27644/95
1. L'affaire a été déférée à la Cour, conformément aux dispositions qui s'appliquaient avant l'entrée en vigueur du Protocole n° 11 à la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »)[1], par la Commission européenne des Droits de l'Homme (« la Commission ») (article 5 § 4 du Protocole n° 11 et anciens articles 47 et 48 de la Convention).
2. A son origine se trouve une requête (n° 27644/95) dirigée contre la Confédération suisse et dont douze ressortissants de cet Etat, M. Andy Athanassoglou, Mme Ursula Athanassoglou, M. Martin Schlumpf, Mme Antoinette Schweickhardt, M. Claudius Fischer, Mme Ursula Brunner, M. Ernst Haeberli, Mme Helga Haeberli, M. Pius Bessire, Mme Katharina Bessire, M. Hans Vogt-Gloor et Mme Claudia Rüegsegger (« les requérants »), avaient saisi la Commission le 9 juin 1995 en vertu de l'ancien article 25 de la Convention. Les requérants alléguaient n'avoir pas eu accès à un « tribunal », au sens de l'article 6 § 1 de la Convention, pour contester la décision du Conseil fédéral du 12 décembre 1994 de prolonger l'autorisation d'exploitation de la centrale nucléaire de Beznau II et se plaignaient de l'iniquité de la procédure devant cet organe. Invoquant l'article 13 de la Convention, ils prétendaient également n'avoir disposé d'aucun recours effectif qui leur eût permis de dénoncer la violation de leurs droits à la vie et au respect de l'intégrité physique garantis par les articles 2 et 8 de la Convention.
3. Devant la Cour, les requérants sont représentés par Me R. Weibel, avocat au barreau de Berne (Suisse). Le gouvernement suisse (« le Gouvernement ») est représenté par son agent, M. P. Boillat, sous-directeur, chef de la division des affaires internationales, Office fédéral de la justice.
4. Le 14 janvier 1999, un collège de la Grande Chambre a décidé que l'affaire devait être examinée par la Grande Chambre (article 100 § 1 du règlement de la Cour).
5. Tant les requérants que le Gouvernement ont déposé un mémoire et répondu aux questions de la Cour.
6. Après consultation de l'agent du Gouvernement et de l'avocat des requérants, la Grande Chambre a décidé qu'il n'était pas nécessaire de tenir une audience.
7. Les 27 août et 10 septembre 1999, les requérants ont présenté, en vertu de l'article 39 du règlement, une demande de mesure provisoire tendant à la suspension, jusqu'à ce que la Cour statue, de l'exploitation de la centrale nucléaire de Beznau II, qui était à l'arrêt à l'époque en raison de travaux de maintenance et de réparation. Le 13 octobre 1999, la Grande Chambre a décidé (par seize voix et une abstention) de ne pas appliquer l'article 39 en l'espèce.
8. Le 28 février 2000, les requérants ont soumis de leur propre chef des documents concernant la livraison par une société britannique de combustible nucléaire à la centrale nucléaire de Beznau II entre 1996 et 1998. La présidente de la Grande Chambre a décidé de verser ces pièces au dossier, bien qu'elles aient été déposées après la clôture de la procédure écrite (article 38 § 1 in fine).
9. Les requérants résident dans les communes de Villigen, Würenlingen, Böttstein et Kleindöttingen, situées dans la zone 1 entourant la tranche II de la centrale nucléaire de Beznau (canton d'Argovie). Certains sont propriétaires, d'autres locataires. La centrale de Beznau II est équipée d'un réacteur à eau sous pression à deux boucles. Le site se trouve à 5 km de la frontière allemande.
10. Le 18 décembre 1991, la société privée qui exploite la centrale nucléaire depuis 1971, les Forces motrices du Nord-Est de la Suisse (Nordostschweizerische Kraftwerke AG - la « NOK »), demanda au Conseil fédéral (gouvernement) de reconduire l'autorisation d'exploitation pour une durée illimitée. La demande ainsi que le rapport technique et le rapport de sécurité établis par la NOK furent publiés au Journal officiel (Amtsblatt) du canton d'Argovie le 27 janvier 1992 et dans la Feuille fédérale le 28 janvier 1992, accompagnés d'un avis invitant les personnes qui réunissaient les conditions visées aux articles 6 et 48 de la loi fédérale sur la procédure administrative (paragraphe 28 ci-dessous) à introduire un recours.
11. Le 28 avril 1992, plus de 18 400 recours, dont un grand nombre en provenance d'Allemagne et d'Autriche, avaient été déposés à l'Office fédéral de l'énergie en vertu de ces dispositions. Plus de 99 % étaient des photocopies.
12. Dans leurs recours, les plaignants invitaient le Conseil fédéral à rejeter la demande de prolongation du permis d'exploitation et à ordonner la fermeture immédiate et définitive de la centrale nucléaire. Ils joignaient une expertise de l'Institut d'écologie appliquée (Öko-Institut - Institut für angewandte Ökologie e. V.) de Darmstadt, en Allemagne, à savoir un rapport d'avril 1992 sur certains points du rapport de sécurité produit par la NOK en décembre 1991. Se fondant notamment sur l'article 5 § 1 de la loi sur l'énergie atomique (paragraphe 22 ci-dessous), ils s'opposaient à la demande en question, eu égard aux atteintes à leurs droits à la vie, à l'intégrité physique et au respect de leurs biens qu'une telle prolongation risquait d'occasionner. Ils alléguaient que la centrale ne remplissait pas les normes de sécurité les plus modernes en raison de graves et irrémédiables défauts de construction et que son état entraînait un risque d'accidents supérieur à la normale. Ils invitaient en outre les autorités à prendre dans l'intervalle certaines mesures provisoires. Ils mettaient également en doute l'impartialité des autorités administratives intervenant dans la procédure. Quant au fait que, d'après le droit applicable, le Conseil fédéral statuerait en premier et dernier ressort sur la demande, les plaignants invoquaient leur droit d'accès à un tribunal, garanti par l'article 6 § 1 de la Convention.
13. Le 5 février 1993, le département fédéral des Transports, des Communications et de l'Energie, en tant qu'autorité compétente amenée à statuer avant le Conseil fédéral, écarta les demandes tendant à l'adoption de mesures provisoires.
14. Le 12 décembre 1994, le Conseil fédéral rejeta l'ensemble des recours pour défaut de fondement et accorda à la NOK une autorisation d'exploitation jusqu'au 31 décembre 2004, moyennant le respect de diverses conditions concernant notamment les seuils de substances radioactives, les tests du système de sauvegarde, des améliorations du circuit d'eau d'alimentation, un programme systématique de surveillance du vieillissement, propre à la centrale nucléaire de Beznau II, et diverses autres améliorations techniques continues de la centrale. La NOK fut également invitée à soumettre périodiquement des rapports de sécurité à jour.
15. Dans sa décision, le Conseil fédéral s'appuya sur un rapport d'évaluation de la sécurité établi par la Division principale de la sécurité des installations nucléaires (Hauptabteilung für die Sicherheit der Kernanlagen - la « DSN »), qui exposait les résultats du point de vue de la sûreté nucléaire et de la radioprotection, ainsi que des conclusions et des propositions relatives aux charges à imposer dans l'autorisation. Il se fonda en outre sur un avis de la section Technologie nucléaire et sûreté de l'Office fédéral de l'énergie, sur les conclusions de la Commission fédérale pour la sécurité des installations nucléaires (Eidgenössische Kommission für die Sicherheit von Kernanlagen - la « CSA ») relatives à des points essentiels de la demande et au rapport d'évaluation de la sécurité établi par la DSN, ainsi que sur l'avis exprimé par les autorités cantonales.
16. A la suite de la décision du Conseil fédéral, la centrale nucléaire de Beznau II, à l'instar de toutes les centrales nucléaires suisses, fut soumise à la surveillance officielle de la DSN dans tous les domaines touchant la sûreté nucléaire et la radioprotection. La DSN présenta des rapports annuels contenant une évaluation concise de l'état de la centrale nucléaire de Beznau II et de la qualité de l'exploitation. Ces rapports qualifiaient de bons l'état de la centrale, tant du point de vue de la sûreté nucléaire que de la radioprotection, ainsi que la conduite de son exploitation. Il ressortait en particulier du rapport annuel de 1997 que les événements soumis à notification qui s'étaient produits n'avaient eu qu'une signification minime sur le plan de la sûreté nucléaire. Des améliorations appropriées avaient été apportées. Toutefois, des efforts devaient encore être déployés pour identifier les problèmes dans le domaine du comportement humain et de l'organisation. En 1996, l'exploitant de la centrale de Beznau II mit en oeuvre un programme de surveillance du vieillissement, qui était appliqué comme tâche permanente à tous les composants importants pour la sécurité. La documentation pertinente examinée par la DSN ne révéla aucune lacune en matière de sécurité dans les programmes de maintenance. En outre, rien n'indiquait qu'il fallait s'attendre dans un proche avenir à une altération inadmissible des caractéristiques de sécurité. Quant aux obligations imposées dans l'autorisation d'exploitation du 12 décembre 1994, la DSN constata que la NOK avait satisfait à toutes les conditions assorties d'un délai et qu'obligation lui était faite de mettre périodiquement à jour sa documentation et les analyses concernant l'installation.
17. Du 13 novembre au 1er décembre 1995, une mission OSART (Operational Safety Assessment Review Team) de l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA) fut conduite à la centrale nucléaire de Beznau II. Les experts internationaux constatèrent en particulier « les exigences élevées requises en matière de qualité et de sécurité, les qualités professionnelles des collaborateurs à tous les échelons ainsi que l'état très satisfaisant de l'installation de la centrale nucléaire de Beznau II », tout en recommandant des améliorations supplémentaires en matière de sécurité.
18. Le 15 décembre 1997, les requérants soumirent une expertise élaborée par l'Institut d'écologie appliquée de Darmstadt le 26 novembre 1997. Selon ce document, l'autorisation litigieuse continuait de tolérer les graves déficiences en matière de sécurité dont l'institut avait déjà fait état dans ses expertises antérieures de 1992 et 1994.
19. Du 30 novembre au 11 décembre 1998, une équipe de onze experts de l'IRRT (International Regulatory Review Team - Equipes internationales d'examen réglementaire) examina les méthodes de travail de la DSN. Au cours de la mission, six membres de l'équipe visitèrent également la centrale nucléaire de Beznau II. Dans leur rapport de janvier 1999, ils soulignèrent « un certain nombre de bonnes pratiques de nature à présenter un intérêt pour d'autres organismes de réglementation en matière nucléaire ». Ils formulèrent également des recommandations et des propositions relatives aux améliorations nécessaires ou souhaitables pour renforcer l'organisme suisse de réglementation.
20. En vertu de l'article 139 de la Constitution fédérale du 18 avril 1999 (anciens articles 118 et 121 à 123 de la Constitution fédérale du 29 mai 1874), les citoyens peuvent demander, par la voie de l'initiative constitutionnelle ou populaire, la révision partielle de la Constitution. Les initiatives populaires n'émanent pas du Parlement ou du gouvernement, mais des citoyens eux-mêmes.
21. Le 18 février 1979, l'initiative populaire « Sauvegarde des droits populaires et de la sécurité lors de la construction et de l'exploitation d'installations atomiques » a été rejetée par la majorité des citoyens et des cantons. En 1981, l'initiative « Pour l'interruption du programme d'exploitation de l'énergie nucléaire » a échoué, les 100 000 signatures requises n'ayant pas été recueillies dans un délai de dix-huit mois. Le 23 septembre 1984, l'initiative « Pour un avenir sans nouvelles centrales atomiques » a été rejetée par les citoyens et les cantons. Le 23 septembre 1990, l'initiative « Halte à la construction de centrales nucléaires (moratoire) » a été acceptée, alors qu'à la même date celle « Pour un abandon progressif de l'énergie atomique » a été rejetée. Deux autres initiatives populaires « Moratoire-plus - Pour la prolongation du moratoire dans la construction de centrales nucléaires et la limitation du risque nucléaire » et « Sortir du nucléaire - Pour un tournant dans le domaine de l'énergie et pour la désaffection progressive des centrales nucléaires (Sortir du nucléaire) », déposées le 28 septembre 1999, sont pendantes.
22. Aux termes de l'article 4 § 1 a) de la loi fédérale du 23 décembre 1959 sur l'utilisation pacifique de l'énergie nucléaire (« loi sur l'énergie atomique »), une autorisation de la Confédération est requise pour la construction et l'exploitation d'une installation atomique, de même que pour toute modification du but, de la nature et de l'ampleur d'une telle installation.
23. Selon la jurisprudence du Tribunal fédéral, la question de la sécurité d'une centrale nucléaire ne peut être examinée par la Confédération que dans le cadre de ses procédures d'octroi d'autorisations (Arrêts du Tribunal fédéral (ATF), vol. 119 Ia, p. 402).
24. Outre les autorisations précédemment requises, l'article 1 de l'arrêté fédéral du 6 octobre 1978 concernant la loi sur l'énergie atomique exige une autorisation générale du Conseil fédéral pour toute installation nucléaire. La délivrance préalable de cette autorisation générale est une condition à laquelle est subordonné l'octroi des autorisations de construction et d'exploitation. Le Conseil fédéral est seul compétent pour la délivrer. Selon l'article 5 de l'arrêté, dans le cadre de la procédure relative à une demande d'autorisation générale, la requête doit être publiée et, conformément à l'article 7, les observations et expertises doivent l'être également.
25. L'ordonnance du 14 mars 1983, qui traite de la surveillance des installations nucléaires, confie à la DSN la mission de réglementation.
26. L'article 1 de l'ordonnance du 14 mars 1983 dispose que la CSA est un organe consultatif du Conseil fédéral et du département fédéral de l'Environnement, des Transports, de l'Energie et des Communications. Elle est rattachée administrativement à l'Office fédéral de l'énergie.
27. L'article 97 de la loi fédérale d'organisation judiciaire du 16 décembre 1943 dispose que le Tribunal fédéral connaît en dernière instance des recours de droit administratif contre des décisions des autorités fédérales. Toutefois, en vertu de l'article 100 u), les recours ne sont pas recevables, en matière d'énergie nucléaire, contre les décisions relatives aux autorisations concernant des installations nucléaires ou des mesures préparatoires.
28. Conformément à l'article 6 de la loi fédérale du 20 décembre 1968 sur la procédure administrative, ont qualité de parties les personnes dont les droits pourraient être touchés par la décision à prendre, ainsi que les autres personnes, organisations ou autorités qui disposent d'un moyen de droit contre cette décision. L'article 44 formule le principe selon lequel la décision administrative est sujette à recours. D'après l'article 46 cependant, n'est pas recevable le recours contre les décisions qui peuvent être attaquées par voie de recours de droit administratif au Tribunal fédéral ou contre les décisions définitives en vertu d'autres lois fédérales. Aux termes de l'article 48 a), a qualité pour recourir quiconque est touché par la décision et a un intérêt digne de protection à ce qu'elle soit annulée ou modifiée.
29. L'article 28 du code civil protège le droit à l'intégrité de la personne alors que les actions pour nuisances sont régies par l'article 28 a).
30. Selon l'article premier de la loi fédérale du 20 juin 1930 sur l'expropriation, celle-ci peut être exercée « pour des travaux qui sont dans l'intérêt de la Confédération ou d'une partie considérable du pays, ainsi que pour d'autres buts d'intérêt public reconnus par une loi fédérale ».
31. Au sujet de cette dernière disposition, le Tribunal fédéral a considéré :
32. L'article 5 de la loi a joué un rôle dans le cas de personnes qui résidaient à proximité de routes nationales très fréquentées et craignaient d'avoir à souffrir des gaz d'échappement (ATF, vol. 118 Ib, p. 205). Selon la jurisprudence du Tribunal fédéral, une indemnité est allouée si la nuisance n'était pas prévisible, si elle entraîne des dommages importants et si le propriétaire en souffre particulièrement (loc. cit., p. 205). Pour apprécier la prévisibilité, il convient de déterminer si le propriétaire pouvait raisonnablement avoir connaissance de la nuisance de voisinage à venir lorsque la propriété du bien lui a été transmise (ATF, vol. 111 Ib, p. 234).
33. Le 16 juillet 1999, l'avocat des requérants a informé la Cour que quatre de ses clients, à savoir Mme Ursula Brunner, M. Ernst Haeberli, Mme Helga Haeberli et M. Hans Vogt-Gloor, n'entendaient pas poursuivre la procédure devant la Cour.
34. La Cour prend acte de la déclaration de ces quatre requérants et raye la requête du rôle pour autant qu'elle concerne leurs griefs (article 37 § 1 a) de la Convention).
35. Les requérants allèguent n'avoir pas disposé d'un accès effectif à un tribunal, au mépris de l'article 6 § 1 de la Convention, dont le passage pertinent est ainsi libellé :
36. Le Gouvernement soulève une exception préliminaire de non-épuisement des voies de recours internes. Comme devant la Commission, il fait valoir que les requérants auraient pu intenter une action civile fondée sur les articles 679, 684 et 928, ainsi que sur l'article 28 a 1) du code civil suisse. Bien que les décisions de délivrer une autorisation d'exploitation d'une centrale nucléaire soient insusceptibles de recours, les actions civiles liées aux droits de propriété et de voisinage auraient permis à un tribunal, si les conditions avaient été remplies, de protéger ces droits. Il aurait été possible, par exemple, d'ordonner l'arrêt de la centrale nucléaire, même si une telle décision n'annulait pas l'autorisation elle-même.
37. La Cour estime que la thèse du Gouvernement est si étroitement liée à la substance des griefs des requérants sur le terrain de l'article 6 § 1 qu'il y a lieu de joindre l'exception au fond (voir, par exemple, l'arrêt Kremzow c. Autriche du 21 septembre 1993, série A n° 268-B, p. 41, § 42).
38. Les requérants prétendent que les griefs soulevés en l'espèce et la nature de la décision contestée - le renouvellement de l'autorisation d'exploitation d'une centrale nucléaire - sont analogues à ceux de l'affaire Balmer-Schafroth et autres c. Suisse (arrêt du 26 août 1997, Recueil des arrêts et décisions 1997-IV). Toutefois, selon eux, l'article 6 § 1 est applicable en l'espèce. La décision d'octroyer à la NOK une autorisation d'exploitation de la centrale nucléaire de Beznau II portait effectivement sur leurs droits de caractère civil à la protection de leurs biens et de leur intégrité physique. Le caractère « civil » des droits à la vie et à l'intégrité physique découle de l'ordre juridique suisse. La protection de l'intégrité physique est régie par le code civil et le droit des obligations. L'article 5 de la loi sur l'énergie atomique énonce simplement en termes plus concrets le droit de caractère civil à la protection dans le domaine du droit relatif aux installations nucléaires. En outre, il régnait un sérieux désaccord entre eux-mêmes et le Conseil fédéral sur le point de savoir si les conditions légales pour l'octroi de l'autorisation d'exploitation étaient réunies. Enfin, l'issue du litige était directement déterminante pour leur droit à être protégés contre les activités de la centrale nucléaire. Les requérants renvoient en particulier à l'expertise du 26 novembre 1997 élaborée par l'Institut d'écologie appliquée de Darmstadt, en Allemagne (paragraphe 18 ci-dessus). Ce rapport met en évidence des déficiences précises en matière de sécurité de la centrale nucléaire de Beznau II et montre, d'après les requérants, qu'elle ne satisfait pas aux normes appliquées aux réacteurs à eau sous pression d'Europe centrale. Selon les intéressés, les autorités suisses, en particulier le Conseil fédéral, ont apprécié les normes de sûreté de manière incorrecte et négligente. En outre, le Conseil fédéral n'a ni reconnu ni pris en compte les critiques formulées par la mission OSART au sujet des graves déficiences dans l'organisation et la gestion de la centrale nucléaire de Beznau II. Par ailleurs, ils soulignent que le rapport de janvier 1999 établi par l'IRRT (International Regulatory Review Team - Equipes internationales d'examen réglementaire) (paragraphe 19 ci-dessus) contient non seulement des observations positives, mais aussi de vives critiques, par exemple en ce qui concerne l'insuffisance des ressources humaines et l'absence de directives qui ont pour conséquence une appréciation trop vague des risques, en particulier dans le domaine de la protection contre les incendies et les séismes. Pour les requérants, l'on ne saurait réfuter la valeur probante de l'expertise de l'Institut d'écologie appliquée simplement en invoquant l'autorité des expertises soumises par la Division principale de la sécurité des installations nucléaires (Hauptabteilung für die Sicherheit der Kernanlagen - la « DSN »). Les intéressés affirment en outre que les nombreux rapports techniques et études probabilistes de sécurité réalisés sur la fission nucléaire décrivent de multiples dysfonctionnements concrets susceptibles de se produire - et qui sont déjà intervenus - dans différentes centrales nucléaires, ce qui transforme le risque inhérent en réalité. Les requérants concluent qu'ils ont démontré, à la fois au cours de la procédure interne de délivrance du permis et au travers de l'expertise de l'Institut d'écologie appliquée, le lien entre la prolongation de l'autorisation d'exploitation et l'existence d'une menace sérieuse, précise et imminente justifiant l'application de l'article 6 § 1 de la Convention.
39. Le Gouvernement constate avec les requérants que les griefs soulevés en l'espèce et la nature de la décision litigieuse - le renouvellement de l'autorisation d'exploitation d'une centrale nucléaire - sont identiques à ceux de l'affaire Balmer-Schafroth et autres. Aussi rappelle-t-il sa thèse dans cette affaire, dans laquelle il avait affirmé que la décision contestée par les requérants ne tombait pas sous le coup de l'article 6 § 1 de la Convention (arrêt Balmer-Schafroth et autres précité, p. 1358, § 35) et avait fait sienne l'opinion dissidente de six membres de la Commission qui constataient que « la politique d'un pays en matière de fourniture d'énergie [relevait] de l'intérêt général et [devait] être élaborée selon le processus démocratique de prise de décision au niveau national » (opinion dissidente de M. Trechsel, à laquelle M. Gözübüyük, M. Conforti, M. Sváby, M. Lorenzen et M. Herndl déclarent se rallier, jointe à l'avis de la Commission dans l'affaire Balmer-Schafroth et autres, ibidem, p. 1376).
40. Après avoir examiné les circonstances de l'espèce à la lumière de l'arrêt Balmer-Schafroth et autres, la Commission a également conclu, pour des raisons analogues, que l'article 6 § 1 ne trouvait pas à s'appliquer.
41. Toutefois, dans leur opinion dissidente, quinze membres de la Commission ont exprimé l'avis que le rapport du 26 novembre 1997 établi par l'Institut d'écologie appliquée démontrait à suffisance que les requérants se trouvaient exposés, du fait de l'exploitation de la centrale nucléaire de Beznau II, à une menace précise et imminente. Partant, l'issue de la procédure devant le Conseil fédéral était directement déterminante pour les droits invoqués par les intéressés et l'article 6 § 1 était donc applicable en l'espèce. De l'avis des membres dissidents, il y a eu violation de cette disposition, les requérants n'ayant pas eu droit à un tribunal indépendant et impartial doté de la plénitude de juridiction.
42. La Cour constate avec les parties que le droit interne pertinent et la nature des griefs tirés de l'article 6 § 1 sont identiques à ceux de l'affaire Balmer-Schafroth et autres.
43. La Cour rappelle que, selon sa jurisprudence constante, l'article 6 § 1 de la Convention peut être invoqué par quiconque, estimant illégale une ingérence dans l'exercice de l'un de ses droits (de caractère civil), se plaint de n'avoir pas eu l'occasion de soumettre pareille contestation à un tribunal répondant aux exigences de l'article 6 § 1 (arrêt Le Compte, Van Leuven et De Meyere c. Belgique du 23 juin 1981, série A n° 43, p. 20, § 44). La Cour l'a dit dans l'affaire Golder, l'article 6 consacre le « droit à un tribunal », dont le droit d'accès, à savoir le droit de saisir le tribunal en matière civile, ne constitue qu'un aspect (arrêt Golder c. Royaume-Uni du 21 février 1975, série A n° 18, p. 18, § 36). Ce droit à un tribunal ne vaut que pour les « contestations » relatives à des « droits et obligations de caractère civil » que l'on peut prétendre, au moins de manière défendable, reconnus en droit interne ; l'article 6 n'assure par lui-même aux « droits et obligations de caractère civil » aucun contenu matériel déterminé dans l'ordre juridique des Etats contractants. Il doit s'agir d'une « contestation » réelle et sérieuse ; elle peut concerner aussi bien l'existence même d'un droit que son étendue ou ses modalités d'exercice. L'issue de la procédure doit être directement déterminante pour le droit en question. La Cour a toujours considéré qu'un lien ténu ou des répercussions lointaines ne suffisent pas à faire entrer en jeu l'article 6 § 1 (voir les arrêts suivants : Le Compte, Van Leuven et De Meyere précité, pp. 21-22, § 47 ; Fayed c. Royaume-Uni du 21 septembre 1994, série A n° 294-B, pp. 45-46, § 56 ; Masson et Van Zon c. Pays-Bas du 28 septembre 1995, série A n° 327-A, p. 17, § 44 ; Balmer-Schafroth et autres précité, p. 1357, § 32 ; Le Calvez c. France du 29 juillet 1998, Recueil 1998-V, pp. 1899-1900, § 56).
44. Les requérants affirment qu'ils cherchaient à contester devant les tribunaux la légalité de la décision du Conseil fédéral du 12 décembre 1994 d'accorder à la NOK le renouvellement de son autorisation d'exploitation, en vue de faire valoir leurs droits à la vie, à l'intégrité physique et au respect de leurs biens. Ces préoccupations étaient effectivement à l'origine de l'opposition des intéressés à la prolongation du permis (paragraphe 11 ci-dessus), comme le confirme le libellé des recours antérieurs présentés le 28 avril 1992 en vertu de l'article 48 a) de la loi fédérale sur la procédure administrative (paragraphe 28 ci-dessus), dans lesquels était invoqué l'article 5 § 1 de la loi sur l'énergie atomique relatif à la protection des « personnes, des biens d'autrui ou de droits importants » (paragraphe 22 ci-dessus). L'ordre juridique suisse, notamment la Constitution et les dispositions du code civil régissant les droits de voisinage, reconnaît à toute personne les droits revendiqués par les requérants (paragraphes 29 à 32 ci-dessus), ce que le Gouvernement a toujours admis.
45. Le Gouvernement ne conteste pas, eu égard à l'arrêt rendu dans l'affaire Balmer-Schafroth et autres, qu'il existait une contestation « réelle et sérieuse », pouvant être portée devant les tribunaux, entre les requérants et les organes de décision au sujet de la prolongation du permis d'exploitation de la centrale nucléaire. Sur ce point, la Cour rappelle le raisonnement qu'elle a formulé dans cet arrêt :
46. Il reste donc à déterminer si l'on peut affirmer que la « contestation » sur la légalité de la décision du Conseil fédéral de reconduire l'autorisation d'exploitation portait sur les droits, reconnus en droit interne, que les requérants cherchaient à faire valoir devant un tribunal, c'est-à-dire si l'issue de la procédure qui a abouti à la décision de renouvellement était directement déterminante pour ces droits. Ainsi se pose la même question que dans l'affaire Balmer-Schafroth et autres, c'est-à-dire celle de savoir si le lien entre la décision du Conseil fédéral et les droits des requérants à la protection de leur vie, de leur intégrité physique et de leurs biens était suffisamment étroit, et pas trop ténu ou lointain, pour faire entrer en jeu l'article 6 § 1. Dans ladite affaire, la Cour a constaté :
47. Comme il a été rappelé ci-dessus (paragraphes 38 et 41), les requérants et les membres dissidents de la Commission estiment qu'il y a lieu de distinguer les faits de l'espèce de ceux de l'affaire Balmer-Schafroth et autres en ce que, contrairement à ceux de cette précédente affaire, les requérants ont en l'occurrence suffisamment établi, au moyen du rapport de l'Institut d'écologie appliquée de Darmstadt, qu'ils se trouvaient exposés, du fait du fonctionnement de la centrale nucléaire de Beznau II, à un danger précis et imminent.
48. Il échet ensuite de déterminer si la thèse des requérants présentait un degré suffisant de sérieux et non si elle se justifiait au regard de la législation suisse applicable (voir, mutatis mutandis, l'arrêt Le Calvez précité, pp. 1899-1900, § 56, et l'arrêt Editions Périscope c. France du 26 mars 1992, série A n° 234-B, p. 65, § 38).
49. La Cour relève d'emblée que, comme dans l'affaire Balmer-Schafroth et autres, le Conseil fédéral a fondé en l'espèce sa décision du 12 décembre 1994 d'octroyer l'autorisation sur un examen et une appréciation approfondis du rapport de sécurité présenté par l'exploitant, sur le rapport d'évaluation de la sécurité établi par la DSN d'après les critères de sûreté nucléaire et sur les conclusions de la CSA qui avait étudié et commenté la demande d'autorisation et le rapport d'évaluation de la sécurité y afférent élaboré par la DSN (paragraphe 15 ci-dessus). La DSN est techniquement indépendante de l'Office fédéral de l'énergie et du département fédéral de l'Environnement, des Transports, de l'Energie et des Communications (paragraphe 25 ci-dessus). Par ailleurs, la CSA est administrativement rattachée à l'Office fédéral de l'énergie, mais rend compte directement au Conseil fédéral (paragraphe 26 ci-dessus). Elle est donc indépendante des autres organes gouvernementaux compétents en matière d'utilisation de l'énergie nucléaire. Les deux organes chargés de la sécurité, la DSN et la CSA, sont indépendants de l'exploitant.
50. En outre, la Cour constate que des inspections et rapports réalisés ultérieurement, notamment par des organismes internationaux, tendent à confirmer et non à mettre en cause l'expertise sur laquelle s'est appuyé le Conseil fédéral, bien qu'ils n'aient pas directement trait aux dangers existant au moment du prononcé de la décision de renouvellement litigieuse. Les experts des missions internationales OSART et IRRT menées à ce jour ont constaté « les exigences élevées requises en matière de qualité et de sécurité, les qualités professionnelles des collaborateurs à tous les échelons ainsi que l'état tout à fait satisfaisant de l'installation de la centrale nucléaire de Beznau II », tout en recommandant des améliorations supplémentaires en matière de sécurité. Ils ont également relevé « un certain nombre de bonnes pratiques de nature à présenter un intérêt pour d'autres organismes de réglementation en matière nucléaire » (paragraphes 17 et 19 ci-dessus). En outre, selon les rapports annuels de la DSN, l'état et la conduite de l'exploitation de la centrale nucléaire de Beznau II ont été qualifiés de bons du point de vue de la sûreté et de la radioprotection. Il ressort en particulier du rapport annuel de 1997 que les incidents survenus n'ont eu qu'une signification minime sur le plan de la sûreté nucléaire et que des améliorations appropriées ont été apportées. Des travaux de mise en conformité ont été progressivement réalisés à la centrale nucléaire de Beznau II pour tenir compte des progrès majeurs de la technique en matière de sûreté des centrales. La NOK a satisfait aux conditions imposées dans l'autorisation d'exploitation du 12 décembre 1994 et obligation lui est faite de mettre périodiquement à jour sa documentation et les analyses concernant la centrale (paragraphe 16 ci-dessus).
51. Eu égard à ce qui précède, la Cour estime que les faits ne permettent pas de distinguer le cas d'espèce de l'affaire Balmer-Schafroth et autres. En particulier, elle n'aperçoit aucune différence sensible entre les deux affaires quant à la situation personnelle des requérants. Dans les deux causes, à aucun moment de la procédure les intéressés n'ont affirmé avoir subi un préjudice, économique ou autre, pour lequel ils entendaient réclamer un dédommagement (paragraphe 12 ci-dessus, et arrêt Balmer-Schafroth et autres précité, pp. 1352 et 1357-1358, §§ 9 et 33). Dans l'affaire Balmer-Schafroth et autres, les requérants avaient également joint « plusieurs avis d'experts » au recours dont ils avaient saisi le Conseil fédéral contre la prolongation du permis d'exploitation sollicitée par l'exploitant (loc. cit.). Contrairement aux requérants et aux quinze membres dissidents de la Commission (paragraphes 38 et 41 ci-dessus), on ne saurait affirmer que le nouveau rapport de l'Institut d'écologie appliquée soumis en l'espèce montre davantage que les avis d'experts présentés par les plaignants dans l'affaire Balmer-Schafroth et autres qu'à l'époque des faits l'exploitation de la centrale de Beznau II exposait personnellement les intéressés à une menace non seulement sérieuse, mais également précise et surtout imminente. Les documents relatifs à la livraison ultérieure de combustible nucléaire à la centrale, que les requérants ont déposés de leur propre chef après la clôture de la procédure écrite (paragraphe 8 ci-dessus), n'établissent pas, eux non plus, l'existence d'une telle menace. En conséquence, eu égard aux faits, la même conclusion s'impose en l'espèce à la Cour que dans l'affaire Balmer-Schafroth et autres (extrait de l'arrêt cité au paragraphe 45 ci-dessus) : le lien entre la décision du Conseil fédéral et les droits reconnus par l'ordre juridique interne et revendiqués par les requérants était trop ténu et lointain.
52. D'ailleurs, dans leurs observations à la Cour, les requérants semblent admettre qu'ils ne se plaignent pas tant d'une menace précise et imminente les concernant personnellement que du danger général que présentent toutes les centrales nucléaires, et un grand nombre des arguments invoqués avaient trait à des aspects inhérents à l'utilisation de l'énergie nucléaire, tels que la sûreté, l'environnement et la technique. Ainsi, dans leurs réponses aux questions de la Cour, les intéressés ont expliqué le danger pour leur intégrité physique en alléguant que « toute centrale nucléaire émet des radiations durant l'exploitation normale (...) et présente donc un risque pour la santé des êtres humains ». Ils ont conclu ainsi :
53. Les requérants tentent ainsi de puiser dans l'article 6 § 1 de la Convention un recours pour contester le principe même de l'utilisation de l'énergie nucléaire ou, du moins, un moyen de transférer du gouvernement aux tribunaux la compétence pour prendre, sur la base d'éléments techniques, la décision finale sur l'exploitation des différentes centrales nucléaires. Comme les intéressés l'ont exposé dans leur mémoire, « si l'autorité compétente doit tenir dûment compte de tels risques » - à savoir « d'un risque résiduel élevé de scénarios imprévus et d'une séquence imprévue d'événements susceptibles d'entraîner des dommages graves » - « et apprécier si les dispositifs de secours correspondants sont satisfaisants, il importe au plus haut point qu'elle soit indépendante, et seuls les tribunaux possèdent généralement cette indépendance ». En réponse aux questions de la Cour, ils ont expliqué leur point de vue en des termes analogues : « un examen judiciaire dans le cadre d'une procédure contradictoire paraît être le seul moyen approprié pour constater et étudier l'ensemble des déficiences éventuelles avant qu'il ne soit trop tard ».
54. La Cour estime toutefois que c'est à chaque Etat contractant de décider, selon son processus démocratique, comment réglementer au mieux l'utilisation de l'énergie nucléaire. On ne saurait interpréter l'article 6 § 1 comme dictant un schéma plutôt qu'un autre. Cette disposition exige que toute personne ait accès à un tribunal lorsqu'elle a un grief défendable relatif à une ingérence prétendument illégale dans l'exercice de l'un de ses droits (de caractère civil) reconnus dans l'ordre juridique interne. A cet égard, le droit suisse donnait aux requérants la possibilité de contester le renouvellement de l'autorisation d'exploitation en invoquant les motifs énoncés à l'article 5 de la loi fédérale sur l'énergie atomique. En revanche, quant à la prolongation du permis et à l'exploitation de la centrale à l'avenir, il ne leur conférait aucun droit en dehors de ceux prévus par le code civil en matière de nuisances et d'expropriation de fait (paragraphes 29 à 32 ci-dessus). Il n'appartient pas à la Cour d'examiner la question hypothétique de savoir si les recours prévus par le code civil auraient été suffisants pour répondre à ces exigences de l'article 6 § 1, comme le prétend le Gouvernement dans son exception préliminaire, dans le cas où les requérants auraient pu démontrer qu'ils se trouvaient personnellement exposés à une menace sérieuse, précise et imminente du fait du fonctionnement de la centrale nucléaire de Beznau II.
55. En résumé, l'issue de la procédure devant le Conseil fédéral était déterminante pour la question générale relative au renouvellement de l'autorisation d'exploitation de la centrale, mais cette procédure n'a pas « décidé » d'une contestation sur des « droits de caractère civil » - par exemple les droits à la vie, à l'intégrité physique et au respect des biens - que l'ordre juridique suisse conférait à chacun des requérants.
56. Devant la Commission, les requérants ont également allégué la violation de l'article 13 de la Convention en ce que, s'agissant de la décision de reconduire l'autorisation d'exploitation de la centrale nucléaire de Beznau II, ils n'auraient disposé d'aucun recours effectif en droit interne qui leur eût permis de dénoncer la violation de leurs droits à la vie et au respect de leur intégrité physique garantis par les articles 2 et 8. L'article 13 se lit ainsi :
57. La Commission et le Gouvernement estiment que l'article 13 est inapplicable, pour les mêmes raisons que l'article 6 § 1. En outre, dans la mesure où les articles 2 et 8 de la Convention seraient pertinents en l'espèce, le Gouvernement soutient que l'action civile mentionnée dans le cadre de l'exception tirée du non-épuisement des voies de recours internes sous l'angle de l'article 6 § 1 (paragraphes 29 à 32 ci-dessus) constituait un recours judiciaire effectif dont les requérants pouvaient user pour protéger leur vie, leur intégrité physique et leurs biens.
58. Selon la jurisprudence constante de la Cour, l'article 13 exige un recours interne pour les seules plaintes que l'on peut estimer « défendables » au regard de la Convention (voir, par exemple, l'arrêt Boyle et Rice c. Royaume-Uni du 27 avril 1988, série A n° 131, p. 23, § 52).
59. Tel que les requérants le présentent, leur grief sur le terrain de l'article 13, à l'instar de celui tiré de l'article 6 § 1, porte sur l'absence, en droit suisse, d'un recours judiciaire pour contester la décision du Conseil fédéral. La Cour a estimé que le lien entre cette décision et les droits à la protection de la vie, de l'intégrité physique et de la propriété reconnus par le droit interne et revendiqués par les requérants était trop ténu et lointain pour appeler l'application de l'article 6 § 1 (paragraphes 48 à 51 ci-dessus). Les raisons de ce constat amènent également à conclure, du fait d'un lien trop lointain, que les requérants n'ont démontré, quant à la décision du Conseil fédéral en tant que telle, l'existence d'aucun grief défendable de violation des articles 2 et 8 de la Convention et, en conséquence, d'aucun droit à un recours au titre de l'article 13. En résumé, comme dans l'affaire Balmer-Schafroth et autres, la Cour estime que l'article 13 ne trouve pas à s'appliquer.
60. Tout comme pour l'article 6 § 1 (paragraphe 54 ci-dessus), il n'appartient pas à la Cour d'examiner de plus en l'espèce la question hypothétique de savoir si l'action civile mentionnée par le Gouvernement aurait constitué un recours effectif aux fins de l'article 13, à supposer que les requérants eussent démontré l'existence d'un grief défendable de violation des articles 2 et 8 du fait de l'exploitation de la centrale nucléaire de Beznau II.