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Bundesgericht 
Tribunal fédéral 
Tribunale federale 
Tribunal federal 
 
 
 
 
5A_687/2023  
 
 
Arrêt du 23 novembre 2023  
 
IIe Cour de droit civil  
 
Composition 
MM. et Mme les Juges fédéraux Herrmann, Président, Escher et Bovey. 
Greffière : Mme Feinberg. 
 
Participants à la procédure 
A.________ SA, 
représentée par Me Béatrice Stahel, avocate, 
recourante, 
 
contre 
 
B.________ SAS, 
représentée par Me Michel Ducrot, avocat, 
intimée. 
 
Objet 
exequatur, 
 
recours contre la décision du Juge de la Chambre civile du Tribunal cantonal du canton du Valais, du 10 juillet 2023 (C3 23 13). 
 
 
Faits :  
 
A.  
 
A.a. Le 23 décembre 2022, B.________ SAS a formé contre A.________ SA une requête, fondée sur l'art. 271 al. 1 ch. 6 LP, sollicitant le Tribunal du district de Sion de reconnaître et déclarer exécutoire un jugement rendu le 27 avril 2022 par le Tribunal de commerce de Laval (France) et d'ordonner le séquestre, à concurrence de 396'042 fr. 70 avec intérêt à 5% dès le 16 novembre 2022, de biens et valeurs appartenant à A.________ SA en mains de C.________ AG.  
 
A.b. Par ordonnance du 27 décembre 2022, le juge Il du district de Sion (ci-après: le juge de district) a reconnu la force exécutoire du jugement précité et ordonné le séquestre de " toutes espèces, valeurs, titres, créances et autres biens de quelque nature qu'ils soient, en comptes, dépôts ou coffres-forts, sous le nom de A.________ SA, désignation conventionnelle ou numérique, appartenant à A.________ SA, ou au nom de tout tiers ou autre entité mais qui appartiennent en réalité à A.________ SA, déposées en mains de C.________ AG, à U.________, en particulier du compte xxx ouvert dans ses livres ", la créance concernée étant de 396'042 fr. 70 avec intérêt à 5% dès le 16 novembre 2022.  
 
A.c. Le 30 janvier 2023, A.________ SA a formé un recours contre la décision d'exequatur, concluant notamment à ce que le constat de force exécutoire du jugement français précité soit révoqué et à ce que l'exécution en Suisse dudit jugement soit refusée.  
 
A.d. Par décision du 10 juillet 2023, le juge unique de la Chambre civile du Tribunal cantonal du canton du Valais a rejeté le recours.  
 
B.  
Par acte posté le 14 septembre 2023, A.________ SA exerce un recours en matière civile au Tribunal fédéral contre la décision du 10 juillet 2023. Elle conclut principalement à sa réforme dans le sens des conclusions prises dans son recours cantonal. Subsidiairement, elle sollicite le renvoi de la cause à l'autorité cantonale pour nouvelle décision dans le sens des considérants. 
Des déterminations sur le fond n'ont pas été demandées. La production du dossier cantonal a en revanche été requise. 
 
C.  
Par ordonnance présidentielle du 5 octobre 2023, la requête d'effet suspensif assortissant le recours a été rejetée. 
 
 
Considérant en droit :  
 
1.  
Le recours a été déposé en temps utile (art. 46 al. 1 let. b et 100 al. 1 LTF) contre une décision finale (art. 90 LTF) rendue par un tribunal supérieur statuant sur recours (art. 75 al. 1 et 2 LTF). La recourante, qui a succombé devant la cour cantonale, a qualité pour recourir (art. 76 al. 1 LTF). La décision entreprise est sujette au recours en matière civile (art. 72 al. 2 let. b ch. 1 LTF; arrêts 5A_720/2022 du 31 mars 2023 consid. 1.1; 5A_428/2022 du 18 janvier 2023 consid. 1, non publié in ATF 149 III 224). La valeur litigieuse est atteinte en l'espèce (art. 74 al. 1 let. b LTF). 
 
2.  
 
2.1. La décision portant sur la reconnaissance et l'exécution du jugement étranger préalablement à un séquestre, la partie recourante peut invoquer la violation du droit fédéral ainsi que du droit international (art. 95 let. a et b LTF; arrêts 5A_720/2022 précité consid. 3.1; 5A_428/2022 précité consid. 2.1 et la référence). En effet, lorsque le litige porte sur l'exequatur d'une décision étrangère, la cognition du Tribunal fédéral n'est pas limitée à la violation des droits constitutionnels, quelle que soit la nature - provisionnelle ou non - de l'acte en discussion (ATF 149 III 34 consid. 3.3.3 i.f.; 143 III 51 consid. 2.3; 135 III 670 consid. 1.3.2). Le Tribunal fédéral applique le droit d'office (art. 106 al. 1 LTF). Cela étant, eu égard à l'exigence de motivation contenue à l'art. 42 al. 1 et 2 LTF, il n'examine en principe que les griefs soulevés (ATF 142 III 364 consid. 2.4 et les références). La partie recourante doit par conséquent discuter les motifs de la décision entreprise et indiquer en quoi elle estime que l'autorité précédente a méconnu le droit (ATF 142 I 99 consid. 1.7.1; 142 III 364 consid. 2.4 et la référence). Le Tribunal fédéral ne connaît par ailleurs de la violation de droits fondamentaux que si un tel grief a été expressément invoqué et motivé de façon claire et détaillée (" principe d'allégation ", art. 106 al. 2 LTF; ATF 148 I 127 consid. 4.3; 147 IV 453 consid. 1; 146 IV 114 consid. 2.1).  
Lorsque la décision attaquée se fonde sur plusieurs motivations indépendantes, alternatives ou subsidiaires, toutes suffisantes pour sceller le sort de la cause, la partie recourante doit, sous peine d'irrecevabilité, démontrer que chacune d'entre elles est contraire au droit en se conformant aux exigences de motivation requises (ATF 142 III 364 consid. 2.4; 138 III 728 consid. 3.4; 138 I 97 consid. 4.1.4 et les références). 
 
2.2. Le Tribunal fédéral statue sur la base des faits établis par l'autorité précédente (art. 105 al. 1 LTF). Il ne peut s'en écarter que si ceux-ci ont été constatés de façon manifestement inexacte ou en violation du droit au sens de l'art. 95 LTF (art. 105 al. 2 LTF), et si la correction du vice est susceptible d'influer sur le sort de la cause (art. 97 al. 1 LTF). La partie recourante qui soutient que les faits ont été établis d'une manière manifestement inexacte, c'est-à-dire arbitraire au sens de l'art. 9 Cst. (ATF 148 IV 39 consid. 2.3.5; 147 I 73 consid. 2.2; 144 II 246 consid. 6.7; 143 I 310 consid. 2.2 et la référence), doit satisfaire au principe d'allégation (art. 106 al. 2 LTF; cf. supra consid. 2.1). En matière d'appréciation des preuves et d'établissement des faits, il n'y a arbitraire que lorsque l'autorité ne prend pas en compte, sans raison sérieuse, un élément de preuve propre à modifier la décision, lorsqu'elle se trompe manifestement sur son sens et sa portée, ou encore lorsque, en se fondant sur les éléments recueillis, elle en tire des constatations insoutenables (ATF 148 I 127 consid. 4.3; 147 V 35 consid. 4.2; 143 IV 500 consid. 1.1 et la référence). La partie recourante ne peut pas se borner à contredire les constatations litigieuses par ses propres allégations ou par l'exposé de sa propre appréciation des preuves; elle doit indiquer de façon précise en quoi ces constatations sont arbitraires au sens de l'art. 9 Cst. (ATF 133 II 249 consid. 1.4.3). Une critique des faits qui ne satisfait pas à cette exigence est irrecevable (ATF 147 IV 73 consid. 4.1.2 et les références; 145 IV 154 consid. 1.1).  
 
3.  
La recourante se plaint d'une violation de son droit d'être entendue (art. 6 par. 1 CEDH; 29 al. 2 Cst.), sous l'aspect du droit à une décision motivée. 
Elle invoque tout d'abord que le juge cantonal n'aurait pas tenu compte d'un grief pourtant pertinent et important pour la décision à rendre, à savoir que le jugement français viole l'ordre public formel suisse car les juges l'ayant rendu ont contrevenu à l'exigence d'indépendance de l'art. 6 CEDH en étant prévenus. Cette critique, qui frise la témérité, est sans fondement. La lecture de la décision attaquée, en particulier de son consid. 2.1 (p. 5-6), montre que le juge cantonal a pris en compte les arguments que la recourante désigne, par référence aux chiffres 59, 60, 66, 67, 68, 69, 70, 71 et 112 de son recours cantonal, comme ayant été omis. Par ailleurs, l'intéressée joue sur les mots, en feignant de ne pas comprendre la motivation du juge cantonal. A l'évidence, celui-ci se référait aux motifs concrets de récusation à l'endroit de chacun des membres du tribunal ayant rendu le jugement lorsque, après avoir dûment examiné la question expressément soulevée par la recourante de l'indépendance et de l'impartialité des tribunaux de commerce français au regard notamment de l'art. 6 CEDH, il a retenu qu'autre était la question de savoir si les membres ayant composé le tribunal en l'occurrence étaient prévenus de quelque façon que ce soit. Or on ne trouve en effet, aux chiffres du recours cantonal mis en exergue par la recourante, nulle mention d'un quelconque comportement propre à faire concrètement douter de l'impartialité des juges mis en cause. 
Selon la recourante, le juge cantonal n'aurait pas non plus traité de son grief selon lequel le jugement français ne comportait ni les faits ni les motifs permettant de vérifier comment le Tribunal de commerce de Laval avait fondé sa compétence, ce qui devait conduire au refus de l'exequatur conformément à la jurisprudence. Là également, force est de constater que le juge cantonal a examiné la question de la compétence dudit tribunal en traitant les griefs de violation des art. 35 par. 1 CL cum art. 64 par. 3 CL ainsi que des art. 6 CEDH, 5, 29, 30 et 190 Cst. soulevés par la recourante aux chiffres de son recours cantonal du 30 janvier 2023 et de ses déterminations des 31 mars et 20 avril 2023 qu'elle met en avant dans le présent recours (cf. décision attaquée, consid. 4 p. 15 ss). La recourante oublie qu'à teneur de la jurisprudence, le juge n'est pas tenu de discuter tous les arguments soulevés par les parties, mais peut se limiter à l'examen des questions décisives pour l'issue du litige (ATF 149 IV 249 consid. 2.4, 409 consid. 5.3.4; 142 II 154 consid. 4.2; 139 IV 179 consid. 2.2). Elle confond le défaut de motivation, qui relève du droit d'être entendu, avec le désaccord que la motivation présentée a suscité chez elle et qui relève du fond (ATF 145 III 324 consid. 6.1; arrêt 5A_445/2023 du 2 octobre 2023 consid. 3.2). Le moyen est, partant, mal fondé. 
 
4.  
La recourante se plaint d'un établissement arbitraire des faits et " accessoirement " d'une violation de son droit d'être entendue, reprochant au juge cantonal de ne pas avoir ordonné " l'édition de la cause " devant l'autorité française alors que ce moyen de preuve avait été requis dans le recours cantonal. Selon elle, l'édition de la procédure française aurait notamment permis au juge cantonal de vérifier la conformité à l'ordre public suisse du jugement français. La prise de connaissance de la procédure française était indispensable pour vérifier le respect des garanties procédurales des art. 6 CEDH, 29 et 30 Cst. au regard des griefs qu'elle avait soulevés. Un tel moyen de preuve aurait ainsi permis audit magistrat de prendre sa décision en connaissance de cause et de rendre une décision motivée permettant de vérifier que les griefs soulevés dans le recours cantonal avaient été valablement examinés, respectivement de dûment interjeter recours. Si le Tribunal cantonal n' " a[vait] pas vocation " à revoir la décision au fond, il avait en revanche le devoir de se prononcer sur les griefs soulevés devant lui conformément aux art. 34, 35 et 45 CL ainsi que 327a CPC, ce qu'il pouvait difficilement faire sans avoir en mains " le dossier judiciaire objet de sa compétence " (sic). 
La critique ne porte pas. Le juge cantonal ayant procédé à l'examen anticipé du moyen de preuve demandé par la recourante, celle-ci devait démontrer, conformément aux exigences accrues de motivation applicables aux griefs de violation de droits fondamentaux, en quoi cette appréciation était arbitraire (cf. supra consid. 2.2). Or, la recourante se contente d'une motivation très générale et se limite pour le surplus à donner son point de vue sur la pertinence de son offre de preuve, sans pour autant la démontrer. La recourante n'explique par ailleurs pas en quoi, alors qu'elle était partie à la procédure française, elle aurait été empêchée de produire, à l'appui de son recours cantonal, les pièces du dossier français censées étayer ses griefs, étant au demeurant rappelé que l'art. 326 al. 1 CPC est inapplicable au recours formé par le débiteur selon l'art. 327a CPC (ATF 138 III 82 consid. 3.5.3; arrêts 5A_528/2022 du 6 février 2023 consid. 3.2; 5A_568/2012 du 24 janvier 2013 consid. 4). Dès lors qu'elle a effectivement participé à la procédure française en qualité de défenderesse, elle devrait en effet être en possession des pièces qu'il lui appartenait de produire à l'appui de ses griefs. 
 
5.  
Enfin, dans une argumentation difficilement compréhensible, la recourante reproche au juge cantonal de ne pas avoir retenu que le jugement français était contraire à l'ordre public matériel suisse en tant qu'il avait, dans sa partie " en droit ", appliqué des conditions générales au litige, tout en n'ayant aucunement retenu leur existence ou un " putatif accord des parties à leur sujet " dans sa partie " en fait ". Elle y voit une contradiction qui empêcherait de reconnaître le caractère exécutoire dudit jugement, par référence à un arrêt 4A_346/2020 du 6 janvier 2021 consid. 6.2.1 relatif à la portée de la fidélité contractuelle sous l'angle de l'art. 190 al. 2 let. e LDIP, que le juge cantonal aurait méconnu. " Retenir, comme l'a[vait] fait [celui-ci], qu'il n'y a[vait] pas de contradiction dans le jugement français au simple motif que ce dernier n'a[vait] pas retenu en fait que les conditions générales n'étaient pas applicables constitu[ait] [en effet] une approche de la jurisprudence précitée qui ne p[ouvait] pas être suivie ". 
La recourante perd de vue que l'art. 34 par. 1 CL, seule base légale pertinente en l'occurrence, requiert une violation manifeste d'une règle de droit considérée comme essentielle dans l'ordre juridique de l'Etat requis. Si le principe de la fidélité contractuelle ( pacta sunt servanda) constitue bien une telle règle (cf. FRIDOLIN WALTHER, in Commentaire Stämpfli, Lugano-Übereinkommen [LugÜ], 3ème éd. 2021, n° 27 ad art. 34 CL), sa violation manifeste n'est en l'espèce nullement démontrée. Quoi qu'il en soit, la recourante ne s'en prend qu'à l'un des pans de la motivation de la décision attaquée. Alors que cela lui incombait (cf. supra consid. 2.1), elle ne dit en effet mot du constat du juge cantonal, suffisant en soi, selon lequel les juges du Tribunal de commerce de Laval avaient considéré que les conditions générales de vente de l'intimée n'étaient " pas contestées par les Parties ", et que la recourante ne pointait pas de passage, dans le jugement en cause, qui confirmerait son avis selon lequel l'autorité française aurait " imposé aux parties le respect d'une règle dont elle a[vait] pourtant constaté l'inexistence ". Autant que recevable, le grief est rejeté.  
 
6.  
En définitive, le recours est rejeté dans la mesure de sa recevabilité. Les frais judiciaires sont mis à la charge de la recourante, qui succombe (art. 66 al. 1 LTF). L'intimée, qui n'a pas été invitée à se déterminer au fond mais a été suivie dans les conclusions qu'elle a prises dans ses déterminations sur la requête d'effet suspensif, a droit à une indemnité de dépens pour cette écriture, mise à la charge de la recourante (art. 68 al. 1 et 2 LTF). 
 
 
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :  
 
1.  
Le recours est rejeté dans la mesure où il est recevable. 
 
2.  
Les frais judiciaires, arrêtés à 7'000 fr., sont mis à la charge de la recourante. 
 
3.  
Une indemnité de 500 fr., à verser à l'intimée à titre de dépens, est mise à la charge de la recourante. 
 
4.  
Le présent arrêt est communiqué aux parties et au Juge unique de la Chambre civile du Tribunal cantonal du canton du Valais. 
 
 
Lausanne, le 23 novembre 2023 
 
Au nom de la IIe Cour de droit civil 
du Tribunal fédéral suisse 
 
Le Président : Herrmann 
 
La Greffière : Feinberg