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Bundesgericht 
Tribunal fédéral 
Tribunale federale 
Tribunal federal 
 
 
 
 
1C_644/2022  
 
 
Arrêt du 11 mars 2024  
 
Ire Cour de droit public  
 
Composition 
MM. les Juges fédéraux Kneubühler, Président, 
Chaix et Haag. 
Greffier : M. Kurz. 
 
Participants à la procédure 
A.A.________ et B.A.________, 
recourants, 
 
contre  
 
C.________ et D.________, 
tous deux représentés par Me Arnaud Nussbaumer-Laghzaoui, avocat, 
intimés, 
 
Municipalité de Crans, 
rue du Grand Pré 25, case postale 24, 1299 Crans VD, représentée par Me Benoît Bovay, avocat, 
 
Etablissement d'assurance contre l'incendie et les éléments naturels du canton de Vaud (ECA), 
avenue du Grey 111, case postale, 1001 Lausanne, 
 
Direction générale de l'environnement du canton de Vaud (DGE-DIRNA), Unité droit et études d'impact, avenue de Valmont 30B, 1014 Lausanne. 
 
Objet 
Permis de construire complémentaire, 
 
recours contre l'arrêt de la Cour de droit administratif et public du Tribunal cantonal du canton de Vaud du 8 novembre 2022 (AC.2022.0128). 
 
 
Faits :  
 
A.  
Par décision du 30 mai 2018 (après l'annulation, sur recours, d'une précédente décision), la Municipalité de Crans (ci-après: la Municipalité) a accordé à E.________ et F.________ l'autorisation de construire une villa familiale avec couvert à voiture sur la parcelle n° 106. Cette dernière est colloquée pour partie en zone du Bourg et pour partie en zone de verdure. L'opposition formé par B.A.________ et A.A.________, propriétaires de la parcelle voisine n° 792, a été levée. Par arrêt du 7 décembre 2018, la Cour de droit administratif et public du Tribunal cantonal vaudois (CDAP) a confirmé cette décision, considérant notamment qu'aucune nouvelle mise à l'enquête n'était nécessaire. Par arrêt du 7 novembre 2019 (1C_46/2019), le Tribunal fédéral a rejeté le recours en matière de droit public formé par les opposants. 
 
B.  
Le 15 avril 2021, la Municipalité a indiqué à C.________ et D.________ (nouveaux propriétaires) que les travaux comportaient des modifications par rapport au permis de construire; une demande de mise à l'enquête complémentaire a été déposée le 8 juillet 2021, portant sur divers aménagements intérieurs, des panneaux solaires et la création d'un mur de soutènement en gabion. B.A.________ et A.A.________ ont formé opposition. Par décision du 14 mars 2022, la Municipalité a accordé un permis de construire complémentaire, exigeant notamment la réalisation d'un mur en béton armé à la place du mur en gabion, à l'emplacement du muret existant. 
 
C.  
Par arrêt du 8 novembre 2022, la CDAP a rejeté le recours formé par B.A.________ et A.A.________. La décision attaquée était suffisamment motivée. Le mur en béton correspondait aux exigences posées par l'Etablissement cantonal d'assurance contre l'incendie et les éléments naturels (ECA), soit l'autorité cantonale spécialisée en matière de dangers naturels. Les modifications apportées n'avaient pas pour effet de rendre le sous-sol habitable. La suppression de l'affectation mixte (activité professionnelle et habitation) était conforme au nouveau règlement sur les constructions. Les autres éléments du permis de construire (agrandissement du couvert à voiture, panneaux solaires) ont été confirmés. 
 
 
D.  
Par acte du 9 décembre 2022, B.A.________ et A.A.________ demandent au Tribunal fédéral d'annuler la décision de la Municipalité du 14 mars 2022, de suspendre les travaux de construction concernant le permis de construire du 8 août 2018 jusqu'à ce que les mesures de soutènement assurent la stabilité de la parcelle et de la zone; si celle-ci ne peut être assurée, les recourants demandent la suppression de la construction existante et la remise en état du terrain. Ils demandent en outre l'effet suspensif, qui a été admis par ordonnance du 2 février 2023. 
La CDAP renonce à se déterminer et se réfère à son arrêt. L'ECA ne prend pas de conclusions mais rappelle les exigences posées à l'appui du permis de construire, s'agissant notamment du mur de soutènement. La Municipalité de Crans conclut au rejet du recours dans la mesure où il est recevable. C.________ et D.________ concluent à l'irrecevabilité du recours, subsidiairement à son rejet. Les recourants ont déposé de nouvelles observations le 1er mai 2023 et la Municipalité a ensuite persisté dans ses conclusions. 
 
 
Considérant en droit :  
 
1.  
Dirigé contre une décision finale (art. 90 LTF) prise en dernière instance cantonale (art. 86 al. 1 let. d LTF) dans le domaine du droit public des constructions (art. 82 let. a LTF), le recours est en principe recevable comme recours en matière de droit public selon les art. 82 ss LTF, aucune des exceptions prévues à l'art. 83 LTF n'étant réalisée. Les recourants ont pris part à la procédure de recours devant la cour cantonale. En tant que propriétaires d'une parcelle voisine, ils sont particulièrement touchés par l'arrêt attaqué qui confirme le projet litigieux. Ils peuvent ainsi se prévaloir d'un intérêt personnel et digne de protection à l'annulation de l'arrêt entrepris. Partant, ils bénéficient de la qualité pour recourir au sens de l'art. 89 al. 1 LTF. Il convient donc d'entrer en matière, sous réserve de la motivation propre à chacun des griefs soulevés. 
 
2.  
Les recourants élèvent une première série de griefs relatifs à l'établissement des faits. L'arrêt attaqué ne mentionnerait pas le classement de la parcelle selon les cartes des dangers naturels et de protection des eaux, ni l'affectation de la partie plate du bien-fonds selon le PGA; or, le mur de soutènement se trouverait en secteur Au de protection des eaux, ainsi qu'en zone de verdure inconstructible. L'arrêt ne rappellerait pas les conditions posées par l'ECA dans l'autorisation du 15 mars 2017, ni le contenu des déterminations de la Direction générale de l'environnement du canton de Vaud (DGE) du 16 août 2017. L'arrêt attaqué passerait également sous silence le fait que le mur de soutènement existant a été détruit le 1er décembre 2020; l'autorisation de commencer les travaux aurait été délivrée le 3 février 2021 et non 2020, et les travaux étaient subordonnés à la construction préalable du mur de soutènement. Le cas échéant, les recourants demandent que l'arrêt cantonal soit complété sur ces différents points. 
 
2.1. Le Tribunal fédéral statue sur la base des faits établis par l'autorité précédente (art. 105 al. 1 LTF), hormis dans les cas visés à l'art. 105 al. 2 LTF. Selon l'art. 97 al. 1 LTF, le recours ne peut critiquer les constatations de fait que si les faits ont été établis de façon manifestement inexacte - notion qui correspond à celle d'arbitraire - ou en violation du droit au sens de l'art. 95 LTF, et si la correction du vice est susceptible d'influer sur le sort de la cause (ATF 145 V 188 consid. 2). Le recourant doit expliquer de manière circonstanciée en quoi ces conditions seraient réalisées (cf. art. 106 al. 2 LTF). Les faits et les critiques invoqués de manière appellatoire sont irrecevables (ATF 145 I 26 consid. 1.3).  
 
2.2. Pour une grande part, les précisions et rectifications que les recourants entendent apporter à l'état de fait ne portent pas sur des éléments pertinents. Ainsi en va-t-il de la destruction de l'ancien mur et de la date de l'autorisation de commencer les travaux, qui sont sans incidence sur l'objet du litige, soit en l'occurrence l'admissibilité du mur de soutènement litigieux. Pour le surplus, l'arrêt cantonal rappelle l'affectation de la parcelle litigieuse ainsi que sa situation en zone de glissement de faible danger (p. 2) et en zone Au de protection des eaux (p. 3); les exigences posées par la DGE à ce sujet sont elles aussi clairement rappelées (pp 3, 5, 6 et 7). Les prises de position de l'ECA, de 2017, 2021 et 2022 sont également mentionnées (pp 2-3, 9 et 14). Dans la mesure où elles portent sur des faits pertinents, les objections relatives à l'établissement des faits doivent ainsi être écartées.  
 
3.  
Invoquant leur droit d'être entendus, les recourants affirment que les travaux de construction de la villa ne pouvaient commencer avant que ne soit réalisé le mur de soutènement; malgré cela, le coulage de la dalle en béton du rez-de-chaussée avait eu lieu le 26 mai 2021 alors que le précédent mur en bois avait été détruit en décembre 2020. La décision de la Municipalité n'expliquerait pas sur quelle base légale se fonderait un tel procédé, au demeurant contraire à l'art. 89 LATC. 
 
3.1. Le droit d'être entendu consacré à l'art. 29 al. 2 Cst. comprend notamment l'obligation pour l'autorité de motiver sa décision, afin non seulement que l'intéressé puisse la comprendre et l'attaquer utilement s'il y a lieu, mais aussi pour que l'autorité de recours puisse exercer son contrôle (ATF 135 V 65 consid. 2.6; 134 I 83 consid. 4.1).  
 
3.2. La décision sur opposition prend position sur les griefs élevés par les recourants à l'encontre du projet faisant l'objet de l'enquête complémentaire; les recourants ne pouvaient, dans ce cadre, remettre en cause les travaux précédemment autorisés, ni soulever des griefs relatifs à l'ordre de réalisation des travaux, car il s'agit d'éléments étrangers à l'objet du litige. Comme le relève la cour cantonale, la Municipalité a répondu aux différents points soulevés dans l'opposition; le fait qu'elle n'a pas mentionné les dispositions réglementaires applicables n'empêchait pas les recourants de faire valoir leurs griefs en indiquant les dispositions sur lesquelles ils entendaient se fonder. Quoiqu'il en soit, une éventuelle violation de l'obligation de motiver aurait de toute façon été réparée dans le cadre d'une procédure de recours devant une instance disposant, comme en l'espèce, d'un plein pouvoir d'examen en fait et en droit (ATF 142 II 218 consid. 2.8.1). Les recourants ne prétendent pas que la CDAP aurait, sur un point ou un autre, failli à sa propre obligation de motiver. Ils se plaignent de ce qu'elle ne se soit pas déterminée sur la situation du mur de soutènement en zone de verdure, mais n'avaient soulevé ce grief que dans leur troisième écriture (seconde réplique) du 2 novembre 2022; l'argument, évoqué en fin de procédure et nullement étayé du point de vue factuel et juridique, n'appelait pas de réponse spécifique de la part de la cour cantonale.  
Le grief d'ordre formel doit par conséquent être écarté. 
 
4.  
Dans un premier grief de fond, les recourants reprochent à la CDAP d'avoir considéré que l'exigence d'un rapport hydrogéologique posée par la DGE avait été respectée (ce qu'ils ne contestent pas s'agissant du premier permis de construire), alors qu'aucun document de ce genre n'avait été produit concernant la construction du mur de soutènement faisant l'objet du permis de construire complémentaire. La cour cantonale ne se prononcerait pas sur ce grief et l'autorisation de construire violerait les art. 25a LAT, 10 al. 2 LEaux et 32 al. 2 let. f OEaux. 
 
4.1. En vertu de l'art. 42 al. 1 LTF, les mémoires de recours doivent être motivés. Conformément à l'art. 42 al. 2 LTF, les motifs doivent exposer succinctement en quoi l'acte attaqué viole le droit. Pour satisfaire à cette exigence, il appartient au recourant de discuter au moins brièvement les considérants de la décision litigieuse et d'expliquer en quoi ceux-ci seraient contraires au droit (ATF 142 I 99 consid. 1.7.1). La motivation doit se rapporter à l'objet du litige tel qu'il est circonscrit par la décision querellée (ATF 133 IV 119 consid. 6.4). Les griefs de violation des droits fondamentaux sont en outre soumis à des exigences de motivation accrues (art. 106 al. 2 LTF), la partie recourante devant alors citer les principes constitutionnels qui n'auraient pas été respectés et expliquer de manière claire et précise en quoi ces principes auraient été violés (ATF 148 I 127 consid. 4.3). Les critiques de nature appellatoire sont irrecevables (ATF 147 IV 73 consid. 4.1.2). Les recourants ne peuvent par ailleurs profiter de leur droit de réplique pour compléter une motivation insuffisante ou présenter des griefs qui n'auraient pas été soulevés dans le mémoire de recours (ATF 137 I 195 consid. 2).  
 
4.2. L'arrêt attaqué rappelle les termes du courrier de la DGE-Eaux du 7 décembre 2020. Il en ressort notamment que les excavations nécessaires à la construction du bâtiment sont d'une profondeur maximale de l'ordre de 4 m. Au titre des conditions relatives au chantier, tous éventuels travaux géotechniques nécessitant des forages ou des ancrages à une profondeur de plus de 8,5 m feront l'objet d'une demande d'autorisation complémentaire auprès de la DGE-Eaux souterraines au sens de l'art. 32 OEaux. Les recourants, ne soutiennent ni ne démontrent conformément à l'obligation de motivation rappelée ci-dessus que les caractéristiques du mur de soutènement justifieraient une telle demande d'autorisation. Leur grief apparaît ainsi insuffisamment motivé, et la cour cantonale n'a commis aucun déni de justice en ne s'en saisissant pas.  
 
5.  
Les recourants critiquent ensuite le considérant 5 de l'arrêt attaqué relatif au mur de soutènement en béton. Ils relèvent que cette construction se situerait en zone de verdure inconstructible et en zone de protection des eaux nécessitant une autorisation de la DGE-Eaux (argument qui vient d'être écarté ci-dessus). Ils relèvent que le mur en béton devrait, selon les exigences de l'ECA, être construit au même emplacement que le précédent mur en bois. Ils se prévalent de trois plans figurant au dossier (plan du 20.10.2020, plan de situation mis à l'enquête, plan du bureau FLK) sur lesquels les tailles et emplacements de l'ouvrage seraient différents, ainsi que de photographies indiquant que l'emplacement du mur d'origine se trouverait en zone de verdure et en zone forestière. Les recourants en déduisent que le mur projeté ne se situerait pas à l'endroit de l'ancien mur. 
S'agissant de l'emplacement de l'ancien mur, détruit en décembre 2021, les recourants se fondent sur diverses photographies qui mentionnent un emplacement "approximatif". Ces documents n'ont toutefois pas la précision d'un plan dûment coté. Quoiqu'il en soit, dans sa prise de position du 15 mars 2021, l'ECA a rappelé que le mur de soutènement devrait être construit en béton au même endroit et avec les mêmes dimensions que le muret existant. Il a simultanément considéré que le nouveau plan correspondait à cette exigence. L'autorité spécialisée a ainsi clairement confirmé que l'ouvrage, tel qu'il a été autorisé par la Municipalité, satisfaisait aux exigences de sécurité. Il ressort en outre du plan de situation mis à l'enquête - et seul pertinent pour statuer sur l'admissibilité de l'ouvrage - que le mur se situe en-deçà de la limite de 10 mètres à la forêt, selon constatation de l'ingénieur forestier du 9 mai 2008; cette appréciation a encore été confirmée par le DGE-Forêt dans le cadre de la procédure cantonale de recours. 
Il en résulte que le grief des recourants, pour peu qu'il soit suffisamment motivé, doit être écarté. 
 
6.  
Au considérant 10 de son arrêt, la CDAP a enfin considéré que la nomination d'un responsable de projet en matière de géotechnique, chargé de préciser et d'ajuster les mesures conceptuelles et constructives avant-travaux, constituait une condition non pas à la délivrance du permis de construire, mais du permis d'habiter. Contrairement à ce que soutiennent les recourants, on ne saurait y voir une appréciation arbitraire ou excessivement formaliste puisqu'elle se fonde sur le texte même du point 11 de la synthèse CAMAC consacrée aux exigences de l'ECA. 
Ce dernier grief doit donc lui aussi être écarté. 
 
7.  
Sur le vu de ce qui précède, le recours est rejeté, dans la mesure où il est recevable. Conformément à l'art. 66 al. 1 LTF, les frais judiciaires sont mis à la charge des recourants qui succombent. Ceux-ci verseront en outre une indemnité de dépens aux intimés C.________ et D.________, qui obtiennent gain de cause avec l'assistance d'un avocat (art. 68 al. 2 LTF). La Municipalité de Crans n'a en revanche pas droit à des dépens (art. 68 al. 3 LTF). 
 
 
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :  
 
1.  
Le recours est rejeté dans la mesure où il est recevable. 
 
2.  
Les frais judiciaires, arrêtés à 4'000 fr., sont mis à la charge des recourants. 
 
3.  
Une indemnité de dépens de 4'000 fr. est allouée aux intimés C.________ et D.________, à la charge solidaire des recourants. 
 
4.  
Le présent arrêt est communiqué aux parties, au mandataire de la Municipalité de Crans, à l'Etablissement d'assurance contre l'incendie et les éléments naturels du canton de Vaud (ECA), à la Direction générale de l'environnement du canton de Vaud (DGE-DIRNA) et à la Cour de droit administratif et public du Tribunal cantonal du canton de Vaud. 
 
 
Lausanne, le 11 mars 2024 
Au nom de la Ire Cour de droit public 
du Tribunal fédéral suisse 
 
Le Président : Kneubühler 
 
Le Greffier : Kurz