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Bundesgericht 
Tribunal fédéral 
Tribunale federale 
Tribunal federal 
 
 
 
 
5A_113/2021  
 
 
Arrêt du 12 juillet 2023  
 
IIe Cour de droit civil  
 
Composition 
MM. les Juges fédéraux Herrmann, Président, 
von Werdt et Schöbi. 
Greffier : M. Braconi. 
 
Participants à la procédure 
A.________, 
représenté par Me Shahram Dini, avocat, 
recourant, 
 
contre  
 
B.________ SA, 
représentée par Mes Frédéric Bétrisey et Aurélie Conrad Hari, avocats, 
intimée. 
 
Objet 
mainlevée provisoire de l'opposition, 
 
recours contre l'arrêt de la Chambre civile de la Cour 
de justice du canton de Genève du 14 décembre 2020 (C/25707/2019 ACJC/1806/2020). 
 
 
Faits :  
 
A.  
Statuant le 27 août 2020, le Tribunal de première instance de Genève a levé provisoirement, à concurrence de 10'606'655 fr. avec intérêts à 5 % dès le 6 juin 2019, l'opposition formée par A.________ au commandement de payer qui lui a été notifié à la réquisition de B.________ SA ( poursuite n° xxx de l'Office des poursuites de Genève).  
Par arrêt du 14 décembre 2020, la Chambre civile de la Cour de justice du canton de Genève a rejeté le recours du poursuivi. 
 
B.  
Par mémoire expédié le 8 février 2021, le poursuivi exerce un recours en matière civile au Tribunal fédéral contre l'arrêt précité, concluant sur le fond au rejet de la requête de mainlevée. 
Par ordonnance du 22 avril 2021, le Président de la IIe Cour de droit civil a refusé l'effet suspensif. 
Des observations sur le fond n'ont pas été requises. 
 
C.  
La présente procédure a été suspendue à de nombreuses reprises en raison de pourparlers, qui n'ont toutefois pas abouti. Le 15 juin 2022, le Président de la Cour de céans a ordonné la reprise de l'instruction de la cause. 
 
 
Considérant en droit :  
 
1.  
Le recours a été déposé dans le délai légal (art. 100 al. 1 LTF) contre une décision finale (art. 90 LTF) rendue en matière de poursuite pour dettes (art. 72 al. 2 let. a LTF) par une autorité cantonale de dernière instance statuant sur recours (art. 75 al. 1 et 2 LTF). La valeur litigieuse atteint amplement le seuil légal (art. 74 al. 1 let. b LTF). Le poursuivi, qui a pris part à la procédure devant l'autorité précédente et possède un intérêt digne de protection à l'annulation ou à la modification de l'arrêt entrepris, a qualité pour recourir (art. 76 al. 1 LTF). 
 
2.  
En l'espèce, l'autorité cantonale a constaté que, le 12 novembre 2009, la SCI C.________ - société civile immobilière de droit français dont le siège est à U.________ (France) - et B.________ SA ont conclu un contrat intitulé " French Mortgage Loan Facility - Fixed Term ", soumis au droit suisse, par lequel la seconde s'est engagée à mettre à disposition de la première une somme de 9'500'000 Euros; cet accord, rédigé en anglais, a été signé, au nom de la SCI C.________, par A.________. Le même jour, celui-ci a signé une " Letter of Indemnity ", à teneur de laquelle il a garanti " irrévocablement et inconditionnellement tout engagement de l'Emprunteur envers la Banque dans le cadre de la relation de crédit susmentionnée [...], indépendamment de la validité et des effets de cette relation de crédit ", et renoncé " à toute objection et moyen de défense découlant de cette relation de crédit "; cette garantie s'étend notamment " au paiement de toute somme due par l'Emprunteur à la Banque, à concurrence de EUR 9'5000'000 " en capital, intérêts et tous autres frais compris; elle est de surcroît " indépendante (et non un gage ou un « cautionnement ») " et régie par le droit suisse, en particulier l'art. 111 CO. Le 13 novembre 2009, la somme précitée a été inscrite au crédit du compte de la SCI C.________ auprès de la banque.  
Le 19 août 2014, la Banque B.________ a informé l'emprunteuse que son compte présentait un découvert de 162'056.56 Euros à titre d'intérêts et lui demandait de " régulariser " la situation au plus tard le 25 août 2014; faute de réaction, elle a résilié le contrat de crédit et requis le paiement de la somme de 9'719'978.01 Euros - dont 9'500'000 Euros à titre de capital - pour le 13 novembre 2014. Le 14 novembre 2014, elle a mis en demeure A.________ de lui verser la somme précitée due par la société, réservant ses droits découlant du " porte-fort " souscrit le 12 novembre 2009.  
Après divers reports du délai de paiement octroyé à la SCI C.________, la Banque B.________ a invoqué le 24 mai 2019 la " Letter of Indemnity " et mis en demeure A.________ de lui verser d'ici au 5 juin 2019 la somme de 9'500'000 Euros. Le 6 juin 2019, elle lui a fait notifier un commandement de payer la somme de 10'606'655 fr. (contrevaleur de 9'500'000 Euros) avec intérêts à 5 % dès le 6 juin 2019, en se prévalant de la " Letter of Indemnity signée [...] le 12 novembre 2009".  
 
2.1. Constitue une reconnaissance de dette au sens de l'art. 82 al. 1 LP en particulier l'acte sous seing privé, signé par le poursuivi - ou son représentant -, d'où ressort sa volonté de payer au poursuivant, sans réserve ni condition, une somme déterminée, ou aisément déterminable, et exigible (ATF 148 III 145 consid. 4.1.1 et la jurisprudence citée). La promesse de porte-fort, au sens de l'art. 111 CO, vaut reconnaissance de dette dans la poursuite introduite contre le garant si le poursuivant établit par titre l'existence et le montant que lui a causé l'inexécution de la prétention garantie (parmi d'autres: STAEHELIN, in : Basler Kommentar, Bundesgesetz über Schuldbetreibungs- und Konkurs, vol. I, 3e éd., 2021, n° 137, et VEUILLET, in : La mainlevée de l'opposition, 2017, n° 198 ad art. 82 LP, avec les références citées par ces auteurs).  
En l'espèce, la cour cantonale a constaté que le recourant critiquait de manière toute générale le jugement de première instance, sans exposer quel passage de cette décision serait erroné, " de sorte qu'il n'est pas possible de comprendre quel est son grief ". En " tout état ", c'est à juste titre que le premier juge a admis que la " Letter of Indemnity " signée par le poursuivi était un " porte-fort ", valant reconnaissance de dette au sens de l'art. 82 al. 1 LP: elle contient l'engagement de l'intéressé de payer toute somme due par l'emprunteuse à hauteur de 9'500'000 Euros, à première demande de la poursuivante, moyennant une attestation que le montant réclamé correspond bien au montant impayé. Il résulte des autres pièces produites par la poursuivante que le contrat de crédit a été résilié, que le remboursement du capital versé était exigible (intérêts et frais compris), à savoir une somme supérieure à celle en poursuite, " dûment rendue vraisemblable ".  
 
2.2. Le recourant fait valoir, en bref, que son engagement correspond à un " cautionnement ", nul pour vice de forme, faute de revêtir la forme authentique (art. 493 al. 2 CO).  
Conformément à l'art. 82 al. 2 LP, le poursuivi peut faire échec à la mainlevée en rendant immédiatement vraisemblable - en principe par pièces (art. 254 al. 1 CPC; arrêt 5A_630/2010 du 1er septembre 2011 consid. 2.2) - sa libération ( cf. ATF 96 I 4 consid. 2). Lorsque le juge statue sous l'angle de la (simple) vraisemblance, il doit, en se fondant sur des éléments objectifs, acquérir l'impression que les faits allégués se sont produits, sans exclure pour autant la possibilité qu'ils se soient déroulés autrement (ATF 132 III 140 consid. 4.1.2). Le poursuivi peut invoquer tous les moyens de droit civil - exceptions ou objections - qui infirment la reconnaissance de dette (ATF 142 III 720 consid. 4.1, avec les citations), singulièrement le vice de forme qui affecte son obligation ( cf. pour le cautionnement: ATF 119 Ia 441; VEUILLET, ibidem, n° 116 et les citations).  
 
3.  
La distinction entre cautionnement et port-fort - ou autre engagement indépendant - est source de controverses récurrentes (ATF 129 III 702 et les références), qui n'épargnent pas la procédure de mainlevée (arrêt 5A_989/2021 du 3 août 2022 consid. 5). Pour résoudre cette question, il faut interpréter le contrat (art. 18 CO), étant rappelé que, en procédure de mainlevée d'opposition, le juge ne peut prendre en compte que les éléments intrinsèques au titre (ATF 148 III 145 consid. 4.1.2, avec la jurisprudence citée). A cet égard, les termes - fussent-ils clairs comme en l'espèce - utilisés par les contractants ne sont pas nécessairement déterminants, sous peine d'éluder la protection dont bénéficie la caution (arrêt 5A_849/2012 du 25 juin 2013 consid. 2.2.1 et les références). En revanche, le fait que le titre ait été rédigé par le poursuivant - comme dans le cas présent - est dépourvu de pertinence aux fins de l'art. 82 al. 1 LP; il suffit qu'il comporte la signature du poursuivi, condition qui n'est pas litigieuse (arrêt 5A_849/2012 précité consid. 2.1). 
 
3.1. Il n'y a pas lieu de rechercher si, quant à l'existence d'un titre à la mainlevée, la décision entreprise repose sur deux motifs indépendants et suffisants pour sceller le sort du litige ( cf. supra, consid. 2.1; sur cette exigence: ATF 142 III 364 consid. 2.4 et les arrêts cités); le recours est en effet voué à l'échec.  
 
3.2. Selon les constatations de la décision attaquée (art. 105 al. 1 LTF; ATF 140 III 16 consid. 1.3.1), le recourant s'est contenté d'affirmer en instance cantonale (consid. 5.2) qu'" aucune des pièces produites ne saurait valoir reconnaissance de dette " au sens de l'art. 82 al. 1 LP et de la jurisprudence, et que le " rapprochement des pièces produites ne permet pas de parvenir à une autre solution ". Il ne résulte donc pas de l'arrêt déféré qu'il aurait plaidé son " inexpérience [...] dans le domaine des actes d'intercession ", ni qu'il aurait allégué et prouvé les éléments corroborant l'existence d'un cautionnement, en particulier au sujet des " raisons pour lesquelles [les parties] n'auraient pas adopté la forme du cautionnement " pour la garantie souscrite. Au demeurant, il ne discute pas la clause de renonciation " à toute objection et moyen de défense découlant de cette relation de crédit ", qui est en principe révélatrice d'un engagement indépendant ( cf. arrêt 5P.218/1997 du 29 juillet 1997 consid. 2b et la jurisprudence citée [ i.c. " letter of indemnity "]). Enfin, le moyen - apparemment non invoqué devant l'autorité précédente - pris du montant " extrêmement important " de son engagement est dépourvu de pertinence en tant que tel, d'autant qu'il n'est pas prétendu que cet engagement serait invalide en raison d'une lésion (art. 21 CO; cf. arrêt 5A_105/2018 du 12 octobre 2018 consid. 2.3) ou d'une crainte fondée (art. 29/30 CO; cf. arrêt 5A_652/2011 du 28 février 2012 consid. 3.2.2 et les citations). Vu l'indigence des griefs soumis à l'autorité précédente et l'inconsistance des critiques soulevées céans ( cf. art. 42 al. 2 LTF), aucun indice déterminant ne permet d'admettre - fût-ce au degré de la simple vraisemblance - qu'une interprétation littérale soit étrangère à la volonté des parties. Au regard de la cognition restreinte du juge de la mainlevée - en particulier quant à l'interprétation du titre - la juridiction cantonale n'a en définitive pas enfreint le droit fédéral en qualifiant de " porte-fort " l'engagement litigieux.  
Au demeurant, la loi n'interdit pas aux parties de choisir, en vertu de la liberté des conventions (art. 19 CO), une autre forme juridique que le cautionnement ou le porte-fort pour garantir l'exécution d'une prestation pécuniaire; la pratique admet la légalité d'engagements sui generis ou innomés non soumis aux art. 111 et 492 ss CO (arrêt 4C.24/1992 du 13 avril 1993 consid. 4a, non publié in : ATF 119 II 132, commenté par LOGOZ, in : Bulletin Cedidac n° 20/1993 p. 6 ss; MEYER, in : Commentaire romand, CO I, 3e éd., 2021, n° 24 et note 48 ad art. 492-512 CO, avec les citations), susceptibles de valoir reconnaissance de dette au sens de l'art. 82 al. 1 LP ( cf. arrêts 5P.218/1997 du 29 juillet 1997 consid. 2b; 5P.450/1999 du 23 mars 2000 consid. 3c). Or - bien qu'il n'y ait pas lieu d'approfondir la question -, pour les motifs exposés par l'autorité cantonale, l'engagement du recourant remplit bien cette qualité.  
 
3.3. Vu les motifs qui précèdent, il n'y a pas lieu d'examiner si la nullité du contrat pour vice de forme (art. 11 CO) doit être relevée d'office par le juge de la mainlevée, comme le prétend le recourant ( cf. sur cette controverse: STAEHELIN, ibidem, n° 48 et les citations).  
 
4.  
Vu ce qui précède, le présent recours doit être rejeté, avec suite de frais à la charge du recourant qui succombe (art. 66 al. 1 LTF). Il convient d'allouer des dépens à l'intimée pour ses déterminations sur la requête d'effet suspensif (art. 68 al. 1 et 2 LTF). 
 
 
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :  
 
1.  
Le recours est rejeté. 
 
2.  
Sont mis à la charge du recourant: 
 
2.1. les frais judiciaires, arrêtés à 30'000 fr.;  
 
2.2. une indemnité de 1'000 fr. à payer à l'intimée à titre de dépens.  
 
3.  
Le présent arrêt est communiqué aux parties et à la Chambre civile de la Cour de justice du canton de Genève. 
 
 
Lausanne, le 12 juillet 2023 
 
Au nom de la IIe Cour de droit civil 
du Tribunal fédéral suisse 
 
Le Président : Herrmann 
 
Le Greffier : Braconi