[AZA 0/2]
4P.188/2001
Ie COUR CIVILE
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15 octobre 2001
Composition de la Cour: MM. Walter, président, Leu et Corboz,
juges. Greffière: Mme de Montmollin Hermann.
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Statuant sur le recours de droit public formé
par
X.________ S.A., représentée par Me Olivier Wehrli, avocat à Genève,
contre
la sentence arbitrale rendue le 19 juin 2001 par un tribunal arbitral composé de Erik G.W. Schäfer, président, John F.
Eardley et Alfredo Evelio Armenteros Vegueriz, arbitres, siégeant à Genève sous l'égide de la CCI dans la cause qui oppose la recourante à Y.________, représentée par Mes Laurent Lévy et Elliott Geisinger, avocats à Genève;
(arbitrage international; composition irrégulière du tribunal)
Vu les pièces du dossier d'où ressortent
les faits suivants:
A.- Par contrat du 26 janvier 1993, Y.________, société d'Etat cubaine, a chargé une société française, la Compagnie Z.________, d'explorer et d'exploiter des gisements pétroliers dans deux périmètres situés aux alentours de La Havane (Cuba). Cette convention prévoit, en cas de litige, un arbitrage soumis aux règles de la Chambre de Commerce Internationale; le droit cubain est déclaré applicable et le siège du tribunal arbitral est fixé à Genève.
Par acte du 14 décembre 1993, la Compagnie Z.________ s'est substituée, avec l'accord de Y.________, la société panaméenne X.________ S.A. (ci-après: X.________).
En cours d'exécution, des divergences sont apparues entre les parties. Pour tenter de les surmonter, un accord a été passé le 12 mars 1997 au Blanc-Mesnil (France).
Par lettre du 23 juin 1997, Y.________ a informé X.________ qu'elle résiliait la convention pour violation des obligations contractuelles.
B.- Soutenant que l'échec de l'opération était dû à la faute de Y.________ et que la résiliation lui était préjudiciable, X.________ a adressé à la Cour d'arbitrage de la Chambre de Commerce Internationale une demande datée du 30 juillet 1999, concluant à ce que sa partie adverse soit condamnée à lui verser, avec intérêts, les sommes de 2 843 209 US$ et de 20 300 000 US$.
X.________ a choisi comme arbitre Fritz Vonaesch, et Y.________, Alfredo E. Armenteros; la Cour d'arbitrage a désigné comme président Erik G.W. Schäfer. Par la suite, Fritz Vonaesch, malade, a été remplacé par John F. Eardley.
Le tribunal arbitral, ayant son siège à Genève, a rendu sa sentence le 19 juin 2001. Il a débouté X.________ de toutes ses conclusions et constaté la validité de la résiliation dès le 23 juin 1997. En substance, le tribunal arbitral, procédant à une appréciation des preuves, a considéré que X.________ n'avait pas rempli ses obligations contractuelles et il a écarté les explications justificatives invoquées par cette dernière, considérant en particulier que l'accord de Blanc-Mesnil était affecté d'une erreur de la part de Y.________.
C.- X.________ interjette un recours de droit public au Tribunal fédéral contre cette sentence. Elle soutient qu'elle a été étonnée par la décision arbitrale et qu'elle a entrepris des recherches qui lui ont révélé que l'arbitre choisi par sa partie adverse, Alfredo E.
Armenteros, avait omis d'indiquer au début de la procédure qu'il avait exercé plusieurs missions pour l'Etat cubain (propriétaire de Y.________), à savoir:
- de 1975 à 1985 juriste auprès du Ministère de la marine marchande et des transports de Cuba;
- de 1985 à 1990 juriste puis chef de la section des traités internationaux au Ministère des affaires étrangères de Cuba;
- de 1990 à 1995 consul général de Cuba pour l'Ontario et la partie occidentale du Canada;
- représentant de son pays à de nombreuses conférences internationales.
Invoquant l'art. 190 al. 2 let. a LDIP (composition irrégulière du tribunal arbitral), elle conclut à l'annulation de la sentence arbitrale.
L'intimée invite le Tribunal fédéral à déclarer le recours irrecevable, subsidiairement à le rejeter.
Considérant en droit :
1.- a) Par lettre du 26 septembre 2001, l'avocat de la recourante a sollicité un second échange d'écritures.
L'art. 93 al. 3 OJ prévoit qu'un tel échange ne peut être qu'exceptionnel et il n'y a pas lieu de s'écarter de la règle en l'espèce.
b) Selon l'art. 85 let. c OJ, le Tribunal fédéral connaît des recours de droit public formés contre des sentences arbitrales en vertu des art. 190 ss LDIP.
Il faut donc examiner en premier lieu si les art. 190 ss LDIP sont applicables en l'espèce.
Cette question doit recevoir une réponse positive.
En effet, le siège du tribunal arbitral a été fixé en Suisse (à Genève) et l'une des parties au moins (en l'occurrence:
les deux) n'avait, au moment de la conclusion de la convention d'arbitrage, ni son domicile, ni sa résidence habituelle en Suisse (art. 176 al. 1 LDIP; cf. également art. 20 et 21 LDIP et, pour la cession ultérieure à X.________: Patocchi/Geisinger, IPRG, n° 8 ad art. 176 LDIP). Les parties n'ont pas, par écrit, exclu l'application de ces dispositions et choisi d'appliquer exclusivement les règles de la procédure cantonale en matière d'arbitrage (art. 176 al. 2 LDIP).
Il faut se demander ensuite si le recours au Tribunal fédéral contre la sentence arbitrale est ouvert (cf. art. 191 al. 1 LDIP).
Cette question doit également recevoir une réponse positive. En effet, les parties n'ont pas exclu cette possibilité conventionnellement (art. 192 al. 1 LDIP) et n'ont pas choisi de porter le recours, en lieu et place, devant l'autorité cantonale (art. 191 al. 2 LDIP).
c) Le recours ne peut être formé que pour l'un des motifs énumérés de manière exhaustive à l'art. 190 al. 2 LDIP (ATF 127 III 279 consid. 1a; 119 II 380 consid. 3c). S'agissant ici d'une sentence finale, le recours est ouvert pour tous les motifs prévus à l'art. 190 al. 2 LDIP (cf. a contrario:
art. 190 al. 3 LDIP).
d) La procédure devant le Tribunal fédéral est régie par les dispositions de l'OJ relatives au recours de droit public (art. 191 al. 1 2ème phrase LDIP).
La sentence attaquée est finale (cf. art. 86 al. 1 et 87 OJ ; ATF 123 I 325 consid. 3b et les arrêts cités).
La recourante est personnellement touchée par la décision attaquée, qui rejette sa demande en paiement, de sorte qu'elle a un intérêt personnel, actuel et juridiquement protégé à ce que cette décision n'ait pas été rendue en violation des garanties découlant de l'art. 190 al. 2 LDIP; en conséquence, elle a qualité pour recourir (art. 88 OJ).
Interjeté en temps utile (art. 89 al. 1 OJ), dans la forme prévue par la loi (art. 90 al. 1 OJ), le recours est en principe recevable.
Hormis certaines exceptions, il n'a qu'un caractère cassatoire (ATF 127 II 1 consid. 2c; 127 III 279 consid. 1b).
e) Dès lors que les règles de procédure sont celles du recours de droit public, la partie recourante doit invoquer ses griefs conformément aux exigences de l'art. 90 al. 1 let. b OJ (ATF 127 III 279 consid. 1c; 117 II 604 consid. 3).
Saisi d'un recours de droit public, le Tribunal fédéral n'examine que les griefs admissibles qui ont été invoqués et suffisamment motivés dans l'acte de recours (cf. ATF 127 I 38 consid. 3c; 127 III 279 consid. 1c; 126 III 524 consid. 1c; 126 III 534 consid. 1b). La recourante devait donc indiquer quelles hypothèses de l'art. 190 al. 2 LDIP étaient à ses yeux réalisées et montrer de façon circonstanciée en quoi consisterait la violation du principe invoqué (cf. ATF 127 III 279 consid. 1c); ce n'est qu'à ces conditions qu'il est possible d'entrer en matière sur son recours.
2.- a) En l'espèce, la recourante invoque exclusivement l'art. 190 al. 2 let. a LDIP et soutient que le tribunal arbitral a été "irrégulièrement composé".
b) Selon la jurisprudence du Tribunal fédéral, une sentence arbitrale, exécutoire de la même manière qu'un jugement, suppose que le tribunal arbitral qui la rend offre, à l'instar des tribunaux étatiques, des garanties suffisantes d'impartialité et d'indépendance (ATF 119 II 271 consid. 3b; 117 Ia 166 consid. 5a; 107 Ia 155 consid. 2b).
Lorsqu'un tribunal arbitral présente un défaut d'indépendance ou d'impartialité, il s'agit d'un cas de composition irrégulière au sens de l'art. 190 al. 2 let. a LDIP (ATF 118 II 359 consid. 3b; cf. également: Lalive/Poudret/Reymond, Le droit de l'arbitrage, n° 5 ad art. 190 LDIP).
En vertu du principe de la bonne foi, le droit d'invoquer le moyen se périme cependant si la partie ne le fait pas valoir immédiatement; elle ne saurait garder à ce sujet ses arguments en réserve pour ne les soulever qu'en cas d'issue défavorable de la procédure arbitrale (ATF 126 III 249 consid. 3c).
Pour dire si le tribunal arbitral présente des garanties suffisantes d'indépendance et d'impartialité, il faut se référer aux principes constitutionnels développés au sujet des tribunaux étatiques (ATF 118 II 359 consid. 3c). Ces principes ont été rappelés dans plusieurs arrêts récents (cf.
ATF 126 I 68 consid. 3a; 126 I 168 consid. 2a; 126 I 228 consid. 2a/bb; 125 I 209 consid. 8a; 125 II 541 consid. 4a). Savoir s'il faudrait se montrer moins exigeant - comme la doctrine le soutient - à l'égard de l'arbitre choisi par l'une des parties est une question qui n'a pas été tranchée à l'ATF 118 II 259 consid. 3c.
c) L'intimée reproche à la recourante d'avoir tardé à invoquer les faits dont elle se prévaut.
Sur la base des éléments fournis au Tribunal fédéral, il n'est pas établi que la recourante aurait connu les éléments en question avant que la sentence ne soit rendue.
On doit en revanche sérieusement se demander si elle n'aurait pas dû se renseigner à ce sujet. C'est au moment où une partie désigne son arbitre qu'il convient de procéder aux vérifications commandées par les circonstances, afin de faire valoir un motif de récusation sans retard (art. 180 al. 2 2ème phrase LDIP) et de ne pas perturber la procédure d'arbitrage (sur les rapports entre l' art. 180 et 190 al. 2 let. a LDIP , cf. Hans Peter Walter, Praktische Probleme der Staatsrechtlichen Beschwerde gegen internationale Schiedsentscheide (Art. 190 IPRG) in ASA 2001 p. 2 ss, p. 11 s., p. 15 s.). Choisir de rester dans l'ignorance peut, suivant les cas, constituer une manoeuvre contraire aux règles de la bonne foi comparable au fait de différer l'annonce d'une demande de récusation.
En l'espèce, la recourante savait que sa partie adverse était une société d'Etat et qu'elle avait choisi comme arbitre un ressortissant cubain, ayant fait ses études de droit à Cuba et se présentant comme un spécialiste du droit cubain. Dans une telle situation, elle devait se demander si l'arbitre ne recevait pas régulièrement des mandats de l'Etat cubain. Si l'on songe à la rapidité avec laquelle la recourante, pendant le délai de recours, a pu réunir les renseignements dont elle se prévaut, la question se pose de savoir si elle n'aurait pas dû procéder à ces vérifications sans attendre de savoir si l'issue de la procédure arbitrale lui serait favorable ou non. On ne se trouve pas dans l'hypothèse où une partie aurait découvert, dans la sentence elle-même, des indices qui lui étaient précédemment inconnus. Que la décision lui ait été défavorable ne constitue en rien un indice de partialité, car l'arbitre cubain ne pouvait à lui seul constituer une majorité. Les considérants de la sentence ne permettent pas de déceler un indice de partialité, la recourante ne tentant d'ailleurs pas de démontrer le contraire.
On peut donc sérieusement se demander si la recourante n'a pas procédé contrairement aux règles de la bonne foi en attendant l'issue défavorable de la procédure pour se renseigner sur les activités antérieures de l'arbitre désigné par sa partie adverse.
Il n'est toutefois pas nécessaire de trancher cette question pour les raisons qui vont être maintenant exposées.
d) La recourante ne démontre pas que l'arbitre aurait eu, par le passé, pendant la procédure arbitrale ou en fonction de promesses pour l'avenir, un quelconque rapport avec la société défenderesse.
Il est vrai qu'il s'agit d'une société d'Etat et qu'un rapport particulier avec cet Etat pourrait éventuellement suffire pour créer une apparence de dépendance ou de partialité.
Selon les explications de la recourante, la procédure arbitrale a duré du 30 juillet 1999 au 19 juin 2001.
Elle n'établit pas que l'arbitre aurait eu, pendant cette période, un quelconque mandat ou exercé une mission confiés par l'Etat cubain. Elle ne prétend pas non plus qu'il aurait eu la promesse ou la perspective concrètes d'une mission ou d'un mandat futurs.
La recourante fonde son argumentation exclusivement sur les activités que l'arbitre a déployé par le passé pour l'Etat cubain. Or, une activité passée ne peut fonder une apparence de prévention que si l'on peut en déduire qu'il subsiste, au moment de l'arbitrage, un certain rapport économique ou affectif de nature à entraver l'arbitre dans sa liberté de décision.
La recourante n'établit rien de semblable. Elle cite l'ATF 116 Ia 485 ss. Dans cet arrêt, le Tribunal fédéral a évoqué l'hypothèse d'un avocat qui, par le passé, aurait reçu régulièrement des mandats de l'une des parties; ce cas n'est cependant retenu que pour l'hypothèse où l'on pourrait en déduire qu'il s'est créé entre eux une sorte de rapport durable, lié à l'espérance de mandats réguliers (cf. ATF 116 Ia 485, p. 489 consid. 3b). En l'espèce, il n'y a pas de raison concrète de penser que l'arbitre espérait un nouvel engagement par l'Etat cubain. Il ressort au contraire des éléments réunis qu'il exerce depuis des années l'activité d'avocat indépendant dans un pays étranger, où il s'est établi, et, dans une telle situation, on ne voit pas d'élément concret qui permette sérieusement de penser qu'il ne fera pas preuve du recul et de l'indépendance d'esprit requis pour trancher un litige concernant une société d'Etat cubaine.
Il n'est ainsi pas démontré que l'arbitre présentait une apparence de partialité ou de dépendance, de sorte que le grief de composition irrégulière du tribunal arbitral (art. 190 al. 2 let. a LDIP) n'est pas fondé.
e) La recourante semble soutenir que les circonstances qu'elle invoque constituaient une cause de récusation prévue par le règlement d'arbitrage adopté par les parties (cf. art. 180 al. 1 let. b LDIP).
Dans la mesure où les parties adopteraient des motifs de récusation qui vont au-delà des exigences constitutionnelles, il est douteux que cela puisse fonder le motif d'annulation prévu par l'art. 190 al. 2 let. a LDIP (composition irrégulière du tribunal arbitral) (pour une réponse négative:
Patocchi/Geisinger, op. cit. , n° 5.2 ad art. 190 LDIP, 2ème al.).
Quoi qu'il en soit, l'argumentation présentée à ce sujet par la recourante n'emporte pas la conviction. Elle soutient que, si elle avait connu les faits dès le début de la procédure, elle aurait pu former une demande de récusation; il n'est toutefois pas certain qu'elle aurait obtenu la récusation; en tout cas, on ne voit pas en quoi les motifs de récusation conventionnels qu'elle invoque iraient au-delà des garanties constitutionnelles déjà examinées.
Faute d'une motivation permettant de comprendre en quoi les motifs conventionnels iraient au-delà des garanties constitutionnelles, il n'y a pas lieu d'examiner la question plus avant. L'argumentation présentée est en effet impropre à démontrer la composition irrégulière du tribunal arbitral (cf. art. 90 al. 1 let. b OJ).
f) Que l'arbitre n'ait pas jugé utile de fournir des explications détaillées sur ses activités antérieures peut parfaitement s'expliquer par le fait qu'il pensait que ces informations étaient sans pertinence et qu'il se sentait apte à juger cette affaire en toute indépendance d'esprit.
La question n'est pas de savoir si l'on peut reprocher à l'arbitre de ne pas avoir fourni plus de renseignements, mais si les faits qu'il n'a pas révélés sont de nature à fonder une apparence de partialité ou de dépendance, de telle sorte que le tribunal arbitral n'aurait pas été régulièrement composé au sens de l'art. 190 al. 2 let. a LDIP.
Le recours doit donc être rejeté.
3.- Les frais et dépens seront mis à la charge de la recourante qui succombe (art. 156 al. 1 et 159 al. 1 OJ).
Par ces motifs,
le Tribunal fédéral :
1. Rejette le recours;
2. Met un émolument judiciaire de 50 000 fr. à la charge de la recourante;
3. Dit que la recourante versera à l'intimée une indemnité de 60 000 fr. à titre de dépens;
4. Communique le présent arrêt en copie aux mandataires des parties et au Président du Tribunal arbitral CCI.
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Lausanne, le 15 octobre 2001 ECH
Au nom de la Ie Cour civile
du TRIBUNAL FEDERAL SUISSE:
Le président,
La greffière,