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Bundesgericht 
Tribunal fédéral 
Tribunale federale 
Tribunal federal 
 
 
 
 
4A_323/2021  
 
 
Arrêt du 5 juillet 2023  
 
Ire Cour de droit civil  
 
Composition 
Mmes les Juges fédérales 
Jametti, Présidente, Kiss et May Canellas, 
greffière Monti. 
 
Participants à la procédure 
1. A.________, 
2. B.________, 
représentés par Me Cyril Abecassis et Me Romain Jordan, avocats, 
demandeurs et recourants, 
 
contre  
 
1. Y.________, 
2. Z.________, 
représentés par Me Marc Joory et 
Me Mathieu Granges, avocats, 
défendeurs et intimés. 
 
Objet 
responsabilité civile délictuelle; 
 
recours contre l'arrêt final rendu le 28 avril 2021 
par la Chambre civile de la Cour de justice du canton de Genève (ACJC/534/2021; C/13143/2010), et 
contre trois arrêts incidents rendus par cette même autorité les 26 juin 2015 (ACJC/678/2015), 15 septembre 2017 (ACJC/1155/2017) et 6 juillet 2020 (ACJC/964/2020). 
 
 
Faits :  
 
A.  
 
A.a. A.________ et B.________ sont la veuve et le fils de feu C.________, et ses héritiers uniques. De son vivant, cet homme d'affaires servait d'intermédiaire entre des sociétés occidentales d'armement et des Etats du Moyen-Orient. Il était rémunéré par des commissions sur les contrats commerciaux qu'il contribuait à conclure. Il avait entreposé sa fortune très importante dans des banques de différents pays, au travers de sociétés offshore qu'il contrôlait. Parmi ses relations d'affaires, il comptait un financier basé au Liban dénommé Y.________ dont la soeur, Z.________, était jadis l'amie de sa femme A.________.  
 
A.b. En janvier 1986, se sachant atteint d'une maladie incurable, l'homme d'affaires a entrepris de planifier l'organisation de son patrimoine après sa mort. Par l'entremise de Y.________ et/ou de Z.________, il a chargé la succursale genevoise de la banque M.________ de fonder et d'administrer un trust de droit liechtensteinois qui devait recueillir une partie de sa fortune. Y.________ présiderait le comité de cette entité dont B.________ serait le principal bénéficiaire.  
Le 11 février 1986, C.________ a ouvert auprès de la succursale genevoise de la banque M.________ un compte joint intitulé « T.________ » dont son épouse était co-titulaire. Ce compte devait accueillir provisoirement des actifs rapatriés d'autres banques avant qu'ils ne fussent transférés sur un compte à ouvrir au nom du trust. 
L'homme d'affaires est mort le 22 février 1986. 
Le 26 février suivant, la succursale genevoise d'une banque américaine a écrit à l'homme d'affaires - dont elle ignorait le décès - que conformément à ses ordres, elle avait transféré tous ses actifs à la banque M.________, ainsi qu'une enveloppe qu'elle avait jusque-là conservée pour lui. Une note interne de la banque M.________ confirme avoir réceptionné quelque 40 millions CHF. 
Le trust a été constitué le 3 mars 1986. 
 
A.c. Dès 1998, les parties se sont affrontées dans diverses procédures civiles sur le sort du patrimoine du défunt. Sa veuve et son fils ont notamment actionné la banque M.________ en reddition de comptes devant la justice anglaise, sans succès. Une démarche similaire initiée contre le financier ancré au Liban est restée infructueuse.  
 
A.d. Des procédures pénales ont également été déclenchées de part et d'autre.  
C'est ainsi qu'en juillet 2004 et mai 2008, les deux héritiers de l'homme d'affaires ont déposé plainte à Genève contre le directeur de la succursale bancaire de la banque M.________ et contre le financier situé au Liban. Ils leur reprochaient d'avoir détourné 40 millions de francs suisses, somme qui aurait dû être créditée sur le compte de transit T.________. Ils déploraient aussi la disparition d'une enveloppe reçue par la banque M.________ en février 1986, censée contenir des actions au porteur de sociétés offshore jadis contrôlées par le défunt. Malgré les nombreux actes d'instruction accomplis, dont la perquisition des locaux de la banque M.________, les deux plaintes ont été classées sans suite.  
 
B.  
 
B.a. Le 9 juin 2010, A.________ et B.________ (les demandeurs) ont agi en responsabilité civile délictuelle contre Y.________ et Z.________ (les défendeurs) devant le Tribunal de première instance du canton de Genève. Ils leur réclamaient 93 millions de francs suisses (CHF) sous réserve d'amplification.  
Cette somme cumulait deux postes ascendant à 40 millions CHF plus 53 millions CHF. D'une part, les défendeurs auraient détourné 40 millions CHF que la banque M.________ était censée verser sur le compte de transit T.________; elle aurait en réalité crédité cette somme sur un compte non géré ( non-managed account) détenu par le trust, compte sur lequel les défendeurs auraient fait main basse. D'autre part, ceux-ci se seraient approprié des commissions à hauteur de 53 millions CHF en mettant la main sur une enveloppe contenant des actions au porteur des sociétés offshore du défunt. En prenant le contrôle de ces titres et de ces entités, les défendeurs seraient parvenus à détourner les commissions.  
Les défendeurs ont conclu au rejet de la demande et excipé de la prescription. 
Cette première phase du procès était régie par l'ancienne procédure civile genevoise (aLPC/GE). 
Le 13 décembre 2016, le Tribunal de première instance, sur requête des parties, a ordonné l'ouverture des enquêtes sous la forme de preuves testimoniales et a invité les parties à déposer la liste de leurs témoins. 
Les demandeurs ont requis l'audition de seize personnes, la plupart domiciliées à l'étranger. Quant aux défendeurs, ils n'ont proposé qu'un seul témoin. 
Un nouveau magistrat a repris la cause. 
Le 8 mars 2017, il a révoqué l'ordonnance probatoire, prononcé la clôture de l'instruction et fixé une audience de débats. 
Au début octobre 2018, les demandeurs ont déposé une écriture datée du 30 septembre 2018 contenant de nombreux allégués nouveaux et ont produit à leur appui des pièces nouvelles. Ils ont réitéré leurs conclusions en paiement de 93 millions CHF, soit 40 millions CHF plus 53 millions CHF ou, pour ce poste-ci, 50 millions USD. Ils exigeaient aussi une reddition de comptes. 
Le 4 juin 2019, le Tribunal de première instance a statué sur le fond et rejeté la demande dans la mesure où elle était recevable (cf. consid. 3.2 infra).  
 
B.b. Les deux demandeurs ont interjeté appel auprès de la Cour de justice genevoise, qui a confirmé cette décision sur le fond (consid. 3.3 infra) tout en acceptant de réduire les frais et dépens de première instance.  
 
C.  
A.________ et B.________ ont saisi le Tribunal fédéral d'un recours en matière civile visant à renvoyer la cause au Tribunal de première instance pour que cette autorité, « dans une nouvelle composition impartiale », complète l'instruction puis rende un nouveau jugement et condamne solidairement les défendeurs à payer 93 millions CHF ou, « si mieux n'aime la justice », 50 millions USD plus 40 millions CHF. 
Toujours au chapitre des conclusions, ils sollicitent aussi la réforme de trois arrêts incidents: dans l'arrêt du 26 juin 2015, les dépens devraient être portés à 40'000 fr. Dans l'arrêt du 15 septembre 2017, la cour d'appel devrait entrer en matière sur le recours, mettre les frais à la charge des défendeurs et octroyer 5'000 fr. de dépens aux demandeurs. Enfin, dans l'arrêt du 6 juillet 2020, elle devrait réduire à 100 fr. les frais à la charge des demandeurs et leur allouer 15'000 fr. de dépens. 
Les demandeurs/recourants ont été astreints à fournir 250'000 fr. de sûretés en garantie des dépens, ce qu'ils ont fait le 21 octobre 2021, dans le délai prolongé qui leur avait été accordé. 
Les défendeurs/intimés au recours ont alors déposé une réponse dans laquelle ils préconisaient le rejet du recours. Les demandeurs ont fait savoir qu'ils renonçaient à répliquer. 
L'autorité précédente s'est référée à son arrêt. 
Les défendeurs ont initié deux procédures visant à faire séquestrer des valeurs patrimoniales situées en Suisse pour garantir l'exécution des arrêts attaqués, ce qui a provoqué des requêtes d'effet suspensif au recours. La Juge présidant a ordonné la suspension de ces procédures jusqu'à droit connu sur le recours (ordonnances des 18 octobre 2021 et 7 juillet 2022). 
 
 
Considérant en droit :  
 
1.  
Les conditions de recevabilité du recours en matière civile sont réalisées sur le principe, notamment celles afférentes au délai de recours (art. 100 al. 1 en lien avec l'art. 45 al. 1 LTF) et à la valeur litigieuse minimale de 30'000 fr., ici largement dépassée (art. 74 al. 1 let. b LTF). 
 
2.  
 
2.1. Le Tribunal fédéral statue sur la base des faits établis par l'autorité précédente (art. 105 al. 1 LTF). Il ne peut s'en écarter que si ces faits ont été arrêtés de façon manifestement inexacte - c'est-à-dire arbitraire au sens de l'art. 9 Cst. - ou en violation du droit défini à l'art. 95 LTF (art. 105 al. 2 LTF).  
L'appréciation des preuves est tenue pour arbitraire si le juge du fait n'a manifestement pas compris le sens et la portée d'un moyen de preuve, a omis sans raisons objectives de prendre en compte des preuves pertinentes ou a tiré des déductions insoutenables des éléments recueillis (ATF 137 III 226 consid. 4.2; 136 III 552 consid. 4.2). 
Conformément au principe de l'allégation ancré à l'art. 106 al. 2 LTF, la partie qui croit discerner un arbitraire dans les faits constatés par l'autorité précédente doit expliquer clairement et par le détail en quoi ce vice serait réalisé (ATF 140 III 264 consid. 2.3 p. 266 et les références). 
 
2.2. Sous réserve de la violation des droits constitutionnels soumis au principe précité (art. 106 al. 2 LTF), le Tribunal fédéral applique le droit d'office (art. 106 al. 1 LTF). Cela étant, il ne statue que sur les griefs soulevés, sous réserve d'erreurs juridiques manifestes (ATF 140 III 115 consid. 2 p. 116).  
 
3.  
 
3.1. Les demandeurs recherchent les défendeurs en responsabilité civile délictuelle. Ils invoquent deux postes de dommage:  
 
- le premier atteindrait 40 millions CHF. 
Un établissement bancaire américain (plus exactement, sa succursale suisse) aurait versé à la banque M.________ cette somme constituée d'avoirs du défunt. Alors qu'elle aurait dû être reversée sur le compte de transit T.________, elle aurait disparu, détournée par les défendeurs via un compte détenu par le trust. 
- le second ascenderait à 53 millions CHF ou à 50 millions USD. 
Les défendeurs auraient fait main basse sur une enveloppe transmise par la même banque américaine, enveloppe censée contenir les actions au porteur des sociétés écrans détenues par le défunt. En s'arrogeant la maîtrise de ces entités, ils auraient pu accéder à leurs comptes bancaires et s'approprier indûment les commissions versées sur ces comptes. 
 
3.2. Pour le Tribunal de première instance, la demande devait être rejetée au motif que les 214 allégués des demandeurs étaient lacunaires sur les faits susceptibles de fonder une responsabilité délictuelle des défendeurs. Cette insuffisance était « manifeste » en tant que la demande était dirigée contre la défenderesse, « également patente » quant au prétendu dommage de 53 millions CHF (ou 50 millions USD) et « certainement » avérée s'agissant de l'autre prétention en paiement de 40 millions CHF.  
Le Tribunal a encore trouvé d'autres raisons de rejeter les prétentions: 
 
- « a priori », les demandeurs avaient réclamé erronément réparation d'un des postes du dommage en francs suisses (53 millions CHF) plutôt qu'en dollars américains (50 million USD). 
- l'autre prétention en paiement de 40 millions CHF était prescrite. 
 
3.3. La cour d'appel s'est appuyée sur ces deux derniers arguments pour confirmer la décision entreprise.  
 
3.4. Dans leur recours, les demandeurs s'escriment à exploiter le refus d'auditionner leurs témoins, signifié par l'ordonnance révocatoire du 8 mars 2017, et fustigent la mise à l'écart de leur écriture du 30 septembre 2018: ces deux entraves les auraient privés de la possibilité de prouver le point de départ précis de la prescription pour la prétention de 40 millions CHF (arrêté à février 1986 par les juges), respectivement d'énoncer dans la bonne monnaie la prétention de 53 millions de fr.  
 
3.5. Au préalable, on notera que la compétence des tribunaux genevois et l'application du droit suisse ne sont pas litigieuses à ce stade.  
 
I. Prétention de 40 millions CHF. Prescription.  
 
4.  
La Cour de justice a déclaré cette prétention prescrite. Les demandeurs contestent que ce soit le cas. 
 
4.1. Pour rappel, les défendeurs auraient détourné 40 millions CHF, soit la somme remise à la banque M.________ en février 1986 à destination du compte de transit T.________, mais qui aurait été reversée sur un compte détenu par le trust.  
Emboîtant le pas au Tribunal de première instance, la cour d'appel a jugé que cette prétendue appropriation illicite commise en février 1986 était prescrite. Le délai de prescription décennal absolu de l'art. 60 al. CO s'était écoulé sans avoir été interrompu par un quelconque acte. Quant à la prescription plus longue de l'action pénale (art. 60 al. 2 CO), elle n'entrait pas en considération, vu les décisions définitives de classer les plaintes pénales déposées à Genève en 2004 et 2008, portant précisément sur les faits servant de fondement à la demande. 
 
4.2. Les demandeurs prônent derechef l'application du délai plus long de l'action pénale (quinze ans). Cela étant, ils ne se risquent pas à contrer le raisonnement des juges cantonaux, dont on ne peut affirmer qu'il serait entaché d'une erreur manifeste (sur l'art. 60 al. 2 CO, cf. ATF 136 III 502 consid. 6.1 et 6.3.1). Peu importe que les décisions genevoises de classement aient concerné le seul défendeur et le directeur de la succursale bancaire genevoise. Car ce sont les mêmes accusations, n'ayant débouché sur aucune incrimination, qui ont simplement été étendues à la défenderesse dans le procès civil: le premier jugement évoque un pur « copié/collé » de l'état de fait décrit dans la plainte de 2008, complété par l'adjonction du nom de la défenderesse. Dans ces circonstances, il faut en rester au délai de prescription décennal retenu par les juges d'appel, étant entendu que l'art. 127 CO, soi-disant aussi applicable au défendeur, n'instaure pas un délai de prescription plus long.  
Pour le surplus, les demandeurs ne critiquent pas sérieusement les constatations situant le départ de la prescription en février 1986: ils se retranchent encore et toujours derrière la vague affirmation qu'une investigation eût été nécessaire, sans expliquer comment elle aurait pu être fructueuse, ni indiquer un potentiel dies a quo ultérieur (sans compter l'échec de leur grief ciblant l'appréciation anticipée des preuves, cf. consid. 5.4.4 infra). Et ils ne contestent pas l'absence d'actes interruptifs. Ils insistent encore sur le fait que la découverte de la supercherie n'aurait eu lieu que tardivement, ce qui ne modifie en rien le raisonnement tenu, puisque cette question importe tout au plus pour l'art. 60 al. 1 CO.  
 
4.3. Dans un autre chapitre de leur recours, les demandeurs déplorent le refus d'auditionner « plusieurs témoins » qui auraient pu attester leur allégué 196 selon lequel le versement des commissions avait perduré « bien au-delà de la date retenue » pour la prescription. Comme l'a fait remarquer la cour d'appel, cette thèse du dommage évolutif vise l'autre prétention en paiement de 53 millions CHF, dont il n'a pas été soutenu qu'elle serait prescrite. Le grief de violation du droit à la preuve manque donc sa cible.  
 
4.4. Enfin, les demandeurs jouent la carte de l'abus de droit. Les juges genevois auraient méconnu leur allégué selon lequel les défendeurs les avaient sciemment maintenus dans l'erreur en incitant la demanderesse à attendre que le demandeur atteigne l'âge de 18 ou 21 ans. De l'aveu même des demandeurs, l'allégué est extrait de l'écriture du 30 septembre 2018, contenant pour l'essentiel des allégués irrecevables (consid. 5.6.3 infra). Les demandeurs ne soutiennent pas l'avoir déjà introduit auparavant dans des « écritures autorisées », ce qui suffit à clore la discussion. De toute façon, cette simple phrase ne suffirait pas à fonder un abus de droit. D'autant qu'elle est contredite par les nombreuses démarches judiciaires ayant précédé l'ouverture de l'action civile le 9 juin 2010.  
II. Prétention fondée sur le détournement de commissions à hauteur de 53 millions CHF ( = 50 millions USD). 
Monnaie de l'obligation. 
Les défendeurs se seraient approprié illicitement une enveloppe contenant des actions au porteur des sociétés écrans interposées par le défunt pour toucher ses commissions. Ils auraient ainsi pu faire main basse sur les commissions versées jusqu'en 2004, et même au-delà. 
 
5.  
 
5.1. La cour d'appel a tiré argument du fait que la prétention avait été réclamée dans la mauvaise monnaie, soit en francs suisses plutôt qu'en dollars. Les demandeurs avaient bien tenté de rectifier le tir en reformulant leur conclusion dans cette monnaie étrangère. Cependant, cette conclusion était tardive, et partant irrecevable.  
 
5.2. Tout d'abord, il est reproché à la cour cantonale d'avoir transformé un simple obiter dictum du premier juge sur l'art. 84 CO en véritable motivation indépendante et d'avoir indûment tenu rigueur aux demandeurs d'avoir omis d'attaquer cet argument.  
Le premier juge avait effectivement employé une tournure circonspecte en indiquant qu'« a priori », l'indemnisation de 53 millions CHF n'avait pas été réclamée dans la bonne monnaie. La cour d'appel en a inféré que cette question avait été tranchée et a reproché aux demandeurs de n'avoir émis aucun grief sur cette prétendue motivation alternative indépendante. 
Il n'est pas certain que la formule nuancée du premier juge puisse s'interpréter comme un argument alternatif indépendant obligeant le justiciable à attaquer les deux facettes d'un raisonnement sous peine d'irrecevabilité (voir ATF 142 III 364 consid. 2.4 p. 368). Ceci dit, comme la cour cantonale appliquait le droit d'office, elle était libre de présenter une autre motivation juridique que le premier juge, ce qui poserait tout au plus la question du droit d'être entendu (cf. ATF 145 I 167 consid. 4.1 p. 171; 131 V 9 consid. 5.4.1). En l'espèce cependant, aucune violation de ce chef n'est à déplorer: d'une part, les demandeurs eux-mêmes affirment avoir discuté ce thème dans leur appel; d'autre part, cette piste était clairement dessinée dans le jugement de première instance. 
 
5.3.  
 
5.3.1. Les demandeurs attribuent ensuite la tardiveté de leur conclusion en USD à la « configuration particulière » du litige: dans leur réplique, ils avaient affirmé nager dans l'incertitude complète quant au montant exact et à la monnaie des commissions détournées. En attendant le résultat de l'instruction, ils avaient pris le parti de libeller leur prétention en francs suisses et de réserver la possibilité de modifier leurs conclusions selon le résultat des enquêtes. Ils avaient été pris de court par la révocation des enquêtes et la clôture soudaine de l'instruction. Ils n'auraient eu d'autre choix que de préciser ce poste du dommage et d'adapter leurs conclusions dans l'écriture du 30 septembre 2018, déclarée à tort irrecevable.  
 
5.3.2. Si réellement l'issue des enquêtes était déterminante, l'on ne voit guère comment les demandeurs auraient finalement été à même de modifier leur conclusion malgré le refus d'auditionner leurs témoins. Qui plus est, l'arrêt attaqué retient sans s'attirer des critiques que le dommage a été allégué en dollars. Ces objections démontrent déjà l'inconsistance de l'argumentation.  
Cela étant, le grief de violation du droit à la preuve, dont les demandeurs font grand cas, est résolument infondé. Car, comme cela va être démontré, l'appréciation anticipée des preuves portée par les juges genevois était dénuée d'arbitraire. 
 
5.4.  
 
5.4.1. Le premier juge avait invoqué l'insuffisance des allégués et le défaut de motivation de la demande comme obstacle à la mise en oeuvre de mesures probatoires concernant ce poste de dommage, a fortiori s'agissant de l'audition de témoins. Il avait pointé:  
 
- le fait que le prétendu dommage de 50 millions de dollars était un montant articulé ex nihilo;  
- l'absence de tout élément rendant un tant soit peu vraisemblable ce poste de dommage. En particulier, le juge ne pouvait rien déduire des prétendus contrats «... » et «... » remontant aux années 1980. 
Les demandeurs n'apportaient aucune précision sur l'identité et le nombre des payeurs de commissions, ni sur les comptes des sociétés écrans qui auraient accueilli les prétendues commissions. On ignorait tout des mandats confiés au défunt et des contrats conclus par son intermédiaire, notamment quant à leur date, leur durée et aux commissions qu'ils devaient procurer, étant entendu qu'ils remontaient en tous les cas à trente ans. 
 
5.4.2. La cour d'appel a jugé superflu d'examiner les griefs relatifs au défaut d'allégation et de motivation de la demande. Respectivement, elle a renoncé à trancher « la question de savoir si les allégués [...] étaient suffisamment précis et pertinents » pour servir de fondement à des mesures probatoires. Elle a préféré se placer sur le terrain de l'appréciation anticipée des preuves, tout en traitant néanmoins le grief concernant le manque de précision des allégués concernant ce poste de dommage, que le pemier juge avait déploré. La cour a finalement rejeté le grief, non sans avoir complété l'état de fait.  
Cette démarche n'était pas contradictoire: car les problématiques sont très proches (même si le pouvoir d'examen diffère, puisqu'il est limité à l'arbitraire lorsque la cour de céans revoit l'appréciation des preuves) : l'enjeu consiste finalement à déterminer s'il y avait matière à entreprendre une instruction ou si le juge du fait pouvait légitimement y renoncer. 
 
5.4.3. La cour d'appel a noté que les deux contrats invoqués par les demandeurs pour étayer leur thèse d'un détournement de commissions ne leur étaient d'aucun secours, tout comme la pièce n° 50: outre qu'elle était dépourvue de force probante, elle ne renseignait pas sur le nom des partenaires contractuels du défunt (décédé en 1986), ni sur la durée des contrats (dont on pouvait difficilement admettre qu'ils pussent perdurer au-delà du décès de l'homme d'affaires, comme l'avaient fait remarquer les juges pénaux, réd.). Pour le surplus, les allégués relatifs au nom des sociétés prétendument liées au défunt étaient irrecevables (parce qu'énoncés dans l'écriture tardive du 30 septembre 2018, consid. 5.6.3 infra), et les demandeurs présentaient leur propre lecture des pièces nos 27 et 39; cette dernière consistait dans le rapport d'une société fiduciaire ne livrant aucun nom ou numéro de compte bancaire, sauf dans un cas déjà liquidé par un jugement étranger. Enfin, il était inutile d'évoquer les prétendus liens du défunt avec deux sociétés françaises, à mesure que les demandeurs ne soutenaient pas que celles-ci devaient encore des commissions.  
La cour d'appel a ensuite considéré que par appréciation anticipée des preuves, il était correct de refuser l'audition de témoins. 
 
5.4.4. Cette appréciation convaincante ne heurte certainement pas le sentiment de justice et d'équité. Les demandeurs échouent à insuffler le début d'un sentiment d'arbitraire. Les juges cantonaux pouvaient en particulier invoquer l'inconsistance du dossier constitué (« les éléments recueillis dans le cadre des échanges d'écritures et les nombreuses pièces figurant au dossier ») pour renoncer à entreprendre des investigations supplémentaires, même si les demandeurs feignent de ne pas comprendre ce qu'ils entendaient par là. Le premier point relevé est très proche du problème de l'insuffisance des allégations. A tout le moins faut-il admettre que cet argument résiste parfaitement à l'examen sous l'angle de l'arbitraire.  
Si l'on n'est pas déjà convaincu de la faiblesse de l'argumentation des demandeurs, l'on évoquera encore l'argument phare des juges d'appel: les demandeurs avaient déjà mené de multiples procédures en Suisse et à l'étranger ayant entraîné de nombreuses investigations sur les faits à l'origine du présent litige, lesquelles n'avaient révélé aucun élément servant de fondement à leurs allégations. Plus précisément, les procédures pénales initiées à Genève en raison des manquements dénoncés aussi dans cette action civile s'étaient soldées par des non-lieux. 
Les demandeurs ont beau jeu d'affirmer à l'emporte-pièce que les défendeurs ont été condamnés civilement et pénalement à l'étranger: encore eussent-ils dû citer des passages précis des décisions judiciaires topiques plutôt que de renvoyer en vrac à la lecture des faits ressortant des jugements américains, français et monégasques. Et si les décisions genevoises évoquent bien une série de jugements étrangers, de façon plus détaillée que la cour de céans dans son résumé des faits, on ne saurait y trouver un argument favorable aux demandeurs. Certes, les défendeurs ont effectivement essuyé des condamnations, et la justice américaine a même reproché à la défenderesse d'avoir détourné d'importantes sommes d'argent appartenant au défunt. Cependant, les demandeurs ne contestent pas que les faits sous-tendant cette condamnation étaient sans relation directe avec ceux à l'origine de l'action en responsabilité délictuelle. Ainsi, le simple fait que des comportements critiquables aient été retenus contre les défendeurs dans d'autres affaires ne suffit pas à prouver la thèse défendue par les demandeurs; tout au plus pourrait-il s'agir d'un indice, qui ne s'ajoute en l'occurrence à aucun élément substantiel. Enfin, il est inutile d'évoquer de façon vague l'évolution du secret bancaire: les demandeurs auraient dû préciser quels faits pertinents pour ce poste du dommage auraient pu être mis à jour par de nouvelles mesures probatoires ordonnées après l'évolution du secret bancaire, ce qu'ils se sont bien gardés de faire. 
Les juges genevois ont conclu à bon escient qu'ils ne voyaient guère comment le fait de renouveler des actes d'instruction plus de trente ans après les faits litigieux permettrait d'obtenir des éléments probants. Et ce, d'autant moins que les faits reprochés auraient dû au moins partiellement résulter de pièces qui n'avaient pu jusqu'ici être découvertes, tandis que les demandeurs cherchaient par tous les moyens à faire auditionner leurs témoins. Enfin, l'on ne voit guère comment une confrontation entre les parties, respectivement un interrogatoire des défendeurs, pourrait infléchir le résultat de cette appréciation parfaitement défendable. 
En bref, les demandeurs, indépendamment du bien- ou mal-fondé de leurs soupçons, ne pouvaient pas exiger des juges genevois qu'ils entreprissent une vaine fishing expedition dans l'espoir de découvrir des preuves qu'ils n'avaient jusqu'ici jamais débusquées. Ils préfèrent s'arc-bouter sur de prétendues violations de leur droit d'être entendus plutôt que de démontrer en quoi des mesures probatoires, telle l'audition de l'un ou l'autre témoin, aurait permis de faire jaillir - enfin - une vérité qui n'a jamais pu être déterrée.  
Ils tentent vainement d'exploiter le refus d'auditionner leurs témoins conjugué à une prétendue ignorance de la procédure cantonale pour masquer les failles entachant leurs écritures de première instance et leur dossier. 
 
5.5. Les demandeurs reprochent encore à la Cour de justice d'avoir méconnu la notion de « préjudice difficilement réparable » (art. 319 let. b ch. 2 CPC) lorsqu'elle a écarté leur recours cantonal par arrêt incident du 15 septembre 2017. Ils tentaient alors de contester l'ordonnance du 8 mars 2017 refusant d'auditionner leurs témoins et prescrivant la clôture de l'instruction. Dans le présent recours, les demandeurs soulignent notamment que « nombre de témoins sont âgés ».  
Cela étant, ils n'ont pas renouvelé leur réquisition d'auditionner les témoins proposés, ni critiqué le rejet de la requête à nouveau présentée en appel, de sorte que l'on ne saisit guère le sens du grief. De toute façon, les réflexions qui précèdent sur l'appréciation anticipée des preuves scellent le sort de cette critique. L'on relèvera encore que les demandeurs passent comme chat sur braise sur la possibilité d'obtenir des auditions provisoires ou d'urgence pour parer au soi-disant risque lié au grand âge de certains témoins (cf. arrêt 4A_559/2017 du 20 novembre 2017 consid. 3.2.4). 
 
5.6. C'est donc dans une configuration « classique » que les juges genevois ont jugé tardive la conclusion formulée en USD, et partant irrecevable.  
Pour les demandeurs, cette analyse résulterait tout simplement d'une application arbitraire de l'ancienne procédure cantonale. 
 
5.6.1. Un changement de monnaie dans le libellé des conclusions est une modification de l'objet de l'action (arrêt 4A_514/2013 du 25 avril 2014 consid. 4). Aussi cette problématique relève-t-elle de la procédure.  
 
5.6.2. La première instance était régie par l'ancienne procédure civile genevoise. Ce point n'a échappé ni au premier juge, ni aux magistrats d'appel, n'en déplaise aux demandeurs. Les juges cantonaux n'ont pas ignoré le grief fondé sur un prétendu refus d'appliquer l'ancienne loi procédurale genevoise (aLPC/GE; RS/GE E 1 03) : ils ont rappelé les traits essentiels de cette réglementation en lien avec la problématique du cas d'espèce, puis l'ont appliquée pour aboutir à la même conclusion que le premier juge. Qu'ils n'aient pas expressément rejeté le moyen tiré d'une prétendue violation de l'art. 404 al. 1 CPC ne saurait alimenter le grief de déni de justice. Le juge n'est pas tenu d'aborder en détails tous les arguments soulevés par le justiciable et peut se contenter de rejeter un grief dans les grandes lignes. Evoquer des postulats très vagues selon lesquels l'ancienne procédure genevoise n'imposait pas de fournir des offres de preuve détaillées, ou encore permettait de tenir compte de faits non allégués révélés par des pièces produites n'est d'aucun secours pour les demandeurs: les juges d'appel restaient libres d'exclure sans arbitraire une contravention aux règles de l'ancienne procédure genevoise, laquelle ne permettait qu'à certaines conditions - non réalisées en l'espèce - d'introduire des faits et preuves nouveaux, respectivement des conclusions nouvelles. Le simple fait que les juges d'appel ne soient pas parvenus au résultat espéré par les demandeurs n'est pas la démonstration que le premier juge aurait appliqué à tort le Code fédéral au lieu de l'ancienne procédure genevoise - question qui ne ressortit d'ailleurs plus au problème du prétendu déni de justice.  
 
5.6.3. Les juges d'appel ont constaté qu'aucun élément nouveau n'était survenu ou n'avait été appris après le second échange d'écritures, respectivement après la clôture de l'instruction. Or, selon une analyse dénuée d'arbitraire, il s'agissait d'une condition sine qua non posée par l'ancienne procédure genevoise pour pouvoir introduire des allégués nouveaux assortis de pièces nouvelles, respectivement des conclusions nouvelles. Le simple fait que l'ancienne procédure cantonale fût gouvernée par des principes semblables à l'actuel CPC ne permet pas non plus de suspecter les juges genevois d'avoir appliqué le Code fédéral plutôt que l'ancienne LPC à la phase de première instance.  
Forts du constat qui précède, ces magistrats pouvaient inférer sans arbitraire que les conclusions en USD étaient tardives, et partant irrecevables (à l'instar des conclusions en reddition de comptes prises dans l'écriture du 30 septembre 2018). De même, cette écriture devait être écartée en tant qu'elle tentait d'introduire des allégués et pièces nouvelles sans satisfaire à la condition précitée. Le simple revirement sur la question des enquêtes (refus d'auditionner les témoins, en vertu d'une appréciation anticipée exempte d'arbitraire) ne pouvait en rien « autoriser » une écriture déposée après le double échange d'écritures sans qu'un élément nouveau ne la justifiât. Enfin, rien n'indique que l'instruction aurait été réouverte ou aurait dû l'être. 
Pour les mêmes motifs, il n'y a pas matière à retenir une violation de l'art. 317 CPC (sachant que les demandeurs ont reformulé cette conclusion dans leur appel, en vain). 
 
5.7. On ne voit pas en quoi le droit fédéral serait violé par le constat selon lequel la prétention avait été libellée erronément en francs suisses. Si le brouillard règne en grande partie sur la thèse censée fonder une prétention initialement chiffrée à 53 millions CHF, il n'apparaît en tout cas pas que le défunt aurait dû toucher des commissions en francs suisses, ni qu'elles auraient été entreposées sur des comptes bancaires tenus en francs suisses, par exemple. L'arrêt attaqué affirme, sans être critiqué sur ce point, que les demandeurs ont allégué avoir subi un dommage en dollars américains, ce qui leur a fait dire que cette devise s'appliquait aussi à la dette. Semblable déduction n'est pas critiquable (voir au surplus ATF 137 III 158 consid. 3.2.2; 149 III 54 consid. 5.1.2; arrêt 4A_294/2020 du 14 juillet 2021 consid. 4.1.2.1.3).  
Et les demandeurs ne prétendent pas non plus que la procédure genevoise eût permis au juge de s'écarter des conclusions et d'allouer une somme dans une autre monnaie que celle qui avait été réclamée. 
Attendu que les conclusions avaient été faussement formulées en francs suisses et liaient le juge genevois, celui-ci n'avait d'autre issue que de rejeter ce poste de la demande (ATF 149 III 54 consid. 5.2; 134 III 151 consid. 2.4; arrêts 4A_200/2019 du 17 juin 2019 consid. 5; 4A_206/2010 du 15 décembre 2010 consid. 4). 
 
5.8. En bref, le rejet de la seconde prétention des demandeurs ne contrevient pas au droit fédéral.  
 
III. Autres griefs.  
 
6.  
 
6.1. Les considérations qui précèdent privent d'objet le grief tiré de la prétendue violation de l'art. 311 al. 1 CPC. En tant qu'il cible expressément le passage du jugement où le premier juge fustigeait l'insuffisance des allégations concernant la défenderesse, ce grief peu clair ne présente plus d'enjeu pour l'issue de la cause.  
 
6.2. Les demandeurs ont aussi dénoncé une violation de leur droit à la réplique.  
L'expression ne saurait instiller le doute: la première instance a bel et bien ordonné un second échange d'écritures qui a conduit les demandeurs à déposer une réplique. Cela étant, la cour d'appel a admis qu'ils avaient été privés indûment du droit de se déterminer à propos d'un courrier rédigé par les parties adverses le 9 février 2017: elles s'y prononçaient sur la liste des témoins déposée et invitaient le juge à trancher l'une ou l'autre question préliminaire plutôt que d'entreprendre une instruction longue et coûteuse. 
L'autorité d'appel a constaté la violation du droit d'être entendu mais a expliqué de façon circonstanciée et convaincante qu'il n'y avait pas matière à annuler le premier jugement. Il suffira de renvoyer à ces considérants (arrêt, p. 27-28) pour conclure à l'inanité du grief. En particulier, les demandeurs ne contestent pas de façon convaincante que la Cour de justice a efficacement réparé le vice, si tant est que leur mince motivation à ce sujet soit recevable. Techniquement, les juges d'appel étaient bel et bien en droit de considérer que les arguments brandis par les demandeurs étaient impropres à modifier la décision de renoncer à des investigations supplémentaires et de clôturer l'instruction. 
 
IV. Griefs visant les frais et dépens.  
Les demandeurs décochent encore une série de critiques contre des décisions sur les frais et dépens prises dans l'arrêt final sur appel et dans trois décisions incidentes antérieures. 
 
7.  
Tout d'abord, ils contestent l'émolument fixé pour les frais de première instance, que la Cour de justice avait déjà réduit de 200'000 fr. à 120'204 fr. 50. 
 
7.1. Rappelant que l'émolument judiciaire est une contribution causale soumise au principe de l'équivalence, ils déplorent une violation de l'art. 5 Cst. conjuguée à une application arbitraire du droit cantonal.  
Force est d'admettre que la prétendue violation de ces droits fondamentaux n'est pas motivée avec la précision requise en la matière (art 106 al. 2 LTF). 
 
7.2. Les juges genevois auraient dû faire primer l'art. 23 aRTGMC (ancien règlement fixant le tarif des greffes en matière civile), si bien que l'émolument n'aurait dû atteindre que 40'000 fr. « au maximum, sous peine d'arbitraire ».  
Il suffit de renvoyer à l'arrêt attaqué, dans lequel les juges expliquent que cette disposition tarifaire « n'est d'aucune utilité » car elle vise le cas de retrait d'une demande, l'irrecevabilité, la transaction, etc. Indépendamment de sa recevabilité, le moyen est manifestement mal fondé. 
 
7.3. Le Tribunal de première instance aurait « forcément » intégré les frais pris en compte par le législateur pour la conduite des enquêtes, les demandeurs tiennent à rappeler que la procédure a connu de nombreux temps morts en raison de divers incidents de procédure.  
La cour cantonale a effectivement précisé que la procédure avait duré près de neuf ans, pour ajouter dans la foulée qu'elle avait impliqué de nombreuses opérations pour le greffe et les magistrats. On ne discerne là aucune trace d'arbitraire. 
Quant au grief d'intégration indue des frais d'enquêtes, il apparaît incongru, sachant que la cour d'appel a précisément soutenu le contraire, précisant tenir compte du fait que le tribunal avait finalement renoncé à ordonner des mesures probatoires. Les demandeurs n'apportent pas la démonstration circonstanciée que ces propos n'auraient pas été mis en pratique. 
 
8.  
Les demandeurs s'en prennent ensuite aux dépens de première instance, réduits par la cour d'appel de 578'000 fr. à 250'000 fr. 
 
8.1. On croit comprendre de leur motivation qu'ils souhaiteraient encore les faire abaisser à 50'000 fr. De toute façon, le grief est mal fondé.  
 
8.2. La Cour de justice aurait « indûment limité son pouvoir d'examen ».  
De fait, la cour a reproché au premier juge d'avoir « versé dans l'arbitraire » en fixant l'indemnité à 578'000 fr.. Si l'expression peut interpeller, on la retrouve dans la doctrine (BERTOSSA ET ALII, Commentaire de la loi de procédure civile du canton de Genève, 2007, vol. II, n° 4 ad art. 181 LPC). La fixation des dépens relève de l'appréciation, matière dans laquelle le juge jouit d'une grande liberté. Lorsqu'il excède celle-ci, le Tribunal fédéral préfère parler d'abus du pouvoir d'appréciation ou de dépassement de la marge d'appréciation. Ceci dit, la cour cantonale avait indiqué en préambule de ses considérants juridiques qu'elle statuait avec un plein pouvoir d'examen en fait et en droit, et l'on ne voit pas qu'elle aurait indûment restreint son pouvoir sur cette question précise. D'autant moins qu'elle a annoncé fixer un nouveau montant « adéquat et équitable », comme le prescrivait l'art. 181 al. 3 aLPC/GE qui renvoyait à l'équité. 
 
8.3. Sans repères particuliers quant au travail fourni par les avocats de la défense, on ne voit pas ce qui permettrait de qualifier cette indemnité de disproportionnée.  
Il est vain de se référer au jugement du 17 décembre 2012, au terme duquel le Tribunal de première instance avait alloué 50'000 fr. de dépens aux défendeurs. Car cette décision, rendue à un stade antérieur de la procédure qu'elle était censée terminer par admission de l'exception d'incompétence, a été annulée à la suite d'un arrêt fédéral (arrêt 4A_28/2014 du 10 décembre 2014), de sorte qu'elle ne saurait servir d'étalonnage pour l'indemnité octroyée à l'issue d'un procès qui s'est finalement déroulé entièrement (même si le Tribunal a renoncé à auditionner les témoins proposés). 
Pour le surplus, l'ancien art. 181 al. 3 aLPC/GE évoquait bel et bien une « indemnité de procédure » dont la doctrine indique qu'elle était censée couvrir les honoraires de l'avocat mandaté par la partie victorieuse (BERTOSSA ET ALII, ibidem). Sur ce point non plus, l'on ne discerne dans le recours aucune critique dûment motivée d'une application arbitraire du droit cantonal.  
 
9.  
Les demandeurs contestent ensuite des décisions sur les frais et dépens prises dans trois arrêts incidents rendus par la Cour de justice. 
Tout d'abord, ils critiquent les dépens de 1'500 fr. qui leur ont été alloués dans l'arrêt du 26 juin 2015, consécutif à l'arrêt de renvoi précité du Tribunal fédéral. En raison de celui-ci, la Cour de justice avait finalement dû admettre l'appel des demandeurs et annuler le jugement du 17 décembre 2012. 
Les demandeurs font observer que la Cour de justice avait initialement rejeté leur appel en allouant 40'000 fr. de dépens au camp adverse. Comme ils ont finalement obtenu gain de cause, ils ne comprennent pas pour quelle raison l'indemnité qui leur est allouée n'est que de 1'500 fr. alors qu'elle devrait également atteindre 40'000 fr. 
Les défendeurs indiquent la solution en pointant le considérant topique de l'arrêt incident (consid. 5) : comme la cause devait être renvoyée au premier juge, aucune des parties n'obtenait gain de cause en l'état, ni sur le fond, ni sur la recevabilité. L'issue du litige restant ouverte, la Cour de justice réservait les frais et dépens de première instance, qui seraient tranchés dans le jugement à intervenir après cet arrêt de renvoi. Les demandeurs n'ont pas commenté cette motivation. 
Dans ces circonstances et à défaut de plus amples indications, l'on ne discerne aucune violation du CPC, ni aucune application arbitraire du tarif cantonal. 
 
10.  
 
10.1. Les demandeurs critiquent ensuite les dépens de 2'000 fr. qu'ils ont été condamnés à verser à l'issue de l'arrêt du 15 septembre 2017.  
Ils ont omis de prendre formellement une conclusion subsidiaire pour le cas (avéré) où la cour de céans laisserait intact cet arrêt incident (consid. 5.5 supra). Toutefois, la lecture de la motivation permet de suppléer à ce manque.  
 
10.2. Les demandeurs critiquent le fait que les dépens incluent la TVA alors que les défendeurs étaient domiciliés à l'étranger. Dans son arrêt final du 28 avril 2021, la cour cantonale a considéré que les défendeurs avaient droit à des dépens de première instance et d'appel sans TVA puisqu'ils étaient domiciliés à l'étranger (cf. arrêt 4A_623/2015 du 3 mars 2016 et art. 8 al. 1 LTVA, RS 641.20). Or, l'arrêt du 15 septembre 2017 ( rubrum) retient les mêmes domiciles à l'étranger pour les défendeurs, qui s'en remettent prudemment à justice sur ce grief. D'après la LTVA en vigueur en septembre 2017, le taux normal était alors de 8 % (art. 25 al. 1 aLTVA). Il faut donc réduire les dépens de 2'000 fr. puisqu'ils ont été majorés indûment de la TVA. L'on aboutit au montant arrondi de 1'850 fr.  
 
11.  
Les demandeurs critiquent encore la décision sur les frais et dépens prise dans l'arrêt du 6 juillet 2020. 
 
11.1. Les défendeurs avaient déposé une requête de sûreté en garantie des dépens d'appel et réclamé la consignation de 578'000 fr. Les juges d'appel n'y ont fait droit qu'à hauteur de 10'000 fr. Considérant qu'aucun camp n'était entièrement victorieux, les juges ont réparti les frais de l'appel incident à parts égales entre les deux fronts et ont considéré que les dépens étaient entièrement compensés.  
 
11.2. Le CPC aurait été violé car les parties adverses n'ont finalement obtenu que le 1,7 % de leur conclusion.  
En réalité, du moment que les défendeurs l'avaient emporté sur le principe même de leur requête, une répartition des frais et dépens à 50 % - 50 %, s'écartant du pur sort mathématique des conclusions, ne dénote pas un excès du vaste pouvoir d'appréciation des juges. Partant, il ne saurait être question de violation du CPC, et encore moins d'application arbitraire du tarif cantonal, qui ne régit pas cette pure question de répartition. 
 
12.  
 
12.1. Les demandeurs contestent enfin le montant des frais d'appel contre la décision finale, arrêtés à 80'000 fr.  
S'ils n'ont pris aucune conclusion formelle sur ce point, ils ont indiqué dans leur motivation qu'un montant supérieur à 40'000 fr. ne serait pas défendable, ce qui est suffisant. De toute façon, le moyen est lui aussi infondé. 
 
12.2. Les frais d'appel ont été fixés à 80'000 fr. « compte tenu de la valeur litigieuse, de la pluralité de parties et de l'ampleur du travail que le dossier a impliqué, notamment en raison du caractère prolixe des écritures des appelants ».  
 
12.3. Ce dernier critère contreviendrait au droit fédéral.  
Rien n'indique cependant que les frais litigieux renfermeraient une composante punitive pour l'écriture « prolixe ». L'appel principal s'étendait sur 65 pages et le travail occasionné constitue l'un des critères pertinents de fixation des frais, comme le souligne notamment le tarif cantonal cité par les demandeurs. Or, il est clair qu'un mémoire bénéficiant de l'esprit de synthèse de son auteur facilite la tâche des magistrats, tandis qu'une écriture touffue augmente leur charge de travail. En tenir compte ne contrevient ni au droit fédéral, ni au droit genevois (sous l'angle de l'arbitraire). L'on ne voit pas non plus en quoi l'émolument d'appel, dans son résultat, pourrait heurter le Code fédéral, respectivement dénoter une application arbitraire du tarif genevois, et ce n'est pas la manière succincte dont le grief est motivé qui parviendra à convaincre du contraire. En bref, ce dernier grief ne peut qu'être rejeté dans la mesure de sa recevabilité. 
 
V. Nouvelle composition du tribunal.  
 
13.  
L'on cherchera en vain dans le recours une motivation qui puisse étayer la conclusion tendant à ce que la cause soit retournée au Tribunal de première instance « dans une nouvelle composition impartiale ». L'on comprend, aux traits décochés dans le recours et évoqués dans l'arrêt sur appel, que les demandeurs en veulent au « nouveau » juge de première instance qui a révoqué l'ordonnance du 13 décembre 2016 et renoncé à entendre les témoins proposés. Ils l'accusent aussi de n'avoir pas pris connaissance du dossier et d'avoir méconnu l'ancienne procédure cantonale qu'il n'aurait jamais appliqué de son vivant. Toutefois, les juges d'appel ont relevé que l'ordonnance révocatoire était due en partie au dépôt d'une liste de seize témoins, revirement qu'ils ont motivé de façon convaincante, étant entendu qu'une divergence de vue entre magistrats dans l'appréciation anticipée des preuves ne saurait en aucun cas être l'indice d'une partialité. Qui plus est, le justiciable ne pourrait obtenir la récusation d'un magistrat pour le seul motif qu'il n'a jamais appliqué une loi, sans quoi le juge suisse ne pourrait plus appliquer le droit étranger comme il est parfois appelé à le faire. En bref, l'on ne discerne pas le début d'un indice du bien-fondé des accusations portées contre le magistrat de première instance. De toute façon, la cour de céans n'a pas à traiter d'une conclusion non motivée, ce qui épargne de plus amples commentaires. 
 
VI. Conclusion.  
 
14.  
En définitive, le recours n'est admis que sur un point mineur concernant des dépens sur un appel incident (1'850 fr. en lieu et place de 2'000 fr., consid. 10.2 supra). Au surplus, il est rejeté dans la mesure où il est recevable.  
Partant, les frais judiciaires afférents à la présente procédure seront entièrement mis à la charge des demandeurs, à parts égales et solidairement (art. 66 al. 1 et 5 LTF). Ceux-ci devront en outre solidairement indemniser le camp adverse pour ses frais d'avocat (art. 68 al. 1, 2 et 4 LTF). Cette indemnité sera payée au moyen des sûretés fournies en application de l'art. 62 al. 2 LTF. L'on peut faire abstraction du très maigre succès obtenu sur l'intégration erronée de la TVA dans des dépens alloués aux défendeurs: la réduction obtenue est des plus modestes et sans pertinence au regard de la valeur litigieuse totale. 
 
 
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :  
 
1.  
Le recours est admis très partiellement et l'arrêt incident du 15 septembre 2017 (ACJC/1155/2017) est réformé, en ce sens que B.________ et A.________ sont condamnés solidairement à verser la somme de 1'850 fr. à titre de dépens de recours à Y.________ et Z.________, pris solidairement. 
Pour le surplus, le recours est rejeté dans la mesure où il est recevable. 
 
2.  
Un émolument judiciaire de 195'000 fr. est mis à la charge des recourants, solidairement entre eux. 
 
3.  
Les recourants sont condamnés solidairement à verser des dépens de 250'000 fr. aux intimés, créanciers solidaires. Cette indemnité sera payée au moyen des sûretés déposées à la Caisse du Tribunal fédéral. 
 
4.  
Le présent arrêt est communiqué aux parties et à la Cour de justice du canton de Genève. 
 
 
Lausanne, le 5 juillet 2023 
 
Au nom de la Ire Cour de droit civil 
du Tribunal fédéral suisse 
 
La Présidente : Jametti 
 
La Greffière : Monti