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Bundesgericht 
Tribunal fédéral 
Tribunale federale 
Tribunal federal 
 
 
 
 
4A_338/2023  
 
 
Arrêt du 21 décembre 2023  
 
Ire Cour de droit civil  
 
Composition 
Mmes et M. les Juges fédéraux 
Kiss, juge présidant, Hohl et Rüedi. 
Greffier: M. O. Carruzzo. 
 
Participants à la procédure 
A.________, 
représentée par Me Fabien Mingard, avocat, 
recourante, 
 
contre  
 
Fédération Internationale de Football Association, 
intimée. 
 
Objet 
arbitrage international en matière de sport, 
 
recours en matière civile contre l'ordonnance rendue le 30 mai 3023 par le Tribunal Arbitral du Sport (TAS 2023/A/9476). 
 
 
Faits :  
 
A.  
Le 7 mars 2023, A.________, association de droit privé espagnol, a interjeté appel auprès du Tribunal Arbitral du Sport (TAS) à l'encontre de la décision prise le 14 février 2023 par le Conseil de la Fédération Internationale de Football Association (FIFA) concernant le calendrier des rencontres organisées dans le cadre de la Coupe du Monde des Clubs. 
Le 11 avril 2023, le directeur financier du TAS a indiqué que, selon l'art. R64.2 al. 2 du Code de l'arbitrage en matière de Sport (ci-après: le Code), l'avance de frais, fixée par le Greffe du TAS, est en principe versée à parts égales par la partie appelante et par la partie intimée. Si une partie ne règle pas sa part, l'autre peut le faire à sa place; en cas de non-paiement de la totalité de l'avance de frais dans le délai fixé par le TAS, la déclaration d'appel est réputée retirée et le TAS met un terme à l'arbitrage. Après avoir souligné que la FIFA ne payait, de manière générale, pas d'avance de frais lorsqu'elle revêtait la qualité de partie intimée dans une procédure arbitrale conduite par le TAS, le directeur financier du TAS a imparti un délai à l'appelante pour s'acquitter de la totalité de l'avance de frais requise d'un montant de 42'000 fr. 
Par courrier du 20 avril 2023, A.________ a fustigé le fait que le TAS lui demande d'emblée de régler la totalité de l'avance de frais. Elle a dès lors prié le TAS d'inviter la FIFA à verser sa part de l'avance de frais réclamée. 
Interrogée le lendemain par le TAS sur le point de savoir si elle entendait verser sa part de l'avance de frais exigée, la FIFA lui a répondu par la négative en date du 21 avril 2023. 
Le 24 avril 2023, le directeur financier du TAS a pris note de ce que la FIFA n'avait pas l'intention de payer sa part de l'avance de frais. Il a alors fixé à l'appelante un délai échéant le 10 mai 2023 pour s'acquitter du montant de 42'000 fr., faute de quoi l'appel serait considéré comme retiré conformément à l'art. R64.2 du Code. 
Le 10 mai 2023, A.________ a avisé le TAS qu'elle avait payé uniquement la moitié de l'avance de frais réclamée, soit 21'000 fr. 
Par décision du 30 mai 2023, intitulée "Orden de Terminación", la Présidente suppléante de la Chambre arbitrale d'appel du TAS (ci-après: la Présidente suppléante), considérant que l'appel était réputé retiré en vertu de l'art. R64.2 al. 2 du Code, a clos la procédure arbitrale. 
 
B.  
Le 29 juin 2023, A.________ (ci-après: la recourante) a formé un recours en matière civile à l'encontre de la décision précitée. Elle a conclu, en substance, à l'annulation de celle-ci et à ce que le TAS entre en matière sur l'appel. Elle a annexé, à son mémoire de recours, une traduction de la décision querellée. 
Invités à répondre au recours, la FIFA (ci-après: l'intimée) a conclu au rejet de celui-ci dans la mesure de sa recevabilité, tandis que le TAS a formulé de brèves observations sur le recours. 
La recourante a maintenu ses conclusions initiales dans sa réplique du 23 octobre 2023. 
 
 
Considérant en droit :  
 
1.  
D'après l'art. 54 al. 1 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110), le Tribunal fédéral rédige son arrêt dans une langue officielle, en règle générale dans la langue de la décision attaquée. Lorsque cette décision est rédigée dans une autre langue (ici l'espagnol), le Tribunal fédéral utilise la langue officielle choisie par les parties. Dans les mémoires qu'elles ont adressés au Tribunal fédéral, les parties ont employé le français respectant ainsi l'art. 42 al. 1 LTF en liaison avec l'art. 70 al. 1 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse (Cst.; RS 101; ATF 142 III 521 consid. 1). Conformément à sa pratique, le Tribunal fédéral rendra, par conséquent, son arrêt en français. 
 
2.  
Dans le domaine de l'arbitrage international, le recours en matière civile est recevable contre les décisions de tribunaux arbitraux aux conditions prévues par les art. 190 à 192 de la loi fédérale sur le droit international privé du 18 décembre 1987 (LDIP; RS 291), conformément à l'art. 77 al. 1 let. a LTF
Le siège du TAS se trouve à Lausanne. L'une des parties au moins n'avait pas son siège en Suisse au moment déterminant. Les dispositions du chapitre 12 de la LDIP sont dès lors applicables (art. 176 al. 1 LDIP). 
 
3.  
 
3.1. Le recours en matière civile visé par l'art. 77 al. 1 let. a LTF en liaison avec les art. 190 à 192 LDIP n'est recevable qu'à l'encontre d'une sentence, qui peut être finale (lorsqu'elle met un terme à l'instance arbitrale pour un motif de fond ou de procédure), partielle, voire préjudicielle ou incidente. En revanche, une simple ordonnance de procédure pouvant être modifiée ou rapportée en cours d'instance n'est pas susceptible de recours. Est déterminant le contenu de la décision, et non pas sa dénomination (ATF 143 III 462 consid. 2.1).  
En l'occurrence, la décision attaquée n'est pas une simple ordonnance de procédure susceptible d'être modifiée ou rapportée en cours d'instance. En effet, le TAS ne se contente pas d'y fixer la suite de la procédure, mais, constatant que l'avance de frais requise n'a pas été fournie par l'appelante dans le délai qui lui avait été imparti à cet effet, en tire la conséquence que prévoit l'art. R64.2 du Code, c'est-à-dire la fiction irréfragable du retrait de l'appel. Son prononcé s'apparente ainsi à une décision d'irrecevabilité qui clôt l'affaire pour un motif tiré des règles de la procédure. Qu'il émane de la Présidente suppléante plutôt que d'une Formation arbitrale, laquelle n'était du reste pas encore constituée, n'empêche pas qu'il s'agit bien d'une décision susceptible de recours au Tribunal fédéral (arrêt 4A_692/2016 du 20 avril 2017 consid. 2.3). 
 
3.2. Pour le reste, qu'il s'agisse de la qualité pour recourir, du délai de recours ou des conclusions prises par la recourante, aucune de ces conditions de recevabilité ne fait problème en l'espèce. Rien ne s'oppose donc à l'entrée en matière. Demeure réservé l'examen de la recevabilité des différents griefs formulés par l'intéressée.  
 
4.  
Dans un premier moyen, divisé en deux branches, la recourante, invoquant l'art. 190 al. 2 let. e LDIP ainsi que les art. 6 par. 1 de la Convention européenne des droits de l'homme (CEDH; RS 0.101) et 30 Cst., soutient que la décision attaquée est contraire à l'ordre public. 
 
4.1. Une sentence est incompatible avec l'ordre public si elle méconnaît les valeurs essentielles et largement reconnues qui, selon les conceptions prévalant en Suisse, devraient constituer le fondement de tout ordre juridique (ATF 144 III 120 consid. 5.1; 132 III 389 consid. 2.2.3). On distingue un ordre public procédural et un ordre public matériel.  
 
4.1.1. Une sentence est contraire à l'ordre public matériel lorsqu'elle viole des principes fondamentaux du droit de fond au point de ne plus être conciliable avec l'ordre juridique et le système de valeurs déterminants (ATF 144 III 120 consid. 5.1; 132 III 389 consid. 2.2.1). Qu'un motif retenu par un tribunal arbitral heurte l'ordre public n'est pas suffisant; c'est le résultat auquel la sentence aboutit qui doit être incompatible avec l'ordre public (ATF 144 III 120 consid. 5.1). L'incompatibilité de la sentence avec l'ordre public, visée à l'art. 190 al. 2 let. e LDIP, est une notion plus restrictive que celle d'arbitraire (ATF 144 III 120 consid. 5.1; arrêt 4A_318/2018 du 4 mars 2019 consid. 4.3.1). Pour qu'il y ait incompatibilité avec l'ordre public, il ne suffit pas que les preuves aient été mal appréciées, qu'une constatation de fait soit manifestement fausse ou encore qu'une règle de droit ait été clairement violée (arrêts 4A_116/2016 du 13 décembre 2016 consid. 4.1; 4A_304/2013 du 3 mars 2014 consid. 5.1.1; 4A_458/2009 du 10 juin 2010 consid. 4.1). L'annulation d'une sentence arbitrale internationale pour ce motif de recours est chose rarissime (ATF 132 III 389 consid. 2.1).  
 
4.1.2. Il y a violation de l'ordre public procédural lorsque des principes de procédure fondamentaux et généralement reconnus ont été violés, conduisant à une contradiction insupportable avec le sentiment de la justice, de telle sorte que la décision apparaît incompatible avec les valeurs reconnues dans un État de droit (ATF 141 III 229 consid. 3.2.1; 140 III 278 consid. 3.1; 136 III 345 consid. 2.1).  
 
4.2. La violation des dispositions de la CEDH ou de la Cst. ne compte pas au nombre des griefs limitativement énumérés par l'art. 190 al. 2 LDIP. Il n'est dès lors pas possible d'invoquer directement une telle violation. Les principes qui sous-tendent les dispositions de la CEDH ou de la Cst. peuvent cependant être pris en compte dans le cadre de l'ordre public afin de concrétiser cette notion (ATF 146 III 358 consid. 4.1; 142 III 360 consid. 4.1.2).  
 
4.3.  
 
4.3.1. Dans la première branche du moyen considéré, la recourante soutient que la décision querellée contrevient à l'ordre public matériel. A cet égard, elle fait valoir que l'association intimée jouit d'une position dominante dans le domaine du football, laquelle lui permet d'imposer le recours à l'arbitrage comme mode de résolution des conflits. Or, selon la recourante, l'attitude de l'intimée consistant à refuser de payer l'avance de frais requise par le TAS a manifestement pour but de rendre plus difficile l'accès à ce tribunal arbitral. Une telle conduite est, à son avis, contraire au principe de la bonne foi, car elle tend à désavantager la partie appelante et à la priver d'un recours effectif au TAS. L'intéressée reconnaît certes que l'art. R64.2 al. 2 du Code permet à une partie de refuser de payer sa part de l'avance de frais. Elle estime néanmoins qu'un tel droit doit être exercé de manière conforme au principe de la bonne foi, ce qui ne serait pas le cas en l'espèce. Au regard de l'ensemble des circonstances, elle prétend, ainsi, que le TAS aurait dû contraindre l'intimée à verser sa part de l'avance de frais requise ou se contenter de celle fournie par la recourante. En la forçant à payer " le double du montant normalement requis ", la recourante considère que le TAS l'aurait empêchée de disposer d'un droit de recours effectif.  
 
4.3.2. Semblable argumentation n'emporte pas la conviction de la Cour de céans. Sous couvert d'une prétendue contrariété à l'ordre public matériel, l'intéressée se borne, en réalité, à critiquer la manière dont le TAS a appliqué l'une des dispositions figurant dans le Code. Or, l'application erronée, voire arbitraire, d'un règlement d'arbitrage ne constitue pas en soi une violation de l'ordre public (ATF 126 III 249 consid. 3b et les références citées). Le moyen tiré d'une violation de l'ordre public n'est pas davantage recevable dans la mesure où la recourante se contente d'affirmer que la décision incriminée serait contraire à l'art. 6 par. 1 CEDH et à l'art. 30 Cst.  
En tout état de cause, on ne discerne pas en quoi la règle ancrée à l'art. R64.2 al. 2 du Code prévoyant, en premier lieu, une répartition à parts égales de l'avance de frais entre les parties et, subsidiairement, l'obligation pour une partie d'assumer la part non réglée par son adversaire, serait contraire à l'ordre public matériel. Si la recourante avait dû agir devant les tribunaux étatiques suisses aux fins d'obtenir l'annulation de la décision prise par l'association intimée sur la base de l'art. 75 CC, l'autorité judiciaire aurait d'ailleurs pu exiger d'elle, selon le droit actuellement en vigueur, le paiement d'une avance de frais d'un montant correspondant à la totalité des frais judiciaires présumés (cf. l'art. 98 du Code de procédure civile suisse [CPC; RS 272]). Aussi le fait d'exiger d'une partie saisissant une autorité juridictionnelle qu'elle avance un montant correspondant à la totalité des frais judiciaires présumés n'apparaît-il en principe pas contraire à l'ordre public visé par l'art. 190 al. 2 let. e LDIP. 
Force est également de souligner que la recourante raisonne dans l'abstrait, lorsqu'elle soutient que l'attitude adoptée par l'intimée serait susceptible d'entraver l'accès d'une partie au TAS. Pourtant, la seule question à résoudre ici est celle de savoir si l'intéressée a été concrètement empêchée d'accéder à la justice arbitrale. Or, dans sa réplique (p. 6), la recourante concède elle-même " qu'elle avait les moyens financiers de régler l'entier de l'avance de frais qui était requise par le TAS (...) ". Aussi est-ce à tort que l'intéressée soutient que la décision querellée serait incompatible avec l'ordre public matériel, dès lors qu'elle était financièrement en mesure de fournir l'avance de frais requise par le TAS. 
Pour le surplus, la recourante formule des critiques qui ne s'inscrivent pas dans le cadre tracé par l'art. 190 al. 2 let. e LDIP, lorsqu'elle soutient que l'attitude adoptée par le directeur financier du TAS dans la présente affaire témoignerait d'un parti pris de sa part. Le manque d'impartialité dénoncé ne peut en effet être examiné qu'au regard de l'art. 190 al. 2 let. a LDIP, disposition que l'intéressée n'invoque pas dans son mémoire de recours. La recourante reconnaît du reste, dans sa réplique, que pareil reproche relève effectivement de l'art. 190 al. 2 let. a LDIP, mais affirme à tort qu'il serait recevable quand bien même elle n'a pas invoqué ladite norme. 
 
4.4. Dans la seconde branche du moyen examiné, la recourante se plaint d'une violation de l'ordre public procédural. A l'en croire, le TAS aurait fait preuve de formalisme excessif en rayant la cause du rôle, nonobstant le fait qu'elle avait versé sa part de l'avance de frais.  
Semblable affirmation tombe à faux. Point n'est besoin de résoudre la question de savoir dans quelle mesure le formalisme excessif peut être assimilé à une violation de l'ordre public au sens de l'art. 190 al. 2 let. e LDIP, dès lors que dans le cas concret, le TAS n'a nullement fait preuve de formalisme excessif. Dans une affaire jugée en 2017, le Tribunal fédéral n'a en effet pas jugé contraire à l'interdiction du formalisme excessif le fait, pour le TAS, de rayer la cause du rôle en application de l'art. R64.2 al. 2 du Code, l'appelante, dûment avertie des conséquences de son éventuelle inaction, n'ayant pas versé dans le délai imparti la totalité de l'avance de frais que la disposition réglementaire citée permettait au TAS de lui réclamer pour remédier au défaut de versement de la part de l'avance de frais mise à la charge de l'intimée (arrêt 4A_692/2016, précité, consid. 6.2 et 6.3). Il ne saurait en être autrement ici. 
 
5.  
Dans un deuxième moyen, la recourante reproche au TAS d'avoir violé le principe d'égalité des parties (art. 190 al. 2 let. d LDIP). 
Sous le couvert d'une prétendue violation dudit principe, la recourante se plaint une nouvelle fois de ce que le TAS a exigé d'elle le paiement de l'intégralité de l'avance de frais et prétend que son appel aurait dû être traité, étant donné qu'elle avait payé sa part de ladite avance. Pareille critique est infondée et on peut reprendre ici, mutatis mutandis, les considérations déjà émises en lien avec le grief tiré de l'incompatibilité de la sentence avec l'ordre public matériel (cf. consid 4.3 supra).  
 
6.  
Dans un troisième et dernier moyen, la recourante soutient que le TAS aurait dû appliquer, par analogie, l'art. 378 al. 2 CPC, lequel a la teneur suivante: 
 
" Si une partie ne verse pas l'avance de frais qui lui incombe, l'autre partie peut avancer la totalité des frais ou renoncer à l'arbitrage. Dans ce cas, cette dernière peut introduire un nouvel arbitrage ou procéder devant l'autorité judiciaire pour la même contestation. " 
L'intéressée estime que le TAS aurait dû l'autoriser à porter le litige devant les tribunaux étatiques. 
Semblable moyen est irrecevable, dès lors que la recourante ne rattache pas sa critique de la décision querellée à l'un des griefs énumérés de manière exhaustive à l'art. 190 al. 2 LDIP, mais se borne à développer son argumentation sous une rubrique distincte de son mémoire de recours, intitulée "3. Subsidiairement: application par analogie de l'art. 378 al. 2, 2ème phrase, CPC". 
 
7.  
Au vu de ce qui précède, le recours doit être rejeté dans la faible mesure de sa recevabilité. La recourante, qui succombe, supportera les frais de la présente procédure. Il n'y a pas lieu d'allouer de dépens à l'intimée, dès lors qu'elle a rédigé elle-même sa réponse au recours (arrêt 4A_542/2021 du 28 février 2022 consid. 7). 
 
 
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :  
 
1.  
Le recours est rejeté dans la mesure où il est recevable. 
 
2.  
Les frais judiciaires, arrêtés à 15'000 fr., sont mis à la charge de la recourante. 
 
3.  
Le présent arrêt est communiqué aux parties et au Tribunal Arbitral du Sport (TAS). 
 
 
Lausanne, le 21 décembre 2023 
 
Au nom de la Ire Cour de droit civil 
du Tribunal fédéral suisse 
 
La Juge présidant : Kiss 
 
Le Greffier : O. Carruzzo