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Bundesgericht 
Tribunal fédéral 
Tribunale federale 
Tribunal federal 
 
 
 
 
4A_344/2022  
 
 
Arrêt du 15 mai 2023  
 
Ire Cour de droit civil  
 
Composition 
Mmes les Juges fédérales 
Jametti, Présidente, Kiss et May Canellas. 
Greffière : Mme Godat Zimmermann. 
 
Participants à la procédure 
A.________, 
représentée par Me Jonathan Gretillat, avocat, 
recourante, 
 
contre  
 
B.________ SA, 
représentée par Me Basile Schwab, avocat, 
intimée. 
 
Objet 
contrat de travail; discrimination salariale (art. 3 LEg), 
 
recours contre l'arrêt rendu le 4 juillet 2022 par la 
Cour d'appel civile du Tribunal cantonal du canton 
de Neuchâtel (CACIV.2022.34). 
 
 
Faits :  
 
A.  
 
A.a. B.________ SA (ci-après: la société ou l'employeuse), dont le siège est à Neuchâtel, est active dans le domaine de l'approvisionnement et de la distribution de l'énergie électrique, de la chaleur et du gaz naturel, ainsi que de toute une série d'activités en lien avec ce but principal. Siègent à son conseil d'administration, notamment, différentes personnalités politiques, en particulier plusieurs actuels ou anciens conseillers communaux de grandes villes du canton de Neuchâtel. Son actionnariat est composé exclusivement de collectivités publiques. L'entreprise compte environ 350 employés, dont un peu moins de 20 % de femmes et une vingtaine de stagiaires.  
Une convention collective de travail a été conclue entre la société et une autre entreprise, d'une part et le Syndicat suisse des services publics et le syndicat Unia, d'autre part. 
La société est certifiée officiellement pour respecter l'égalité salariale. A la page 9 de son rapport de gestion 2019, il est indiqué : « B.________ SA a été la première entreprise suisse dans le domaine de l'énergie à obtenir la certification garantissant l'égalité salariale. Dans le cadre de ses réflexions sur l'avenir de l'entreprise, B.________ SA a souhaité éprouver son fonctionnement et encourager les femmes à entreprendre une carrière dans le milieu technique, en leur garantissant l'égalité des chances. La société spécialisée C.________, a analysé la pratique salariale pour s'assurer que les directives du bureau fédéral de l'égalité entre les femmes et les hommes soient respectées. Cette vérification a été réalisée à l'aide du modèle d'analyse standardisé Logib de la Confédération, lequel tolère au maximum des différences de plus ou moins 5 %. Les rapports détaillés de C.________ ont été revus et validés par l'organisme de contrôle neutre SGS, leader mondial de l'inspection, du contrôle, de l'analyse et de la certification. B.________ SA a obtenu la certification Fair-ON-Pay, valable 4 ans ». Cette certification a été renouvelée en 2021, 2022 et 2023. 
 
A.b. A.________ (ci-après: l'employée) est née en 1987. Se décrivant dans son curriculum vitae comme « spécialiste communication », elle est titulaire d'un bachelor en journalisme, sociologie et histoire délivré par l'Université de Neuchâtel en 2008 et d'un master en sciences sociales, sociologie de la communication et de la culture délivré par l'Université de Lausanne en 2011. Elle a suivi une formation continue, accumulé une expérience professionnelle auprès de plusieurs employeurs, assumé différents engagements bénévoles et dispose de connaissances dans plusieurs langues (C2 ou deuxième langue maternelle en espagnol, C1 en anglais, B1 en allemand et non précisé en italien [« en cours d'apprentissage » au moment de la rédaction du CV, soit probablement en 2018]). Elle maîtrise une série d'outils informatiques spécifiques (InDesign, Illustrator, Photoshop, Imovie, Premiere, Typo3, Joomla, Worldpress).  
 
A.c. Par contrat du 3 février 2016, la société a engagé l'employée en qualité de « spécialiste communication digitale » au sein du service « Communication & Image » de son département « Énergies et Produits » pour une durée indéterminée à compter du 1er mars 2016. Son taux d'activité, initialement de 80 %, a atteint 100 % dès le 1er août 2016.  
Ce poste était nouveau au sein de la société et il n'existait pas de cahier des charges corrélatif. Il dépendait de D.________, responsable du service concerné. 
L'employée percevait un salaire annuel brut de 60'629 fr. à 80 %, ou 75'787 fr. à 100 %. Elle était classée dans la catégorie de traitement 4, avec quatre ans de durée d'« expérience prise en compte ». 
Avec le salaire de décembre 2016, l'employée a perçu un treizième salaire de 4'372 fr. 30. Sa rémunération a été portée à 5'909 fr. 90 bruts, versés treize fois l'an, dès le 1er janvier 2017, puis à 5'990 fr. 10, versés treize fois l'an, dès le 1er janvier 2018. Elle est demeurée dans la même catégorie de salaire, le nombre d'années d'expérience prises en compte étant adapté chaque année. 
 
A.d. Durant son engagement, l'employée a travaillé en particulier avec E.________, spécialiste digital média. Ce dernier était le seul homme au sein du service concerné.  
Courant 2017, elle a réalisé, lors d'une discussion informelle avec son collègue masculin, qu'il était colloqué dans une classe salariale supérieure à la sienne (catégorie 3). Son revenu annuel brut était de 84'339 fr., treizième salaire inclus; il touchait donc 658 fr. de plus qu'elle par mois. 
 
A.e. En novembre 2017, l'employée a confronté son supérieur hiérarchique direct à cette situation, avant de faire appel aux conseils du syndicat Unia.  
Un entretien a eu lieu entre l'employée et le responsable des ressources humaines de la société. L'employeuse a réfuté les accusations de discrimination salariale. 
 
A.f. Le 24 janvier 2018, l'employée a résilié le contrat de travail pour le 31 mars 2018, en exprimant son mécontentement pour la façon dont la demande de réévaluation salariale qu'elle avait formulée avait été écartée.  
 
A.g. Par décision du 10 septembre 2018, la Caisse cantonale d'assurance chômage a suspendu durant 31 jours indemnisables le droit de l'employée aux indemnités de chômage, au motif que l'intéressée avait résilié le contrat de travail sans être assurée de bénéficier d'un autre emploi.  
 
B.  
 
B.a. Le 30 octobre 2018, l'employée a saisi l'autorité de conciliation d'une demande portant sur le paiement par l'employeuse de 29'560 fr. 65 (selon le dernier état de ses conclusions), plus intérêts. Face à l'échec de cette procédure, elle a porté sa demande devant le Tribunal civil du Littoral et du Val-de-Travers en concluant au paiement par l'employeuse de 29'560 fr. 65 avec intérêts à 5 % dès le 31 mars 2018, dont 17'108 fr. au titre de la différence de salaire entre le salaire de son ancien collègue de travail E.________ et le sien depuis le début de son emploi, 6'000 fr. à titre d'indemnité pour tort moral et 6'452 fr. 65 en remboursement de la retenue opérée par la caisse de chômage.  
Par jugement du 4 mars 2022, le Tribunal civil a rejeté la demande. Il a constaté que l'employée n'exerçait pas les mêmes activités que son collègue masculin, ce qu'elle admettait elle-même. Celui-ci assumait une plus grande responsabilité en lien avec la refonte du système web de l'employeuse. Leur formation et leur profil étaient également différents : l'activité de la demanderesse était orientée sur la communication (acquisition des informations auprès des autres services de la société qu'il fallait ensuite illustrer, diffuser et suivre dans l'écosystème digital), alors que le travail de son collègue l'amenait à participer aux concepts de communication, à l'élaboration de concepts créatifs, au développement de sites web et de divers médias sociaux, à la création de supports graphiques ainsi qu'aux autres activités du service. Or, selon les données statistiques, le salaire d'un journaliste - activité à laquelle la fonction de la demanderesse était apparentée - était généralement moins élevé que celui d'un ingénieur, dont son collègue - ingénieur diplômé HES Comem (Communication-Engineering-Management) - avait le profil. La différence salariale reposait donc sur des facteurs objectifs. Faute de discrimination salariale, le chef de prétention relatif au paiement de la différence de salaire à titre rétroactif devait être rejeté. Sous l'angle du tort moral, rien ne permettait de retenir que la demanderesse aurait subi une atteinte à sa personnalité qui soit objectivement grave, ce qui entraînait également le rejet de ce chef de prétention. Finalement, l'absence de discrimination liée au genre et de preuve d'une atteinte objectivement grave à la personnalité de l'employée conduisait au rejet du dernier chef de prétention, lié à la suspension du droit aux indemnités de l'assurance-chômage. 
 
B.b. Par arrêt du 4 juillet 2022, la Cour d'appel civile du Tribunal cantonal du canton de Neuchâtel a rejeté l'appel formé par l'employée. Ses motifs seront exposés dans les considérants en droit du présent arrêt.  
 
C.  
L'employée forme un recours en matière de droit civil en reprenant les conclusions de sa demande. 
Dans sa réponse, l'intimée conclut au rejet du recours. 
Pour sa part, la cour cantonale se réfère aux considérants de son arrêt. 
 
 
Considérant en droit :  
 
1.  
Interjeté dans le délai fixé par la loi (art. 100 al. 1 LTF) par l'employée, qui a succombé dans ses conclusions condamnatoires (art. 76 al. 1 LTF), et dirigé contre une décision finale (art. 90 LTF) rendue sur appel par le tribunal supérieur du canton de Neuchâtel (art. 75 LTF) dans une affaire civile de droit du travail (art. 72 al. 1 LTF) dont la valeur litigieuse s'élève au moins à 15'000 fr. (art. 74 al. 1 let. a LTF), le recours en matière civile est en principe recevable. 
 
2.  
 
2.1. Le Tribunal fédéral statue sur la base des faits établis par l'autorité précédente (art. 105 al. 1 LTF). Il ne peut s'en écarter que si ces faits ont été établis de façon manifestement inexacte - ce qui correspond à la notion d'arbitraire au sens de l'art. 9 Cst. (ATF 143 I 310 consid. 2.2; 141 IV 249 consid. 1.3.1; 140 III 115 consid. 2; 137 I 58 consid. 4.1.2; 137 II 353 consid. 5.1) - ou en violation du droit au sens de l'art. 95 LTF (art. 105 al. 2 LTF), et si la correction du vice est susceptible d'influer sur le sort de la cause (art. 97 al. 1 LTF).  
Concernant l'appréciation des preuves, le Tribunal fédéral n'intervient, du chef de l'art. 9 Cst., que si le juge du fait n'a manifestement pas compris le sens et la portée d'un moyen de preuve, a omis sans raisons objectives de tenir compte des preuves pertinentes ou a effectué, sur la base des éléments recueillis, des déductions insoutenables (ATF 140 III 264 consid. 2.3; 137 III 226 consid. 4.2; 136 III 552 consid. 4.2; 134 V 53 consid. 4.3; 129 I 8 consid. 2.1). 
La critique de l'état de fait retenu est soumise au principe strict de l'allégation énoncé par l'art. 106 al. 2 LTF (ATF 140 III 264 consid. 2.3 et les références). La partie qui entend attaquer les faits constatés par l'autorité précédente doit expliquer clairement et de manière circonstanciée en quoi ces conditions seraient réalisées (ATF 140 III 16 consid. 1.3.1 et les références). Si elle souhaite obtenir un complètement de l'état de fait, elle doit aussi démontrer, par des renvois précis aux pièces du dossier, qu'elle a présenté aux autorités précédentes, en conformité avec les règles de la procédure, les faits juridiquement pertinents à cet égard et les moyens de preuve adéquats (ATF 140 III 86 consid. 2). Si la critique ne satisfait pas à ces exigences, les allégations relatives à un état de fait qui s'écarterait de celui de la décision attaquée ne pourront pas être prises en considération (ATF 140 III 16 consid. 1.3.1). Les critiques de nature appellatoire sont irrecevables (ATF 130 I 258 consid. 1.3). 
 
2.2. Le Tribunal fédéral applique en principe d'office le droit (art. 106 al. 1 LTF) à l'état de fait constaté dans l'arrêt cantonal (ou à l'état de fait qu'il aura rectifié). Cela ne signifie pas que le Tribunal fédéral examine, comme le ferait un juge de première instance, toutes les questions juridiques qui pourraient se poser. Compte tenu de l'obligation de motiver imposée par l'art. 42 al. 2 LTF, il ne traite que les questions qui sont soulevées devant lui par les parties, à moins que la violation du droit ne soit manifeste (ATF 140 III 86 consid. 2, 115 consid. 2). Il n'est en revanche pas lié par l'argumentation juridique développée par les parties ou par l'autorité précédente; il peut admettre le recours, comme il peut le rejeter en procédant à une substitution de motifs (ATF 137 II 313 consid. 1.4; 135 III 397 consid. 1.4).  
 
2.3. Les faits rappelés par la recourante dans son recours ne seront pas pris en compte dans la mesure où ils ne ressortent pas de l'arrêt cantonal, sans que le grief d'arbitraire soit articulé. Quant aux pièces annexées au recours, à savoir des documents librement accessibles sur le site de l'Office fédéral de la statistique (OFS) en lien avec l'enquête suisse sur la structure des salaires (ESS) ainsi que la nomenclature NOGA08 utilisée dans ce contexte, elles ne peuvent être prises en compte que dans la mesure où elles renferment des éléments de fait notoires, ce qui sera examiné ci-après.  
 
3.  
Les parties ont été liées par un contrat de travail auquel la recourante a mis fin le 31 mars 2018. L'essentiel du litige porte sur la différence salariale liée au genre prohibée par l'art. 8 al. 3 Cst. et l'art. 3 al. 1 de la loi fédérale du 24 mars 1995 sur l'égalité entre femmes et hommes (LEg; RS 151.1), que l'employée reproche à l'employeuse d'avoir pratiquée à son détriment depuis son engagement. 
 
3.1. Selon l'art. 3 LEg, il est interdit de discriminer les travailleurs à raison du sexe, soit directement, soit indirectement, notamment en se fondant sur leur état civil ou leur situation familiale ou, s'agissant de femmes, leur grossesse (al. 1); l'interdiction de toute discrimination s'applique notamment à la rémunération (al. 2). Il s'agit d'une concrétisation du principe selon lequel l'homme et la femme ont droit à un salaire égal pour un travail de valeur égale, inscrit à l'art. 8 al. 3 in fine Cst.  
L'action en paiement du salaire dû figure parmi les moyens judiciaires à disposition de celle ou de celui qui subit ou risque de subir une discrimination au sens de l'art. 3 LEg (art. 5 al. 1 let. d LEg). 
 
3.2. Aux termes de l'art. 6 LEg, l'existence d'une discrimination est présumée pour autant que la personne qui s'en prévaut la rende vraisemblable. Cette disposition utilise deux institutions indépendantes l'une de l'autre: la présomption de fait et le degré de preuve (cf. FABIENNE HOHL, Procédure civile, tome I, 2e éd. 2016, n. 1657 p. 276).  
S'agissant du degré de preuve, la discrimination doit être rendue simplement vraisemblable (question de droit fédéral en lien avec l'art. 6 LEg). Il s'agit d'un assouplissement de la preuve par rapport à la certitude découlant du principe général de l'art. 8 CC. La preuve au degré de la simple vraisemblance ne nécessite pas que le juge soit convaincu du bien-fondé des arguments de la partie demanderesse; il doit simplement disposer d'indices objectifs suffisants pour que les faits allégués présentent une certaine vraisemblance, sans devoir exclure qu'il puisse en aller autrement (ATF 144 II 65 consid. 4.2.1 et 4.2.2; 142 II 49 consid. 6.2; 130 III 145 consid. 4.2). 
Le juge utilise la présomption de fait, en ce sens qu'il déduit d'indices objectifs (fait prémisses) le fait de la discrimination (fait présumé; question de fait), au degré de la simple vraisemblance. 
Par exemple, la vraisemblance d'une discrimination salariale a été admise dans le cas d'une travailleuse dont le salaire était de 15 à 25 % inférieur à celui d'un collègue masculin qui accomplissait le même travail (ATF 130 III 145 consid. 4.2 et les arrêts cités; cf. ATF 144 II 65 consid. 4.2.3). Et si une femme, qui présente des qualifications équivalentes à son prédécesseur de sexe masculin, est engagée à un salaire moins élevé que lui pour un travail inchangé, il est vraisemblable que cette différence de traitement constitue une discrimination à raison du sexe, prohibée par l'art. 3 LEg (ATF 130 III 145 consid. 4.2 et la référence). 
Lorsqu'une discrimination liée au sexe est ainsi présumée au degré de la vraisemblance, il appartient à l'employeur d'apporter la preuve stricte du contraire (ATF 144 II 65 consid. 4.2.1; 142 II 49 consid. 6.2; 130 III 145 consid. 5.2). Le fardeau de la preuve est donc renversé. Si l'employeur échoue à apporter la preuve stricte qu'il n'existe pas de différence de traitement ou, si celle-ci existe, qu'elle repose sur des facteurs objectifs, l'existence d'une discrimination salariale doit être tenue pour établie (ATF 131 II 393 consid. 7.1). 
 
3.3. Pour décider si un salaire déterminé ou si la différence entre les salaires est discriminatoire, il faut, d'une part, tenir compte de questions relevant du fait, tels le montant du salaire ou le montant de la différence entre les salaires ainsi que l'existence de circonstances alléguées, comme la formation professionnelle, l'âge, etc. Il faut déterminer, d'autre part, si les critères d'appréciation ou de différenciation sont admissibles, ce qui est une question de droit (ATF 124 II 436 consid. 8 et 9).  
Constituent des motifs objectifs ceux qui peuvent influencer la valeur même du travail, comme la formation, le temps passé dans une fonction, la qualification, l'expérience professionnelle, le domaine concret d'activité, les prestations effectuées, les risques encourus et le cahier des charges. Des disparités salariales peuvent également se justifier pour des motifs qui ne se rapportent pas immédiatement à l'activité en cause, mais qui découlent de préoccupations sociales, comme les charges familiales ou l'âge (ATF 142 II 49 consid. 6.3; 130 III 145 consid. 5.2; 127 III 207 consid. 3c). La position de force d'un travailleur dans la négociation salariale et la situation conjoncturelle peuvent conduire à une différence de rémunération pour un même travail. Mais les disparités de salaire qui sont dues à des occasions de négociation différentes ou qui résultent de fluctuations conjoncturelles doivent être compensées dès qu'il est raisonnablement possible de le faire pour l'employeur, le cas échéant dans le délai d'une année (ATF 130 III 145 consid. 5.2 et les références). Lorsque le cahier des charges est le même ou qu'il est identique pour les travailleurs d'une société, indépendamment de leur sexe, de meilleures prestations de travail, quantitatives ou qualitatives, peuvent justifier une différence de salaire, à condition qu'elles soient établies (ATF 125 III 368 consid. 5b). Pour qu'un motif objectif puisse légitimer une différence de salaire, il faut qu'il influe véritablement de manière importante sur la prestation de travail et sa rémunération par l'employeur. Celui-ci doit démontrer que le but objectif qu'il poursuit répond à un véritable besoin de l'entreprise et que les mesures discriminatoires adoptées sont propres à atteindre le but recherché, sous l'angle du principe de la proportionnalité (ATF 142 II 49 consid. 6.3; 130 III 145 consid. 5.2). 
Si la partie défenderesse apporte la preuve d'un facteur objectif justifiant une différence de traitement, l'ampleur de cette différence doit encore respecter le principe de la proportionnalité et ne pas apparaître inéquitable (cf. arrêt 4A_461/2011 du 24 août 2011 consid. 3.2). Le Tribunal fédéral a jugé ainsi qu'une différence de rémunération de 8 à 9 % touchant deux logopédistes ne violait pas le principe de l'égalité salariale, dans la mesure où elle était motivée par une formation préalable différente (maturité d'une part, diplôme d'instituteur d'autre part; ATF 123 I 1 consid. 6e). 
 
4.  
La cour cantonale a considéré que la différence de salaire entre la recourante et son collègue masculin n'était pas liée au genre. Son raisonnement peut être synthétisé ainsi: 
 
- Dans le service où l'employée travaillait, le seul homme employé bénéficiait d'une classe de salaire supérieure; il était pourtant uniquement titulaire d'un bachelor, alors que l'employée potentiellement prétéritée disposait d'un master. L'employée avait ainsi rendu vraisemblable l'existence d'une discrimination, de sorte que le fardeau de la preuve était renversé (art. 6 LEg). Il appartenait donc à l'employeuse de démontrer qu'elle ne pratiquait pas de discrimination liée au genre, en apportant la preuve stricte que la différence de traitement reposait sur des facteurs objectifs. 
- Faute de cahier des charges abouti, respectivement avalisé, s'agissant du nouveau poste occupé par l'employée, il fallait procéder à la comparaison du contenu des tâches concrètement effectuées par l'employée et son collègue masculin. 
- Ces tâches n'étaient pas identiques. E.________ avait pour mission de créer l'environnement digital de l'entreprise (tâche précédemment externalisée et qui avait généré des coûts importants); il avait réalisé l'actuel site internet de la société, le maintenait, le mettait à jour, créait de nouveaux gabarits et s'occupait de la structure. Pour sa part, l'employée établissait le contenu du site internet, des communiqués de presse, du rapport de gestion et des autres présentations. Il s'agissait là d'un travail de rédaction ou de reformulation linguistique, doublé parfois d'une mise en forme informatique, par exemple grâce à PowerPoint (tâches précédemment confiées à l'externe à un journaliste ou à une rédactrice). La principale intéressée le reconnaissait elle-même puisqu'elle avait déclaré qu'elle n'avait « pas la même fonction que (s) on collègue E.________ ». 
- Ces tâches étaient effectuées par des personnes de profils et de compétences très différents : la création de l'environnement digital lui-même était réservée à des personnes ayant des notions de programmation, soit en principe des informaticiens ou des ingénieurs. Alors que la personne en charge de la rédaction présentait un profil moins technique et plus littéraire. 
- La pyramide des salaires ne plaçait pas nécessairement au sommet celui qui avait la plus « haute » formation. Au contraire, la « valeur de marché » de chaque formation avait une incidence sur la rémunération; une différence était dès lors justifiée là où le marché en faisait une. Et le marché de l'emploi rémunérait effectivement mieux une personne bénéficiant d'une formation technique par rapport à une autre, au bénéfice d'une formation du type de celle de l'employée, comme l'ESS 2020 publiée par l'OFS le révélait. 
- Finalement, l'homme qui avait succédé à la recourante et repris ses tâches avait été classé, comme elle, en classe de salaire 4 et, d'ailleurs, en avait nourri les mêmes frustrations. 
En résumé, la différence de salaire entre la recourante et son collègue masculin n'était pas liée au genre, mais résultait des tâches différentes qui leur étaient confiées et de la différence de valeur que le marché leur conférait, indépendamment du niveau des diplômes obtenus. 
 
5.  
La recourante ne conteste la nature ni des tâches dont elle s'occupait, ni de celles de son collègue masculin. Elle ne remet pas non plus en cause le fait qu'il s'agissait de tâches différentes. Elle articule deux griefs principaux. 
Elle fait valoir en particulier qu'il appartenait à l'employeuse d'alléguer le motif de la différence salariale et de le démontrer. La cour cantonale s'en serait remise de sa propre initiative aux données de l'ESS, qu'aucune des parties n'aurait pourtant alléguées et produites. Ce faisant, elle aurait violé les art. 8 CC et 6 LEg. 
 
5.1. Le juge peut rechercher et déterminer lui-même le fait notoire, qu'il n'est donc pas nécessaire d'alléguer ni de prouver (ATF 143 IV 380 consid. 1.1.1; 137 III 623 consid. 3; 135 III 88 consid. 4.1). Il n'a pas non plus à amener les parties à se prononcer sur ce point (arrêt 5A_559/2008 du 21 novembre 2008 consid. 5 non publié in ATF 135 III 88). Par faits notoires, il faut entendre ceux dont l'existence est certaine au point d'emporter la conviction du juge, qu'il s'agisse de faits connus de manière générale du public ou seulement du juge. Pour être notoire, un renseignement ne doit pas être constamment présent à l'esprit, il suffit qu'il puisse être contrôlé par des publications accessibles à chacun (ATF 143 IV 380 consid. 1.1.1; 135 III 88 consid. 4.1; 134 III 224 consid. 5.2).  
 
5.2. En l'espèce, il importait de déterminer si des compétences techniques étaient plus prisées et donc mieux rémunérées que des compétences rédactionnelles sur le marché de l'emploi dans une fonction ou une activité donnée. Il s'agit là d'une question de fait.  
Pour en arriver à son constat sur ce point, la cour cantonale a recouru à la tabelle "salaire mensuel brut selon les branches économiques et les grandes régions, Secteur privé et secteur public ensemble, Suisse en 2020" publiée par l'OFS dans le cadre de l'ESS. Contrairement à ce que la recourante avance, les juges précédents ont expliqué les raisons pour lesquelles ils retenaient ces données-là plutôt que celles du programme "salarium" dont le premier juge s'était servi; il n'y a pas de violation du droit d'être entendu (art. 29 al. 2 Cst.) qu'on puisse leur reprocher à cet égard. 
Les renseignements ressortant de l'ESS - au demeurant couramment utilisés par le Tribunal fédéral pour arrêter le revenu avec invalidité (ATF 148 V 174 consid. 6.2 et les arrêts cités) - sont des faits notoires (ATF 128 III 4 consid. 4c/bb et 4c/cc). Bien évidemment, il faut que le juge possède des renseignements concernant l'âge, la formation et la fonction de l'employé pour l'attribuer à une catégorie donnée. Cela étant, la cour cantonale disposait des données nécessaires, ce qui fait que la recourante est mal prise de lui reprocher d'avoir fait appel à l'ESS sans que les tabelles en question aient été formellement alléguées, respectivement produites. 
Il n'y a dès lors nulle violation du droit fédéral qui se logerait dans la référence faite d'office aux données de l'ESS. 
 
6.  
Dans une autre volée d'arguments, la recourante soutient que le marché ne valorise pas moins son profil par rapport à celui de son collègue masculin. Ce grief de la recourante implique de déterminer si la cour cantonale est tombée dans l'arbitraire en constatant que les compétences techniques de E.________ étaient mieux rémunérées sur le marché de l'emploi que celles de la recourante. 
Lors du rattachement aux catégories de l'ESS, la cour cantonale a estimé que les fonctions de la recourante et de son collègue relevaient du "Secteur 3 Services" et que la fonction de la première ressortissait à la branche "Information et communication", rubrique "Services d'information", alors que celle du second tombait sous le coup de la branche "Activités spécialisées, scientifiques et techniques", rubrique "Recherche et développement scientifique", eu égard à la dimension de création informatique qui lui était demandée, précédemment externalisée pour des montants exorbitants. Compte tenu de l'espace Mittelland dans lequel les postes occupés s'inscrivaient, le salaire mensuel brut médian était de 8'561 fr. dans les services d'information, contre 8'861 fr. pour les activités de développement scientifique. 
La recourante explique que cette différence - à peine 300 fr. par mois - ne serait pas significative; pour preuve, l'ESS comporterait une marge d'erreur (coefficient de variation potentiel) de 5 %, à suivre le rapport de méthodes lié à l'ESS qu'elle tire du site internet de l'OFS. 
A supposer qu'il s'agisse là d'un fait notoire, le raisonnement de la cour cantonale n'en serait pas pour autant insoutenable: si les données sont susceptibles de fluctuer jusqu'à concurrence de 5 %, cette variation potentielle les concerne toutes. En d'autres termes, si le salaire mensuel brut médian dans les services d'information peut être de 5 % supérieur à la valeur indiquée dans l'ESS, celui pour une activité de développement scientifique peut l'être tout autant. Il n'est donc pas arbitraire de retenir, malgré ce coefficient de variation, que le salaire d'un ingénieur pour des activités de développement scientifiques est supérieur à celui d'une personne active dans les services d'information. 
De l'avis de la recourante, il aurait fallu classer les deux employés dans la catégorie "sans fonction de cadre", de sorte que le salaire médian afférent aux services d'information aurait été beaucoup plus élevé que celui de son collègue masculin pour des activités de développement scientifique (8'333 fr. contre 7'746 fr.). Cette assertion n'a toutefois rien d'une évidence. Sachant que le collègue de la recourante assumait une fonction confiée auparavant à des ingénieurs externes à l'entreprise, qui avaient facturé à celle-ci des montants exorbitants, il est concevable que la cour cantonale ait considéré que la rubrique "cadre" était plus appropriée. Il paraît d'ailleurs vraisemblable qu'elle ait utilisé un tableau de l'ESS qui ne faisait pas la distinction. Cette appréciation n'est en tout cas pas arbitraire. 
Toujours selon la recourante, la classification dans l'ESS aurait été mal opérée. Son collègue masculin aurait dû être classé dans la division 62 "Programmation, conseil et autres activités informatiques", ce qui aurait donné un salaire médian de 8'557 fr., légèrement inférieur à celui calculé pour son propre poste (8'561 fr.). Là non plus, le rattachement préconisé par la recourante n'a rien d'une évidence, qui serait révélatrice de l'arbitraire commis par l'autorité précédente. 
Dans la même veine, la recourante affirme qu'elle aurait plutôt dû être classée dans la sous-catégorie NOGA08 7021 "Conseil en relations publiques et communication" pour un salaire médian de 9'048 fr. Il faut lui objecter, à nouveau, que ceci ne saute pas aux yeux. Il ne suffit pas à la recourante d'expliquer qu'une autre appréciation pourrait se concevoir. Il lui faut démontrer que la cour cantonale a opéré des déductions totalement insoutenables sur la base des éléments à sa disposition. 
Tel n'est pas le cas. Aucun des éléments avancés ne permet de retenir que les juges neuchâtelois auraient versé dans l'arbitraire. 
 
7.  
Dans un grief subsidiaire, la recourante soutient que la cour cantonale n'a pas correctement jaugé l'ampleur de la différence de salaire à l'aune de la proportionnalité. Si elle s'y était dûment employée, elle aurait dû lui allouer une indemnité pour la part demeurée inexpliquée de l'inégalité salariale. Elle se plaint en ce sens d'une violation des art. 3 et 5 LEg ainsi que de l'art. 8 al. 3 Cst. 
Tout l'argument repose sur le fait que la différence entre les salaires mensuels médians de l'ESS pris comme référence est de 300 fr., alors que son collègue masculin touchait concrètement 658 fr. par mois de plus qu'elle. La recourante perd toutefois de vue que la différence de salaire entre son collègue et elle-même est liée au fait qu'ils n'exécutaient pas les mêmes tâches et n'avaient ni les mêmes profils ni les mêmes compétences. Vouloir dans ces conditions imposer à l'employeur de reproduire, au pourcentage près, les différences salariales ressortant des statistiques fédérales n'a aucun sens. Il n'y a pas de violation du droit fédéral dont la recourante soit fondée à se plaindre. 
Cet ultime grief étant écarté, c'est à bon droit que la cour cantonale a rejeté le chef de prétention relatif à la différence de salaire de 17'108 fr. 
 
8.  
A la fin de son recours, l'employée reprend ses conclusions en paiement, d'une part, d'un montant de 6'000 fr. à titre de réparation du tort moral, pour "l'atteinte à la personnalité grave qu'elle a subie" et, d'autre part, d'un montant de 6'452 fr. 65, correspondant au préjudice dû à la suspension des indemnités de chômage pendant 31 jours à la suite de sa démission, elle-même "conséquence directe de l'attitude de l'employeur". 
Les deux prétentions sont manifestement dépourvues de fondement. La discrimination salariale à raison du sexe a été niée et aucun élément de l'arrêt attaqué ne fait ressortir que la recourante aurait subi une atteinte à sa personnalité propre à justifier l'octroi d'une indemnité en réparation du tort moral. De même, il n'existe aucun motif légal de contraindre l'employeuse à compenser des jours d'indemnisation suspendus par la caisse de chômage parce que l'employée a choisi de quitter son emploi. 
Le recours est également mal fondé sur ces deux derniers points. 
 
9.  
Partant, le recours doit être rejeté. 
La recourante qui succombe supportera les frais de la procédure (art. 66 al. 1 LTF), fixés selon le tarif réduit (art. 65 al. 4 let. b LTF), et versera à son adverse partie une indemnité à titre de dépens (art. 68 al. 1 et 2 LTF). 
 
 
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :  
 
1.  
Le recours est rejeté. 
 
2.  
Les frais judiciaires, arrêtés à 1'000 fr., sont mis à la charge de la recourante. 
 
3.  
La recourante versera à l'intimée une indemnité de 1'500 fr. à titre de dépens. 
 
4.  
Le présent arrêt est communiqué aux mandataires des parties et à la Cour d'appel civile du Tribunal cantonal du canton de Neuchâtel. 
 
 
Lausanne, le 15 mai 2023 
 
Au nom de la Ire Cour de droit civil 
du Tribunal fédéral suisse 
 
La Présidente : Jametti 
 
La Greffière : Godat Zimmermann