation du travailleur de la société gérant la plateforme au client (AURÉLIEN WITZIG, L'ubérisation du monde du travail, RDS 135/2016 I p. 457 ss, p. 462). Ces caractéristiques communes ne préjugent pas de la qualification des rapports juridiques. Les relations doivent être examinées pour chaque plateforme en fonction du modèle économique mis en place, lesdits modèles étant extrêmement variés, ainsi que des circonstances concrètes de la relation (cf. ZEIN, op. cit., p. 722; PÄRLI, Neue Formen, p. 251; HALPÉRIN/WACK, Location de services et plateformes digitales, application au modèle Uber Eats, Jusletter du 6 avril 2020, para. 12; Conseil fédéral, conséquences de la numérisation, p. 57; cf. aussi JULIEN BILLARANT, Pour une approche nouvelle du rapport de subordination en droit privé suisse du travail, thèse 2019, p. 373 ss). On relèvera néanmoins que des listes de critères en faveur de la qualification du contrat de travail ou d'une relation indépendante commencent à être établies dans la pratique sur la base de certaines clauses typiques des conditions générales que doivent accepter les prestataires (cf. par exemple: WYLER/ZANDIRAD, Plateformes numériques et contrat de travail, Jusletter du 6 octobre 2020, para. 23 à 29; ZEIN, op. cit., p. 720; HALPÉRIN/WACK, op. cit., para. 59-60; Conseil fédéral, rapport sur les conditions-cadre, p. 78). De manière générale, des exercices de systématisation de l'activité des plateformes numériques de travail s'observent de plus en plus. A titre d'exemple, au niveau de l'Union européenne, la Commission européenne a récemment proposé de retenir une présomption légale de relation de travail dès que deux des cinq critères établis sont remplis (Commission européenne, Proposition de directive du Parlement européen et du Conseil relative à l'amélioration des conditions de travail dans le cadre du travail via une plateforme, 9 décembre 2021, COM[2021] 762 final, art. 4 [détermination du niveau de rémunération; règles impératives spécifiques en matière d'apparence, de conduite à l'égard du destinataire ou d'exécution du travail; supervision et vérification de la qualité des résultats du travail; limitation, notamment au moyen de sanctions, de la liberté d'organiser le travail; limitation de la possibilité de se constituer une clientèle ou d'exécuter un travail pour un tiers]).  
 
6.5. En l'espèce, il ressort du contrat des livreurs, tel qu'exposé dans l'arrêt entrepris et figurant au dossier, les éléments suivants.  
 
6.5.1. Une fois connectés à l'application Uber Eats, les livreurs reçoivent des demandes de livraison, qui peuvent spécifier le délai pour exécuter celle-ci. Une fois la demande acceptée, les services Uber fournissent certaines informations concernant le restaurateur, y compris les points de ramassage et de dépose des marchandises. Afin d'accroître la satisfaction du restaurateur, il est recommandé au livreur de suivre les instructions de celui-ci et d'attendre au moins 10 minutes pour qu'un restaurateur ou un destinataire de la marchandise se présente (ch. 2.2 CST). Les livreurs sont évalués tant par les restaurateurs que par les destinataires des marchandises (art. 105 al. 2 LTF). Pour continuer à utiliser l'application, le livreur doit maintenir une évaluation moyenne supérieure à l'évaluation moyenne minimale fixée par Uber. Une évaluation moyenne insuffisante peut conduire à un avertissement, voire à l'exclusion de la plateforme si la note ne s'améliore pas dans le délai imparti (ch. 2.5.2 CST; art. 105 al. 2 LTF).  
Un livreur peut refuser une livraison, mais il est averti que des refus répétés créent une "expérience négative" pour les utilisateurs (ch. 2.5 CST). 
Dès lors que les livreurs sont notés par les restaurateurs et les clients et qu'ils doivent maintenir une évaluation moyenne supérieure à la note fixée unilatéralement par Uber pour continuer à utiliser l'application, la mention de "l'expérience négative" constitue une forte incitation à accepter les demandes de livraison, qui relativise la prétendue complète liberté des livreurs alléguée par la recourante. De manière générale, comme il est accompagné de sanctions, soit un avertissement voire la désactivation du compte en cas de note jugée insuffisante, le système de notation n'est pas qu'un "outil horizontal" "d'optimisation d'une place de marché" comme le fait valoir la recourante, mais constitue un moyen de contrôle des livreurs, qui les place dans une relation de subordination à l'égard de la plateforme. Que les notes soient attribuées par les restaurateurs et les clients ne modifie pas ce constat. 
 
6.5.2. Le livreur doit accepter que ses informations de géolocalisation soient fournies aux services Uber. Son emplacement approximatif est divulgué au restaurateur et au destinataire de la livraison avant et pendant la fourniture de services de livraison (ch. 2.7 CST; art. 105 al. 2 LTF). Uber peut également surveiller, suivre et partager avec des tiers ces informations, pour des raisons de sécurité ou des motifs techniques, marketing ou commerciaux (ch. 2.7 CST).  
Tant les restaurateurs que les clients peuvent ainsi suivre pendant la course le livreur. Ils peuvent donc sanctionner par une mauvaise appréciation un itinéraire jugé peu favorable ou une livraison trop lente, étant rappelé les conséquences d'une notation moyenne insuffisante (avertissement, voire désactivation du compte). Par ailleurs, Uber Eats se réserve la possibilité de réduire les frais de livraison en cas d'itinéraire jugé inefficace (ch. 4.3 CST), ce que seule la géolocalisation permet de déterminer. La géolocalisation ne sert donc pas seulement à attribuer les demandes de livraison le plus rapidement possible comme le prétend la recourante. Il s'agit au contraire d'un moyen de contrôle de l'activité des livreurs. La plateforme exerce, par ce biais, une surveillance caractéristique d'une relation de subordination (sur la légalité d'un système de géolocalisation, cf. arrêt 2C_116/2011 du 29 août 2011 consid. 8; ATF 130 II 425 consid. 4.2) et conditionne la manière d'exécuter la prestation.  
 
6.5.3. Comme cela a été exposé, il est recommandé aux livreurs de suivre les instructions des restaurateurs et d'attendre au moins 10 minutes chez ces derniers, respectivement chez les clients. Le contrat contient d'autres consignes à suivre et le chauffeur s'expose à des restrictions d'accès voire à la désactivation de son compte s'il ne se conforme pas aux conditions fixées (ch. 2.4 et ch. 3.1 CST; art. 105 al. 2 LTF). Comme le relève la recourante, de simples directives générales sur la manière d'exécuter une tâche ou la répétition d'obligations légales (comme le fait par exemple d'exiger un permis de conduire pour les livraisons avec un véhicule motorisé) ne sont pas significatives d'une relation de travail (cf. arrêts 4C.276/2006 du 25 janvier 2007 consid. 4.3.2; 4P.83/2003 du 9 mars 2004 consid. 3.2). Le caractère de simples informations générales de "bon sens" ou de rappels légaux de toutes les instructions données aux livreurs est toutefois démenti tant par la quantité de consignes que par les sanctions qui accompagnent tout manquement. Le fait que les frais de livraison puissent être réduits en cas d'itinéraire inefficace ou si le livreur a "failli à compléter correctement" une mission de livraison (ch. 4.3 CST; art. 105 al. 2 LTF) démontre également qu'Uber contrôle strictement la manière dont est exécutée la prestation.  
 
6.5.4. Les éléments susmentionnés sont caractéristiques d'un rapport de subordination.  
 
6.6. Pour contester toute relation de subordination, la recourante insiste sur la liberté des livreurs de se connecter à l'application Uber Eats quand ils veulent, puis de refuser des livraisons, ainsi que sur leur liberté totale de se procurer d'autres sources de revenus auprès d'autres employeurs. Elle fait enfin valoir qu'il relève de la liberté contractuelle de pouvoir désactiver en tout temps un compte.  
 
6.6.1. Ainsi qu'il a été vu, la liberté de refuser des livraisons n'est pas aussi complète que le prétend la recourante. Par ailleurs, ni la liberté de se connecter au moment de son choix à la plateforme, ni celle de refuser des livraisons n'excluent un contrat de travail. Comme le relève l'Office cantonal, l'absence d'obligation d'effectuer une prestation de travail et partant le droit de refuser une mission caractérisent en effet le contrat de travail sur appel improprement dit (arrêts 4A_334/2017 du 4 octobre 2017 consid. 2.2; 8C_318/2014 du 21 mai 2015 consid. 5.1; 4A_509/2009 du 7 janvier 2010 consid. 2.3).  
 
6.6.2. La recourante affirme que les livreurs seraient libres d'accepter une course venant d'une autre application concurrente pendant qu'ils sont connectés à l'application Uber Eats, soit pendant le travail pour la plateforme. Ce fait n'est pas établi dans l'arrêt attaqué, mais cela n'est pas déterminant. Selon l'art. 321a al. 3 CO, pendant la durée du contrat, le travailleur ne doit pas accomplir du travail rémunéré pour un tiers dans la mesure où il lèse son devoir de fidélité et, notamment, fait concurrence à l'employeur (cf. ATF 138 III 67 consid. 2.3.1). Le fait qu'un employé soit expressément autorisé à faire concurrence à son employeur ne signifie pas encore qu'il est indépendant, mais seulement que les parties ont limité l'application de cette disposition, ce qui est admissible car elle est de nature dispositive (ATF 117 II 72 consid. 4a).  
Quant à la liberté des livreurs de travailler pour d'autres plateformes lorsqu'ils ne sont pas connectés à la plateforme Uber Eats, elle se comprend comme la liberté d'exercer plusieurs activités à temps partiel et n'est donc pas significative de l'indépendance des livreurs. 
 
6.6.3. La liberté contractuelle ne permet enfin pas de qualifier la relation nouée avec les livreurs. Les possibilités de restriction d'accès et de désactivation des comptes des livreurs sans préavis dénotent un pouvoir de contrôle et de surveillance sur l'activité des livreurs, propre au contrat de travail, indépendamment de la question de leur légalité.  
 
6.7. Sur le vu de l'ensemble des éléments qui précèdent, il convient de confirmer l'existence d'un rapport de subordination propre à la relation de travail entre Uber et les livreurs.  
 
7.  
Dès lors qu'il existe une relation de travail entre Uber et les livreurs, il faut se demander si la relation entre Uber et les restaurateurs est susceptible de relever de la location de services au sens de la loi sur le service de l'emploi. 
 
7.1. L'art. 12 al. 1 LSE ne définit pas la location de services. Selon l'art. 26 al. 1 OSE, est réputé bailleur de services celui qui loue les services d'un travailleur à une entreprise locataire en abandonnant à celle-ci l'essentiel de ses pouvoirs de direction à l'égard du travailleur. Il est précisé à l'art. 26 al. 2 OSE (entré en vigueur le 1er janvier 2014 [RO 2013 5321]), qu'il peut également être conclu à une activité de location de services, notamment lorsque: a. le travailleur est impliqué dans l'organisation de travail de l'entreprise locataire sur le plan personnel, organisationnel, matériel et temporel; b. le travailleur réalise les travaux avec les outils, le matériel ou les appareils de l'entreprise locataire; c. l'entreprise locataire supporte elle-même le risque en cas de mauvaise exécution du contrat.  
L'abandon de l'essentiel du pouvoir de direction à l'entreprise locataire constitue une caractéristique centrale de la location de services, ainsi qu'un critère important de démarcation d'avec d'autres relations contractuelles, notamment le mandat (cf. arrêts 2C_470/2020 du 22 décembre 2021 consid. 3.3.2, destiné à la publication; 2C_132/2018 du 2 novembre 2018 consid. 4.3.3; 2C_543/2014 du 26 novembre 2014 consid. 2.6; cf. aussi directives et commentaires relatifs à la loi sur le service de l'emploi et à la location de services et au tarif des émoluments de la loi sur le service de l'emploi du 15 janvier 2007 du Secrétariat d'Etat à l'économie, p. 61 ss [ci-après: directives SECO LSE]). A noter que le pouvoir de direction peut être réparti entre l'entreprise bailleresse et l'entreprise locataire (arrêts 2C_470/2020 du 22 décembre 2021 consid. 3.3.2, destiné à la publication; 2C_543/2014 du 26 novembre 2014 consid. 2.1). 
La distinction entre le contrat de location de services et les contrats qui visent l'offre d'une prestation de nature différente à effectuer auprès d'un tiers doit s'effectuer dans chaque cas d'espèce, en s'appuyant sur le contenu du contrat, la description du poste et la situation de travail concrète dans l'entreprise locataire (arrêts 2C_470/2020 du 22 décembre 2021 consid. 3.3.3, destiné à la publication; 2C_132/2018 du 2 novembre 2018 consid. 4.1). Le nom que les parties donnent au contrat n'est en revanche pas déterminant (arrêts 2C_132/2018 du 2 novembre 2018 consid. 4.1; 2C_356/2012 du 11 février 2013 consid. 3.4; 2A.425/2006 du 30 avril 2007 consid. 3.2). 
 
7.2. La question de la location de services en lien avec les plateformes numériques de travail peut se poser de deux manières (sur le placement au sens de l'art. 2 LSE, cf. supra consid. 6.1).  
D'une part, la société gérant la plateforme peut recourir à des prestataires employés par des entreprises tierces, auquel cas il convient de se demander si elle-même est une locataire de services (PÄRLI, Sharing Economy, p. 114 n. 190; HALPÉRIN/WACK, OP. CIT., P. 13 N. 73; ZEIN, op. cit., p. 719; cf. aussi l'avis rendu par le SECO à la demande du syndicat UNIA à propos des chauffeurs loués à Uber par des entreprises partenaires [cf. https://www.unia.ch/fr/actualites/ actualites/article/a/14710, consulté la dernière fois le 27 avril 2022]).  
D'autre part, il se peut que la société gérant la plateforme soit elle-même une bailleresse au sens de la loi sur la location de services, lorsqu'elle est l'employeur direct des prestataires et que ceux-ci exécutent une prestation auprès d'une entreprise locataire (PÄRLI, Sharing Economy, p. 114 n. 190; HALPÉRIN/WACK, OP. CIT., P. 13 ET SS; HIRSIGER, o p. cit., p. 306 avec des exemples). C'est ce second cas de figure qui est envisageable en l'espèce s'agissant de la relation entre Uber et les restaurateurs.  
 
 
7.3. Selon l'arrêt attaqué, d'après le contrat-cadre directeur (contrat des restaurateurs), la plateforme Uber Eats est mise à disposition des restaurateurs pour qu'ils y accèdent et "demandent des services de livraison sur demande fournis par des prestataires de service" (ch. 3 contrat-cadre). Les restaurateurs sont responsables, à travers les services fournis par les partenaires de livraison de la livraison des plats et [ils en ont] de tout temps la possession, le contrôle et la responsabilité" (ch. 4 contrat-cadre directeur). En contrepartie de l'utilisation de la plateforme, Uber facture des "frais de service" correspondant à un pourcentage de chaque plat livré (ch. 3a addenda Marketplace) et des frais de livraison (ch. 3b addenda Marketplace). D'après le contrat-cadre, Uber transmet aux livreurs les "directives raisonnables" des restaurateurs concernant la livraison des plats (ch. 4 contrat-cadre). Selon leur propre contrat, les livreurs sont tenus de respecter le délai de livraison indiqué par le restaurateur, notamment les points de ramassage et de dépose des marchandises, ainsi que de suivre les instructions du restaurateur (ch. 2.2 CST).  
 
7.4. Il résulte de l'arrêt attaqué que la prestation caractéristique pour laquelle les restaurateurs utilisent la plateforme Uber Eats et rémunèrent Uber consiste en la livraison de leurs plats chez leurs clients par les livreurs engagés par Uber. Les restaurateurs obtiennent une prestation spécifique et de très courte durée, ce qui ne va pas dans le sens d'une location de services (cf. directives SECO LSE, p. 66; arrêt 2C_543/2014 du 26 novembre 2014 consid. 4.4 a contrario). Les restaurateurs font avant tout appel à la plateforme pour obtenir un service précis, soit la livraison d'un repas.  
 
7.5. La Cour de justice a estimé qu'il y avait cession du pouvoir de direction en faveur des restaurateurs du fait qu'Uber transmet aux livreurs "les directives raisonnables" des restaurateurs concernant la livraison de plats et que les livreurs sont tenus de respecter les instructions des restaurateurs d'après leur propre contrat. S'il s'agit simplement de demander le respect de méthodes de travail ou procédures propres à l'entreprise, l'obligation faite aux livreurs de respecter les consignes des restaurateurs ne caractérise pas une situation de location de services (arrêt 2A.425/2006 du 30 avril 2007 consid. 5.2.3). En l'espèce, il ne ressort pas de l'arrêt entrepris que les directives raisonnables des restaurateurs porteraient sur la mission de livraison en elle-même et la manière de l'exécuter. Le temps d'attente pour récupérer et remettre un plat au client (10 minutes à chaque fois) demeure par exemple du ressort de la plateforme.  
A teneur de l'arrêt entrepris, les restaurateurs peuvent indiquer le délai dans lequel la livraison doit être effectuée, ainsi que les points de ramassage et de dépose des marchandises. Il s'agit des seuls indices en faveur d'un pouvoir de direction des restaurateurs quant à la livraison elle-même, mais cet élément est aussi caractéristique du service de livraison demandé. Les restaurateurs peuvent certes, par le biais de la géolocalisation, savoir quel trajet le livreur emprunte (cf. supra consid. 6.5.2). Ils peuvent également noter le livreur (cf. supra consid. 6.5.1). La Cour de justice y a vu un indice en faveur d'un transfert du pouvoir de direction propre à une location de services. La notation constitue toutefois un système indirect de contrôle de Uber; par ce biais, le restaurateur peut se plaindre, a posteriori, de la manière dont une livraison a été effectuée. Il ne peut en revanche pas, au moment de la livraison, donner des consignes sur le trajet. Le seuil à partir duquel une notation peut valoir au livreur d'être désactivé de la plateforme demeure fixé par Uber. Ce sont en outre les résultats de différentes notes qui conduisent à une évaluation, pas la note d'un restaurateur déterminé. Enfin, le consommateur final note également la livraison, alors que l'on ne peut manifestement pas considérer qu'il posséderait un pouvoir de direction. C'est d'ailleurs une caractéristique des plateformes de déléguer la notation aux clients (cf. supra consid. 6.4; dans le cas de Uber Eats, à la fois le restaurateur et le consommateur final) : on ne saurait y voir en l'espèce un transfert du pouvoir de direction en faveur des restaurateurs.  
Sur le vu de ce qui précède, le critère du transfert du pouvoir de direction au sens de l'art. 26 al. 1 OSE n'apparaît pas rempli, même partiellement. 
 
7.6. L'activité du livreur consiste à aller chercher un plat chez le restaurateur, puis à le livrer au destinataire final. Cette activité n'implique aucune forme d'intégration dans l'organisation du restaurant. En pratique, le livreur se rend à l'entrée du restaurant récupérer la marchandise commandée; il ne reste que quelques instants devant ou dans l'établissement, n'a pas de contacts avec les membres du personnel de celui-ci et n'est pas intégré dans les plannings de service. En ce sens, on ne peut pas non plus considérer que les restaurants engagent, au travers de la plateforme Uber Eats, de la main d'oeuvre. En termes d'organisation, les restaurateurs peuvent certes, grâce la plateforme Uber Eats, se passer de salariés affectés à la tâche de livraison des plats, ainsi que l'a souligné la Cour de justice. Il n'est toutefois pas évident que les restaurateurs engageraient autrement du personnel pour cette tâche, qui n'est pas usuelle pour un restaurant.  
 
7.7. La Cour de justice a noté que du matériel pouvait être fourni par les restaurateurs, tels que sacs, récipients ou objets à leur enseigne. Il s'agit toutefois simplement des contenants des plats que les coursiers sont chargés de livrer. Pour la mission proprement dite de livraison, le livreur a son propre véhicule. Il n'utilise pas le matériel ou les appareils des restaurateurs.  
 
7.8. D'après le contrat-cadre, les restaurateurs gardent la responsabilité de leurs plats jusqu'à la livraison (ch. 4 contrat-cadre directeur). La Cour de justice a estimé qu'il y avait partant un transfert du risque de l'exécution de la prestation propre à la location de services. La recourante le conteste en alléguant notamment, de manière appellatoire et partant inadmissible, accorder des ristournes aux clients finaux sans que les restaurateurs ne le sachent, en contradiction avec ses propres clauses. La signification exacte de la clause ci-dessus et sa portée en pratique n'ont pas besoin d'être déterminées en l'espèce. Cette seule clause ne permettrait en effet pas de retenir une location de services.  
 
7.9. En définitive, la situation d'espèce ne relève pas de la location de services. Contrairement à ce qu'a retenu la Cour de justice, la loi sur la location de services n'est donc pas applicable.  
 
8.  
En résumé, il ressort des documents contractuels que les livreurs sont dans une situation de subordination propre au contrat de travail. Une situation de location de services ne peut donc d'emblée être exclue. Toutefois, il résulte du contrat des restaurateurs que la relation entre Uber et les restaurateurs ne relève pas de la location de services. Cela conduit à l'admission du recours et à l'annulation de l'arrêt entrepris. Sur le vu de l'issue de la procédure, il n'est pas nécessaire d'examiner le rôle d'Uber CH en lien avec l'application Uber Eats plus en détails, ni de trancher le point de savoir si cette société peut être destinataire des obligations de droit public découlant de la LSE. Les autres griefs du recours n'ont pas besoin d'être traités. Il ne revient par ailleurs pas à la Cour de céans de déterminer dans le cadre du présent litige toutes les conséquences du constat de l'existence d'un statut de travailleurs pour les livreurs Uber Eats. 
 
9.  
Succombant, le canton de Genève doit verser à la recourante une indemnité à titre de dépens (art. 68 al. 1 et 2 LTF). Il ne peut en revanche se voir imposer les frais judiciaires, dès lors qu'il ne défend pas un intérêt patrimonial (art. 66 al. 1 et 4 LTF). La cause sera renvoyée à la Cour de justice pour qu'elle statue à nouveau sur les frais et dépens de la procédure antérieure (art. 67 et 68 al. 5 LTF). 
 
 
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :  
 
1.  
Le recours est admis dans la mesure où il est recevable. 
 
2.  
L'arrêt de la Cour de justice du 29 mai 2020 est annulé. 
 
3.  
Il n'est pas perçu de frais judiciaires. 
 
4.  
Le canton de Genève versera à la recourante une indemnité fixée à 3'500 fr. à titre de dépens pour la procédure devant le Tribunal fédéral. 
 
5.  
La cause est renvoyée à la Cour de justice pour qu'elle statue sur le sort des frais et dépens de la procédure antérieure. 
 
6. Le présent arrêt est communiqué au mandataire de la recourante, au mandataire de l'Office cantonal de l'emploi et à la Cour de justice du canton de Genève, Chambre administrative, ainsi qu'au Secrétariat d'Etat à l'économie (SECO).  
 
 
Lausanne, le 30 mai 2022 
 
Au nom de la IIe Cour de droit public 
du Tribunal fédéral suisse 
 
La Présidente : F. Aubry Girardin 
 
La Greffière : E. Kleber