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Bundesgericht 
Tribunal fédéral 
Tribunale federale 
Tribunal federal 
 
 
 
 
1C_272/2022  
 
 
Arrêt du 15 novembre 2023  
 
Ire Cour de droit public  
 
Composition 
MM. les Juges fédéraux Kneubühler, Président, 
Chaix, Haag, Müller et Merz. 
Greffier : M. Kurz. 
 
Participants à la procédure 
Société pour les peuples menacés (SPM), 
recourante, 
 
contre  
 
Argor-Heraeus SA, 
Metalor Technologies SA, 
MKS (Switzerland) SA, 
Valcambi SA, 
toutes les quatre représentées par Me Alexandre Richa, avocat, 
intimées, 
 
Office fédéral de la douane et de la sécurité des frontières, Direction générale des douanes, Monbijoustrasse 40, 3003 Berne. 
 
Objet 
Demande d'accès à des documents officiels, 
 
recours contre l'arrêt du Tribunal administratif fédéral, Cour I, du 16 mars 2022 (A-741/2019, A-743/2019, A/745/2019, A-746/2019). 
 
 
Faits :  
 
A.  
La Société pour les peuples menacés (Gesellschaft für bedrohte Völker, ci-après: la requérante) est une association suisse constituée en 1989. Selon ses buts statutaires, elle s'engage pour la défense des minorités et des peuples autochtones. Le 5 février 2018, elle a saisi l'Administration fédérale des douanes (depuis le 1er janvier 2022: l'Office fédéral de la douane et de la sécurité des frontières, ci-après: OFDF) d'une demande fondée sur la loi fédérale du 17 décembre 2004 sur le principe de la transparence dans l'administration (LTrans, RS 152.3). Elle souhaitait obtenir les statistiques complètes concernant l'importation d'or sous le numéro de douane 7108.1200 (or, y compris l'or platiné, sous forme brute, à usages non monétaires) pour les sept plus grands importateurs d'or, avec indication des quantités, détaillées selon le nom de l'exportateur et l'indication du nom de l'importateur suisse à qui l'or avait été livré, pour les années 2014 à 2017. Elle indiquait avoir besoin de ces informations pour l'élaboration des rapports qu'elle réalisait sur le sujet. Elle invoquait également l'intérêt des médias et de la politique, ainsi que, de manière générale, l'intérêt public concernant les droits de l'homme, l'intérêt écologique, la santé et les conditions de travail ainsi que la dénonciation d'activités douteuses et illégales. 
Interpellés par l'OFDF, les sept importateurs concernés, soit Argor-Heraeus SA, Valcambi SA, Metalor Technologies SA, MKS (Switzerland) SA (ci-après : les sociétés) ainsi qu'une sàrl et deux banques se sont opposés à la requête, en invoquant le secret fiscal (art. 4 let. a LTrans et art. 74 al. 1 de la loi fédérale du 12 juin 2009 régissant la taxe sur la valeur ajoutée [loi sur la TVA, LTVA, RS 641.20]) ainsi que le secret d'affaires (art. 7 al. 1 let. g LTrans) et la protection de la sphère privée de tiers (art. 7 al. 2 LTrans). 
Le 9 août 2018, l'OFDF a rejeté la requête en considérant que certaines informations étaient couvertes par le secret bancaire, que l'accès aux documents porterait atteinte à la sphère privée et que l'intérêt public invoqué n'était pas prépondérant. 
 
B.  
La requérante a saisi le Préposé fédéral à la protection des données et à la transparence (ci-après : le Préposé), renonçant dans le courant de la procédure aux informations relatives aux banques. 
Le Préposé a rendu sa recommandation le 31 octobre 2018: l'OFDF devrait transmettre les informations concernant les quatre commerçants de métaux précieux, soit leurs noms, celui des exportateurs et la quantité importée. L'objection tirée du secret fiscal devait être écartée car les données visées ne se rapportaient pas à l'impôt sur les importations. Il existait certes des secrets professionnels au sens de l'art. 7 al. 1 let. g LTrans, mais les sociétés n'invoquaient qu'un dommage très vague et éloigné et ne démontraient pas concrètement quelles seraient les conséquences économiques de la publication de ces informations. S'agissant de la protection des données personnelles des sociétés intéressées, il existait un intérêt public prépondérant à la transparence au sens de l'art. 6 al. 2 let. a de l'ordonnance du 24 mai 2006 sur le principe de la transparence dans l'administration (OTrans, RS 152.31), compte tenu de l'intérêt médiatique et politique au sujet du commerce et de l'exploitation de l'or, ainsi que des risques écologiques et sociaux inhérents à ces activités. Le Préposé recommandait toutefois l'anonymisation du code postal ainsi que du lieu d'importation ("Importeur PLZ Ber" et "Importeur Ort Ber"). 
Le 12 novembre 2018, les sociétés ont contesté la recommandation du Préposé et requis le prononcé d'une décision formelle. Elles se plaignaient d'une violation de leur droit d'être entendues et estimaient que la requérante entendait obtenir les informations dans un but autre que celui poursuivi par la LTrans. Elles persistaient à invoquer le secret fiscal et se prévalaient en outre du secret d'affaires. Elles invoquaient la protection de la sphère privée de tiers au sens de l'art. 7 al. 2 LTrans et réfutaient la présence d'un besoin particulier d'information au sens de l'art. 6 al. 2 let. a OTrans
Par décision du 10 janvier 2019 commune aux quatre sociétés, l'OFDF a accordé l'accès aux données sous la forme de tableaux Excel des importations d'or de 2014 à 2017 des quatre sociétés concernées, en excluant les informations contenues dans les colonnes "Importeur PLZ Ber" et "Importeur Ort Ber" ainsi que les informations relatives aux banques. Les autres indications concernent le nom des expéditeurs, le pays de l'expéditeur et la quantité de marchandise. 
 
C.  
Les quatre sociétés ont recouru séparément auprès du Tribunal administratif fédéral (ci-après: le TAF). 
 
Par arrêt du 16 mars 2022, le TAF a joint les causes et admis les quatre recours. Les griefs d'ordre formel (violation du droit d'être entendu en rapport avec l'établissement des faits, changement de position de l'OFDF, possibilité de s'exprimer devant le Préposé) ont été écartés, tout comme les offres de preuves présentées par les recourantes. Rappelant les spécificités du marché mondial de l'or, dont les recourantes représentaient quatre des neuf acteurs principaux, le TAF a considéré que les renseignements demandés étaient à disposition de l'autorité, qui n'avait fait que les réunir dans un tableau au terme d'un traitement simple; il n'y avait pas de violation de l'art. 5 LTrans. Les renseignements litigieux avaient été récoltés par l'administration fiscale dans le cadre de sa fonction d'autorité de taxation de la TVA à l'importation; ils étaient donc couverts par le secret fiscal imposé par les art. 4 LTrans et 74 LTVA, même s'ils avaient également été recueillis dans d'autres buts non couverts par ce secret. Les autres objections soulevées par les sociétés recourantes (pesée d'intérêts, art. 7 et 9 al. 2 LTrans, art. 19 al. 1bis de la loi fédérale du 25 septembre 2020 sur la protection des données [LPD, RS 235.1], droits fondamentaux) n'ont pas été examinées. 
 
D.  
Agissant par la voie du recours en matière de droit public, la Société pour les peuples menacés demande au Tribunal fédéral d'annuler l'arrêt du TAF et de donner suite à sa demande d'accès (à l'exception des données relatives aux banques auxquelles elle a renoncé le 14 septembre 2018). Subsidiairement, elle conclut au renvoi de la cause au TAF pour nouvelle décision dans le sens des considérants. Dans sa motivation, la recourante conclut également à ce que l'arrêt attaqué soit réformé par le Tribunal fédéral. Elle requiert l'assistance judiciaire. 
Le TAF se réfère à son arrêt, sans autres observations. L'OFDF a renoncé à présenter des observations. Argor-Heraeus SA, Metalor Technologies SA, MKS (Switzerland) SA et Valcambi SA concluent au rejet du recours en reprenant les objections présentées devant les instances précédentes. La recourante et les intimées se sont ensuite à nouveau déterminées, à deux reprises, persistant dans leurs conclusions respectives. 
Le Tribunal fédéral a statué en séance publique le 15 novembre 2023. 
 
 
Considérant en droit :  
 
1.  
L'arrêt attaqué, relatif à l'accès à des documents officiels au sens de la LTrans, constitue une décision finale (art. 90 LTF) rendue dans une cause de droit public (art. 82 let. a LTF) par le Tribunal administratif fédéral (art. 86 al. 1 let. a LTF). 
 
1.1. La recourante a pris part à la procédure devant l'autorité précédente (art. 89 al. 1 let. a LTF) et est particulièrement touchée par l'arrêt attaqué qui admet le recours des intimées et refuse l'accès aux documents litigieux. Dans la mesure où elle a présenté en son nom la demande d'accès, elle dispose d'un intérêt propre à l'annulation ou à la modification de la décision attaquée (art. 89 al. 1 let. b et c LTF), sans qu'il y ait à s'interroger sur les conditions posées par la jurisprudence pour un recours corporatif (ATF 137 II 40 consid. 2.6.4).  
Les conclusions principales et subsidiaires du recours sont recevables au regard de l'art. 107 LTF. Il y a donc lieu d'entrer en matière. 
 
1.2. L'arrêt attaqué ayant été rendu en français, il en ira de même du présent arrêt, quand bien même le recours est rédigé en allemand (art. 54 LTF).  
 
2.  
Rappelant le changement de paradigme instauré par la LTrans, la recourante estime que le TAF n'aurait pas suffisamment tenu compte du principe de transparence. 
 
2.1. Elle considère qu'il aurait violé les art. 4 et 6 LTrans en relation avec l'art. 74 al. 1 LTVA en retenant l'existence d'un secret fiscal absolu, alors que le droit fiscal ne serait pas exclu par principe du champ de la transparence. Les informations demandées par la recourante ne contiendraient aucune donnée sur une éventuelle taxation à l'importation des intimées, puisqu'elles ne concernaient qu'une statistique avec les données de quantité d'or réparties par exportateurs et par importateurs en Suisse. La recourante ne demandait notamment pas la valeur marchande de l'or importé; l'OFDF n'agirait pas comme autorité fiscale. Les commentaires de doctrine relatifs à l'art. 110 de la loi fédérale du 14 décembre 1990 sur l'impôt fédéral direct (LIFD, RS 642.11) ne seraient pas pertinents dans ce contexte dès lors que la perception de la TVA a lieu non pas en fonction de la situation personnelle de l'assujetti, mais sur les bases du marché - qui est public - qui ne relèvent pas de la sphère privée. De toute façon, les importations d'or sont exonérées de la TVA en vertu des art. 107 al. 2 et 44 LTVA, et ne font donc dans leur grande majorité pas l'objet de contrôles douaniers.  
La recourante estime ensuite, à supposer que le secret fiscal puisse lui être opposé, que la pesée d'intérêts n'aurait pas été faite correctement car elle méconnaîtrait que les dispositions relatives au secret doivent être interprétées restrictivement. D'une part, l'intérêt public à la transparence dans ce domaine, qui touche à la politique extérieure et à la réputation de la Suisse (art. 54 al. 2 Cst.), serait considérable puisque la recourante désire mener des investigations sur les violations des droits de l'homme en rapport avec la production et le commerce de l'or, dont la Suisse assurerait actuellement 30% des capacités de fonte mondiale. Cette problématique - ainsi que la problématique environnementale - est suivie par la population, la presse et les autorités politiques, notamment le Conseil fédéral depuis 2012 qui, dans son rapport "Commerce de l'or et droits de l'homme", met en évidence la nécessité de tracer et contrôler l'origine de l'or (cf. également le rapport du Conseil fédéral du 14 novembre 2019 "Commerce de l'or produit en violation des droits humains, rapport donnant suite au postulat 15.3877 Recordon du 21.09.2015). La jurisprudence de la CourEDH consacrerait un droit d'accès en faveur des organisations non gouvernementales telles que la recourante, fondé sur l'art. 10 CEDH. D'autre part, la sphère privée des intimées - personnes morales - ne serait pas gravement atteinte (une atteinte mineure n'étant pas suffisante) puisque la TVA est un impôt sur les biens et prestations, et non sur la capacité contributive, aucune donnée sensible n'étant concernée par la demande d'accès. La recourante relève encore que l'art. 74 LTVA ne serait pas une disposition postérieure à la LTrans, permettant d'y déroger. 
Enfin, la recourante invoque le principe de la proportionnalité; elle reproche au TAF d'avoir entièrement annulé la décision de l'OFDF, sans rechercher la manière dont le droit d'accès pourrait être aménagé. 
 
2.2. Les intimées considèrent au contraire que les données litigieuses sont couvertes par le secret fiscal. Même s'il porte sur un impôt différent, l'art. 110 LIFD (et la doctrine y relative) serait pertinent pour définir la portée de ce secret. L'OFDF serait chargé de la perception de l'impôt sur les importations, soit une tâche d'exécution de la LTVA, et les données litigieuses, fournies par les personnes ayant établi des déclarations en douane, proviennent de la banque de données "e-dec" utilisée pour la perception des redevances; elles seraient pertinentes fiscalement puisqu'elles permettent de bénéficier de l'exonération de l'impôt sur les importations; même si elles concernent un impôt indirect, elles se rapportent à des éléments relevant de la sphère privée, protégés par les droits fondamentaux. Bien qu'exonérées fiscalement, les opérations sur l'or seraient soumises au secret fiscal, conformément à une interprétation historique et téléologique de la loi. Les intimées estiment ensuite que l'art. 74 LTVA serait une lex specialis au sens de l'art. 4 let. a LTrans et que la protection du secret fiscal devrait l'emporter, car celui-ci protège tant les secrets d'affaires du contribuable que la confiance dans le système fiscal et, plus généralement dans la place financière suisse. Les intimées estiment que la divulgation des renseignements requis aurait un impact négatif en terme de perte de clientèle, et ne présenterait qu'un intérêt limité pour la recourante puisque la thématique du commerce de l'or fait déjà l'objet de dispositions réglementaires (ordonnance sur la statistique du commerce extérieur - RS 632.14 -, loi sur le blanchiment d'argent - LBA, RS 955.0) et de développements au niveau national - selon un processus démocratique - et international. Elles invoquent enfin leur propre droit au respect des données personnelles et des secrets d'affaires (art. 7 al. 1 let. g et 7 al. 2 LTrans, art. 19 al. 1bis LPD).  
 
3.  
Selon l'art. 6 LTrans, toute personne a, sans avoir à justifier d'un intérêt particulier, le droit de consulter des documents officiels et d'obtenir des renseignements sur leur contenu de la part des autorités. Ce droit d'accès général concrétise le but fixé à l'art. 1er LTrans, qui est de renverser le principe du secret de l'activité de l'administration au profit de celui de transparence quant à la mission, l'organisation et l'activité du secteur public. Il s'agit en effet de rendre le processus décisionnel de l'administration plus transparent dans le but de renforcer le caractère démocratique des institutions publiques, de même que la confiance des citoyens dans les autorités, tout en améliorant le contrôle de l'administration (ATF 148 II 92 consid. 2; 133 II 209 consid. 2.3.1; Message LTrans, FF 2003 1807 ss, 1819, 1827; voir aussi ATF 142 II 340 consid. 2.2). Conformément à ce but, la loi définit de manière large la notion de documents officiels (art. 5 LTrans), le champ d'application à raison de la personne (ratione personae, art. 2 LTrans) ainsi que les bénéficiaires et les conditions d'exercice du droit d'accès (art. 6 LTrans). La loi s'applique ainsi à l'ensemble de l'administration fédérale (art. 2 al. 1 let. a LTrans), y compris aux organismes de droit public ou privé chargés de rendre des décisions. 
 
3.1. Les exceptions et restrictions au droit d'accès figurent aux art. 7 ss LTrans. La loi mentionne notamment le risque de compromettre les intérêts économiques de la Suisse, ses intérêts en matière de politique extérieure et ses relations internationales, le risque de révéler des secrets professionnels, d'affaire ou de fabrication (art. 7 al. 1 LTrans), le risque de porter atteinte à la sphère privée de tiers (art. 7 al. 2 LTrans), ainsi que la protection des données personnelles (art. 9 LTrans). L'art. 4 LTrans réserve en outre les dispositions spéciales d'autres lois fédérales qui déclarent certaines informations secrètes (let. a) ou au contraire qui déclarent certaines informations accessibles à des conditions dérogeant à la LTrans (let. b). Le rapport entre les règles générales sur la transparence fixées dans la LTrans et les dispositions spéciales sur le secret figurant dans d'autres lois ne peut être défini in abstracto mais doit faire l'objet d'une évaluation au cas par cas, en se fondant sur le sens et le but des dispositions en question: l'intérêt public à la transparence doit être mis en balance avec le but de protection de la norme spéciale. Cela vaut également pour les anciennes normes spéciales relatives à la confidentialité des actes et mesures de l'Etat. Ainsi, le secret de fonction ne couvre plus que les informations qui nécessitent une protection particulière ou qui ne sont pas accessibles en vertu des règles générales de la loi sur la transparence, car sinon cette loi plus récente serait vidée de son contenu et deviendrait en grande partie inapplicable (ATF 146 II 265 consid. 3.1; arrêt 1C_93/2021 du 6 mai 2022 consid. 3.4).  
 
3.2. Selon l'art. 74 LTVA, quiconque est chargé de l'exécution de la présente loi ou participe à son exécution est tenu, à l'égard d'autres services officiels et des tiers, de garder le secret sur les faits dont il a connaissance dans l'exercice de ses fonctions et de refuser la consultation des pièces officielles (al. 1). Selon l'al. 2 de cette disposition, l'obligation de garder le secret ne s'applique pas aux cas relevant de l'entraide administrative visée à l'art. 75 LTVA ou de l'obligation de dénoncer un acte punissable (a), aux organes judiciaires ou administratifs, lorsque le Département fédéral des finances (DFF) a autorisé l'autorité chargée de l'exécution de la présente loi à donner des renseignements (b), dans des cas d'espèce, aux autorités chargées des poursuites pour dettes et des faillites ou lorsqu'il y a dénonciation de délits commis dans la poursuite pour dettes ou la faillite qui portent préjudice à l'Administration fédérale des contributions (AFC) (c), ainsi qu'aux informations suivantes contenues dans le registre des assujettis: numéro sous lequel l'assujetti est inscrit, adresse et activité économique, début et fin de l'assujettissement (d). Ce devoir de confidentialité se retrouve à l'art. 110 de la loi fédérale sur l'impôt fédéral direct (LIFD, RS 642.11), de teneur identique, ainsi qu'à l'art. 39 al. 1 de la loi fédérale sur l'harmonisation des impôts directs des cantons et des communes (LHID, RS 642.14). Les principes développés en application de ces dispositions peuvent d'ailleurs, contrairement à ce que soutient la recourante, s'appliquer à l'art. 74 LTVA, dont la raison d'être est la même nonobstant la nature différente des impôts en cause.  
 
3.3. Le secret fiscal vise en premier lieu la protection de la personnalité et la préservation des secrets d'affaires du contribuable. Il va au-delà du simple secret de fonction dans la mesure où le contribuable apparaît comme particulièrement vulnérable en raison de son obligation de divulgation très étendue découlant du droit fiscal (obligation de déclarer et de renseigner). Le secret fiscal sert cependant aussi indirectement à l'établissement des faits dans la procédure d'imposition. Il favorise l'exécution par les contribuables de leur obligation de renseigner, dans la mesure où ceux-ci peuvent compter sur le fait que les informations divulguées aux autorités fiscales ne seront pas rendues publiques (arrêt 1C_598/2014 du 18 avril 2016 consid. 3.2; cf. également ATF 135 I 198 consid. 3.1). Plus généralement, il sert ainsi l'intérêt public à ce que les obligations fiscales (notamment de déclaration) soient correctement exécutées. Le secret fiscal est un secret qualifié (cf. ANDREA PEDROLI, in Commentaire IFD, 2 ème éd. 2017, n° 2 ad art. 110 LIFD; XAVIER OBERSON, in Zweifel/Beusch/Glauser/ Robinson (éd.), Commentaire LTVA, n° 2 ad art. 74 LTVA), et il ne peut y être porté atteinte qu'en vertu d'une base légale formelle expresse, en l'occurrence l'art. 74 al. 2 LTVA (BEATRICE BLUM, in Geiger/Schluckebier (éd.), Kommentar MWSTG, 2 ème éd. 2019, n° 8 ad art. 74 LTVA).  
Quant à son objet, le secret fiscal s'étend à toutes les données obtenues par l'autorité dans le cadre de ses attributions fiscales, soit tous les renseignements que le contribuable est tenu de fournir en vertu des dispositions légales applicables. En revanche, les informations relatives au processus décisionnel de l'administration fiscale (processus internes, directives, etc.) sont en principe accessibles (Office fédéral de la justice [OFJ], Secret fiscal et accès à des documents officiels, avis de droit du 2 octobre 2015, JAAC 2016 p. 8). 
 
3.4. La recourante ne saurait dès lors contester que l'art. 74 LTVA constitue une disposition spéciale au sens de l'art. 4 LTrans (OFJ, op. cit. in JAAC 2016, p. 1-14, 11; BEATRICE BLUM, op. cit., n° 3 ad art. 74 LTVA; Préposé fédéral à la protection des données et à la transparence, 30e rapport d'activité 2022-2023, p. 81).  
Lors de la révision de la LTVA en 2008, cette disposition a été reprise sans modification et sans commentaire particulier de l'art. 55 de l'ancienne loi (Message relatif à la simplification de la LTVA, FF 2008 pp 6277 ss, 6389 ad art. 74). Lorsqu'il aborde incidemment le sujet de la transparence, le message n'évoque ce principe qu'en faveur des personnes assujetties (pp 6279, 6281, 6283, 6371, 6377 et 6414), mais nullement en faveur du public. On ne saurait certes en déduire que le législateur aurait, délibérément ou implicitement, voulu limiter le principe de la transparence dans ce domaine. La jurisprudence considère au contraire que, compte tenu du changement de paradigme opéré par la LTrans, l'absence de toute considération relative à la coordination entre la LTrans et la nouvelle législation doit plutôt être interprétée comme un indice que l'autorité législative n'a pas voulu restreindre le champ d'application de la LTrans dans le domaine en question (ATF 146 II 265 consid. 5.2.1; arrêt 1C_93/2021 du 6 mai 2022 consid. 3.5.2). En l'occurrence toutefois, comme cela est relevé ci-dessus, le secret fiscal est un secret qualifié couvrant l'ensemble des informations touchant à la sphère privée du contribuable et communiquées à l'autorité dans le cadre de l'accomplissement de ses tâches légales. Sa protection est plus étendue que celle du secret de fonction - il est notamment opposable, selon l'art. 74 al. 1 LTVA, aux "autres services officiels" -, en raison de la nature particulière de la relation entre le contribuable et l'administration fiscale (arrêt 1C_598/2014 du 18 avril 2016 consid. 3.2). Compte tenu de l'importance centrale accordée à ce secret et de l'intérêt public qui est en jeu (consid. 3.3 ci-dessus), il n'y a pas lieu de retenir que le législateur aurait voulu étendre le principe de transparence dans ce domaine et permettre l'obtention d'informations relatives à des entreprises privées, sans rapport direct avec l'activité de l'administration (cf. consid. 4 ci-dessous). 
 
3.5. L'art. 62 al. 1 LTVA prévoit que l'impôt sur les importations est perçu par l'OFDF. Celui-ci arrête les instructions requises et prend les décisions nécessaires. Les organes de l'OFDF sont habilités à procéder aux investigations nécessaires à la vérification des éléments pertinents pour la taxation (al. 2). En dehors des tâches douanières qui lui incombent (art. 94 de la loi sur les douanes - LD; RS 631.0), l'OFDF participe à l'exécution d'actes législatifs de la Confédération autres que douaniers si ces actes le prévoient (art. 95 al. 1 LD).  
Conformément à l'art. 25 al. 1 LD, la personne assujettie à l'obligation de déclarer doit, dans le délai fixé par l'OFDF, déclarer en vue de la taxation les marchandises conduites, présentées et déclarées sommairement au bureau de douane et remettre les documents d'accompagnement. En tant que personnes assujetties, les intimées ont ainsi été amenées à déclarer les quantités d'or qu'elles ont importées en Suisse, ainsi notamment que l'identité de leurs clients étrangers. Selon les informations de l'OFDF, ces données ont été introduites dans le système "e-dec" utilisé notamment pour la perception des redevances, mais également pour la gestion des vérifications, l'information concernant les systèmes de placement sous régime douanier utilisée par les partenaires de la douane, ainsi que pour l'établissement de rapports et de statistiques (annexe 23 de l'ordonnance sur le traitement des données personnelles dans l'Office fédéral de la douane et de la sécurité des frontières - OTD-OFDF, RS 631.061). La recourante fait grand cas du fait que les importations d'or sont exonérées de la TVA aux conditions de l'art. 44 de l'ordonnance régissant la TVA (OTVA, RS 641.201). Il n'est toutefois pas déterminant que les renseignements litigieux soient ou non pertinents pour la procédure, ni que cette procédure aboutisse nécessairement à une taxation (MARTIN ZWEIFEL/ SILVIA HUNZIKER, in Zweifel/Beusch [éd.], Kommentar DBG, 4 ème éd., 2022 n° 11 ad art. 110 LIFD).  
Les renseignements litigieux (quantités, provenances) ont ainsi été produits par les intimées en vertu d'une obligation de déclarer, en particulier afin de vérifier s'il y a lieu de prélever des impôts sur les produits importés ou si les conditions d'exonération (en fonction de la qualité de l'or importé) sont réunies. L'OFDF a agi dans ce cadre comme autorité fiscale (BLUM, op. cit., n° 13 ad art. 74 LTVA) et a recueilli les renseignements "dans l'exercice de ses fonctions" au sens de l'art. 74 LTVA, même si les renseignements recueillis peuvent également servir à des fins, notamment, de statistique. L'intégralité de ces renseignements est donc couverte par le secret fiscal prévu à l'art. 74 LTVA
 
3.6. Dans la mesure où le secret fiscal est opposable à la demande de la recourante, il n'y a pas de place pour la pesée que la recourante prétend vouloir opérer entre, d'une part, ses intérêts - et l'intérêt du public - à la consultation des renseignements et, d'autre part, l'intérêt des intimées à la préservation du secret.  
Il y a lieu de relever qu'à la suite de divers postulats et interpellations, le Conseil fédéral s'est exprimé à plusieurs reprises au sujet des importations d'or, en rapport avec la violation des droits humains. Dans son rapport du 14 novembre 2019 (donnant suite au postulat 15.3877 Recordon du 21 septembre 2015), il relève l'importance de la Suisse dans le commerce mondial, la fonte d'or représentant environ 40% des capacités de fonte mondiales. Les activités des entreprises au sein de la chaîne de l'or sont susceptibles d'avoir des impacts sur un large éventail de droits de l'homme tels que mauvais traitements des employés, interférences au mode de vie traditionnel des peuples indigènes, impacts négatifs sur les communautés locales, atteintes à l'environnement et à l'Etat de droit (crime organisé et conflits armés liés aux activités minières), en particulier s'agissant des mines artisanales qui emploient un très grand nombre de personnes (plus de 15 millions de travailleurs). Le rapport relève que les statistiques du commerce extérieur suisse sont accessibles depuis 1988 par la base de données Swiss-Impex. Pour l'or brut, les données sont disponibles depuis 2012. Elles sont désagrégées par années, pays d'origine pour l'importation, de destination pour l'exportation, avec les valeurs et quantités. A l'importation, le pays d'expédition, bien que relevé dans les déclarations douanières, n'est pas reporté dans la base de données Swiss-Impex. 
La problématique des données relatives au commerce de l'or est régulièrement débattue devant les instances législatives. Le législateur fédéral a ainsi adopté, le 19 juin 2020 (en tant que contre-projet indirect à l'initiative populaire "Entreprises responsables - pour protéger l'être humain et l'environnement"), les art. 964j ss CO intitulés "Devoirs de diligence et de transparence en matière de minerais et de métaux provenant de zones de conflit et en matière de travail des enfants", en vigueur depuis le 1 er janvier 2022 (RO 2021 846; FF 2017 353). D'une part, les grandes entreprises suisses se trouvent légalement tenues de rendre compte des risques liés à leurs activités commerciales dans les domaines de l'environnement, des questions sociales, des questions de personnel, des droits de l'homme et de la lutte contre la corruption, ainsi que des mesures prises pour les combattre, créant ainsi de la transparence. D'autre part, les entreprises présentant des risques dans les domaines sensibles du travail des enfants et des minerais dits de conflit doivent se conformer à des obligations de diligence raisonnable et de reporting particulières. L'efficacité de ces dispositions et leur conformité avec l'évolution du droit européen font l'objet d'un suivi particulier (Office fédéral de la justice, Analyse Vorschläge EU-Richtlinien über Sorgfaltspflichten und Berichterstattung zur Nachhaltigkeit und möglicher Anpassungsbedarf im Schweizer Recht, Bericht Entwürfe Nachhaltigkeitspflichten EU und geltendes Recht Schweiz, du 25 novembre 2022).  
C'est également au législateur fédéral qu'il appartiendrait, le cas échéant, d'étendre les obligations de transparence dans ce domaine, respectivement de modifier le régime du secret fiscal tel qu'il découle de la loi et auquel le Tribunal fédéral ne saurait déroger (cf. art. 190 Cst.). 
 
3.7. Invoquant enfin le principe de la proportionnalité, la recourante reproche à l'instance précédente de ne pas avoir recherché comment un accès aux renseignements litigieux pouvait être aménagé.  
En vertu du principe de la proportionnalité (art. 5 al. 2 et 36 al. 3 Cst.), l'art. 7 LTrans permet, lorsque le droit d'accès peut porter atteinte à la sphère privée de tiers, d'accorder un accès limité, par exemple au moyen d'un caviardage des données sensibles. Un tel mode de procéder n'est a priori pas exclu, également en présence d'informations secrètes en vertu de dispositions spéciales au sens de l'art. 4 let. a LTrans. Le TAF a toutefois considéré à ce propos - d'une manière certes succincte mais suffisamment motivée - que la demande d'accès portait sur des renseignements relatifs à certaines sociétés que la recourante avait préalablement déterminées. Cette appréciation ne prête pas le flanc à la critique: compte tenu du nombre très limité d'entités visées, un caviardage n'assurerait vraisemblablement pas un anonymat suffisant. La recourante ne fait pour sa part qu'invoquer de manière générale le principe constitutionnel de proportionnalité, sans proposer elle-même (comme l'exige l'art. 42 al. 2 LTF et, en matière constitutionnelle, l'art. 106 al. 2 LTF) un caviardage qui permettrait d'une part de respecter le secret fiscal, et qui soit d'autre part susceptible de lui fournir des indications utilisables. 
Dans la mesure où il est suffisamment motivé, le grief doit être écarté. 
 
4.  
Il convient encore de relever que, comme cela est rappelé ci dessus (consid. 3 in initio) et comme cela ressort du titre de la loi, le but de la LTrans est de garantir l'accès aux documents officiels afin de promouvoir la transparence quant à la mission, l'organisation et l'activité de l'administration. Le principe de transparence doit être avant tout considéré comme un instrument permettant de renforcer la démocratie et l'Etat de droit par le biais d'un contrôle citoyen destiné à éviter les dysfonctionnements et à assurer une libre formation de la volonté (arrêt 1C_604/2015 du 13 juin 2016 consid. 4.1, in PJA 2016 p. 1244 et in RDAF 2016 I 487 et les nombreuses références citées; Message relatif à la LTrans, FF 2003 1807, 1817). Les nombreux exemples de la jurisprudence montrent effectivement que le droit d'accès tend à un contrôle de l'activité de l'Etat, y compris lorsque les renseignements réclamés concernent des personnes privées (cf. en dernier lieu ATF 144 II 91 concernant les données d'émissions d'une centrale nucléaire; 142 II 340 concernant des experts privés ayant collaboré à la mise sur le marché d'un médicament; arrêts 1C_59/2020 du 20 novembre 2020 concernant les documents remis à l'OFSP par une caisse d'assurance maladie; 1C_692/2020 du 9 décembre 2021 concernant les rapports d'incident déposés auprès de Swissmedic; 1C_532/2016 du 21 juin 2017 concernant les listes de bénéficiaires de la rétribution à prix coûtant - RPC). 
En l'occurrence, la demande d'accès porte sur la quantité et la provenance de l'or importé par les intimées. Elle concerne ainsi des activités exclusivement privées et ne tend, ni directement ni indirectement, à un quelconque droit de regard sur les activités de l'Etat, par exemple les contrôles effectués par les autorités douanières ou l'intervention des autorités fiscales. En cela, la démarche de la recourante est étrangère au but poursuivi par la LTrans. L'utilisation d'une norme d'une manière totalement étrangère à son but ne saurait dès lors permettre l'obtention d'informations protégées (cf. ATF 135 III 162 consid. 3.3.1; ATF 134 I 65 consid. 5.1). 
 
5.  
Sur le vu de ce qui précède, le recours est rejeté, dans la mesure où il est recevable. 
La recourante a demandé l'assistance judiciaire, en relevant qu'elle vise un but idéal, non lucratif et digne d'être soutenu. Elle relève qu'elle ne dispose pas de réserves lui permettant de prendre en charge les frais de justice sans réduire drastiquement ses activités. Selon la jurisprudence (arrêt 2D_41/2018 du 8 janvier 2019 consid. 3.9 et les références citées), une personne morale telle qu'une association ne peut prétendre à l'octroi de l'assistance judiciaire que si, entre autres conditions, les personnes qui en sont les ayants droit économiques sont, elles aussi, sans ressources. Le cercle de ces ayants droit doit être défini de manière large et comprend les sociétaires ou les actionnaires, les organes ou les créanciers intéressés à la procédure. Il n'y a à cet égard pas lieu de distinguer les personnes morales qui ont un but commercial de celles qui n'en n'ont pas. Il en résulte que l'association recourante, même si elle poursuit un but de nature idéale, ne peut pas prétendre à l'assistance judiciaire sans démontrer l'indigence de ses membres, ce qu'elle n'a pas fait dans le cas d'espèce. Conformément à la règle de l'art. 66 al. 1 LTF, les frais judiciaires sont donc mis à la charge de la recourante. Compte tenu de la nature de la cause et du fait que la recourante est de par ses statuts une société d'utilité publique, les frais seront réduits (art. 66 al. 1 2 ème phrase LTF). Les intimées, qui obtiennent gain de cause avec l'assistance d'un avocat, ont droit à des dépens, également à la charge de la recourante (art. 68 al. 2 LTF).  
 
 
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :  
 
 
1.  
Le recours est rejeté dans la mesure où il est recevable. 
 
2.  
La demande d'assistance judiciaire est rejetée. 
 
3.  
Les frais judiciaires, arrêtés à 2'000 fr., sont mis à la charge de la recourante. 
 
4.  
Une indemnité de dépens de 4'000 fr. est allouée aux intimées Argor-Heraeus SA, Valcambi SA, Metalor Technologies SA, MKS (Switzerland) SA, créancières solidaires, à la charge de la recourante. 
 
5.  
Le présent arrêt est communiqué aux parties, à l'Office fédéral de la douane et de la sécurité des frontières, Direction générale des douanes, et au Tribunal administratif fédéral, Cour I. 
 
 
Lausanne, le 15 novembre 2023 
 
Au nom de la Ire Cour de droit public 
du Tribunal fédéral suisse 
 
Le Président : Kneubühler 
 
Le Greffier : Kurz