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Bundesgericht 
Tribunal fédéral 
Tribunale federale 
Tribunal federal 
 
 
 
 
4A_65/2023  
 
 
Arrêt du 15 novembre 2023  
 
Ire Cour de droit civil  
 
Composition 
Mmes les Juges fédérales 
Jametti, Présidente, Kiss et May Canellas. 
Greffier : M. Botteron. 
 
Participants à la procédure 
A.________, 
représenté par Me Christian Bruchez, avocat, 
recourant, 
 
contre  
 
B.________, 
représenté par Me Ghita Dinsfriend-Djedidi, avocate, 
intimé. 
 
Objet 
contrat de travail, 
 
recours contre l'arrêt rendu le 19 décembre 2022 par la Chambre des prud'hommes de la Cour de justice du canton de Genève (C/12404/2021-1 CAPH/196/2022). 
 
 
Faits :  
 
A.  
Par contrat de durée indéterminée du 3 juillet 2015, A.________ (ci-après: l'employé) a été engagé par B.________ (ci-après: l'employeur), titulaire de la raison individuelle C.________, en qualité de peintre en bâtiment à temps complet à partir du 1er juillet 2015. La durée du travail convenue était de 40 heures par semaine et le salaire horaire de 30 fr. brut, droit aux vacances et treizième salaire compris. Il sera augmenté à 32 fr. en 2016, 32 fr. 50 dès le 1er février 2017 et 33 fr. dès le 1er juin 2019. Son droit annuel aux vacances était de trente jours dès lors qu'il était âgé de plus de cinquante ans. 
Le contrat prévoyait en outre que les parties étaient liées par l'ensemble des dispositions de la Convention collective romande du second oeuvre (CCT-SOR). 
Aux termes de l'art. 23 al. 1 let. c CCT-SOR 2011, dont la teneur est demeurée inchangée dans la CCT-SOR 2019, le temps de transport est indemnisé selon le tarif horaire sans supplément dans la mesure où il dépasse une demi-heure par jour à compter de l'heure de rassemblement à celle du début du travail et de l'heure de la fin. 
Durant toute son activité, l'employé a rempli des décomptes d'heures qu'il a parfois signés, inscrivant systématiquement avoir effectué huit heures de travail par jour. 
Selon ses fiches de salaire, il a été rémunéré à raison de huit heures par jour travaillé. 
Par courrier remis en mains propres le 28 août 2020, l'employeur a résilié le contrat de travail de l'employé pour le 31 octobre 2020 en raison d'une baisse d'activité. 
Compte tenu d'une incapacité de travail de l'employé pour cause de maladie dès le 1er septembre 2020, le terme du contrat a été reporté au 31 janvier 2021. 
 
B.  
 
B.a. Par demande déposée le 24 juin 2021, déclarée non conciliée et portée devant le Tribunal des prud'hommes de Genève le 27 juillet 2021, l'employé a assigné l'employeur en paiement de 15'810 fr. avec intérêts, dont 12'910 fr. 75 brut à titre de salaire pour trente minutes supplémentaires travaillées tous les matins de 7h.30 à 8h.00 du 1er juillet 2016 au 31 août 2020, 1'683 fr. 55 brut à titre d'indemnité pour jours de vacances non pris et 1'215 fr. 70 brut à titre de treizième salaire, calculés tous deux sur cette demi-heure supplémentaire. Il a également conclu à la délivrance de fiches de salaire rectifiées.  
Dans sa réponse, l'employeur a conclu au déboutement de l'employé et, reconventionnellement, à ce que ce dernier lui doive paiement d'une amende de 1'000 fr. pour procédure téméraire. 
Par jugement du 18 mai 2022, le Tribunal des Prud'hommes de Genève a condamné l'employeur à verser à l'employé la somme brute de 15'810 fr. avec intérêts moratoires et à lui remettre des fiches de salaire rectifiées. Il s'est en effet déclaré convaincu du fait que l'employé prenait son emploi à 7h.30, de sorte qu'il travaillait une demi-heure supplémentaire par jour. Il a débouté l'employeur de sa conclusion reconventionnelle. 
 
B.b. Par arrêt du 19 décembre 2022, la Chambre des prud'hommes de la Cour de justice du canton de Genève a admis l'appel de l'employeur, annulé ce jugement et débouté l'employé des fins de sa demande en paiement. Ses motifs seront exposés dans les considérants en droit du présent arrêt, dans la mesure utile à la discussion des griefs du recourant.  
 
C.  
L'employé forme un recours en matière civile en concluant au paiement par l'employeur de 15'810 fr. avec intérêts moratoires à 5 % l'an dès le 1er septembre 2020 au titre des heures travaillées et non payées du 1er juillet 2016 au 31 août 2020, des vacances et du treizième salaire correspondants. 
Dans sa réponse, l'intimé conclut au rejet du recours. Dans la sienne, la Cour cantonale s'en réfère à son arrêt. 
Les parties ont encore répliqué et dupliqué de manière spontanée. 
 
 
Considérant en droit :  
 
1.  
Les conditions de recevabilité du recours en matière civile sont réalisées sur le principe, notamment en ce qui a trait à la valeur litigieuse minimale de 15'000 fr. dans ce conflit de droit du travail (art. 74 al. 1 let. a LTF), et quant au respect du délai de recours (art. 100 al. 1 LTF). 
 
2.  
 
2.1. Le recours en matière civile peut être exercé pour violation du droit fédéral (art. 95 let. a LTF), y compris le droit constitutionnel (ATF 136 I 241 consid. 2.1; 136 II 304 consid. 2.4). Le Tribunal fédéral applique le droit d'office (art. 106 al. 1 LTF). Il n'est donc limité ni par les arguments soulevés dans le recours, ni par la motivation retenue par l'autorité précédente; il peut admettre un recours pour un autre motif que ceux qui ont été invoqués et il peut rejeter un recours en adoptant une argumentation différente de celle de l'autorité précédente (ATF 140 III 86 consid. 2; 138 II 331 consid. 1.3; 137 II 313 consid. 1.4; 135 III 397 consid. 1.4). Compte tenu de l'exigence de motivation contenue à l'art. 42 al. 1 et 2 LTF, sous peine d'irrecevabilité (art. 108 al. 1 let. b LTF), le Tribunal fédéral n'examine en principe que les griefs invoqués, sauf en cas d'erreurs juridiques manifestes. Il n'est pas tenu de traiter, comme le ferait une autorité de première instance, toutes les questions juridiques qui se posent, lorsque celles-ci ne sont plus discutées devant lui (ATF 140 III 86 consid. 2, 115 consid. 2; 137 III 580 consid. 1.3). Par exception à la règle selon laquelle il applique le droit d'office, il n'examine la violation d'un droit constitutionnel que si le grief a été invoqué et motivé de façon détaillée (art. 106 al. 2 LTF; ATF 139 I 22 consid. 2.3; 137 III 580 consid. 1.3; 135 III 397 consid. 1.4 in fine).  
 
2.2. Le Tribunal fédéral statue sur la base des faits établis par l'autorité précédente (art. 105 al. 1 LTF). Il ne peut rectifier ou compléter les constatations de l'autorité précédente que si elles sont manifestement inexactes ou découlent d'une violation du droit au sens de l'art. 95 LTF (art. 105 al. 2 LTF). "Manifestement inexactes" signifie ici "arbitraires" (ATF 141 IV 249 consid. 1.3.1; 140 III 115 consid. 2; 135 III 397 consid. 1.5). Encore faut-il que la correction du vice soit susceptible d'influer sur le sort de la cause (art. 97 al. 1 LTF).  
La critique de l'état de fait retenu est soumise au principe strict de l'allégation énoncé par l'art. 106 al. 2 LTF (ATF 140 III 264 consid. 2.3 et les références). La partie qui entend attaquer les faits constatés par l'autorité précédente doit expliquer clairement et de manière circonstanciée en quoi les conditions précitées seraient réalisées (ATF 140 III 16 consid. 1.3.1 et les références). Si elle souhaite obtenir un complètement de l'état de fait, elle doit aussi démontrer, par des renvois précis aux pièces du dossier, qu'elle a présenté aux autorités précédentes en conformité avec les règles de procédure les faits juridiquement pertinents à cet égard et les moyens de preuve adéquats (ATF 140 III 86 consid. 2). Si la critique ne satisfait pas à ces exigences, les allégations relatives à un état de fait qui s'écarterait de celui de la décision attaquée ne pourront pas être prises en considération (ATF 140 III 16 consid. 1.3.1). Aucun fait nouveau ni preuve nouvelle ne peut être présenté à moins de résulter de la décision de l'autorité précédente (art. 99 al. 1 LTF). 
 
3.  
Les parties ont été liées par un contrat de travail qui a pris fin, à l'initiative de l'employeur, le 31 janvier 2021. Ce contrat intégrait la CCT-SOR. Le litige porte exclusivement sur la question de savoir si l'employé recourant devait être payé pour la demi-heure qu'il prétend avoir exécutée en plus des heures figurant sur ses décomptes de salaire les jours où il a travaillé entre le 1er juillet 2016 et le 31 août 2020. Le sort de l'indemnité à raison des vacances non-prises et du treizième salaire auxquels il prétend également dépend de la réponse qui sera donnée à cette question. 
La Cour cantonale a considéré que cette créance était dépourvue de fondement. L'employé arrivait bien le matin à l'atelier vers 7h.30; cela étant, il n'avait pas établi avoir occupé le laps de temps compris entre 7h.30 et 8h.00 à des tâches relevant du travail. Partant, elle a retenu que cette demi-heure avait été dédiée au déplacement jusqu'aux chantiers. Comme selon l'art. 23 al. 1 let. c de la CCT-SOR, le temps de transport n'était indemnisé que s'il dépassait une demi-heure par jour et que l'employé n'avait pas établi avoir travaillé le soir au-delà de 17h.00, ni formulé de prétention dans ce sens, il n'avait pas droit à une rémunération pour les trente minutes litigieuses. 
 
4.  
Le recourant se plaint d'une violation du droit fédéral. Selon lui, l'art. 23 al. 1 let. c CCT-SOR serait contraire à l'art. 13 OLT 1. Cette contrariété au droit impératif fédéral le priverait de toute portée. 
 
4.1. Selon l'art. 13 al. 1 première phrase de l'Ordonnance 1 du 10 mai 2000 relative à la loi sur le travail (OLT 1; RS 822.111), est réputé durée du travail au sens de la loi le temps pendant lequel le travailleur doit se tenir à la disposition de l'employeur; le temps qu'il consacre au trajet pour se rendre sur son lieu de travail et en revenir n'est pas réputé durée du travail. D'après l'al. 2, lorsque le travailleur doit exercer son activité ailleurs que sur son lieu de travail habituel et que la durée ordinaire du trajet s'en trouve rallongée, le surplus de temps ainsi occasionné par rapport au trajet ordinaire est réputé temps de travail.  
Comme l'intitulé de cette disposition le révèle, elle définit la durée du travail. Le législateur a encore mentionné au regard de cette disposition qu'elle explicitait l'art. 6 al. 2 ainsi que les art. 9 à 31 de la loi fédérale sur le travail dans l'industrie, l'artisanat et le commerce (Loi sur le travail, LTr; RS 822.11). 
La loi sur le travail ainsi que ses ordonnances relèvent du droit public fédéral; elles ont essentiellement pour but de protéger la santé du travailleur de tout préjudice imputable au poste de travail et contiennent une série de prescriptions imposant à l'employeur des charges et des obligations destinées à protéger les travailleurs, auxquelles il ne peut être dérogé qu'en faveur de ces derniers. Les prescriptions s'articulent autour de deux axes; la protection de la santé au sens large (complétées par des dispositions pour les jeunes travailleurs ainsi que pour les femmes enceintes et les mères qui allaitent) et la durée du travail et du repos. Les prescriptions corrélatives protègent la santé des travailleurs contre les horaires trop longs ou pénibles. Dans le cadre de la LTr, est ainsi seule déterminante la question de savoir si le travail peut être exécuté ou non. L'art. 13 OLT 1 précise comment calculer la durée du travail essentiellement pour les besoins de l'art. 9 LTr - lequel fixe la durée maximale de la semaine de travail à 45 heures pour certaines catégories de travailleurs, et 50 heures pour les autres - et de manière à calculer la durée du repos nécessaire (art. 15 ss LTr). En revanche, on ne peut rien tirer de cette disposition pour savoir si un salaire est dû pendant le laps de temps considéré. Le droit privé - ou le droit public s'il s'agit d'un fonctionnaire - est à cet égard seul déterminant (cf. arrêt 8C_28/2022 du 4 octobre 2022 consid. 5.3 in fine; NORDMANN/LOOSER, in: Blesi/Pietruszak/Wildhaber [éd.], Arbeitsgesetz, Bâle 2018, N. 14 ad art. 9 LTr; THOMAS GEISER, Arbeitsgesetz, in: Portmann/von Kaenel [éd.], Fachhandbuch Arbeitsrecht, Zurich 2018, ch. 16.51 p. 654 s.; DOMINIQUE YVES SCHLÄFLI, Umkleidezeiten nach schweizerischem Arbeitsrecht, in: RiU - Recht in privaten und öffentlichen Unternehmen - Band/Nr. 50, 2022, p. 44 s.). 
 
4.2. Ceci scelle le sort du grief du recourant tiré de l'art. 13 OLT 1. En effet, le recourant prend appui sur cette disposition pour affirmer que la demi-heure comprise entre 7h.30 et 8h.00 le matin devait être rémunérée, en application de l'art. 23 al. 1 let. c CCT-SOR. Or, l'art. 13 OLT 1 n'a pas vocation a résoudre cette question. Seul le droit privé peut apporter la réponse voulue. Pour l'exprimer autrement, le litige porte sur la rémunération due au recourant et non sur le point de savoir si l'employeur l'a fait travailler au-delà du plafond d'heures de travail ou s'il a violé les prescriptions sur la durée du repos prévus par la LTr. La référence à l'art. 13 OLT 1 n'apporte donc rien au débat.  
Ce grief est voué au rejet. 
 
4.3. Il demeurerait à examiner si les art. 319 ss CO contiennent une norme impérative devant laquelle plierait l'art. 23 al. 1 let. c CCT-SOR.  
Le recourant ne s'avance pas à l'affirmer. Quoi qu'il en soit, cette question peut demeurer indécise dans le cas présent. 
Il faut bien se représenter que le trajet pour se rendre de chez soi à son lieu de travail ne représente pas du temps mis à disposition de l'employeur et n'a pas à être rémunéré par ce dernier. Le temps que l'employé passe pour se rendre à l'atelier ne donne donc pas droit à un salaire. Cela étant, la situation est plus complexe lorsque l'employé n'est pas affecté à un lieu de travail fixe ou déterminé. S'il travaille sur des chantiers, il est possible que le trajet depuis chez lui jusqu'au chantier lui demande davantage de temps que s'il se rendait à l'atelier; toutefois, la situation inverse peut également se concevoir. S'il doit se rendre tout d'abord au lieu de rassemblement, par exemple l'atelier ou le dépôt de l'employeur, avant de se déplacer sur le chantier, ceci peut lui demander plus de temps, ou non, suivant la localisation du chantier en cause. Tout dépend donc des circonstances. La CCT-SOR, tout comme d'ailleurs la convention nationale du secteur principal de la construction en Suisse (voir l'art. 54 al. 1), qui prévoit que le temps de transport n'est indemnisé que s'il dépasse une demi-heure par jour, calculé depuis l'heure de rassemblement jusqu'à celle du début du travail, et depuis l'heure de la fin du travail jusqu'au retour sur le lieu du rassemblement, offre cet avantage qu'elle évite ainsi des questions épineuses et des calculs individuels complexes. 
Cela étant, avant de décréter sa contrariété au droit impératif fédéral, il faudrait en bonne logique savoir si l'employeur a prescrit à ses employés de se rendre à un lieu de rassemblement donné avant de se déplacer sur les chantiers. L'arrêt cantonal est muet sur ce chapitre et le recourant ne se plaint pas qu'un fait aurait été passé sous silence. Il faut dire que, dans sa demande, il avait allégué en procédure que le temps entre 7h.30 et 8h.00 le matin était consacré à diverses tâches telles que décharger et charger la camionnette, procéder à des achats et du rangement. C'est donc une toute autre hypothèse qu'il défendait. Celle-ci n'a pas convaincu la Cour cantonale qui a retenu que cette demi-heure avait été dédiée aux déplacements jusqu'aux chantiers. Il faudrait également déterminer, le cas échéant, quels ont été les trajets parcourus et quel surcroît de temps de déplacement ceci représentait éventuellement pour le recourant en fonction de son domicile et du lieu des différents chantiers; tous éléments sur lesquels le recours fait l'impasse. Partant, il n'est pas nécessaire de pousser plus avant l'examen de l'art. 23 CCT-SOR; ce temps de trajet ne saurait être indemnisé en toute hypothèse. 
 
5.  
En définitive, le recours doit être rejeté, aux frais de son auteur (art. 66 al. 1 LTF, sachant que ces frais sont fixés selon le tarif réduit de l'art. 65 al. 4 let. c LTF), qui versera une indemnité à son adverse partie pour ses frais d'avocat (art. 68 al. 1 et 2 LTF). 
 
 
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :  
 
1.  
Le recours est rejeté. 
 
2.  
Les frais judiciaires, fixés à 500 fr., sont mis à la charge du recourant. 
 
3.  
Le recourant versera à l'intimé une indemnité de 2'500 fr. pour ses dépens. 
 
4.  
Le présent arrêt est communiqué aux mandataires des parties et à la Chambre des prud'hommes de la Cour de justice du canton de Genève. 
 
 
Lausanne, le 15 novembre 2023 
 
Au nom de la Ire Cour de droit civil 
du Tribunal fédéral suisse 
 
La Présidente : Jametti 
 
Le Greffier : Botteron