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Bundesgericht 
Tribunal fédéral 
Tribunale federale 
Tribunal federal 
 
 
 
 
9C_14/2023  
 
 
Arrêt du 21 novembre 2023  
 
IIIe Cour de droit public  
 
Composition 
MM. et Mmes les Juges fédéraux Parrino, Président, 
Stadelmann, Moser-Szeless, Beusch et Scherrer Reber. 
Greffier : M. Bürgisser. 
 
Participants à la procédure 
Administration fiscale cantonale du canton de Genève, rue du Stand 26, 1204 Genève, 
recourante, 
 
contre  
 
A.________ AG, 
représentée par Finditer Treuhand AG, 
intimée, 
 
Kantonales Steueramt Zürich, 
Dienstabteilung Recht, Bändliweg 21, 8090 Zürich. 
 
Objet 
Impôts cantonaux et communaux du Canton de Genève, périodes fiscales 2011 à 2013, 
 
recours contre l'arrêt de la Cour de justice de la République et canton de Genève du 15 novembre 2022 (A/3361/2020-ICC - ATA/1158/2022). 
 
 
Faits :  
 
A.  
 
A.a. A.________ AG (ci-après: la contribuable ou la société) est une société anonyme dont le siège se situe dans le canton de Zurich et qui dispose de succursales dans plusieurs cantons, dont celui de Genève. Elle a notamment pour but la vente et la location de (...).  
 
A.b. Par bordereaux de taxation relatifs aux impôts cantonaux et communaux (ci-après: ICC) datés respectivement du 6 décembre 2012 (période fiscale 2011), 5 mars 2014 (période fiscale 2012) et 28 mai 2015 (période fiscale 2013, après réclamation), l'Administration fiscale cantonale du canton de Genève (ci-après: l'Administration fiscale genevoise) a fixé le bénéfice net et le capital propre de la contribuable, ainsi que le montant des impôts correspondant. Ces décisions sont entrées en force.  
 
A.c. Le 25 juillet 2016, l'Administration fiscale zurichoise (Kantonales Steueramt Zürich) a informé l'Administration fiscale genevoise avoir procédé à des corrections dans la détermination du bénéfice imposable et de la répartition intercantonale de la contribuable. Par courrier du 19 septembre 2016, l'Administration fiscale genevoise a reçu copie de la décision de taxation 2013 (datée du 1 er septembre 2016) de la part de l'Administration fiscale zurichoise concernant la contribuable.  
Le 13 janvier 2017, A.________ AG a informé l'Administration fiscale genevoise avoir reçu du canton de Zurich des taxations la concernant pour les années 2011 à 2013, dont elle a joint une copie. Elle l'a invitée à lui retourner dans les meilleurs délais des "décisions de taxation finales" tenant compte des décisions de taxation provenant du canton de Zurich. 
 
A.d. Trois ans plus tard, soit le 25 mai 2020, l'Administration fiscale genevoise a informé la société de l'ouverture d'une procédure en rappel d'impôt et soustraction pour les années 2011 à 2013, à la suite des informations transmises par l'Administration fiscale zurichoise. A cette occasion, elle a également mentionné les nouveaux montants imposables relatifs au bénéfice et au capital propre retenus.  
En l'absence de réaction de la part de A.________ AG, l'Administration fiscale genevoise a émis le 17 juillet 2020 des bordereaux de rappel d'impôt. Elle a fixé à nouveau pour les périodes 2011 à 2013 la part du bénéfice net imposable et du capital propre attribués au canton de Genève, en fonction des montants retenus par l'Administration fiscale zurichoise. Par décisions du même jour relatives aux années 2011 à 2013, elle a infligé à la contribuable une amende pour chaque période fiscale, dont la quotité a été fixée à 1 /3 du supplément d'impôt.  
Statuant sur réclamation le 24 septembre 2020, l'Administration fiscale genevoise a maintenu les reprises et les amendes y relatives. 
 
B.  
 
B.a. Par jugement du 20 décembre 2021, le Tribunal administratif de première instance de la République et canton de Genève (ci-après: le TAPI) a rejeté le recours de la contribuable.  
 
B.b. Statuant par arrêt du 15 novembre 2022, la Cour de justice de la République et canton de Genève, Chambre administrative (ci-après: la Cour de justice), a admis le recours de A.________ AG. Elle a annulé le jugement précité, les bordereaux de rappel d'impôt et d'amende du 17 juillet 2020, ainsi que la décision sur réclamation du 24 septembre 2020.  
 
C.  
Agissant par la voie du recours en matière de droit public, l'Administration fiscale genevoise conclut à l'annulation de l'arrêt de la Cour de justice du 15 novembre 2022 et à la confirmation du jugement du TAPI du 20 décembre 2021 et de sa décision sur réclamation du 24 septembre 2020. 
A.________ AG conclut au rejet du recours. L'Administration fiscale zurichoise et l'Administration fédérale des contributions ont renoncé à se déterminer. 
 
 
Considérant en droit :  
 
1.  
L'arrêt attaqué a été rendu en dernière instance cantonale par un tribunal supérieur (art. 86 al. 1 let. d et al. 2 LTF), dans une cause de droit public (art. 82 let. a LTF) qui ne tombe pas sous le coup des exceptions de l'art. 83 LTF. La voie du recours en matière de droit public est donc ouverte (cf. aussi l'art. 73 al. 1 de la loi fédérale du 14 décembre 1990 sur l'harmonisation des impôts directs des cantons et des communes [LHID; RS 642.14]). 
 
2.  
Saisi d'un recours en matière de droit public, le Tribunal fédéral applique le droit d'office (art. 106 al. 1 LTF). Il conduit son raisonnement juridique sur la base des faits établis par l'autorité précédente (art. 105 al. 1 LTF), sous réserve des cas prévus à l'art. 105 al. 2 LTF (ATF 142 I 155 consid. 4.4.3). La partie recourante ne peut critiquer les constatations de fait ressortant de la décision attaquée que si celles-ci ont été effectuées en violation du droit au sens de l'art. 95 LTF ou de manière manifestement inexacte, c'est-à-dire arbitraire, et si la correction du vice est susceptible d'influer sur le sort de la cause (art. 97 al. 1 LTF; ATF 148 I 160 consid. 3). 
 
3.  
 
3.1. Le litige porte sur le point de savoir si la Cour de justice a considéré à bon droit que la recourante ne pouvait pas procéder à l'ouverture d'une procédure en rappel d'impôt et en soustraction à l'encontre de l'intimée pour les ICC des années 2011 à 2013, dès lors qu'elle ne s'était pas coordonnée avec l'administration fiscale du canton du siège de la société.  
 
3.2. La juridiction cantonale a constaté que l'Administration fiscale genevoise avait rendu ses décisions de taxation des années 2011 à 2013 (devenues définitives respectivement les 6 décembre 2012, 5 mars 2014 et 28 mai 2015) avant même que l'Administration fiscale zurichoise n'eût rendu les siennes pour les exercices correspondants. De plus, dans le cadre des procédures de taxation, l'Administration fiscale genevoise n'avait pas demandé le moindre renseignement à l'Administration fiscale zurichoise, pourtant "directrice de facto" de la procédure, quant à l'avancement ou les éventuels "problèmes" de sa procédure de taxation. Or et conformément à la jurisprudence, notamment publiée aux ATF 139 I 64, la recourante avait fait le choix de procéder à une taxation définitive en lieu et place d'une taxation provisoire, de sorte qu'elle devait renoncer à la possibilité de percevoir un rappel d'impôt en cas de résultat divergeant de la "taxation zurichoise". En outre, il appartenait à l'administration du canton du domicile secondaire de se coordonner avec celle du domicile principal. En conséquence, on ne pouvait pas exiger de la contribuable qu'elle agisse par la voie de la réclamation pour demander que soit établie une taxation provisoire dans le canton de Genève, dans l'attente de la clôture de la procédure par le canton de Zurich.  
 
3.3. A l'encontre de ce raisonnement, la recourante fait notamment valoir que la Cour de justice se serait fondée à tort sur l'arrêt publié aux ATF 139 I 64. Cet arrêt concernerait en effet l'interdiction de la double imposition intercantonale, qui n'était pas en cause en l'espèce. En outre, la jurisprudence précitée aurait "matériellement pour effet de subordonner les taxations définitives 2011 à 2013" du canton de Genève à l'entrée en force des décisions de taxation rendues pour la même période par l'Administration fiscale zurichoise, ce qui serait contraire au droit de chaque canton de conduire sa propre procédure de taxation. L'application de cet arrêt rendrait en outre impossible celle des règles sur le rappel d'impôt dans tous les cas où le canton de Genève constituerait un for d'imposition secondaire du contribuable. En outre, si le droit genevois prévoyait bien que l'Administration fiscale puisse effectuer une taxation provisoire, la durée de validité d'une telle taxation était limitée dans le temps à un an; à défaut de procéder à une taxation définitive dans ce laps de temps, celle-ci devenait définitive. Or l'exigence de rendre une taxation provisoire ne constituerait pas une solution adéquate, puisque le canton de Genève demeurerait tributaire de la "vitesse de taxation du canton du siège".  
 
3.4. Pour sa part, la contribuable relève que l'ATF 139 I 64 est clair, de sorte que tout rappel d'impôt est en l'espèce exclu. En outre, même à supposer que l'Administration fiscale genevoise fût fondée à ouvrir une procédure en rappel d'impôt et en soustraction après avoir pris connaissance des éléments contenus dans les décisions de taxation du canton de Zurich, les conditions pour ouvrir de telles procédures ne seraient de toute façon pas remplies. En effet, l'Administration fiscale genevoise aurait dû communiquer avec le canton du siège et attendre ses décisions ou instruire davantage. Or en renonçant à procéder à des investigations plus poussées, elle avait "failli à son devoir".  
 
4.  
 
4.1. De manière générale, on rappellera que les personnes morales sont assujetties à l'impôt dans un canton à raison d'un rattachement personnel lorsqu'elles y ont leur siège ou leur administration effective (cf. art. 20 al. 1 LHID) et sont aussi assujetties dans un autre canton si elles y remplissent un critère de rattachement économique à l'impôt, ce qui est notamment le cas si elles y exploitent un établissement stable (cf. art. 21 al. 1 let. b LHID). Dans une telle situation intercantonale, la procédure de taxation ne se déroule pas seulement dans le canton du siège, mais aussi dans l'autre canton (cf. art. 2 al. 1 de l'ordonnance du 9 mars 2001 sur l'application de la loi fédérale sur l'harmonisation des impôts directs dans les rapports intercantonaux [RS 642.141; ci-après: ordonnance d'application de la LHID]). Dans chaque canton, la procédure de taxation se déroule en application des dispositions cantonales calquées sur les art. 39 ss LHID (cf. art. 2 al. 4 de l'ordonnance d'application de la LHID). L'autre canton est donc (aussi) habilité à contrôler la déclaration d'impôt et à procéder aux investigations nécessaires (cf. art. 46 al. 1 LHID). Selon la Circulaire CI 16 de la Conférence suisse des impôts du 31 août 2001, pour les personnes morales, c'est en principe le canton du siège ou de l'administration effective qui le premier procède à la taxation et établit la proposition de répartition en faveur des cantons où l'entreprise a un établissement stable ou des immeubles de placement. Ce canton effectue les opérations de contrôle de la déclaration et d'éventuelles corrections. Sur cette base, il établit sa taxation et, à l'attention des autres cantons, une proposition de répartition intercantonale (CI 16, ch. 22).  
 
4.2. En l'espèce, il n'est pas contesté que la contribuable, qui a son siège dans le canton de Zurich, est également assujettie à raison d'un rattachement économique dans le canton de Genève puisqu'elle y exploite une succursale. Dès lors, les deux cantons étaient compétents pour procéder à une taxation relative aux éléments imposables sur lesquels ils exercent une souveraineté fiscale. Est en revanche controversé le point de savoir si le canton de Genève, canton "secondaire", était en droit, après qu'il a rendu des taxations définitives pour les périodes 2011 à 2013 avant le canton de Zurich, canton du siège (ou canton "principal"), de revenir sur ses décisions par le biais d'un rappel d'impôt en raison des éléments ressortant des données communiquées par l'Administration fiscale zurichoise et la taxation correspondante.  
 
4.2.1. En ce qui concerne les règles applicables au rappel d'impôt, l'art. 59 al. 1 de la loi genevoise du 4 octobre 2001 de procédure fiscale (LPFisc; RS/GE D 3 17) prévoit que "lorsque des moyens de preuve ou des faits jusque-là inconnus du département lui permettent d'établir qu'une taxation n'a pas été effectuée, alors qu'elle aurait dû l'être, ou qu'une taxation entrée en force est incomplète, ou qu'une taxation non effectuée ou incomplète est due à un crime ou un délit commis contre le département, ce dernier procède au rappel de l'impôt qui n'a pas été perçu, y compris les intérêts". Cette disposition est similaire à l'art. 53 al. 1 LHID; ces deux articles correspondent du reste à l'art. 151 al. 1 LIFD (RS 642.11; arrêt 2C_60/2020 du 27 avril 2021 consid. 7.1 et la référence). La disposition de droit cantonal et celle de droit harmonisé doivent en outre être interprétées conformément à la disposition applicable en matière d'IFD, en vertu du principe de l'harmonisation verticale (cf. arrêt 2C_263/2018 du 11 février 2019 consid. 2).  
 
4.2.2. L'arrêt appliqué par la juridiction cantonale et invoqué par la recourante (ATF 139 I 64) concernait une problématique d'interdiction de la double imposition intercantonale impliquant un contribuable domicilié dans le canton d'Obwald, propriétaire d'un immeuble dans le canton de Bâle-Campagne et exerçant une activité lucrative indépendante dont les deux cantons entendaient imposer les revenus. Le Tribunal fédéral y a notamment jugé ce qui suit. Introduit sur la base des art. 39 al. 2 et 74 LHID, l'art. 2 al. 3 de l'ordonnance d'application de la LHID prévoit que l'autorité fiscale du canton de domicile ou de siège doit communiquer gratuitement aux autorités fiscales des autres cantons sa taxation fiscale, y compris la répartition fiscale intercantonale et les éventuelles divergences par rapport à la déclaration d'impôt. En raison de cette obligation de déclarer, le domicile fiscal principal se voit attribuer "de facto un rôle de direction". Dans le contexte actuel de la taxation marqué par le traitement électronique des données et autres moyens de communication, il est précisément indiqué de rechercher le contact dans un cas d'activité lucrative hors canton, déjà avant de rendre la décision de taxation. Si le canton du domicile accessoire procède à la taxation avant que le canton du domicile fiscal principal n'ait rendu sa propre décision de taxation (conformément à la pratique en vigueur), il ne peut le faire que sur une base provisoire (cf. art. 162 LIFD). Sinon, dans l'éventualité où la taxation du domicile fiscal principal diffère de la taxation définitive effectuée par le canton du domicile accessoire, la possibilité de procéder à un rappel d'impôt disparaît (ATF 139 I 64 consid. 3.6 et la référence à l'arrêt 2A.585/2005 du 8 mai 2006 consid. 3.4.2, in StE 2007 B 97.41 n° 19).  
 
5.  
 
5.1. Quoi qu'en dise la recourante, l'application du principe de la déchéance du droit du canton de domicile secondaire de procéder à un rappel d'impôt dans certaines circonstances, posé par l'arrêt 2A.585/2005 cité et confirmé par l'ATF 139 I 64, ne saurait être niée du seul fait qu'aucune question concrète de double imposition intercantonale ne se poserait en tant que telle. Il suffit qu'entre en ligne de compte l'assujettissement du contribuable à l'impôt dans plusieurs cantons, ce qui requiert une certaine coordination entre eux dans leurs relations intercantonales, et que soient donc impliqués un canton principal et un canton secondaire.  
Cependant, cet arrêt, en tant qu'on peut en déduire que le canton de taxation accessoire (ici le canton de Genève) perd d'emblée le droit de procéder à un rappel d'impôt lorsqu'il a rendu une décision de taxation définitive sans attendre celle du canton du siège (ici le canton de Zurich) et prend connaissance d'éléments pour lui inconnus à l'issue de la procédure de taxation du canton principal, ne peut être maintenu pour les motifs qui suivent (sur les conditions d'un changement de jurisprudence, cf. ATF 149 III 28 consid. 6.2.3.1; 147 IV 274 consid. 1.4; 139 V 307 consid. 6.1). 
 
5.2.  
 
5.2.1. En premier lieu, l'importance du rôle de "canton leader" et de coordinateur rappelée dans l'ATF 139 I 64, qui se déduit notamment de l'art. 39 al. 2 LHID, a été nuancée par la jurisprudence récente. Le Tribunal fédéral a en effet considéré (notamment en se référant à l'ATF 139 I 64) que si l'art. 39 al. 2 LHID prévoit certes que le canton du siège porte sa taxation à la connaissance de l'autre canton - lui conférant de la sorte ce rôle de canton "leader" - cette taxation du canton du siège n'a toutefois pas pour effet de contraindre l'autre canton à se rallier à sa position. Dès lors, chaque canton reste habilité à effectuer sa propre appréciation des faits et à procéder ensuite à sa propre taxation et à sa propre répartition (arrêts 9C_674/2022 du 12 avril 2023 consid. 7.3; 2C_1026/2021 du 21 décembre 2022 consid. 4.1 et les références).  
A la lumière de ce qui précède, on constate que le principe de la déchéance automatique du droit de procéder à un rappel d'impôt selon l'ATF 139 I 64 interfère dans la compétence du canton secondaire, puisqu'il revient indirectement à lui imposer d'attendre que soit rendue la taxation définitive du canton principal avant de rendre sa propre décision de taxation. Or ni l'art. 39 LHID, ni l'art. 2 de l'ordonnance d'application de la LHID n'imposent une telle démarche. 
 
5.2.2. Dans ce cadre, une partie de la doctrine remet en cause l'ATF 139 I 64. Elle considère que le principe péremptoire déduit de cet arrêt ne saurait être appliqué lorsque, par exemple, des éléments imposables dans le cadre d'une activité lucrative indépendante ne figurent pas dans les documents remis par le contribuable au canton de taxation secondaire (comme par exemple des revenus en espèce qui n'auraient pas été déclarés) ou que l'insuffisance de taxation dans ce canton n'apparaît pas manifeste (OLIVIER MARGRAF, Interkantonales Verfahrensrecht der direkten Steuern, 2023, pp. 193 et 194). En outre, pour certains auteurs, le concept même de taxation provisoire n'est pas clair et devrait même être écarté ("scharf abzulehnen"); il ne peut se rapporter, à défaut d'une disposition légale, qu'à une évaluation qui n'est pas encore entrée en force de chose décidée. Or l'administration fiscale cantonale ne peut pas empêcher l'entrée en force de son prononcé, une fois qu'elle a décidé. Il ne serait dès lors pas possible de comprendre comment l'autorité fiscale du domicile secondaire serait en mesure, pour ne pas perdre l'option d'une procédure en rappel d'impôt, de maintenir le statut "provisoire" de sa décision jusqu'au prononcé de la décision de taxation du canton "leader". Une révision de cette décision provisoire ne serait du reste pas possible puisque le caractère définitif de celle-ci fait précisément défaut. De plus, la référence de l'ATF 139 I 64 à l'art. 162 LIFD n'est pas convaincante, puisque cette disposition se réfère à la procédure de perception de l'impôt et non à celle de la taxation. Or l'art. 162 LIFD ne permettrait pas de rendre une décision de taxation provisoire (qui n'est du reste pas prévu par la LIFD), mais uniquement de percevoir provisoirement l'impôt. De même, la LHID ne connaîtrait pas l'institution de la décision provisoire (FELIX RICHNER/WALTER FREI/STEFAN KAUFMANN/TOBIAS F. ROHNER, Kommentar zum Zürcher Steuergesetz, 4e éd., 2021, n° 3a ad § 126 StG/ZH et n° 28 ad § 160 StG/ZH).  
La critique des auteurs cités peut précisément être illustrée par la situation selon le droit cantonal genevois, qui prévoit qu'une taxation provisoire a une durée limitée dans le temps. S'agissant du canton de Genève, l'art. 38 al. 1 LPFisc permet qu'une taxation provisoire soit effectuée sur la base des éléments déclarés, sans modification. Toutefois, une taxation provisoire devient définitive à défaut d'une taxation définitive effectuée à l'échéance d'un délai d'une année, dès la notification de la taxation provisoire (cf. art. 38 al. 2 LPFisc). Or rien ne permet d'assurer que, durant ce laps de temps d'une année, le canton du siège aura procédé lui-même à une taxation définitive du contribuable en cause. La solution découlant de la jurisprudence de l'ATF 139 I 64 n'est par conséquent pas satisfaisante, comme l'a mis en évidence la doctrine citée. 
 
5.2.3. Ensuite, le Tribunal fédéral a jugé qu'il existe un numerus clausus des moyens permettant de revenir sur une décision de taxation entrée en force en matière fiscale; lorsqu'une telle décision est modifiée en défaveur du contribuable, seul le rappel d'impôt entre en considération. En outre, les motifs permettant de procéder à un rappel d'impôt sont énumérés de manière exhaustive tant en matière d'IFD que d'ICC (arrêts 2C_217/2021 du 4 novembre 2021 consid. 5.1; 2C_60/2020 du 27 avril 2021 consid. 6.3 et les références; 2C_519/2011 du 24 février 2012 consid. 3.3 et les références).  
On rappellera que l'impossibilité de principe posée dans l'ATF 139 I 64 pour le canton "secondaire" de procéder à un rappel d'impôt (si sa taxation est devenue définitive) fondé sur des éléments provenant du canton du siège a été déduite notamment de l'art. 39 al. 2 LHID et de la nécessité pour les différentes administrations fiscales de se coordonner dans un système marqué par le traitement électronique des données. En ce sens, l'ATF 139 I 64 précise, sur la base de la norme d'harmonisation précitée, ce qui est possible ou non en matière de rappel d'impôt dans les rapports intercantonaux. Cependant, en tant que le mécanisme procédural prescrit par l'ATF 139 I 64 se rattache aux conditions permettant d'ouvrir un rappel d'impôt - et donc aux motifs justifiant l'ouverture d'une procédure dans ce domaine - elle pose une condition supplémentaire, soit que le canton "secondaire" n'ait pas rendu une décision de taxation définitive, faute de quoi il ne peut pas procéder à un rappel d'impôt. Cette condition supplémentaire posée par la jurisprudence ne se déduit toutefois pas de l'art. 53 LHID, ce qui n'avait pas été examiné dans l'arrêt en cause. 
Or, les motifs permettant de procéder à un rappel d'impôt au sens de l'art. 53 LHID étant exhaustifs, on ne saurait modifier les conditions permettant l'ouverture d'une procédure en rappel d'impôt, en complétant cette disposition (et a fortiori les dispositions de droit cantonal correspondantes) par une exigence supplémentaire posée par la jurisprudence (soit l'absence d'une décision définitive du canton du siège). 
 
5.2.4. Ces considérations justifient d'abandonner la jurisprudence de l'ATF 139 I 64 pour les situations telles que le cas d'espèce, dans lesquelles une décision définitive a été rendue par l'administration fiscale du canton secondaire, avant que le canton "leader" ne se prononce à son tour. Il apparaît plus conforme à l'art. 53 LHID et aux conditions exhaustives qu'il prévoit de ne pas nier d'emblée le droit du canton secondaire d'ouvrir une procédure en rappel s'il estime que les exigences en sont réalisées, ce que le contribuable peut contester selon la procédure prévue. Les considérations qui précèdent s'appliquent également dans l'éventualité d'une soustraction d'impôt au sens de l'art. 56 al. 1 LHID. En effet, l'application de l'ATF 139 I 64 peut également avoir pour conséquence de rajouter, dans les faits, une condition supplémentaire qui précise, dans les rapports cantonaux, si une procédure en soustraction d'impôt, peut du point de vue objectif, être ouverte.  
En d'autres termes, la jurisprudence de l'ATF 139 I 64 doit être abandonnée en tant qu'elle pose le principe que le canton (de domicile) secondaire qui a rendu une décision de taxation définitive avant le canton de domicile ou du siège est déchu du droit de procéder à l'ouverture d'une procédure en rappel d'impôt (et a fortiori en soustraction fiscale), même si les conditions en sont, le cas échéant, réunies. 
 
6.  
La juridiction cantonale a considéré que l'ouverture d'une procédure de rappel d'impôt et en soustracti on n'était par principe pas possible (consid. 3.2 supra). Elle n'a donc pas examiné l'ensemble des conditions régissant ces procédures (sur ces conditions, cf. par exemple ATF 144 II 359 consid. 4.5.1 et les références; arrêt 2C_700/2022 du 25 novembre 2022 consid. 8.1 et les références [rappel d'impôt] et consid. 12.1 et les références [soustraction fiscale]), ni procédé à des constatations de fait y relatives, et ce contrairement à ce que prétend l'intimée. Il n'appartient pas au Tribunal fédéral d'établir les faits comme le ferait une autorité de première instance (art. 107 al. 2 LTF), ni de se prononcer pour la première fois sur les griefs de l'intimée concernant le rappel d'impôt et la procédure en soustraction d'impôt. Il convient dès lors de renvoyer la cause à la juridiction cantonale pour qu'elle procède en ce sens et rende une nouvelle décision. 
 
7.  
La conclusion subsidiaire de la recourante est bien fondée. L'intimée, qui a conclu au rejet du recours, supportera les frais de la procédure fédérale (art. 66 al. 1 LTF). Il n'est pas alloué de dépens (art. 68 al. 3 LTF). 
 
 
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :  
 
1.  
Le recours est partiellement admis. L'arrêt de la Cour de justice, Chambre administrative, du 15 novembre 2022 est annulé et la cause est renvoyée à la juridiction cantonale pour nouvelle décision au sens des considérants. Le recours est rejeté pour le surplus. 
 
2.  
Les frais de la procédure fédérale, arrêtés à 4'000 fr., sont mis à la charge de l'intimée. 
 
3.  
Le présent arrêt est communiqué aux parties, au Kantonales Steueramt Zürich, à la Cour de justice de la République et canton de Genève, Chambre administrative, 4ème section, et à l'Administration fédérale des contributions. 
 
 
Lucerne, le 21 novembre 2023 
 
Au nom de la IIIe Cour de droit public 
du Tribunal fédéral suisse 
 
Le Président : Parrino 
 
Le Greffier : Bürgisser