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Bundesgericht 
Tribunal fédéral 
Tribunale federale 
Tribunal federal 
 
 
 
 
4A_506/2022  
 
 
Arrêt du 20 juin 2023  
 
Ire Cour de droit civil  
 
Composition 
Mmes et M. les Juges fédéraux 
Jametti, Présidente, Hohl et Rüedi. 
Greffier : M. Douzals. 
 
Participantes à la procédure 
A.________, 
représentée par Me Boris Lachat, avocat, 
recourante, 
 
contre  
 
B.________SARL, 
représentée par Me Nassima Lagrouni, avocate, 
intimée. 
 
Objet 
recevabilité du recours (art. 91 et 93 al. 1 let. b LTF), 
 
recours en matière civile contre l'arrêt rendu le 10 octobre 2022 par la Chambre des baux et loyers de la Cour de justice du canton de Genève 
(C/4341/2020; ACJC/1331/2022). 
 
 
Faits :  
 
A.  
Par contrat de bail à loyer du 11 août 2017, A.________ (ci-après: la bailleresse, la défenderesse ou la recourante) a remis à bail à B.________SARL (ci-après: la locataire, la demanderesse ou l'intimée) et à C.________, locataires engagés conjointement et solidairement entre eux, un atelier de 312 m 2 environ sis à U.________.  
Le bail a été conclu pour une durée de cinq ans et un mois, soit du 1 er septembre 2017 au 30 septembre 2022, avec renouvellement ultérieur tacite de cinq ans en cinq ans. Les parties ont fixé le loyer annuel à 78'000 fr., hors charges.  
 
B.  
Après que la tentative de conciliation a échoué, la locataire a déposé sa demande auprès du Tribunal des baux et loyers du canton de Genève le 19 avril 2021. En substance, elle a invoqué l'existence de défauts affectant la chose louée (complètement selon l'art. 105 al. 2 LTF) et a notamment conclu à la validation de la consignation de son loyer (conclusion n o 1), à l'octroi d'une réduction de loyer de 15 % par mois du 4 mars 2019 au 30 septembre 2020 (conclusion n o 2), à la condamnation de la bailleresse au versement de 18'525 fr. (conclusion n o 3) et au constat de la validité de la résiliation anticipée du bail au 30 septembre 2020 (conclusion n o 4), subsidiairement de la restitution anticipée au 3 novembre 2020 (conclusion n o 7; rectification d'office selon l'art. 105 al. 2 LTF).  
Par jugement du 22 décembre 2021, le tribunal a constaté que la locataire demanderesse disposait de la légitimation active pour les conclusions n os 1, 2, et 3 et que tel n'était pas le cas pour les conclusions n os 4 et 7, la demanderesse étant déboutée de ces conclusions-ci.  
Par arrêt du 10 octobre 2022, la Chambre des baux et loyers de la Cour de justice du canton de Genève a rejeté l'appel de la bailleresse et l'appel joint de la locataire. 
 
C.  
Contre cet arrêt, qui lui avait été notifié le 11 octobre 2022, la bailleresse a formé un recours en matière civile le 10 novembre 2022. Elle conclut à ce que l'arrêt entrepris soit annulé et réformé, en ce sens que la locataire demanderesse ne dispose pas de la légitimation active pour les conclusions n os 1, 2, et 3, subsidiairement à ce que la cause soit renvoyée à la cour cantonale pour qu'elle statue dans ce sens.  
L'intimée conclut à l'irrecevabilité du recours, subsidiairement à son rejet. 
La cour cantonale se réfère aux considérants de son arrêt. 
 
 
Considérant en droit :  
 
1.  
Le Tribunal fédéral examine d'office sa compétence (art. 29 al. 1 LTF) et contrôle librement la recevabilité des recours qui lui sont soumis (ATF 147 I 89 consid. 1; 145 I 239 consid. 2; 145 II 168 consid. 1). 
Le recours au Tribunal fédéral est en principe recevable contre les décisions finales (art. 90 LTF) ou partielles (art. 91 LTF). Il l'est également contre les décisions incidentes concernant la compétence et la récusation visées par l'art. 92 LTF. Contre d'autres décisions incidentes, un recours séparé n'est recevable qu'aux conditions restrictives prévues à l'art. 93 al. 1 LTF
 
1.1. Dans un premier temps, la recourante invoque que l'arrêt entrepris constituerait une décision partielle.  
 
1.1.1. La décision finale met définitivement un terme à la procédure, pour un motif de fond ou de procédure. La décision partielle est une variante de la décision finale (ATF 141 III 395 consid. 2.2 et les arrêts cités) : sans terminer l'instance, elle règle définitivement le sort de certaines des prétentions en cause (art. 91 let. a LTF) ou termine l'instance seulement à l'égard de certaines des parties à la cause (art. 91 let. b LTF). Les décisions qui ne sont ni finales ni partielles d'après ces critères sont des décisions incidentes.  
Selon l'art. 91 let. a LTF, le recours est recevable contre toute décision qui statue sur un objet dont le sort est indépendant de celui qui reste en cause. Le juge doit avoir statué de manière définitive sur une partie de ce qui est demandé, qui aurait pu être jugée indépendamment des autres prétentions formulées (ATF 146 III 254 consid. 2.1; 141 III 395 consid. 2.2 et 2.4; 135 III 212 consid. 1.2.1). L'art. 91 let. a LTF exige premièrement que le juge ait statué sur un chef de conclusions ou une partie du petitum, ce qui suppose que des actions distinctes ont été jointes ou que la demande est divisible; en d'autres termes, il faut que les conclusions traitées puissent théoriquement donner lieu à un procès séparé (ATF 146 III 254 consid. 2.1.1 et 2.1.3; 141 III 395 consid. 2.4; 135 III 212 consid. 1.2.2). Deuxièmement, l'indépendance au sens de l'art. 91 let. a LTF implique que la décision attaquée tranche de manière définitive une partie de l'ensemble de l'objet du litige, de sorte qu'il n'existe pas de risque que la décision à rendre sur le reste de la demande se trouve en contradiction avec la décision déjà en force (ATF 146 III 254 consid. 2.1.1; 141 III 395 consid. 2.4; 135 III 212 consid. 1.2.2 et 1.2.3). Plus précisément, pour que le sort de deux actions soit indépendant, on doit pouvoir juger séparément leurs conclusions en ce sens que la décision sur l'une n'est pas le préalable nécessaire de la décision sur l'autre; il faut donc non seulement qu'il soit possible de statuer sur les prétentions déjà tranchées indépendamment de celles qui ne le sont pas encore, mais également que le sort de l'objet encore en cause puisse être réglé indépendamment des conclusions déjà tranchées (ATF 146 III 254 consid. 2.1.4 et les arrêts cités). De manière générale, il n'y a pas de décision partielle au sens de l'art. 91 let. a LTF s'il ne peut être statué sur certaines prétentions avant qu'une décision sur d'autres n'ait été rendue (ATF 146 III 254 consid. 2.1.4).  
En cas de cumul objectif d'actions, lorsque la décision cantonale statue définitivement sur certaines conclusions et tranche uniquement une question préjudicielle sur les autres, il y a matériellement deux décisions. Lorsque le recours ne porte que sur la décision qui n'a pas mis fin au litige sur ces autres conclusions, cette décision n'est pas partielle, mais doit être qualifiée de décision incidente au sens de l'art. 93 LTF
 
1.1.2. En l'espèce, l'arrêt entrepris a statué sur la qualité pour agir de la locataire intimée, la reconnaissant pour certaines conclusions de sa demande (n os 1, 2, et 3) et la niant pour d'autres (n os 4 et 7). Dans la mesure où l'absence de qualité pour agir de l'intimée s'agissant des conclusions n os 4 et 7 n'est pas remise en cause par la recourante, le dispositif de l'arrêt attaqué a acquis autorité de la chose jugée sur ces points. En tant que la recourante s'en prend uniquement aux conclusions n os 1, 2, et 3 et que l'arrêt entrepris n'a pas mis fin au litige s'agissant de ces conclusions puisqu'il n'a tranché que la question de la qualité pour agir, ledit arrêt constitue une décision incidente qui ne porte ni sur la compétence ni sur une demande de récusation (cf. art. 92 LTF), et tombe ainsi sous le coup de l'art. 93 LTF.  
 
1.2. La décision attaquée peut faire l'objet d'un recours immédiat au Tribunal fédéral uniquement si elle peut causer un préjudice irréparable (art. 93 al. 1 let. a LTF) ou si l'admission du recours peut conduire immédiatement à une décision finale et permet d'éviter une procédure probatoire longue et coûteuse (art. 93 al. 1 let. b LTF). C'est au recourant qu'échoit la tâche de prouver la réalisation de l'une ou l'autre exigence, à moins qu'elle ne soit manifeste (arrêts 4A_518/2022 du 15décembre 2022 consid. 6.2; 4A_603/2020 du 16 novembre 2022 consid. 1.1).  
La recourante ne soutient pas que la décision attaquée serait susceptible de lui causer un préjudice irréparable, ce qui n'est du reste pas manifestement le cas. Elle plaide en revanche que l'admission du présent recours pourrait mettre immédiatement un terme à la procédure et permettrait d'éviter une procédure probatoire longue et coûteuse (art. 93 al. 1 let. b LTF). 
 
1.2.1. La première des deux conditions cumulatives requises par l'art. 93 al. 1 let. b LTF suppose que l'admission du recours conduirait immédiatement à une décision finale. Il faut que le Tribunal fédéral lui-même puisse mettre fin définitivement à la procédure dans l'hypothèse où il parviendrait à la solution inverse de celle retenue par l'autorité cantonale, c'est-à-dire en jugeant différemment la question tranchée dans la décision incidente attaquée (ATF 133 III 629 consid. 2.4.1; 132 III 785 consid. 4.1 et les arrêts cités). Le Tribunal fédéral doit pouvoir rendre lui-même la décision finale (cf. art. 107 al. 2 LTF).  
Quant à la seconde condition, la jurisprudence exige que la partie recourante établisse, si cela n'est pas manifeste, qu'une décision finale immédiate permettrait d'éviter une procédure probatoire longue et coûteuse; cette partie doit indiquer de manière détaillée, en particulier, quelles questions de fait sont encore litigieuses et quelles preuves, déjà offertes ou requises, doivent encore être administrées, et en quoi celles-ci entraîneraient une procédure probatoire longue et coûteuse (ATF 133 III 629 consid. 2.4.2; arrêts 4A_393/2022 du 26 avril 2023 consid. 1.2; 4A_518/2022 précité consid. 6.3.1 et les arrêts cités). Tout complément d'instruction entraîne nécessairement des frais et un prolongement de la procédure; cela ne suffit pas pour ouvrir le recours immédiat. Pour que la condition légale soit remplie, il faut que la procédure probatoire, par sa durée et son coût, s'écarte notablement des procès habituels. Un tel cas de figure ne doit être retenu qu'avec réserve (ATF 144 III 253 consid. 1.3; arrêt 4A_518/2022 précité consid. 6.3.1 et l'arrêt cité). Si l'administration des preuves doit se limiter à entendre les parties, à leur permettre de produire des pièces et à procéder à l'interrogatoire de quelques témoins, un recours immédiat n'est pas justifié. Il en va différemment s'il faut envisager une expertise complexe, plusieurs expertises, l'audition de très nombreux témoins ou l'envoi de commissions rogatoires dans des pays lointains (arrêts 4A_518/2022 précité consid. 6.3.1; 4A_441/2020 du 1 er octobre 2020 consid. 2; 4A_480/2019 du 30 octobre 2019 consid. 5.1 et les arrêts cités).  
La réglementation de l'art. 93 al. 1 let. b LTF, à la différence de celle de l'art. 237 al. 2 CPC, repose sur le principe que le Tribunal fédéral ne doit en principe s'occuper d'une affaire qu'une seule fois, lorsqu'il est certain que la partie recourante subit effectivement un dommage définitif. Les deux conditions de cette disposition doivent donc être examinées de manière restrictive, le recours immédiat revêtant un caractère exceptionnel (ATF 134 III 426 consid. 1.3.2; arrêt 4A_566/2020 du 27 septembre 2021 consid. 2.2.3 et les références citées). 
 
1.2.2. En l'espèce, la recourante invoque que la décision du Tribunal fédéral pourrait éviter une procédure longue et coûteuse, " vu notamment la nature du litige, l'importance des écritures des parties à ce jour, les nombreuses pièces déjà produites, mais également (et surtout) les moyens de preuve à administrer: audition de nombreux témoins, inspection locale, éventuelle expertise, etc. ". Selon elle, les litiges en matière de défauts de la chose louée exigeraient une administration bien plus importante des moyens de preuve que la majorité des litiges.  
Ce faisant, la recourante n'indique pas de manière détaillée quelles preuves doivent encore être administrées et en quoi celles-ci entraîneraient une procédure probatoire longue et coûteuse, pas plus qu'elle n'établit que la procédure probatoire, par sa durée et son coût, s'écarterait notablement des procès habituels. En particulier, l'audition de témoins, dont la recourante ne précise pas le nombre, et une éventuelle expertise ne sont à cet égard pas suffisantes. 
Force est ainsi de constater que la seconde condition posée par l'art. 93 al. 1 let. b LTF n'est pas remplie. 
 
2.  
Au vu de ce qui précède, le recours doit être déclaré irrecevable. 
Les frais judiciaires et les dépens seront mis à la charge de la recourante, qui succombe (art. 66 al. 1 et art. 68 al. 1 et 2 LTF). 
 
 
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :  
 
1.  
Le recours est irrecevable. 
 
2.  
Les frais judiciaires, arrêtés à 3'000 fr., sont mis à la charge de la recourante. 
 
3.  
La recourante versera à l'intimée une indemnité de 3'500 fr. à titre de dépens. 
 
4.  
Le présent arrêt est communiqué aux mandataires des parties et à la Chambre des baux et loyers de la Cour de justice du canton de Genève. 
 
 
Lausanne, le 20 juin 2023 
 
Au nom de la Ire Cour de droit civil 
du Tribunal fédéral suisse 
 
La Présidente : Jametti 
 
Le Greffier : Douzals