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Urteilskopf

149 IV 170


16. Extrait de l'arrêt de la Cour de droit pénal dans la cause A. contre Ministère public de la République et canton de Genève, B. et C. (recours en matière pénale)
6B_777/2022 du 16 mars 2023

Regeste

Art. 10 und 17 EMRK; Art. 16 BV; Art. 261bis Abs. 4 StGB; Leugnung des Holocaust; diskriminierendes Motiv; Meinungsäusserungsfreiheit im Rahmen einer humoristischen Darbietung; Verbot des Rechtsmissbrauchs.
Prüfung der Tatbestandsmerkmale von Art. 261bis Abs. 4 zweiter Satzteil StGB in Beachtung der Freiheit der Meinungsäusserung im Falle der Leugnung des Holocaust im Rahmen einer öffentlichen Aufführung durch einen Komiker, der in der Schweiz insbesondere wegen seiner zahlreichen ausländischen Vorstrafen wegen rassistischer, ethnischer und religiöser Diskriminierung bekannt ist (E. 1).

Sachverhalt ab Seite 170

BGE 149 IV 170 S. 170

A. Par jugement du 8 juillet 2021, le Tribunal de police de la République et canton de Genève a reconnu A. coupable de discrimination raciale (art. 261bis al. 4 in fine CP), de diffamation (art. 173 ch. 1 CP) et d'injure (art. 177 al. 1 CP). Il l'a condamné à une peine pécuniaire de 180 jours-amende, à 170 francs.

B. Statuant par arrêt du 28 avril 2022, la Chambre pénale d'appel et de révision de la Cour de justice genevoise a rejeté l'appel formé par A. contre le jugement du 8 juillet 2021, qui a dès lors été confirmé.
En substance, la cour cantonale a retenu les faits suivants.
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B.a A., un humoriste de nationalité française et camerounaise, s'est produit en public entre les 4 et 6 janvier 2019, au Théâtre D., à Nyon (VD), ainsi que les 28 et 29 juin 2019, à E., à Genève, pour jouer son spectacle intitulé "En vérité", dont il était le co-auteur et le metteur en scène.
Dans un sketch présenté vers la fin du spectacle, A. interprétait un passager assis à bord d'un avion sur le point de s'écraser. Après l'annonce du commandant de bord, le passager en question, s'exprimant avec un accent québécois, a dit à sa voisine, dont la vessie avait lâché, qu'il fallait prendre de la hauteur, rester digne et qu'il ne servait à rien de crier, avant d'indiquer: "Ça commence à monter... je t'emmerde, compagnie de merde! J'encule la reine d'Angleterre! Ça me fait du bien tu sais." Le passager a ensuite raconté un incident survenu lors de son embarquement, puis a dit: "J'aurais dû être terroriste, au moins tu crèves pour quelque chose, ils vont au bout de quelque chose. J'emmerde tout le monde, les chambres à gaz n'ont jamais exis ". Finalement, l'avion se posait sans dommage, le sketch se concluant sur ces paroles du passager: "On a atterri là? Il y a une boîte noire là-dessus? Je crois que je suis mort."

B.b Lors de la représentation qui s'est tenue le 28 juin 2019, à Genève, il a en outre dit ce qui suit à l'attention du public: "B. [soit l'association B.], les associations juives... ah bon, ils ne m'aiment pas ces gens-là, encore aujourd'hui? Ah j'ai un procès demain? B. me fait un procès? Il faut leur dire d'aller se faire enculer à B."

B.c Le 18 novembre 2019, lors d'une interview donnée sur la chaîne RadioLac en relation avec le spectacle "En vérité", C., secrétaire général de B., a en substance tenu les propos suivants: "Il [A.] est un individu qui a fait l'objet de condamnations diverses, alors je vous l'ai dit pour antisémitisme, aussi pour fraude fiscale, blanchiment. Les propos qu'il tient, et notamment ceux qu'il a tenus, qui sont des propos négationnistes visant à nier l'existence de la Shoah pendant son dernier spectacle qu'il a tenus en Suisse à deux reprises, sont des propos qui tombent sous le coup de la loi, heureusement d'ailleurs que la justice est bien faite et que nous sommes un Etat de droit. A chaque spectacle, en fait, il trouve un moyen de faire soit la promotion du terrorisme, on a vu ça avec Coulibaly, soit de faire de l'antisémitisme. Ce leader ou ce gourou politique balance des messages racistes et antisémites. Ils [A. et F.] ont été condamnés à maintes reprises et continuent tranquillement à vivre leur petite vie. Ils profitent
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un peu du système qu'ils dénoncent en permanence, mais enfin c'est eux le système. On a affaire aujourd'hui à la fachosphère qui alimente les réseaux complotistes conspirationnistes qui viennent soutenir les actions terroristes et dénoncer les juifs pour ce qu'ils sont."
Le 22 novembre 2019, A. a réagi aux propos de C. lors d'une interview sur la chaîne Youtube de O.: "Il [C.] me diffame, il nous diffame avec F. Il apporte des affirmations qui sont des mensonges [...], donc ça sera le rendez-vous devant les tribunaux avec cet homme qui tout simplement, il a une haine envers moi, mais je pense que c'est envers le noir que je suis. On sent qu'il porte l'héritage de ces négriers juifs qui pendant des siècles ont déporté des hommes comme moi et je pense qu'il considère que nous ne sommes pas des êtres humains et que nous sommes des animaux avec un visage humain. Moi je le considère comme un homme et donc je lui donne rendez-vous devant le Tribunal, tous ses mensonges, parce que je crois que chez lui c'est devenu une religion le mensonge et donc j'espère qu'on aura la manifestation de la vérité devant les juges suisses, en tout cas il avance des choses qui sont erronées. C'est un menteur, c'est un raciste."

B.d L'extrait du casier judiciaire suisse de A. ne fait état d'aucune condamnation.
En revanche, selon l'extrait du casier judiciaire français produit au dossier, A. a été condamné pénalement, en France, à 20 reprises depuis 2006, notamment pour injure publique ou diffamation envers un particulier en raison de sa race, de sa religion ou de son origine, ainsi que pour provocation à la discrimination nationale, raciale ou religieuse et pour provocation à la haine ou à la violence en raison de l'origine, l'ethnie, la nation, la race ou la religion. Il a été condamné à des amendes allant de 1'000 à 20'000 EUR, à des jours-amende ainsi qu'à des peines d'emprisonnement.
A. a également été condamné en Belgique le 20 janvier 2017 pour calomnie ou diffamation dans des réunions ou des lieux publics, ainsi que pour racisme, xénophobie et infraction à la loi sur l'égalité, à une peine d'emprisonnement de 2 mois et à une amende de 9'000 EUR.

C. A. forme un recours en matière pénale au Tribunal fédéral contre l'arrêt du 28 avril 2022. Il conclut, avec suite de frais et dépens, principalement à son acquittement. Subsidiairement, il conclut à l'annulation de l'arrêt et au renvoi de la cause à la cour cantonale pour nouvelle décision.
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Le Tribunal fédéral a rejeté le recours dans la mesure où il est recevable.

Erwägungen

Extrait des considérants:

1. Le recourant conteste en premier lieu sa condamnation pour discrimination raciale au sens de l'art. 261bis al. 4 CP.

1.1

1.1.1 Aux termes de l'art. 261bis CP, dans sa teneur en vigueur jusqu'au 30 juin 2020, se rendent notamment coupables de discrimination raciale celui qui, publiquement, aura incité à la haine ou à la discrimination envers une personne ou un groupe de personnes en raison de leur appartenance raciale, ethnique ou religieuse (al. 1) ainsi que celui qui aura publiquement, par la parole, l'écriture, l'image, le geste, par des voies de fait ou de toute autre manière, abaissé ou discriminé d'une façon qui porte atteinte à la dignité humaine une personne ou un groupe de personnes en raison de leur race, de leur appartenance ethnique ou de leur religion ou qui, pour la même raison, niera, minimisera grossièrement ou cherchera à justifier un génocide ou d'autres crimes contre l'humanité (al. 4). Depuis le 1er juillet 2020, et l'entrée en vigueur à cette date de la novelle du 14 décembre 2018 (RO 2020 1609), la portée de la disposition est étendue à la discrimination, au rabaissement et à l'incitation à la haine en raison de l'orientation sexuelle.
L'art. 261bis CP vise notamment à protéger la dignité que tout homme acquiert dès la naissance et l'égalité entre les êtres humains. En protégeant l'individu notamment du fait de son appartenance à un groupe ethnique ou religieux, la paix publique est indirectement protégée (ATF 148 IV 188 consid. 1.3, ATF 148 IV 113 consid. 3; ATF 140 IV 67 consid. 2.1.1; ATF 133 IV 308 consid. 8.2 et les références citées). A cet égard, la norme concrétise les engagements internationaux de la Suisse dans le cadre de la Convention internationale sur l'élimination de toutes les formes de discrimination raciale conclue à New York le 21 décembre 1965 (RS 0.104), entrée en vigueur pour la Suisse le 29 décembre 1994 (ATF 148 IV 188 consid. 1.3; ATF 140 IV 67 consid. 2.1.1; ATF 133 IV 308 consid. 8.2 et les références citées).

1.1.2 En tant qu'il se rapporte à la négation, à la minimisation grossière et à la recherche de justification d'un génocide ou d'autres crimes contre l'humanité, l'art. 261bis al. 4 in fine CP consacre un délit de mise en danger abstraite de la paix publique (ATF 145 IV 23 consid. 2.1,
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in SJ 2019 I p. 157; ATF 129 IV 95 consid. 3.3.1 et consid. 3.5). La disposition a pour objet de lutter contre les atteintes discriminatoires (ATF 145 IV 23 précité consid. 2.1; ATF 126 IV 20 consid. 1c).
La norme réprime trois comportements: ceux consistant à nier, à minimiser grossièrement ou à chercher à justifier un génocide ou un autre crime contre l'humanité. Nier ("leugnen", "disconoscere") consiste en la négation ou en la remise en question de la véracité d'un événement, de façon explicite ou par le biais d'une formulation interrogative (cf. ATF 126 IV 20 consid. 1e). Nie également celui qui recourt à des termes tels que "mythe", "légende" ou "conte" en se référant à un génocide ou à un autre crime contre l'humanité (cf. arrêt 6S.614/ 2001 du 18 mars 2002 consid. 3b/bb). Celui qui minimise grossièrement ("gröblich verharmlosen"; "minimizzare grossolanamente") ne nie pas la réalité ou la véracité d'un événement mais en diminue la portée, l'ampleur ou en redimensionne l'importance. Finalement, cherche à justifier ("zu rechtfertigen suchen"; "cercare di giustificare") celui qui légitime l'événement, sans en contester l'existence ou les proportions, attribue une forme de responsabilité aux victimes, ou le rend acceptable ou nécessaire (sur le tout: ATF 145 IV 23 précité consid. 2.2 et les références citées).
La négation de l'Holocauste réalise objectivement l'état de fait incriminé par l'art. 261bis al. 4 in fine CP parce qu'il s'agit d'un fait historique généralement reconnu comme établi (ATF 129 IV 95 précité consid. 3.4.4), notoire, incontestable ou indiscutable (arrêts 6B_350/2019 du 29 mai 2019 consid. 1.1; 6B_398/2007 du 12 décembre 2007 consid. 3.4.3 et références citées). Mettre en doute l'existence des chambres à gaz revient à contester les crimes commis par le régime nazi, en particulier l'extermination systématique des juifs dans des chambres à gaz, comportement susceptible de tomber sous le coup de l'art. 261bis al. 4 in fine CP (cf. ATF 126 IV 20 précité consid. 1e; ATF 121 IV 76 consid. 2b/cc; arrêts 6B_350/2019 du 29 mai 2019 consid. 1.1; 6B_1100/2014 du 14 octobre 2015 consid. 3.1).
L'auteur doit agir publiquement, c'est-à-dire en dehors d'un cercle privé (ATF 130 IV 111 consid. 5.2.2), par des paroles, des écrits, des images, des gestes ou des voies de fait (ATF 145 IV 23 précité consid. 2.2).

1.1.3 Du point de vue subjectif, le délit est intentionnel, le dol éventuel pouvant suffire (ATF 148 IV 113 consid. 3; ATF 145 IV 23 consid. 2.3; arrêts 6B_1126/2020 du 10 juin 2021 consid. 2.1.3; 6B_350/2019 du 29 mai 2019 consid. 1.1).
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Le comportement punissable doit en outre consister en une manifestation caractéristique de la discrimination (ATF 145 IV 23 précité consid. 2.3). Aussi, pour retenir l'infraction de l'art. 261bis al. 4 in fine CP, il ne suffit pas de contester l'existence ou l'importance d'un génocide ou d'autres crimes contre l'humanité, respectivement de tenter de les justifier, pour être en présence d'une discrimination raciale. Il faut encore que ce comportement soit dicté par des mobiles particuliers de l'auteur, soit la haine ou le mépris des personnes appartenant à une race, une ethnie ou une religion déterminée (ATF 145 IV 23 précité consid. 2.3).

1.1.4 Déterminer le contenu d'un message relève des constatations de fait, tout comme la détermination du mobile, en tant que cause psychologique d'une manifestation déterminée de volonté (ATF 145 IV 23 consid. 4.2). L'interprétation du message ressortit, en revanche, à l'application du droit fédéral, que le Tribunal fédéral revoit librement dans le recours en matière pénale. Il s'agit de rechercher le sens qu'un destinataire non prévenu doit conférer aux expressions utilisées, compte tenu de l'ensemble des circonstances pertinentes, soit, notamment, la personne dont émane le message et celles qui sont visées (ATF 148 IV 113 consid. 3; ATF 145 IV 462 consid. 4.2.3; ATF 143 IV 193 consid. 1; ATF 137 IV 313 consid. 2.1.3).
L'art. 261bis CP doit toutefois être interprété à la lumière des principes régissant la liberté d'expression (art. 16 Cst.; art. 10 CEDH; art. 19 Pacte ONU II [RS 0.103.2]). Dans une démocratie, il est essentiel que même les opinions qui déplaisent à la majorité, ou celles qui choquent nombre de personnes, puissent être exprimées et les propos tenus, dans un débat politique par exemple, ne doivent pas être appréhendés de manière strictement littérale parce que les simplifications et les exagérations sont usuelles dans un tel contexte (ATF 148 IV 113 consid. 3; ATF 143 IV 193 consid. 1; ATF 131 IV 23 consid. 2.1 et consid. 3.1 ainsi que les références citées; arrêt 6B_1126/2020 du 10 juin 2021 consid. 2.1.2).

1.2

1.2.1 Selon la jurisprudence de la CourEDH, la protection conférée par l'art. 10 CEDH s'applique également à la satire, qui est une forme d'expression artistique et de commentaire social qui, de par l'exagération et la déformation de la réalité qui la caractérisent, vise naturellement à provoquer et à agiter. C'est pourquoi il faut examiner avec une attention particulière toute ingérence dans le droit d'un artiste à
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s'exprimer par ce biais (arrêt de la CourEDH Vereinigung Bildender Künstler contre Autriche du 25 janvier 2007 [requête n° 68354/01], § 33). En ce sens, la CourEDH a considéré que le discours humoristique ou les formes d'expression qui cultivaient l'humour étaient protégés par l'art. 10 CEDH, y compris s'ils se traduisaient par la transgression ou la provocation et ce, peu importe qui en était l'auteur. Si ces formes d'expression ne peuvent être appréciées ou censurées à l'aune des seules réactions négatives ou indignées qu'elles sont susceptibles de générer, elles n'échappent pas pour autant aux limites définies à l'art. 10 par. 2 CEDH. En effet, le droit à l'humour ne permet pas tout et quiconque se prévaut de la liberté d'expression assume, selon les termes de ce paragraphe, "des devoirs et des responsabilités" (arrêt de la CourEDH Z.B. contre France n° 46883/15 du 2 septembre 2021, §§ 56 et 57).

1.2.2 La jurisprudence de la CourEDH a par ailleurs défini les limites de la possibilité de se prévaloir des garanties de l'art. 10 CEDH, sous l'angle de l'interdiction de l'abus de droit, consacrée par l'art. 17 CEDH.
En particulier, la CourEDH a relevé que l'art. 17 CEDH, pour autant qu'il vise des groupements ou des individus, avait pour but de les mettre dans l'impossibilité de tirer de la CEDH un droit qui leur permette de se livrer à une activité ou d'accomplir un acte visant à la destruction des droits et libertés reconnus dans la CEDH. Personne ne doit en effet pouvoir se prévaloir des dispositions de la CEDH pour se livrer à des actes visant à la destruction des droits et libertés visés (arrêt de la CourEDH Lawless contre Irlande du 1er juillet 1961, série A n. 3 p. 45 § 7). La CourEDH a ainsi jugé qu'un "propos dirigé contre les valeurs qui sous-tendent la CEDH" se voit soustrait par l'art. 17 CEDH à la protection de l'art. 10 CEDH (arrêt de la CourEDH Lehideux et Isorni contre France du 23 septembre 1998, Recueil des arrêts et décisions 1998-VII, §§ 47 et 53).

1.2.3 Dans ce contexte, la CourEDH a eu à connaître d'affaires où étaient incriminées des déclarations qui niaient l'Holocauste, qui justifiaient une politique pronazie, qui alléguaient la persécution des Polonais par la minorité juive et l'existence d'inégalités entre eux, qui associaient tous les musulmans à un grave acte de terrorisme ou encore qui déniaient aux juifs le droit à la dignité nationale (voir les arrêts de la CourEDH Dieudonné M'Bala M'Bala contre France du 20 octobre 2015 [requête n° 25239/13] n° 32-33; Lehideux et Isorni précités, §§ 47 et 53; W.P. et autres contre Pologne du 2 septembre 2004
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[requête n° 42264/98]; Norwood contre Royaume-Uni du 16 novembre 2004 [requête n° 23131/03]; Witzsch contre Allemagne du 13 décembre 2005 [requête n° 7485/03]; Pavel Ivanov contre Russie du 20 février 2007 [requête n° 35222/04]).
Ainsi notamment, la CourEDH a jugé, dans l'arrêt Dieudonné M'Bala M'Bala contre France précité, (...) que le fait, pour ce dernier, d'inviter G. - un universitaire condamné en France à plusieurs reprises en raison de ses thèses négationnistes et révisionnistes -, à le rejoindre sur scène à la fin de son spectacle pour se faire remettre le "Prix de l'infréquentabilité et de l'insolence" par un homme représentant un déporté juif des camps de concentration, ne correspondait pas à la définition d'un spectacle qui, même satirique ou provocateur, relèverait de la protection de l'art. 10 CEDH. La soirée avait perdu de son caractère de spectacle de divertissement pour devenir un meeting qui, sous couvert de représentation humoristique, valorisait le négationnisme en remettant en cause l'Holocauste. Travestie sous l'apparence d'une production artistique, elle était aussi dangereuse qu'une attaque frontale et abrupte, tout en représentant l'expression d'une idéologie qui allait à l'encontre des valeurs de la CEDH (arrêt de la CourEDH Dieudonné M'Bala M'Bala contre France précité, § 39).
Plus récemment, dans l'arrêt Alain Bonnet contre France du 25 janvier 2022 (requête n° 35364/19), la CourEDH a examiné la condamnation infligée au requérant, connu sous le nom de F., pour avoir publié sur internet un dessin accompagné de la légende "historiens déboussolés" et représentant le visage de Charlie Chaplin devant une étoile de David, qui posait la question "Shoah où t'es?" à laquelle répondaient des bulles indiquant "ici", "là" et "et là aussi", placées devant des dessins figurant du savon, un abat-jour, une chaussure sans lacet et une perruque. Si la Cour a fait référence à l'art. 17 CEDH, elle a estimé que le grief formulé par le requérant sous l'angle de l'art. 10 CEDH était, en tout état de cause, manifestement mal fondé. Elle a considéré qu'il existait en l'occurrence des motifs pertinents et suffisants qui justifiaient de conclure que le dessin litigieux visait directement la communauté juive. Le recours à des symboles renvoyant indéniablement à l'extermination des juifs ainsi que l'utilisation de la forme interrogative ("Shoah où t'es?") tendaient ainsi à tourner en dérision ce fait historique et à mettre en doute sa réalité. Ainsi, à supposer même que l'art. 10 CEDH trouvât à s'appliquer, le dessin litigieux relevait d'une catégorie dont la protection était réduite sur le terrain de cette disposition (arrêt de la CourEDH Alain Bonnet contre France précité, §§ 48 ss).
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1.3 En l'espèce, il est constant que la phrase "les chambres à gaz n'ont pas existé", prononcée par le recourant à l'occasion d'un sketch présenté lors de ses spectacles à Nyon et à Genève en janvier et juin 2019, faisait référence à l'Holocauste, soit à l'extermination systématique des personnes juives, menée par le régime nazi durant la Seconde Guerre mondiale. Comme l'a relevé la cour cantonale, il ne fait pas non plus de doute que, sous l'angle des éléments constitutifs de l'infraction réprimée à l'art. 261bis al. 4 in fine CP, une telle assertion revient objectivement à nier l'Holocauste, et donc un génocide, voire à le minimiser grossièrement.
En l'absence de toute ambiguïté à cet égard, c'est en vain que le recourant se prévaut, sur le plan subjectif, de ne pas avoir apporté une quelconque justification à son propos, ni le moindre argument discursif, et s'être ainsi limité à simplement déclamer la phrase litigieuse, alors qu'il interprétait un personnage de fiction. A tout le moins, il est exclu que le caractère négationniste ou révisionniste du propos avait échappé au recourant, celui-ci s'étant notamment prévalu d'avoir délibérément fait dire, au personnage qu'il interprétait, une phrase "interdite", ceci dans l'optique de placer ce personnage face à une mort "figurative" ou "sociale", alors qu'il venait pourtant d'échapper au crash d'un avion et donc à sa mort "physique".

1.4 Au reste, par ses développements, le recourant conteste essentiellement avoir agi en étant mû par un mobile discriminatoire, se prévalant à cet égard tant du contexte dans lequel la déclaration incriminée est intervenue que de sa liberté d'expression.

1.4.1 La cour cantonale a tenu pour établi que c'était bien dans le but de stigmatiser les victimes de la Shoah et de minimiser leur souffrance que le recourant avait prononcé la phrase en question, permettant au passage d'alimenter la polémique autour de sa position ambiguë en matière de négationnisme.
S'il était certes vrai que, hormis la phrase incriminée, le "sketch de l'avion", évoqué ci-avant, ne faisait pour le surplus aucune référence au judaïsme, ni aux crimes perpétrés durant la Seconde Guerre mondiale, le spectacle pris dans son ensemble contenait diverses allusions plus ou moins évocatrices de l'état d'esprit de l'humoriste et, en particulier, de son inclination à se moquer des victimes de l'Holocauste. Ainsi, le fait de tourner en dérision, dès le début du spectacle, le Procès de Nuremberg en le qualifiant de "GPS de la conscience" et de "divertissement judiciaire", cumulé à la formule "Shoananas"
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également prononcée lors du spectacle, ainsi qu'aux propos tenus à l'égard de B. et des "associations juives", auxquelles il avait indiqué d'aller "se faire enculer" (cf. également consid. 2 non publié), constituaient autant d'éléments qui dénotaient un mépris certain des victimes de la Shoah, des associations qui les défendaient et, d'une manière plus générale, de la communauté juive.
D'autres éléments contextuels venaient confirmer la propension du recourant à adopter des comportements méprisants et discriminatoires. Il en allait ainsi de ses très nombreuses condamnations, à l'étranger, pour diffamation et provocation à la discrimination raciale ou religieuse notamment. A cet égard, il fallait prendre en considération que l'une de ses dernières condamnations portait sur le fait d'avoir invité un négationniste notoire sur scène à l'occasion de l'un de ses spectacles, faisant ainsi écho au comportement qui lui est reproché et en particulier aux relents négationnistes du sketch incriminé.

1.4.2 Le recourant reproche en substance à la cour cantonale de ne pas avoir tenu compte que, par le sketch en question et en particulier par la phrase incriminée, mise dans la bouche d'un personnage de fiction, il entendait exclusivement ironiser sur l'instrumentalisation de la souffrance des juifs par les associations communautaires, qui traduirait selon lui une "souffrance à géométrie variable", alors que notamment la déportation massive, durant des siècles, des populations africaines au titre des traites des noirs, ou l'extermination des peuples autochtones d'Amérique, ne font de loin pas l'objet de la même attention dans la société.
Cela étant, on ne voit pas qu'en tant que tels, le militantisme du recourant pour la reconnaissance mémorielle des souffrances des peuples opprimés au travers de l'Histoire et, d'une manière générale, son combat mené contre le racisme, causes aussi nobles soient-elles, rendent à eux seuls licite la tenue en public de propos négationnistes ou révisionnistes, dont il est indéniable qu'ils sont propres à heurter à leur tour les membres de la communauté juive, dans une perspective discriminatoire.
L'ironie dont se prévaut le recourant, l'absurdité du propos en tant que tel, de même que le caractère fictionnel du personnage interprété, ne sauraient à cet égard lui servir de prétextes tant il est évident que, par ses paroles, il entendait en réalité faire écho à ses opinions personnelles supposées, notamment à ses diatribes, teintées d'antisémitisme, quant à l'importance démesurée accordée selon lui à l'Holocauste
BGE 149 IV 170 S. 180
et aux associations défendant sa mémoire. Les positions exprimées par le recourant et, d'une manière générale, sa réputation étaient en effet largement connues au sein de la population en Suisse romande, puisque relayées depuis plusieurs années au moment des faits, outre au travers de la diffusion sur internet de ses sketches, par nombre d'articles et de reportages réalisés par les médias francophones au sujet de ses diverses condamnations en France pour discrimination raciale, ethnique ou religieuse.

1.4.3 Par ses autres développements, le recourant s'attache essentiellement à rediscuter l'appréciation des preuves opérée par la cour cantonale, sans parvenir à démontrer l'arbitraire de son raisonnement quant au fait qu'il avait agi dans le but de minimiser les souffrances des victimes de l'Holocauste.
En tant que le recourant soutient que la critique du Procès de Nuremberg ne serait pas de son seul fait, mais également de celui d'éminents juristes, qui y avaient souligné de graves violations du droit, notamment au regard des droits de la défense et du principe de non-rétroactivité du droit, alors que par ailleurs, l'existence des chambres à gaz n'en aurait pas été précisément l'objet, il n'explique pas pour autant que ces nuances avaient été explicitées lors de son spectacle, ni qu'elles étaient forcément connues de son public. A tout le moins, il apparaît communément admis sur le plan historique que le Procès de Nuremberg, tenu entre novembre 1945 et octobre 1946, en tant qu'il portait sur le jugement, puis la condamnation de certains dirigeants du Troisième Reich, a contribué à faire connaître à l'opinion publique, notamment par les images diffusées, les atrocités commises par les nazis durant la Seconde Guerre mondiale. Le fait de le tourner en dérision, en le qualifiant notamment de "GPS de la conscience" et de "divertissement judiciaire", est ainsi propre à dénoter, comme l'a retenu sans arbitraire la cour cantonale, la volonté du recourant, dans le cadre de son spectacle, de minimiser la souffrance des victimes, quand bien même ces propos n'ont pas été incriminés en tant que tels.
Au reste, comme le soutient le recourant, il ne ressort certes pas de l'arrêt attaqué que la chanson "Shoananas" avait été interprétée lors du sketch, ni lors du spectacle. Il n'en demeure pas moins que l'évocation du titre de cette chanson, par laquelle, sur l'air de "Cho Ka Ka O" de la chanteuse Annie Cordy, le recourant se moque de la Shoah, était de nature à refléter son état d'esprit lors des spectacles présentés à Nyon et à Genève. Tel est aussi le cas des propos obscènes
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tenus à l'égard des "associations juives", et en particulier de B., la tenue de tels propos étant établie (cf. consid. 2 non publié), sans qu'il soit déterminant que, comme le recourant le soutient, ces associations ne représentent pas la communauté israélite, ni les victimes de l'Holocauste, dans leur ensemble.
On ne perçoit guère en quoi, comme le laisse entendre la cour cantonale, l'appréciation du propos tenu par le personnage joué par le recourant aurait été différente si ce personnage avait revêtu les attributs d'un juif traditionnel, présenté en mode caricatural, comme cela avait été imaginé initialement par le témoin H., qui était impliqué dans l'écriture du sketch. Quoi qu'il en soit, dès lors qu'il a été établi que le recourant avait passablement modifié le texte initial, se l'étant approprié de la sorte, et décidé seul de sa mise en scène ainsi que de sa diffusion, on ne voit pas qu'il pourrait se prévaloir que le témoin précité était lui-même juif, ni que des membres de la famille de ce dernier avaient disparu dans les camps de concentration.
Le caractère négationniste ou révisionniste du propos en lui-même ne souffrant ici d'aucune ambiguïté, il n'est enfin pas décisif que, contrairement à ce qui pourrait avoir été le cas lorsque le recourant avait invité G. à le rejoindre sur scène, il n'avait apporté en l'espèce aucun argument discursif quant à la remise en cause de l'existence des chambres à gaz.

1.4.4 Pour le reste, il est douteux qu'au regard de l'art. 17 CEDH, le recourant soit fondé à invoquer sa liberté d'expression, garantie par l'art. 10 CEDH, le propos incriminé paraissant déjà consacrer en soi l'expression d'une idéologie qui va à l'encontre des droits et libertés reconnus dans la CEDH.
A considérer au demeurant que, s'agissant d'un spectacle à vocation humoristique et, plus particulièrement, de propos tenus par un personnage de fiction, la liberté d'expression puisse néanmoins trouver application, il s'agirait toutefois d'y apporter une restriction (cf. art. 10 par. 2 CEDH), tant il apparaît exclu d'accorder systématiquement un blanc-seing à tout artiste tenant des propos négationnistes ou révisionnistes, sous prétexte qu'il agirait dans le cadre de l'expression de son art ou par le biais d'un personnage de fiction.
L'argumentation de la cour cantonale est à cet égard convaincante et doit être suivie. En l'espèce, si l'on peut en effet éventuellement comprendre qu'à l'approche de sa mort, le personnage interprété par le recourant se désinhibe et tienne des propos de plus en plus
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incohérents, comme le souhait de faire "comme les terroristes" et de "mourir pour quelque chose", on perçoit en effet mal le ressort humoristique tendant à dire que les chambres à gaz n'ont pas existé. A défaut d'une construction plus aboutie du sketch, il ne paraît ainsi être question, aux yeux du public, que d'un personnage lambda prononçant, à l'article de la mort, une phrase négationniste ou révisionniste et le regrettant ensuite. Il ne peut en particulier pas être considéré que le recourant entendait parodier un négationniste, à la manière de Charlie Chaplin parodiant Adolf Hitler dans "Le Dictateur", en l'absence de tout élément - verbal ou vestimentaire - allant dans ce sens.
Il apparaît ainsi que, comme l'a relevé la cour cantonale, la phrase incriminée n'a pas été prononcée à des fins humoristiques, parodiques ou satiriques, mais bien principalement afin de minimiser la souffrance d'un peuple et d'affirmer le positionnement du recourant à cet égard, dans le cadre de ce que ce dernier appelle une "compétition victimaire", voire également de provoquer et de créer la polémique, au détriment des membres de la communauté juive, pour lesquels cette question est susceptible de jouer un rôle identitaire central.

1.4.5 En tant que le recourant se prévaut également de l'art. 16 Cst. (liberté d'opinion et d'information) ainsi que de l'art. 21 Cst. (liberté d'art), il ne prétend pas que ces dispositions avaient en l'occurrence une portée plus large que l'art. 10 CEDH.

1.5 Cela étant relevé, le recourant ayant bien agi en étant mû par un mobile discriminatoire, sa condamnation au titre de l'art. 261bis al. 4 in fine CP doit être confirmée.

contenu

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regeste: allemand français italien

Etat de fait

Considérants 1

références

ATF: 145 IV 23, 148 IV 113, 126 IV 20, 148 IV 188 suite...

Article: art. 10 CEDH, Art. 10 und 17 EMRK, Art. 16 BV, art. 261bis CP suite...