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Bundesgericht 
Tribunal fédéral 
Tribunale federale 
Tribunal federal 
 
 
 
 
4A_476/2021  
 
 
Arrêt du 6 juillet 2022  
I  
 
Composition 
Mmes les Juges fédérales 
Hohl, Présidente, Kiss et May Canellas. 
Greffière: Monti. 
 
Participants à la procédure 
A.________ LLC, 
représentée par Me Luc Pittet, avocat, 
défenderesse et recourante, 
 
contre  
 
Z.________, 
représenté par Me Yvan Jeanneret, avocat, 
demandeur et intimé. 
 
Objet 
autorisation de procéder; recevabilité de la demande, 
 
recours en matière civile contre l'arrêt rendu le 12 juillet 2021 par la Chambre des prud'hommes de la Cour de justice du canton de Genève (C/29848/2019-4, CAPH/141/2021). 
 
 
Faits :  
 
A.  
 
A.a. A.________ LLC (ci-après la défenderesse) est une société sise aux Etats-Unis d'Amérique.  
Elle exploite une succursale à... (VD) sous la raison sociale "A.________ LLC, (USA), succursale de... (VD) ". D.________ est l'un des directeurs de cette antenne; doté de la signature individuelle, il est le seul à être domicilié en Suisse. 
 
A.b. Le 26 mars 2019, Z.________ (ci-après le demandeur) a saisi le Tribunal des prud'hommes du canton de Genève d'une requête de conciliation dirigée contre la défenderesse.  
Par ordonnance du 3 février 2020, le tribunal prud'homal a donné 30 jours à cette partie pour élire un domicile de notification en Suisse et l'a avertie qu'à défaut, il lui notifierait les actes de procédure par voie édictale. Il l'a en outre citée à comparaître le 25 juin 2020 à une audience de conciliation. Le tout a été notifié le 5 mai 2020 au siège de la défenderesse, par voie diplomatique. 
L'intéressée n'a pas réagi. 
Pour des raisons indéterminées, le tribunal a reporté l'audience au 13 juillet 2020. Il a réassigné la défenderesse via une publication dans la Feuille d'avis officielle (FAO) genevoise du 25 juin 2020. 
La défenderesse ne s'est pas présentée. Le Tribunal a délivré une autorisation de procéder au demandeur. 
 
B.  
 
B.a. Le 10 novembre 2020, celui-ci a déposé une demande en paiement contre la défenderesse, "sise [aux] USA (...) mais disposant également de locaux à (...) Genève".  
Il alléguait avoir été engagé par une société du groupe en qualité de directeur du bureau " Futures and Options ", puis avoir été réaffecté en Suisse en vertu d'un nouveau contrat de travail pour y exercer la même fonction au profit de la défenderesse, "dans sa succursale de... (VD) ". Son lieu de travail avait d'abord été fixé à... (VD), puis à Genève.  
Par ordonnance publiée dans la FAO du 4 décembre 2020, le tribunal a imparti 30 jours à la défenderesse, "sans domicile connu", pour déposer une réponse. 
Le demandeur a alors signalé que celle-ci disposait d'une succursale à... (VD) "à laquelle toute correspondance p[pouvai]t être adressée". 
En conséquence, le tribunal prud'homal a annulé son ordonnance et imparti un nouveau délai de réponse à la défenderesse, "prise en sa succursale" de... (VD). 
Le 22 décembre 2020, l'avocat Luc Pittet a informé le tribunal qu'il défendait les intérêts de la succursale de... (VD) et que les actes pouvaient être adressés à son étude. Peu après, il a produit une procuration signée le 22 décembre 2020 par D.________ au nom de "A.________ LLC, succursale de... (VD) ". 
Le 11 janvier 2021, cet avocat a suggéré au tribunal de statuer sur la recevabilité de la demande. Il soutenait que sa cliente avait été assignée irrégulièrement à l'audience de conciliation et que l'autorisation de procéder délivrée au demandeur s'en trouvait viciée. 
Par ordonnance du 4 février 2021, le tribunal prud'homal a déclaré renoncer à limiter la procédure à cette question et a donné respectivement 10 jours à l'avocat pour produire une procuration délivrée par la défenderesse et 30 jours à celle-ci pour déposer une réponse. 
Dans ses considérants, cette instance a jugé que la défenderesse avait été régulièrement assignée par voie édictale à l'audience du 13 juillet 2020. L'autorisation de procéder était valable et la demande recevable. Quant à l'avocat, il tenait ses pouvoirs de la succursale de la défenderesse; or, cette entité basée à... (VD) n'avait pas la personnalité juridique et ne pouvait pas participer à la procédure. Aussi l'homme de loi devait-il fournir une procuration délivrée par la défenderesse elle-même. 
 
B.b. La défenderesse a interjeté appel le 15 février 2021 par l'intermédiaire de Me Pittet. Celui-ci a produit une nouvelle procuration délivrée le 5 février 2021 par D.________, cette fois-ci au nom de "A.________ LLC, (USA), agissant par sa succursale de... (VD) " [caractères italiques insérés par le Tribunal fédéral].  
Le 12 juillet 2021, la Cour de justice genevoise a rejeté l'appel. Par souci de clarté, elle a formellement déclaré la demande recevable et a confirmé la nécessité de fixer un nouveau délai de réponse, une fois son arrêt devenu définitif. 
 
C.  
Me Pittet a interjeté un recours en matière civile en concluant, au nom de "A.________ LLC" (ci-après la recourante), à l'irrecevabilité de la demande. 
Z.________ (ci-après l'intimé) a conclu à l'irrecevabilité du recours, subsidiairement à son rejet. Ce faisant, il a provoqué une réplique spontanée de la recourante, à laquelle il n'a pas donné suite. 
L'autorité précédente s'est référée à son arrêt. 
 
 
Considérant en droit :  
 
1.  
La recourante a saisi le Tribunal fédéral en temps utile (art. 100 al. 1 LTF en lien avec l'art. 46 al. 1 let. b LTF) pour qu'il statue sur une affaire civile dont la valeur litigieuse excède largement le seuil de 15'000 fr. requis par la loi (art. 51 al. 1 let. c et art. 74 al. 1 let. a LTF). Ceci dit, l'intimé conteste que l'arrêt entrepris soit une "décision concernant la compétence" pouvant être attaquée directement (consid. 2 ci-dessous). 
 
2.  
 
2.1. Le noeud de discorde porte sur la validité de l'autorisation de procéder. D'après la recourante, elle serait viciée et entraverait la recevabilité de la demande, dont elle serait une condition indispensable. L'autorité précédente aurait rendu une décision sur la compétence fonctionnelle sujette au recours immédiat de l'art. 92 LTF.  
L'intimé, quant à lui, l'interprète comme "une autre décision incidente" au sens de l'art. 93 al. 1 LTF, dont les conditions ne seraient pas réalisées. 
 
2.2. L'art. 92 al. 1 LTF permet de faire contrôler sur-le-champ les décisions concernant la compétence. La jurisprudence a jugé recevables, de ce chef, des recours portant sur la compétence de l'autorité de conciliation (arrêt 4A_28/2013 du 3 juin 2013 consid. 1.1), sur la nécessité de tenir une telle procédure (ATF 138 III 558 consid. 1.3), ou encore sur la régularité de celle-ci (arrêt 5A_121/2014 du 13 mai 2014 consid. 1.3). A chaque fois, l'autorité de céans y a vu une affaire de compétence fonctionnelle. Qu'il soit ici question d'un vice d'une autre sorte - une assignation irrégulière à l'audience de conciliation, plutôt qu'un refus injustifié de reporter celle-ci - ne change rien à ce raisonnement, n'en déplaise à l'intimé.  
 
3.  
Celui-ci brandit encore deux griefs concernant le pouvoir de représentation de la succursale d'une part (consid. 3.1-3.2 ci-dessous), et celui de l'avocat mandaté par le directeur de cette entité d'autre part (consid. 4). Le premier moyen prétériterait la recevabilité même du présent recours. 
 
3.1. Avant de répondre à la première objection, il faut rappeler quelques principes théoriques.  
A défaut de définition légale, la jurisprudence et la doctrine se sont chargées de circonscrire la notion de succursale. Selon la formule consacrée, il s'agit d'un établissement commercial qui, dans la dépendance d'une entreprise principale dont il fait juridiquement partie, exerce une activité similaire, de façon durable et avec ses propres installations. Il jouit d'une certaine autonomie financière et commerciale (ATF 117 II 85 consid. 3; 108 II 122 consid. 1; arrêts 4A_87/2019 du 2 septembre 2019 consid. 1; 4A_473/2011 du 22 décembre 2011 consid. 2.2). 
La succursale doit disposer d'une direction propre, qui puisse conclure, sans intervention de l'entreprise principale, les transactions commerciales qu'implique son exploitation. Au moins l'un de ses collaborateurs doit pouvoir passer de tels actes juridiques (ATF 117 II 85 consid. 4b; 89 I 407 consid. 6; 68 I 107 consid. 3 p. 113; arrêt 4C.373/2004 du 27 janvier 2005 consid. 2.2 et les arrêts cités; PETER GAUCH, Der Zweigbetrieb im schweizerischen Zivilrecht, 1974, nos 769 ss; EDUARD HIS, Berner Kommentar, 1940, nos 15 et 20 ad art. 935 aCO). Cette exigence n'empêche pas les dirigeants de l'entreprise principale de représenter eux aussi la succursale - à moins qu'ils n'aient été expressément privés de ce pouvoir (HIS, op. cit., n° 16 i.f. ad art. 935 aCO, en lien avec l'art. 718a al. 2 CO).  
En dépit de cette autonomie relative, la succursale n'a pas d'existence juridique. Elle ne peut pas ester en justice, ni être poursuivie (ATF 120 III 11 consid. 1a; 90 II 192 consid. 3a). Elle ne peut pas non plus être représentée: les "représentants de la succursale" sont en fait les représentants de l'entreprise principale (arrêt 4A_27/2013 du 6 mai 2013 consid. 1.2; GAUCH, op. cit., n° 1116). 
La "représentation de la succursale" est généralement confiée à un directeur ou à un fondé de procuration (JEAN-DANIEL MARTZ, Die inländische Zweigniederlassung einer ausländischen Unternehmung nach schweizerischem IPRG, 1995, p. 21; cf. aussi GAUCH, op. cit., n° 1116). 
Lorsqu'une société est sise à l'étranger, comme en l'espèce, au moins l'une des personnes autorisées à représenter sa succursale en Suisse doit être domiciliée dans ce pays et être inscrite au registre du commerce. Le droit suisse régit la représentation d'une telle succursale (art. 160 al. 2 LDIP [RS 291]). 
 
3.2. Il est acquis qu'un litige de droit du travail oppose Z.________ à la société américaine A.________ LLC - contre laquelle l'action a été intentée -, en lien avec des prestations que le prénommé a fournies au profit de la succursale vaudoise. Celle-ci a procédé pour le compte de celle-là, par l'intermédiaire d'un avocat doté d'une procuration signée par l'un des directeurs de la succursale.  
L'intimé objecte que la société américaine aurait dû alléguer et prouver qu'elle avait donné à sa succursale suisse l'autorisation spéciale de la représenter dans le présent procès.  
Il tente manifestement de s'engouffrer dans une brèche ouverte par le tribunal prud'homal. Celui-ci a constaté que Me Pittet bénéficiait d'une procuration délivrée par la succursale, laquelle n'était pas partie à la procédure, n'avait pas la capacité de l'être et était dépourvue de la personnalité juridique. Aussi a-t-il exigé une procuration émanant de la défenderesse elle-même (i.e la société américaine). 
Le tribunal semble avoir pris à la lettre une tournure utilisée dans quelques arrêts. L'on peut en effet y lire que la succursale n'a pas la capacité d'ester en justice, mais peut procéder "au nom de la société en vertu d'un pouvoir de représentation spécial" (ATF 120 III 11 consid. 1a i.f.; arrêt 4A.3/2003 du 28 novembre 2003 consid. 1.2). Il faut cependant garder à l'esprit que cette procuration ad litem ( Prozeßvollmacht) est déjà comprise dans les pouvoirs du directeur de la succursale, d'un fondé de procuration ou encore d'un organe de l'établissement principal (GAUCH, op. cit., n° 1956; MARTZ, op. cit., p. 22 et 113 s.). Le directeur dispose de vastes pouvoirs; ils équivalent à ceux d'un administrateur et excèdent ceux d'un fondé de procuration, lequel peut déjà faire tous les actes que comporte le but de l'entreprise (cf. l'art. 459 CO et la réserve de l'al. 2; MEIER-HAYOZ ET ALII, Schweizerisches Gesellschaftsrecht, 12e éd. 2018, § 9 n. 64; GAUCH, op. cit., n° 1116; MARTZ, op. cit., p. 22 et sous-note 25). Ainsi, le directeur de succursale a, inclus dans ses compétences, le pouvoir de conduire le procès au nom de la société principale (y compris de déposer un recours devant le Tribunal fédéral), ou celui de mandater un avocat pour ce faire. En ce cas, une procuration spéciale n'est pas nécessaire. Elle le serait si, par exemple, d'autres collaborateurs de la succursale étaient amenés à procéder pour l'entreprise principale et n'avaient pas déjà les pouvoirs nécessaires. Il est aussi concevable que celle-ci désigne elle-même un avocat.  
La société américaine n'était donc pas tenue d'octroyer à la succursale suisse une autorisation spéciale pour conduire le présent procès (cf. arrêt précité 4A_27/2013 consid. 1.2). Un directeur de la succursale pouvait sans autre agir pour le compte de l'entreprise étrangère. Au surplus, les indications figurant au registre du commerce sont des faits notoires (ATF 143 IV 380 consid. 1.1.1), de sorte que la recourante était dispensée de faire des allégations en ce sens. Le grief se révèle infondé. Formé par l'avocat mandaté par un directeur de la succursale, le présent recours est recevable.  
 
4.  
 
4.1. Subsidiairement, l'intimé objecte que le directeur en question, soit D.________, ne pouvait pas "autoriser" un avocat à déposer un appel en février 2021, alors qu'il ne figurait pas encore au registre du commerce. Publiée le 1er juin 2021, l'inscription revêtirait un effet constitutif. Les juges d'appel n'auraient pas dû en tenir compte du moment qu'elle était postérieure à l'échange d'écritures; ils auraient bien plutôt dû déclarer l'appel irrecevable.  
 
4.2. L'autorité précédente a jugé que la partie défenderesse (i.e. la recourante) avait remédié au vice de forme en produisant le 23 avril 2021 des pièces qui confirmaient les pouvoirs du directeur précité. De fait, par acte du 30 octobre 2020, un dénommé X.________, directeur d'une entité étrangère elle-même "membre unique" ( sole member) de la défenderesse, avait nommé D.________ directeur de la succursale vaudoise doté d'un domicile en Suisse.  
 
4.3. Le grief pose la question de l'effet constitutif, ou simplement déclaratif, entourant l'inscription requise par l'art. 160 al. 2 LDIP. Dans le premier cas, celle-ci crée (ou maintient) certains rapports juridiques ou certaines capacités juridiques; elle est une formalité dont dépendent certains effets d'un acte juridique. Dans le second cas, elle se limite à rendre public ledit acte, sans influer sur ses effets (GUILLAUME VIANIN, in Commentaire romand, 2e éd. 2017, nos 1 et 2 ad art. 933 CO; GAUCH, op. cit., n. 430-436).  
La loi attribue un effet constitutif à l'inscription des procurations non commerciales (art. 458 al. 3 CO). Qu'en est-il, toutefois, dans l'intervalle qui sépare l'octroi de la procuration de son inscription? Pour certains auteurs, la procuration ne serait tout bonnement pas valable. D'autres soutiennent que l'étendue de la procuration serait définie par l'acte lui-même (art. 33 al. 2 CO) plutôt que par la loi. Enfin, d'aucuns voudraient assimiler le représentant à un mandataire commercial - dont on sait qu'il ne peut plaider que moyennant une procuration ad hoc (art. 462 al. 2 CO) (cf. TERCIER ET ALII, Les contrats spéciaux, 5e éd. 2016, n° 5477 et les auteurs cités; VIANIN, L'inscription au registre du commerce et ses effets, 2000, p. 235). Il faudrait donc trancher cette question si l'on devait suivre la thèse de l'intimé et qualifier de constitutive l'inscription (obligatoire) du représentant de la succursale - ce qui nécessiterait d'interpréter la loi, puisqu'elle ne prévoit pas expressément un tel effet (RINO SIFFERT, Berner Kommentar, 2020, n° 19 ad art. 936b CO et n° 44 ad art. 931 CO).  
La doctrine s'est concentrée sur l'effet entourant l'inscription d'une succursale, dont on admettra qu'elle sert notamment à faire connaître les personnes habilitées à représenter celle-ci, en particulier lorsqu'elle dépend d'une entreprise étrangère (FRANÇOIS DIEBOLD, Les succursales suisses d'entreprises étrangères, 1958, p. 86, auteur d'un lapsus calami lorsqu'il évoque les succursales "étrangères"). Or, une large majorité d'auteurs lui prête un effet déclaratif (pour la succursale d'une entreprise suisse, voir par ex. SIFFERT, op. cit., n° 44 i.f. ad art. 931 CO; CONRADIN CRAMER, Zweigniederlassungen in der Schweiz, GesKR 2015 p. 245, et les auteurs cités à l'ATF 108 II 122 consid. 1; pour la succursale d'une société étrangère : FLORENCE GUILLAUME, in Commentaire romand, 2011, n° 6 ad art. 160 LDIP; MANFRED KÜNG, Berner Kommentar, 2001 [éd. précédente], n° 25 ad art. 933 et n° 24 ad art. 935 aCO; ULRICH LUCHSINGER, Die Rechtstellung der ausländischen Aktiengesellschaften in der Schweiz, 1940, p. 50).  
Le Tribunal fédéral a renoncé à se prononcer, après avoir constaté que le régime légal jadis en vigueur (depuis lors abrogé) conditionnait littéralement le for de la succursale à l'inscription de celle-ci, mais semblait ne pas avoir été mûrement réfléchi (ATF 98 Ib 100 consid. 2 et l'art. 642 al. 3 aCO; cf. aussi ATF 108 II 122 consid. 5 p. 130; arrêt 4A.3/1997 du 20 août 1997 consid. 6c). Il est tout au plus acquis que le for de poursuite de l'art. 50 al. 1 LP ne dépend pas de l'inscription de la succursale (ATF 114 III 6 consid. 1b). 
On le voit, il existe des arguments plaidant pour l'efficacité des pouvoirs du directeur de la succursale dès avant l'inscription au registre du commerce. La cour de céans peut toutefois se dispenser de trancher cette question dans la mesure où un autre raisonnement permet de couper court au grief. 
 
4.4.  
 
4.4.1. L'avocat qui procède pour le compte du demandeur doit disposer d'une procuration valable. Il s'agit d'une condition de recevabilité de la demande, que le juge examine d'office (art. 59 et 60 CPC; arrêt 5A_15/2009 du 2 juin 2009 consid. 4.1; MARTIN STERCHI, in Berner Kommentar, 2012, n° 13 ad art. 68 CPC). Il suffit que cette condition soit réalisée au moment du jugement sur le fond (arrêt précité 5A_15/2009 consid. 4.3 i.f.; plus généralement, ATF 140 III 159 consid. 4.2.4; 133 III 539 consid. 4.3; SIMON ZINGG, in Berner Kommentar, op. cit., n° s 17 ss ad art. 59 CPC).  
Les art. 59 et 60 CPC valent aussi pour la procédure d'appel (arrêt 5A_418/2019 du 29 août 2019 consid. 3.3. i.f.; Z INGG, op. cit., n° 24 ad art. 59 CPC; CHRISTOPH HURNI, Zum Rechtsmittelgegenstand im Schweizerischen Zivilprozessrecht, 2018, n. 197 et 720) - étant entendu qu'il faut distinguer entre les conditions de recevabilité de l'appel et celles de la demande (HURNI, op. cit., n. 699-701), qui doivent être examinées en tout état de cause (FABIENNE HOHL, Procédure civile, vol. I, 2e éd. 2016, n. 604-605 et les arrêts cités; ZINGG, op. cit., n° 21 ad art. 59 CPC).  
 
4.4.2. En l'occurrence, la défenderesse a attaqué la décision statuant sur la recevabilité de la demande et ordonnant la poursuite de la procédure en l'invitant à déposer une réponse. Un appel a été déposé le 15 février 2021 par l'avocat mandaté par le directeur de la succursale, alors que ce dernier ne figurait pas encore au registre du commerce. L'inscription a été publiée le 1er juin 2021, après l'échange d'écritures qui s'est achevé le 18 mai 2021. L'autorité d'appel a gardé la cause à juger et a statué le 12 juillet 2021.  
L'intimé objecte que l'autorité précédente ne pouvait pas tenir compte de l'inscription parce qu'elle est postérieure à l'échange d'écritures. Il n'en est rien. Le CPC ne dit pas quand les conditions de recevabilité doivent être réunies, ni à quel moment l'examen doit être effectué (ATF 140 III 159 consid. 4.2.4). Le législateur veut empêcher le prononcé d'un jugement sur le fond alors qu'une condition de recevabilité fait défaut. Aussi le tribunal doit-il pouvoir tenir compte de la guérison du vice affectant (par hypothèse, consid. 4.3 supra) le pouvoir de représentation de l'avocat, même si cette guérison survient après la clôture de l'échange d'écritures (cf. ZINGG, op. cit., n° 21 ad art. 59 CPC, qui s'exprime plus généralement). L'inscription en question est un fait notoire.  
L'intimé ne soutient pas qu'il eût fallu demander au directeur, une fois l'inscription de ses pouvoirs publiée, de confirmer la procuration signée les 22 décembre 2020 et 5 février 2021, ce qui met un terme à la discussion. 
Subsiste le litige sur la validité de l'autorisation de procéder et son incidence sur la recevabilité de la demande. 
 
5.  
 
5.1. L'autorité précédente a trouvé deux raisons de poursuivre la procédure:  
 
- La procédure de conciliation était ici laissée au libre arbitre du demandeur; la présence d'une succursale en Suisse n'empêchait pas d'appliquer l'art. 199 al. 2 let. a CPC. Savoir si l'autorisation de procéder était valable ou non n'avait pas d'importance, si ce n'est pour fixer le début de la litispendance. 
- De toute façon, l'assignation de la défenderesse par voie édictale à l'audience du 13 juillet 2020 était régulière et, partant, l'autorisation de procéder valable. 
L'art. 140 CPC permettait au juge d'exiger une élection de domicile en Suisse. La présence d'une succursale n'y changeait rien: la loi ne contenait aucune réserve en ce sens. La défenderesse avait été requise de désigner une adresse en Suisse, et dûment prévenue des conséquences en cas d'inaction. La bonne foi lui imposait de donner suite à cette injonction. Elle avait fait défaut à l'audience du 13 juillet 2020, à laquelle elle avait été régulièrement convoquée. 
La recourante conteste cette analyse de point en point. A tort. 
 
5.2. Tout d'abord, on ne peut qu'approuver le premier pan.  
Selon la jurisprudence, le demandeur peut renoncer unilatéralement à la conciliation préalable (art. 199 al. 2 let. a CPC), y compris lorsque le défendeur sis à l'étranger dispose d'une succursale en Suisse (arrêt 4A_533/2015 du 20 décembre 2016 consid. 2.3, cité par AESCHLIMANN-DISLER/HEINZMANN, in Code de procédure civile, Petit commentaire, 2020, n° 7 ad art. 199 CPC). Dans ces circonstances, l'on conçoit mal que sa demande soit déclarée irrecevable sous prétexte qu'il s'était résolu à entreprendre une procédure de conciliation et qu'un vice entache cette étape non obligatoire. Soutenir le contraire impliquerait de le contraindre à réintroduire une procédure à caractère facultatif, ce qui est antinomique, ou à déposer une nouvelle demande auprès du tribunal compétent sur le fond sans passer par la phase de conciliation, ce qui équivaut à faire abstraction de l'autorisation de procéder litigieuse dans l'examen de la recevabilité de la demande initiale.  
Au sein de la doctrine, d'aucuns ont certes exclu qu'une renonciation intervienne au stade de l'appel pour contrer une décision d'irrecevabilité (CLAUDE SCHRANK, Das Schlichtungsverfahren nach der Schweizerischen Zivilprozessordnung, 2015, n. 144, suivi par JÖRG HONEGGER, in Kommentar zur Schweizerischen Zivilprozessordnung [ZPO], [Sutter-Somm et alii éd.] 3e éd. 2016, n° 1 i.f. ad art. 199 CPC). Cette opinion s'appuie sur un arrêt grison qui présente là une motivation alternative indépendante et vise une autre situation que la présente, soit une renonciation commune à la conciliation obligatoire (Tribunal cantonal du canton des Grisons, arrêt ZK2 11 25 du 22 juin 2011 consid. 7). La doctrine s'intéresse surtout à la déclaration de renonciation devant être annexée, le cas échéant, à la demande (art. 221 al. 2 let. b CPC) - généralement pour préciser que le demandeur en est dispensé lorsqu'il a renoncé unilatéralement à la conciliation (MICHEL HEINZMANN, in Petit commentaire, op. cit., n° 31 ad art. 221 CPC; DENIS TAPPY, in Commentaire romand, 2e éd. 2019, n° 32 ad art. 221 CPC; DANIEL WILLISEGGER, in Basler Kommentar, 3e éd. 2017, n° 28 ad art. 220 CPC; HOFMANN/LÜSCHER, Le Code de procédure civile, 2e éd. 2015, p. 201; contra SCHRANK, op. cit., n. 154).  
Au surplus, la recourante ne prétend pas que la date de la litispendance (au dépôt de la requête de conciliation ou à celui de la demande) aurait ici une incidence (cf. arrêt attaqué p. 12, consid. 3.3.1 § 1 i.f.).  
 
5.3. Quoi qu'il en soit, le second volet de l'argumentation - assignation régulière et validité de l'autorisation de procéder - résiste lui aussi à l'examen.  
La recourante dénonce une violation de l'art. 140 CPC, en vertu duquel "le tribunal peut ordonner aux parties dont le domicile ou le siège se trouve à l'étranger d'élire en Suisse un domicile de notification." 
L'autorité précédente aurait enfreint cette règle à double titre: 
 
- d'une part, elle viserait uniquement les "tribunaux", par opposition aux autorités de conciliation (consid. 5.3.1 infra);  
- d'autre part, la présence d'une succursale en Suisse empêcherait l'application de l'art. 140 CPC (consid. 5.3.2 infra).  
On ne saurait suivre la recourante. 
 
5.3.1. Pour étayer sa thèse, la recourante invoque le Professeur BOHNET. Dans son commentaire de l'art. 199 al. 2 let. a CPC, cet auteur pointe la perte de temps "non négligeable" que peut entraîner la notification d'une requête de conciliation à l'étranger, sans compter qu'il faudra de nouveau notifier la demande à l'étranger (à moins que le défendeur ait déjà désigné un avocat). Il ajoute que "la désignation d'un domicile de notification n'intervien[dra] qu'au stade de la procédure au fond" (BOHNET, op. cit., n° 14 ad art. 199 CPC). Cet auteur n'exclut pas que l'élection de domicile doive être renouvelée en appel, et la juge nécessaire devant le Tribunal fédéral (BOHNET, op. cit., n° 5 ad art. 140 CPC). Ceci dit, d'autres auteurs soutiennent que les règles générales sur la notification (art. 136 ss CPC) valent aussi pour les autorités de conciliation (DOLGE/INFANGER, Schlichtungsverfahren nach Schweizerischer Zivilprozessordnung, 2012, p. 56). Les autorités de conciliation sont confrontées aux mêmes obstacles que les juges du fond, soit des complications et retards générés par un domicile à l'étranger. De surcroît, il existe d'autres cas où le terme "tribunal" vise aussi les autorités de conciliation (cf. ATF 138 III 705 consid. 2.3 ad art. 126 al. 1 CPC). Quoi qu'il en soit, la bonne foi appelait une réaction de la recourante, comme l'a relevé l'autorité précédente.  
 
5.3.2. La présence d'une succursale en Suisse fait-elle réellement obstacle à l'art. 140 CPC, comme le plaide la recourante? Selon un commentaire de l'ancienne loi d'organisation judiciaire, l'obligation d'élire domicile en Suisse ne faisait sens que pour les parties n'ayant pas déjà une adresse de notification dans notre pays, via un représentant ou une succursale, par exemple (POUDRET/SANDOZ-MONOD, Commentaire de la loi fédérale d'organisation judiciaire, vol. I, 1990, p. 167 n. 6.1 ad art. 29 OJ). Dans le même ordre d'idées, des commentateurs du CPC ou de la LTF sont d'avis qu'une telle élection est superflue lorsque la partie a un représentant ou une succursale en Suisse où la notification peut valablement s'accomplir (JENNY/JENNY, in ZPO Kommentar, [Gehri et alii éd.] 2e éd. 2015, n° 3 ad art. 140 CPC; LAURENT MERZ, in Basler Kommentar, 3e éd. 2018, n° 42 ad art. 39 LTF). Un auteur suggère d'interpeller la partie concernée pour qu'elle précise si elle accepte les notifications audit point de rattachement en Suisse (EVA-MARIA STROBEL, in Schweizerische Zivilprozessordnung, [Baker & McKenzie éd.] 2010, n° 12 ad art. 140 CPC).  
La recourante tente d'ouvrir un débat de nature essentiellement théorique. Il suffit en effet de constater qu'elle a eu connaissance de son assignation à l'audience et de la demande de désigner un domicile en Suisse. La bonne foi commandait qu'elle réagisse et indique au tribunal que les écritures devaient être adressées à sa succursale vaudoise. Reprocher aux magistrats genevois d'avoir versé dans la mauvaise foi en ne s'adressant pas directement à la succursale confine à la témérité. La recourante ne s'attarde pas sur les raisons de son silence - si ce n'est pour soutenir, non sans audace, qu'elle pensait de bonne foi que le tribunal utiliserait par défaut l'adresse de sa succursale suisse. Vu l'attitude adoptée, on peut légitimement douter qu'elle ait réellement eu l'intention de participer à la procédure de conciliation, dont l'audience constitue le point d'orgue. Le grief se révèle dépourvu de fondement. 
 
6.  
Au vu de ce qui précède, le recours doit être rejeté aux frais de son auteur (art. 66 al. 1 LTF), qui versera à son adverse partie une indemnité pour ses frais d'avocat (art. 68 al. 1 et 2 LTF). 
 
 
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :  
 
1.  
Le recours est rejeté. 
 
2.  
Les frais de procédure, fixés à 4'000 fr., sont mis à la charge de la recourante. 
 
3.  
La recourante versera à l'intimé une indemnité de 5'000 fr. à titre de dépens. 
 
4.  
Le présent arrêt est communiqué aux parties ainsi qu'à la Cour de justice du canton de Genève. 
 
 
Lausanne, le 6 juillet 2022 
 
Au nom de la I re Cour de droit civil 
du Tribunal fédéral suisse 
 
La Présidente : Hohl 
 
La Greffière : Monti