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Bundesgericht 
Tribunal fédéral 
Tribunale federale 
Tribunal federal 
 
 
 
 
4A_216/2023  
 
 
Arrêt du 13 novembre 2023  
 
Ire Cour de droit civil  
 
Composition 
Mmes les Juges fédérales 
Kiss, juge présidant, Hohl et May Canellas. 
Greffier: M. O. Carruzzo. 
 
Participants à la procédure 
A.________, 
représenté par Me Virgiliu Schiopu, avocat, 
recourant, 
 
contre  
 
B.________, 
intimé. 
 
Objet 
arbitrage international en matière de sport, 
 
recours en matière civile contre la sentence rendue le 16 mars 2023 par le Tribunal Arbitral du Sport (CAS 2021/A/8375). 
 
 
Faits :  
 
A.  
 
A.a. Par contrat de travail du 16 février 2020, le club de football kazakh A.________ (ci-après: le club), membre de la Fédération Kazakhe de Football (FKF), elle-même affiliée à la Fédération Internationale de Football Association (FIFA), a engagé le footballeur russe B.________ (ci-après: le joueur). Le salaire mensuel convenu s'élevait à 3'806'000 tenges kazakhes (KZT). Ledit contrat prévoyait que l'employeur s'engageait à respecter la législation kazakhe sur le travail.  
Le 24 février 2020, les parties ont signé un avenant au contrat de travail prévoyant que celui-ci prendrait en principe fin le 9 novembre 2020, les autres clauses contractuelles demeurant inchangées. 
Le 15 mars 2020, le Président de la République du Kazakhstan a décrété l'état d'urgence en raison de la situation liée à la crise du coronavirus. 
Le lendemain, le club a suspendu toutes ses activités. 
Le 19 mars 2020, le club a indiqué que le salaire mensuel de ses employés serait réduit de 50 % durant la cessation de ses activités. 
Le 9 novembre 2020, le contrat du joueur a pris fin. 
 
A.b. Le 19 janvier 2021, le joueur a assigné le club devant la Chambre de Résolution des Litiges (CRL) de la FIFA en vue de lui réclamer divers montants.  
Statuant le 28 juillet 2021, la CRL a partiellement fait droit à la demande et a condamné le défendeur à payer au demandeur la somme totale de 15'956'143 KZT, intérêts en sus. 
 
B.  
Le 23 septembre 2021, le club a appelé de cette décision auprès du Tribunal Arbitral du Sport (TAS). 
L'arbitre unique désignée par le TAS a tenu une audience par vidéoconférence le 7 avril 2022. 
L'arbitre unique a rendu sa sentence finale le 16 mars 2023. Admettant partiellement l'appel, elle a confirmé que l'appelant était tenu de verser au joueur la somme de 15'956'143 KZT, intérêts en sus, tout en jugeant qu'il s'agissait d'un montant brut. Les motifs qui étayent cette sentence seront évoqués plus loin dans la mesure utile à la compréhension des critiques dont elle est la cible. 
 
C.  
Le 17 avril 2023, le club (ci-après: le recourant) a formé un recours en matière civile aux fins d'obtenir l'annulation de cette sentence. Il a également présenté une requête d'effet suspensif. 
La demande d'effet suspensif a été admise par ordonnance du 5 juillet 2023. 
Invité à se déterminer sur le recours, le joueur (ci-après: l'intimé) n'a pas répondu au recours. 
Dans ses observations, le TAS a proposé le rejet du recours. 
Le recourant a déposé une réplique spontanée le 26 septembre 2023. 
 
 
Considérant en droit:  
 
1.  
D'après l'art. 54 al. 1 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110), le Tribunal fédéral rédige son arrêt dans une langue officielle, en règle générale dans la langue de la décision attaquée. Lorsque cette décision a été rendue dans une autre langue, le Tribunal fédéral utilise la langue officielle choisie par les parties. Devant le TAS, celles-ci se sont servies de l'anglais. Le recourant a rédigé son recours en anglais et a expressément demandé au Tribunal fédéral de rendre son arrêt en français. Il a en outre utilisé le français dans sa réplique. Quant au TAS, il a aussi employé le français dans ses observations. Dans ces circonstances, le Tribunal fédéral rendra son arrêt en français. 
 
2.  
Dans le domaine de l'arbitrage international, le recours en matière civile est recevable contre les décisions de tribunaux arbitraux aux conditions prévues par les art. 190 à 192 de la loi fédérale sur le droit international privé du 18 décembre 1987 (LDIP; RS 291), conformément à l'art. 77 al. 1 let. a LTF
Le siège du TAS se trouve à Lausanne. Aucune des parties n'avait son domicile ou son siège en Suisse au moment déterminant. Les dispositions du chapitre 12 de la LDIP sont donc applicables (art. 176 al. 1 LDIP). 
 
3.  
Qu'il s'agisse de l'objet du recours, de la qualité pour recourir, du délai de recours, des conclusions prises par le recourant ou encore du grief soulevé dans le mémoire de recours, aucune de ces conditions de recevabilité ne fait problème en l'espèce. Rien ne s'oppose donc à l'entrée en matière. Demeure réservé l'examen, sous l'angle de sa motivation, de la recevabilité du moyen invoqué par l'intéressé. 
 
4.  
 
4.1. Un mémoire de recours visant une sentence arbitrale doit satisfaire à l'exigence de motivation telle qu'elle découle de l'art. 77 al. 3 LTF en liaison avec l'art. 42 al. 2 LTF et la jurisprudence relative à cette dernière disposition (ATF 140 III 86 consid. 2 et les références citées). Cela suppose que le recourant discute les motifs de la sentence entreprise et indique précisément en quoi il estime que l'auteur de celle-ci a méconnu le droit. Il ne pourra le faire que dans les limites des moyens admissibles contre ladite sentence, à savoir au regard des seuls griefs énumérés à l'art. 190 al. 2 LDIP lorsque l'arbitrage revêt un caractère international. Au demeurant, comme cette motivation doit être contenue dans l'acte de recours, le recourant ne saurait user du procédé consistant à prier le Tribunal fédéral de bien vouloir se référer aux allégués, preuves et offres de preuve contenus dans les écritures versées au dossier de l'arbitrage. De même se servirait-il en vain de la réplique pour invoquer des moyens, de fait ou de droit, qu'il n'avait pas présentés en temps utile, c'est-à-dire avant l'expiration du délai de recours non prolongeable (art. 100 al. 1 LTF en liaison avec l'art. 47 al. 1 LTF) ou pour compléter, hors délai, une motivation insuffisante (arrêt 4A_478/2017 du 2 mai 2018 consid. 2.2 et les références citées).  
 
4.2. Le Tribunal fédéral statue sur la base des faits constatés dans la sentence attaquée (cf. art. 105 al. 1 LTF). Il ne peut rectifier ou compléter d'office les constatations des arbitres, même si les faits ont été établis de manière manifestement inexacte ou en violation du droit (cf. l'art. 77 al. 2 LTF qui exclut l'application de l'art. 105 al. 2 LTF). Les constatations du tribunal arbitral quant au déroulement de la procédure lient aussi le Tribunal fédéral, qu'elles aient trait aux conclusions des parties, aux faits allégués ou aux explications juridiques données par ces dernières, aux déclarations faites en cours de procès, aux réquisitions de preuves, voire au contenu d'un témoignage ou d'une expertise ou encore aux informations recueillies lors d'une inspection oculaire (ATF 140 III 16 consid. 1.3.1 et les références citées; arrêts 4A_54/2019 du 11 avril 2019 consid. 2.4; 4A_322/2015 du 27 juin 2016 consid. 3 et les références citées).  
La mission du Tribunal fédéral, lorsqu'il est saisi d'un recours en matière civile visant une sentence arbitrale internationale, ne consiste pas à statuer avec une pleine cognition, à l'instar d'une juridiction d'appel, mais uniquement à examiner si les griefs recevables formulés à l'encontre de ladite sentence sont fondés ou non. Permettre aux parties d'alléguer d'autres faits que ceux qui ont été constatés par le tribunal arbitral, en dehors des cas exceptionnels réservés par la jurisprudence, ne serait plus compatible avec une telle mission, ces faits fussent-ils établis par les éléments de preuve figurant au dossier de l'arbitrage (arrêt 4A_140/2022 du 22 août 2022 consid. 4.2). Cependant, le Tribunal fédéral conserve la faculté de revoir l'état de fait à la base de la sentence attaquée si l'un des griefs mentionnés à l'art. 190 al. 2 LDIP est soulevé à l'encontre dudit état de fait ou que des faits ou des moyens de preuve nouveaux sont exceptionnellement pris en considération dans le cadre de la procédure du recours en matière civile (ATF 138 III 29 consid. 2.2.1 et les références citées). 
 
4.3. Méconnaissant ces principes, le recourant expose, sur près de cinq pages, sa propre version des circonstances factuelles et procédurales de la cause en litige. Il n'invoque, du reste, aucune des exceptions sus-indiquées qui lui permettraient de s'en prendre aux constatations de la Formation. La Cour de céans n'en tiendra dès lors pas compte.  
 
5.  
Dans un unique moyen, le recourant, invoquant l'art. 190 al. 2 let. d LDIP, se plaint d'une violation de son droit être entendu. Il reproche à l'arbitre d'avoir omis de traiter un problème pertinent. 
 
5.1. La jurisprudence a déduit du droit d'être entendu, tel qu'il est garanti par les art. 182 al. 3 et 190 al. 2 let. d LDIP, un devoir minimum pour le tribunal arbitral d'examiner et de traiter les problèmes pertinents. Ce devoir est violé lorsque, par inadvertance ou malentendu, le tribunal arbitral ne prend pas en considération des allégués, arguments, preuves et offres de preuve présentés par l'une des parties et importants pour la sentence à rendre (ATF 142 III 360 consid. 4.1.1 et les références citées). Il incombe à la partie soi-disant lésée de démontrer, dans son recours dirigé contre la sentence, en quoi une inadvertance des arbitres l'a empêchée de se faire entendre sur un point important. C'est à elle d'établir, d'une part, que le tribunal arbitral n'a pas examiné certains des éléments de fait, de preuve ou de droit qu'elle avait régulièrement avancés à l'appui de ses conclusions et, d'autre part, que ces éléments étaient de nature à influer sur le sort du litige (ATF 142 III 360 consid. 4.1.1 et 4.1.3). Si la sentence passe totalement sous silence des éléments apparemment importants pour la solution du litige, c'est aux arbitres ou à la partie intimée qu'il appartiendra de justifier cette omission dans leurs observations sur le recours. Ceux-ci pourront le faire en démontrant que, contrairement aux affirmations du recourant, les éléments omis n'étaient pas pertinents pour résoudre le cas concret ou, s'ils l'étaient, qu'ils ont été réfutés implicitement par le tribunal arbitral (ATF 133 III 235 consid. 5.2).  
Au demeurant, le grief tiré de la violation du droit d'être entendu ne doit pas servir, pour la partie qui se plaint de vices affectant la motivation de la sentence, à provoquer par ce biais un examen de l'application du droit de fond (ATF 142 III 360 consid. 4.1.2 et les références citées). 
 
5.2. En l'occurrence, le recourant fait grief à l'arbitre d'avoir considéré que les parties n'avaient pas précisé quel était le droit applicable au présent litige et d'avoir, partant, appliqué la réglementation édictée par la FIFA, et subsidiairement, le droit suisse, pour trancher la présente affaire. A son avis, l'arbitre aurait dû appliquer les règles contraignantes adoptées par la FIFA, et subsidiairement le droit kazakh. Selon lui, cette erreur aurait eu une influence décisive sur l'issue du litige.  
 
5.3. L'argumentation développée par le recourant, laquelle présente un caractère appellatoire marqué, ne saurait prospérer. Il saute en effet aux yeux que, sous couvert d'une prétendue atteinte à son droit d'être entendu, l'intéressé cherche à entraîner la Cour de céans sur le terrain de l'application du droit et à l'inciter indirectement à se prononcer sur la motivation de l'arbitre. Il va sans dire que pareille tentative est vouée à l'échec. Quoi qu'il en soit, il ressort de la sentence attaquée que le recourant n'a pas désigné le droit applicable dans ses écritures, tandis que l'intimé a soutenu que la réglementation édictée par la FIFA était applicable (sentence, n. 68: "The Appellant has not specified a choice of law in its pleadings. In his Answer, the Respondent relies on the application of the FIFA RSTP"). Semblable constatation de fait lie la Cour de céans. Aussi est-ce en vain que l'intéressé affirme avoir plaidé en faveur de l'application du droit kazakh dans son mémoire d'appel. Se référant à l'art. R58 du Code de l'arbitrage en matière de sport, à teneur duquel le TAS "statue selon les règlements applicables et, subsidiairement, selon les règles de droit choisies par les parties, ou à défaut de choix, selon le droit du pays dans lequel la fédération, association ou autre organisme sportif ayant rendu la décision attaquée a son domicile ou selon les règles de droit que la Formation estime appropriées", l'arbitre a considéré que le Règlement du Statut et du Transfert du Joueur (RSTP) était applicable en l'espèce et qu'elle aurait recours, à titre supplétif, aux règles du droit suisse, dans la mesure où l'association ayant rendu la décision attaquée devant le TAS était sise en Suisse (sentence, n. 70). Il appert ainsi que l'arbitre n'a pas omis de traiter un problème pertinent, mais qu'elle a simplement considéré que le droit kazakh n'était pas applicable à titre subsidiaire. Que cette solution soit juridiquement correcte ou non importe peu sous l'angle du moyen pris de la violation du droit d'être entendu. En tout état de cause, la Cour de céans ne discerne pas en quoi la prétendue atteinte au droit d'être entendu dénoncée par le recourant était de nature à influer sur le sort du litige. Il faut en effet bien voir que l'application des règles et directives édictées par la FIFA a conduit l'arbitre à examiner si le droit interne kazakh autorisait des réductions unilatérales du salaire de l'intimé. Or, sous n. 112 de sa sentence, l'arbitre, sur la base des éléments à sa disposition, a estimé que tel n'était pas le cas, en soulignant notamment ce qui suit:  
 
" 112. (...) The Sole Arbitrator accepts that there is evidence of a substantive right under Kazakhstan law to reduce the salaries of employees during periods of downtime but there is no evidence that the correct procedure was followed to enforce the right, and no independant legal advice from a legal practitioner that confirms the application of Kazakhstan law in these circumstances. On balance, and based on the available evidence, the Sole Arbitrator is not persuaded that the salary reduction was imposed lawfully under Kazakhstan law. To prove the fact of Kazakhstan law, evidence in the form of an expert legal opinion is required.... ". 
Pour le reste, c'est en vain que l'intéressé se plaint de ce que l'arbitre n'a pas exposé les raisons pour lesquelles elle a appliqué les directives non contraignantes de la FIFA pour la gestion des conséquences juridiques du Covid-19, étant rappelé ici qu'il ne saurait obtenir des explications détaillées sur chaque aspect du raisonnement tenu par l'arbitre. 
 
6.  
Au vu de ce qui précède, le recours doit être rejeté dans la mesure de sa recevabilité. Le recourant, qui succombe, supportera les frais de la présente procédure (art. 66 al. 1 LTF). Il n'y a pas lieu à l'allocation de dépens. 
 
 
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :  
 
1.  
Le recours est rejeté dans la mesure où il est recevable. 
 
2.  
Les frais judiciaires, arrêtés à 2'000 fr., sont mis à la charge du recourant. 
 
3.  
Le présent arrêt est communiqué au recourant et au Tribunal Arbitral du Sport (TAS). Un exemplaire du présent arrêt est conservé auprès de la Chancellerie du Tribunal fédéral à la disposition de l'intimé. 
 
 
Lausanne, le 13 novembre 2023 
 
Au nom de la Ire Cour de droit civil 
du Tribunal fédéral suisse 
 
La Juge présidant : Kiss 
 
Le Greffier : O. Carruzzo