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Bundesgericht 
Tribunal fédéral 
Tribunale federale 
Tribunal federal 
 
 
 
 
9C_221/2023  
 
 
Arrêt du 21 août 2023  
 
IIIe Cour de droit public  
 
Composition 
MM. et Mme les Juges fédéraux Parrino, Président, 
Beusch et Scherrer Reber. 
Greffier : M. Bleicker. 
 
Participants à la procédure 
Office de l'assurance-invalidité du canton de Genève, rue des Gares 12, 1201 Genève, 
recourant, 
 
contre  
 
A.________, 
représenté par M e Laurence Piquerez, avocate, 
intimé. 
 
Objet 
Assurance-invalidité (rente d'invalidité), 
 
recours contre l'arrêt de la Cour de justice de la République et canton de Genève du 14 février 2023 (A/1741/2022 - ATAS/95/2023). 
 
 
Faits :  
 
A.  
A.________, né en 1971, a travaillé en dernier lieu comme commis administratif. En arrêt de travail depuis avril 2011, il a déposé une demande de prestations de l'assurance-invalidité le 11 septembre 2012, en raison de lombalgies chroniques. 
Entre autres mesures, l'Office de l'assurance-invalidité pour le canton de Vaud (ci-après: l'office AI Vaud) a recueilli l'avis des docteurs B.________, spécialiste en psychiatrie et psychothérapie (du 23 décembre 2012), et C.________, spécialiste en médecine interne générale (du 8 avril 2013), puis mis en oeuvre une évaluation orthopédique et psychiatrique auprès des médecins de son Service médical régional (SMR; rapport du 8 mai 2014). Par décision du 10 juillet 2015, l'office AI Vaud a rejeté la demande de prestations. Statuant le 22 novembre 2016, la Cour des assurances sociales du Tribunal cantonal du canton de Vaud a admis le recours formé par l'assuré contre cette décision, l'a annulée et a renvoyé la cause à l'administration pour complément d'instruction dans le sens des considérants et nouvelle décision. 
L'assuré s'est soumis à une première expertise médicale pluridisciplinaire auprès du Centre d'évaluation et de consultations de la Clinique romande de réadaptation (CRR) de Sion (rapport du 26 octobre 2020). A la demande de l'assuré, qui s'est domicilié entre-temps à Genève, le dossier a ensuite été transféré à l'Office de l'assurance-invalidité du canton de Genève (ci-après: l'office AI). Au vu des nouveaux avis médicaux produits, notamment ceux des docteurs D.________, spécialiste en médecine interne et en rhumatologie (des 29 janvier et 10 mai 2021), E.________, spécialiste en anesthésiologie (des 18 janvier et 8 mars 2021), et F.________, spécialiste en psychiatrie et psychothérapie et psychiatre traitant (du 11 mai 2021), l'office AI a demandé un complément d'expertise auprès de la CRR. Dans un rapport du 13 septembre 2021, les docteurs G.________, spécialiste en médecine interne générale et en rhumatologie, et H.________, spécialiste en psychiatrie et psychothérapie, ont diagnostiqué des lombalgies chroniques, un trouble de la personnalité anankastique (obsessionnel compulsif) et une anxiété généralisée; l'assuré présentait une incapacité de travail totale dans toute activité depuis mai 2020. Par décision du 26 avril 2022, l'office AI a octroyé à l'assuré une rente entière de l'assurance-invalidité à compter du 1 er mai 2021, soit un an après la survenance de son incapacité de travail.  
 
B.  
L'assuré a déféré cette décision à la Cour de justice de la République et canton de Genève. Il a produit un nouvel avis du docteur F.________ du 25 mai 2022. Statuant le 14 février 2023, la Cour de justice a admis le recours et réformé la décision du 26 avril 2022 en ce sens que l'assuré est mis au bénéfice d'une rente entière dès le 1er mars 2013. 
 
C.  
L'office AI forme un recours en matière de droit public contre cet arrêt dont il demande l'annulation. Il conclut à la confirmation de la décision du 26 avril 2022. Le recours est assorti d'une requête d'effet suspensif. 
L'assuré conclut principalement au rejet du recours et subsidiairement à son admission partielle et au renvoi de la cause à l'autorité précédente pour nouvelle décision au sens des considérants. Il requiert également l'octroi de l'assistance judiciaire pour la procédure fédérale. L'Office fédéral des assurances sociales a renoncé à se déterminer. 
 
 
Considérant en droit :  
 
1.  
Le recours en matière de droit public peut être formé notamment pour violation du droit fédéral (art. 95 let. a LTF), que le Tribunal fédéral applique d'office (art. 106 al. 1 LTF), n'étant limité ni par les arguments de la partie recourante, ni par la motivation de l'autorité précédente. Le Tribunal fédéral fonde son raisonnement sur les faits retenus par la juridiction de première instance (art. 105 al. 1 LTF) sauf s'ils ont été établis de façon manifestement inexacte ou en violation du droit au sens de l'art. 95 LTF (art. 105 al. 2 LTF). 
 
2.  
 
2.1. Compte tenu des conclusions et motifs du recours, le litige porte en instance fédérale sur le point de savoir si l'intimé a droit à une rente entière de l'assurance-invalidité à compter du 1 er mars 2013, comme l'a jugé l'autorité précédente, ou à compter du 1 er mai 2021, comme le fait valoir l'office recourant. A cet égard, l'arrêt attaqué expose de manière complète les dispositions légales et les principes jurisprudentiels - dans leur version en vigueur jusqu'au 31 décembre 2021 - relatifs à la notion d'invalidité (art. 7 et 8 al. 1 LPGA en relation avec l'art. 4 al. 1 LAI) et à son évaluation (art. 16 LPGA et art. 28a LAI), ainsi qu'à la valeur probante des rapports médicaux (ATF 134 V 231 consid. 5.1; 125 V 351 consid. 3). Il suffit d'y renvoyer.  
 
2.2. On rappellera que le juge des assurances sociales fonde sa décision, sauf dispositions contraires de la loi, sur les faits qui, faute d'être établis de manière irréfutable, apparaissent comme les plus vraisemblables, c'est-à-dire qui présentent un degré de vraisemblance prépondérante. Il ne suffit pas qu'un fait puisse être considéré seulement comme une hypothèse possible; la vraisemblance prépondérante suppose que, d'un point de vue objectif, des motifs importants plaident pour l'exactitude d'une allégation, sans que d'autres possibilités revêtent une importance significative ou entrent raisonnablement en considération (ATF 144 V 427 consid. 3.2; 139 V 176 consid. 5.3).  
 
3.  
 
3.1. S'écartant des conclusions de l'expertise de la CRR du 13 septembre 2021, la juridiction cantonale a retenu que l'intimé présentait une incapacité de travail totale à compter du mois d'avril 2011. Elle a considéré qu'il ne ressortait pas du dossier une aggravation de l'état de santé de l'intimé en mai 2020, même si celui-ci était devenu un sans-abri après sa séparation conjugale et était dépourvu de tout moyen financier depuis 2019. Ainsi, il n'était pas convaincant que les atteintes à la santé psychique, en particulier le trouble de la personnalité, se fussent décompensées seulement en mai 2020. Les atteintes à la santé - dont les diagnostics précis pouvaient rester ouverts - étaient déjà la cause de limitations fonctionnelles sévères dès le début de l'arrêt de travail en 2011, même si la qualité de vie de l'intimé se fût encore considérablement détériorée avec le départ de sa femme et de ses enfants. Même s'il était encore capable de s'occuper de ses enfants, l'intimé n'avait plus pu fonctionner normalement depuis avril 2011, devant passer sa vie entre la position debout ou couchée, sans pouvoir s'asseoir. L'intimé avait de plus caché sa souffrance, en attribuant une étiologie purement physique à ses douleurs et à ses limitations fonctionnelles, de sorte que les expertises ne permettaient pas de mettre en évidence toute sa souffrance. Selon le docteur F.________, il y avait en outre une décompensation du trouble de la personnalité seulement depuis fin 2014. Toutefois, le manque de soutien de l'épouse de l'intimé et le harcèlement moral de la part de la belle-mère étaient déjà documentés en octobre 2012 et le docteur D.________ faisait état d'un score de qualité de vie effondré en décembre 2012. Enfin, en l'absence d'éléments d'exagération ou d'incohérence, ainsi qu'en présence de limitations uniformes dans tous les domaines de la vie et d'un handicap fonctionnel sévère, les indicateurs définis par la jurisprudence étaient réalisés, même si les diagnostics des différents psychiatres consultés étaient en partie divergents.  
 
3.2. Invoquant une violation du droit fédéral, en lien avec une appréciation arbitraire des faits, l'office AI affirme que la juridiction cantonale a substitué de manière arbitraire son appréciation à celle des experts et des psychiatres traitants. Il soutient qu'il n'existe en particulier aucun élément médical objectif de nature à justifier une incapacité de travail d'un point de vue psychique dès avril 2011.  
 
3.3. L'intimé fait valoir que tous les médecins consultés ont mis en avant des problèmes d'ordre psychique, des douleurs lombaires et des répercussions importantes sur la qualité de vie depuis avril 2011. Comme l'ont relevé les premiers juges, il importait en outre peu qu'un trouble psychique, pris isolément, fût invalidant ou non; c'était son influence globale et en interaction avec les autres éléments qui faisaient que ce trouble avait une influence sur la capacité de travail d'un point de vue assécurologique. Il renvoie pour le surplus à ce sujet aux développements de son recours cantonal. Dans la mesure où les premiers juges avaient renoncé à distinguer le diagnostic à l'origine du handicap fonctionnel de ceux devant être considérés comme des comorbidités, il conclut à titre subsidiaire au renvoi de la cause à l'autorité précédente pour qu'elle mette en oeuvre une nouvelle expertise psychiatrique.  
 
4.  
 
4.1. En l'espèce, les considérations de la juridiction cantonale et du docteur F.________ ne suffisent pas à établir que l'intimé présentait déjà une incapacité de travail de 100 % d'un point de vue psychiatrique en avril 2011. A l'inverse de ce que soutient la juridiction cantonale, l'intimé n'a tout d'abord pas "caché" sa souffrance aux médecins consultés. Ainsi, il a débuté un suivi psychiatrique en août 2012 auprès du docteur B.________, qui a diagnostiqué un trouble dépressif majeur, épisode isolé, sans effet sur la capacité de travail (avis du 23 décembre 2012). Il a de plus participé au programme pluridisciplinaire ambulatoire "I.________" de l'Hôpital J.________ pour les patients lombalgiques chroniques en 2012, afin de travailler sur les éléments de kinésiophobie. L'intimé ne s'est donc jamais trouvé dans la situation d'une personne assurée qui n'aurait pas consulté de médecins en raison du déni de son atteinte à la santé et qui ne se serait pas vu délivrer un arrêt de travail pour ce motif.  
Ensuite, la nature particulière de l'atteinte à la santé - notamment l'alexithymie couplée à une personnalité anankastique - ne justifie pas une dérogation aux exigences ordinaires en matière de preuve. Au contraire, les médecins consultés par l'intimé ont constaté très rapidement une composante psychiatrique à son atteinte à la santé, dès lors que la lombosciatalgie droite sur une hernie discale L5-S1 (qui a évolué selon les experts de la CRR vers une "banale" discopathie L5-S1 dès 2012) n'était nullement susceptible d'expliquer son importante appréhension à effectuer certains mouvements, comme s'asseoir. L'administration a dès lors requis une évaluation notamment psychiatrique auprès des médecins du SMR (rapport du 8 mai 2014) puis - sur instruction du Tribunal cantonal du canton de Vaud - une expertise pluridisciplinaire. Dans le rapport du 13 septembre 2021, les médecins de la CRR ont exposé que l'atteinte à la santé de l'intimé était devenue incapacitante à compter de mai 2020, car celle-ci s'était décompensée à la suite d'une séparation conjugale qualifiée de "brutale". La séparation conjugale avait de plus contribué à l'installation chez l'intimé d'une anxiété généralisée. On ne voit pas - et l'intimé ne l'établit pas dans sa réponse - ce qu'une nouvelle expertise psychiatrique apporterait de plus aux conclusions claires des experts, ce d'autant moins que l'autorité précédente a constaté, de manière à lier le Tribunal fédéral, que la qualité de vie de l'intimé s'était effectivement considérablement détériorée après la séparation conjugale en mai 2020. 
Enfin, les suppositions du docteur F.________ du 25 mai 2022, avancées bien des années après que l'intimé l'ait consulté, ne suffisent pas à renverser l'appréciation des psychiatres qui n'ont pas constaté une incapacité de travail. Les précautions utilisées par le psychiatre traitant pour formuler ses hypothèses montrent par ailleurs que son analyse repose sur des incertitudes qui ne permettent pas de leur reconnaître un degré de vraisemblance suffisant en matière d'assurances sociales (supra consid. 2.2). 
 
4.2. Ensuite des éléments qui précèdent, la juridiction cantonale s'est écartée de manière arbitraire des conclusions des experts de la CRR, substituant son appréciation à celle des spécialistes concernant le début de l'incapacité de travail de l'intimé. Il y a dès lors lieu de constater que l'intimé présente une incapacité de travail de 100 % dans toute activité à compter de mai 2020.  
 
5.  
Bien fondé, le recours doit être admis, l'arrêt attaqué annulé et la décision de l'office AI du 26 avril 2022 confirmée. 
Le présent arrêt rend sans objet la requête d'effet suspensif présentée par l'office recourant. 
 
6.  
Vu l'issue du litige, les frais judiciaires sont mis à la charge de l'intimé (art. 66 al. 1 LTF). Il a cependant déposé une demande d'assistance judiciaire visant à la dispense des frais judiciaires et à la désignation d'un avocat d'office. Dès lors que l'intimé est dans le besoin et que ses conclusions ne paraissaient pas d'emblée vouées à l'échec (ATF 139 III 475 consid. 2.3), sa requête d'assistance judiciaire doit être admise. 
L'intimé est rendu attentif au fait qu'il devra rembourser la Caisse du Tribunal fédéral, s'il retrouve ultérieurement une situation financière lui permettant de le faire (art. 64 al. 4 LTF). 
 
 
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :  
 
1.  
Le recours est admis. L'arrêt de la Cour de justice de la République et canton de Genève, Chambre des assurances sociales, du 14 février 2023 est annulé et la décision de l'Office de l'assurance-invalidité du canton de Genève du 26 avril 2022 confirmée. 
 
2.  
L'assistance judiciaire est accordée et M e Laurence Piquerez est désignée comme avocate d'office de l'intimé. 
 
3.  
Les frais judiciaires, arrêtés à 800 fr., sont mis à la charge de l'intimé. Ils sont toutefois supportés provisoirement par la Caisse du Tribunal fédéral. 
 
4.  
Une indemnité de 2'800 fr. est allouée à l'avocate de l'intimé à titre d'honoraires à payer par la Caisse du Tribunal fédéral. 
 
5.  
La cause est renvoyée à la Cour de justice de la République et canton de Genève, Chambre des assurances sociales pour nouvelle décision sur les frais et dépens de la procédure antérieure. 
 
6.  
Le présent arrêt est communiqué aux parties, à la Cour de justice de la République et canton de Genève, Chambre des assurances sociales, et à l'Office fédéral des assurances sociales. 
 
 
Lucerne, le 21 août 2023 
 
Au nom de la IIIe Cour de droit public 
du Tribunal fédéral suisse 
 
Le Président : Parrino 
 
Le Greffier : Bleicker