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Bundesgericht 
Tribunal fédéral 
Tribunale federale 
Tribunal federal 
 
 
 
 
4A_11/2023  
 
 
Arrêt du 8 décembre 2023  
 
Ire Cour de droit civil  
 
Composition 
Mmes et M. les Juges fédéraux 
Jametti, Présidente, Hohl et Rüedi. 
Greffier : M. Botteron. 
 
Participants à la procédure 
A.________ Ltd, 
représentée par 
Me Fabien Vincent Rutz, avocat, 
recourante, 
 
contre  
 
B.________ Ltd, 
représentée par 
Me Sven Engel, avocat, 
intimée. 
 
Objet 
contrats de vente, actes de corruption, application arbitraire du droit étranger; action reconventionnelle en dommages-intérêts, application du droit hongkongais ou du droit suisse, dommage et causalité, réserve de l'ordre public suisse; 
 
recours contre la décision rendue le 17 novembre 2022 par le Tribunal de commerce de la Cour suprême du canton de Berne. 
 
 
Faits :  
 
A.  
 
A.a. Depuis 2009, B.________ Ltd (ci-après: l'acheteuse, la défenderesse ou l'intimée), qui fabrique et commercialise des bijoux et des montres et dont le siège est à..., a acheté, à plusieurs reprises, à A.________ Ltd (ci-après: la venderesse, la demanderesse ou la recourante), dont le siège est à Hong Kong, des boîtes d'emballage de montres et de bijoux.  
C.________ (ci-après: l'employé ou l'employé corrompu) était l'employé de l'acheteuse et exerçait les fonctions de "purchasing & production manager" et de "head of coordination for logistic & OPC". Il a été retenu qu'il avait la "position de fiduciaire", au sens du droit hongkongais, auprès de son employeuse, ce que la venderesse conteste. 
D.________ (ci-après: le corrupteur), qui était le propriétaire réel de la venderesse à l'époque des faits, a versé à C.________ des pots-de-vin pour des montants totaux de 558'950 euros et 835'539 HKD, pour le remercier de l'aide apportée sur une période de six ans; il a également versé à la femme de celui-ci l'équivalent de 323'627,65 HKD. Au total, les pots-de-vin se sont élevés à 5'876'369,28 HKD (ce qui représente plus de 700'000 fr. suisses). Les pots-de-vin versés à C.________ ont été crédités sur un compte de celui-ci, ouvert spécialement pour leur réception, de façon que leur versement ne soit pas découvert par la société acheteuse. 
 
A.b. Au début de l'année 2014, une plainte pénale pour, notamment, corruption et gestion déloyale, a été déposée devant les juridictions neuchâteloises par une société du groupe auquel appartient l'acheteuse.  
 
A.c. En mars 2014, C.________ a démissionné de son poste auprès de l'acheteuse.  
Celle-ci a requis l'extension de la procédure pénale à C.________ et à D.________ le 29 décembre 2014. 
C'est au cours de l'enquête pénale, en été 2015, que l'acheteuse a pris conscience de l'ampleur du dossier et du fait que la venderesse était impliquée dans cette affaire de corruption. 
 
A.d. Ignorant ce contexte de versements de pots-de-vin du corrupteur à son ancien employé corrompu, l'acheteuse a passé encore cinq commandes à la venderesse entre le 11 novembre 2014 et le 16 avril 2015. Ces commandes constituent des contrats de vente de marchandises.  
La venderesse a livré les marchandises, étant précisé que la livraison de 3'000 pièces en lien avec la première commande est contestée et que le solde de 34'600 pièces dû sur la quatrième commande n'a pas été livré, l'acheteuse ayant refusé d'en prendre livraison. 
De son côté, l'acheteuse n'a pas payé les factures relatives aux cinq commandes. 
 
A.e. Par jugement du 2 septembre 2022, le tribunal criminel du Tribunal régional des Montagnes et du Val-de-Ruz a acquitté C.________, notamment, au bénéfice du doute, de l'inculpation de gestion déloyale de l'art. 158 CP, en se basant sur les déclarations de celui-ci, selon lesquelles il n'avait pas particulièrement de poids dans les décisions en matière de choix de fournisseurs, ni une grande autonomie ou liberté d'action du fait qu'il devait en référer à ses supérieurs hiérarchiques.  
Il a également acquitté D.________. 
 
B.  
Par demande du 22 juillet 2016, déposée devant le Tribunal de commerce de la Cour suprême du canton de Berne, la venderesse a ouvert contre l'acheteuse une action en paiement des cinq commandes, soit des marchandises livrées ou dont la livraison a été refusée par l'acheteuse, concluant à la condamnation de celle-ci à lui payer huit montants en HKD (dollars HK), soit au total 3'158'380 HKD avec des intérêts courant à partir de différentes dates (correspondant, au cours de 1 CHF = 8,090691 HKD, à 390'372 fr. suisses en chiffre arrondi), ainsi qu'à la mainlevée de l'opposition au commandement de payer (poursuite n° 96004308). 
Selon la demanderesse, l'acheteuse ne peut pas refuser de payer le prix convenu, car, si le droit hongkongais est généreux s'agissant des allégations de corruption, il faut se montrer strict dans l'examen de la réalisation des conditions qu'il pose. Selon elle, l'employé corrompu n'avait pas la position de fiduciaire, puisqu'il n'avait pas le pouvoir d'engager la société et avait uniquement son mot à dire s'agissant des délais de livraison et de la qualité des produits, autrement dit parce qu'il était un simple exécutant. En outre, les actes de corruption commis par le corrupteur, qui n'était pas son représentant, ne pouvaient lui être imputés. Enfin, l'employé corrompu avait quitté la société acheteuse avant la passation des commandes litigieuses. 
La défenderesse acheteuse a conclu en substance, le 30 juin 2017, au rejet de la demande, subsidiairement à l'annulation des cinq contrats et à la compensation avec son dommage, et, reconventionnellement, a formé plusieurs chefs de conclusions. Invoquant les actes de corruption de la venderesse à l'égard de son employé, l'acheteuse s'oppose au paiement du prix de vente des marchandises en invoquant en compensation le dommage qu'elle a subi du fait de ces actes de corruption; reconventionnellement, elle a conclu à la condamnation de la demanderesse à lui payer notamment le montant de 6'100'728,64 HKD avec intérêts à 5% l'an dès juin 2017. 
Comme le relate le jugement attaqué, la défenderesse fait valoir que son employé corrompu était responsable des achats et des produits, ayant occupé en dernier lieu le poste de chef de la coordination logistique, et non pas un simple exécutant. Il a fait de nombreux voyages en Asie pour rencontrer les fournisseurs, ce qui lui permettait de conseiller les autres personnes impliquées et d'influencer le "département achat". En lui donnant des conseils alors qu'il avait reçu secrètement des pots-de-vin de la venderesse, dont le corrupteur était propriétaire, il s'est trouvé en conflit d'intérêts évident avec elle et a violé son obligation fiduciaire envers elle. Elle estime donc être en droit de ne pas payer les commandes litigieuses, la corruption étant établie. En outre, le droit hongkongais lui permet de réclamer des dommages-intérêts; cette action n'est pas contraire à l'ordre public suisse. 
La demanderesse a répondu à la demande reconventionnelle le 18 septembre 2017. Un délai pour dupliquer lui ayant été refusé, la défenderesse a déposé ses remarques finales le 27 octobre 2017. 
Par décision incidente du 8 juillet 2019, le tribunal de commerce a déclaré que le droit hongkongais est applicable à la demande reconventionnelle en réparation du dommage du fait de la corruption. Il a ordonné une expertise du droit hongkongais. L'expert mandaté a déposé son rapport le 26 août 2020 et son rapport complémentaire le 29 avril 2021. 
Devant le Ministère public neuchâtelois, l'employé de l'acheteuse défenderesse a reconnu avoir reçu les montants des pots-de-vin. 
Le Tribunal de commerce a rendu une ordonnance de preuves le 20 octobre 2022. Lors de l'audience de la même date, il a interrogé les représentants des parties, ainsi que deux témoins. Le jugement pénal neuchâtelois motivé du 2 septembre 2022 acquittant l'employé a été produit et le mandataire de la demanderesse a dicté deux allégués nouveaux au procès-verbal de l'audience. 
Par décision finale du 17 novembre 2022, le Tribunal de commerce de la Cour suprême du canton de Berne a considéré que le droit hongkongais était également applicable aux allégations de corruption et à la demande. Il a entièrement rejeté la demande et, admettant la demande reconventionnelle sur une partie de sa conclusion subsidiaire n° 8, a condamné la demanderesse à payer à la défenderesse le montant de 3'306'189,28 HKD avec intérêts à 5% l'an dès le 17 juillet 2015. 
 
C.  
Contre ce jugement, qui lui a été notifié le 25 novembre 2022, la demanderesse a interjeté un recours en matière civile au Tribunal fédéral le 10 janvier 2023. Elle conclut à sa réforme en ce sens que, sur demande principale, l'acheteuse défenderesse soit condamnée à lui payer le prix de vente des marchandises, soit les huit montants qu'elle réclamait dans sa demande, et que la mainlevée de l'opposition formée par celle-ci au commandement de payer soit prononcée, et, sur reconvention, à ce que l'acheteuse défenderesse soit déboutée de ses conclusions; subsidiairement, elle conclut à l'annulation du jugement cantonal et au renvoi de la cause au tribunal de commerce pour nouvelle décision dans le sens des considérants. 
La défenderesse intimée conclut au rejet du recours dans la mesure où il est recevable. 
Les parties ont encore déposé chacune des observations. 
Le tribunal s'est référé à sa décision. 
 
 
Considérant en droit :  
 
1.  
Interjeté en temps utile compte tenu des féries de Noël (art. 46 al. 1 let. c LTF), par la partie demanderesse qui a succombé dans ses conclusions sur demande principale et sur demande reconventionnelle (art. 76 al. 1 LTF), contre un jugement rendu par le Tribunal de commerce de la Cour suprême du canton de Berne en vertu de l'art. 6 al. 2 CPC (art. 75 al. 2 let. b LTF), le recours en matière civile est recevable au regard de ces dispositions. 
 
2.  
 
2.1. Le Tribunal fédéral statue sur la base des faits établis par l'autorité précédente (art. 105 al. 1 LTF). Relèvent de ces faits tant les constatations relatives aux circonstances touchant l'objet du litige que celles concernant le déroulement de la procédure conduite devant l'instance précédente et en première instance, c'est-à-dire les constatations ayant trait aux faits procéduraux (ATF 140 III 16 consid. 1.3.1 et les références). Le Tribunal fédéral ne peut rectifier ou compléter les constatations de l'autorité précédente que si elles sont manifestement inexactes ou découlent d'une violation du droit au sens de l'art. 95 LTF (art. 105 al. 2 LTF). "Manifestement inexactes" signifie ici "arbitraires" (ATF 140 III 115 consid. 2; 135 III 397 consid. 1.5). Encore faut-il que la correction du vice soit susceptible d'influer sur le sort de la cause (art. 97 al. 1 LTF).  
La critique de l'état de fait retenu est soumise au principe strict de l'allégation énoncé par l'art. 106 al. 2 LTF (ATF 140 III 264 consid. 2.3 et les références). La partie qui entend attaquer les faits constatés par l'autorité précédente doit expliquer clairement et de manière circonstanciée en quoi ces conditions seraient réalisées (ATF 140 III 16 consid. 1.3.1 et les références). Si elle souhaite obtenir un complètement de l'état de fait, elle doit aussi démontrer, par des renvois précis aux pièces du dossier, qu'elle a présenté aux autorités précédentes, en conformité avec les règles de la procédure, les faits juridiquement pertinents à cet égard et les moyens de preuve adéquats (ATF 140 III 86 consid. 2). Si la critique ne satisfait pas à ces exigences, les allégations relatives à un état de fait qui s'écarterait de celui de la décision attaquée ne pourront pas être prises en considération (ATF 140 III 16 consid. 1.3.1). 
 
2.2. Le recours en matière civile peut être formé pour violation du droit fédéral, y compris le droit constitutionnel (art. 95 let. a LTF). Il ne peut être formé pour violation du droit étranger qu'en cas d'inapplication du droit étranger désigné par le droit international privés suisses (art. 96 let. a LTF) et en cas d'application erronée du droit étranger désigné par le droit international privé suisse, pour autant qu'il s'agisse d'une affaire non pécuniaire (art. 96 let. b LTF). Lorsque l'affaire est de nature pécuniaire, seule l'application arbitraire du droit étranger (violation de l'art. 9 Cst. dans l'application du droit étranger) peut être invoquée (art. 95 let. a LTF) (ATF 138 III 489 consid. 4.3; arrêt 4A_133/2021 du 26 octobre 2021 consid. 6.3.1).  
Sous réserve de la violation des droits constitutionnels (art. 106 al. 2 LTF), le Tribunal fédéral applique le droit d'office (art. 106 al. 1 LTF). Cela ne signifie pas que le Tribunal fédéral examine, comme le ferait un juge de première instance, toutes les questions juridiques qui pourraient se poser. Compte tenu de l'obligation de motiver imposée par l'art. 42 al. 2 LTF, il ne traite que les questions qui sont soulevées devant lui par les parties, à moins que la violation du droit ne soit manifeste (ATF 140 III 115 consid. 2). Pour satisfaire à cette exigence, le recourant doit discuter les motifs de la décision entreprise et indiquer précisément en quoi il estime que l'autorité précédente a méconnu le droit (ATF 140 III 86 consid. 2 et les arrêts cités; arrêt 4A_249/2017 du 8 décembre 2017 consid. 2.2). 
Le Tribunal fédéral n'entre en matière sur la violation de droits constitutionnels que si le grief en a été soulevé et motivé conformément au principe de l'allégation (art. 106 al. 2 LTF). Pour satisfaire à cette exigence, le recourant doit indiquer précisément quelle disposition constitutionnelle a été violée et démontrer par une argumentation précise en quoi consiste la violation (ATF 135 III 232 consid. 1.2; 133 III 393 consid. 5). 
 
3.  
Dans une partie "En fait", la recourante fait valoir que le tribunal criminel du Tribunal régional des Montagnes et du Val-de-Ruz a, par jugement du 2 septembre 2022, prononcé un acquittement général des accusés et que, sur la base de cette pièce, qu'elle a offerte en preuve, elle a formulé deux allégués nouveaux, dont le Tribunal de commerce ne fait pas mention, à savoir, en substance, le fait que l'employé corrompu n'avait pas particulièrement de poids dans les décisions en matière de choix des fournisseurs ni une grande autonomie ou liberté d'action et le fait qu'il n'a pas adopté un comportement contraire à ses devoirs à l'égard de son employeuse. La recourante prie donc le Tribunal fédéral de les intégrer à son analyse. L'intimée ne s'est pas déterminée à cet égard. 
Il résulte du procès-verbal de la séance du 20 octobre 2022 que, à la suite de la lecture du jugement pénal, le mandataire de la demanderesse a dicté les deux allégués susmentionnés, avec, en offre de preuve, les motifs dudit jugement pénal (p. 24). Cette omission formelle dans l'exposé du déroulement de la procédure, contenu dans le jugement final, ne porte toutefois pas à conséquence puisque le Tribunal a jugé ces allégués recevables et a versé le jugement neuchâtelois au dossier. On ne saurait en déduire que le Tribunal n'en a pas tenu compte. L'objet des deux allégués est longuement discuté dans les motifs du jugement attaqué lorsque sont traitées les première et deuxième conditions des actes de corruption selon le droit hongkongais. Par ailleurs, il y a lieu de rappeler que le juge civil n'est pas lié, notamment, par l'acquittement prononcé au pénal (arrêt 4A_230/2021 du 7 mars 2022 consid.2.2). 
 
4.  
 
4.1. Selon le jugement attaqué, le droit hongkongais est applicable tant aux actes de corruption qu'à leurs conséquences sur la demande et sur la demande reconventionnelle. Les quatre conditions pour admettre les actes de corruption de la venderesse, par son représentant (le corrupteur), au préjudice de l'acheteuse, dont a bénéficié personnellement l'employé corrompu de celle-ci, sont réunies. La défenderesse a donc valablement résolu les contrats de vente. Sur demande principale, le tribunal a donc rejeté les conclusions en paiement du prix de vente de la demanderesse. Sur demande reconventionnelle, il a considéré que, en raison des mêmes actes de corruption, la défenderesse peut, en ce qui concerne les marchandises non livrées, cumuler la résolution et l'action "money had and received" du droit hongkongais et, pour les marchandises livrées, une "practical justice" doit être appliquée. En chiffres, il a admis que la défenderesse avait droit à un montant équivalant à celui des pots-de-vin que la demanderesse avait versés à son employé corrompu, et ce indépendamment des pertes qu'elle a subies, mais qu'il doit en être déduit le prix des marchandises livrées.  
 
4.2. A l'encontre de cette motivation, la défenderesse recourante formule en vrac six griefs, sans que l'on puisse déterminer aisément à quel objet chacun de ces griefs se rapporte et quelle en est la conséquence sur les montants réclamés de part et d'autre. Pour peu que la Cour de céans soit en mesure de les comprendre, elle les examinera dans l'ordre des questions traitées par le Tribunal de commerce.  
 
5.  
Tout d'abord, il y a lieu d'examiner le premier grief de la recourante, puisqu'il semble concerner le jugement attaqué dans son ensemble. La recourante s'y plaint de violation de son droit d'être entendue (art. 29 al. 2 Cst.), sous son aspect de droit à une décision motivée. 
 
5.1. Le droit d'être entendu consacré à l'art. 29 al. 2 Cst. implique pour l'autorité l'obligation de motiver sa décision. Selon la jurisprudence, il suffit que le juge mentionne, au moins brièvement, les motifs qui l'ont guidé et sur lesquels il a fondé sa décision, de manière à ce que l'intéressé puisse se rendre compte de la portée de celle-ci et l'attaquer en connaissance de cause. Le juge n'a pas l'obligation d'exposer et de discuter tous les faits, moyens de preuve et griefs invoqués par les parties, mais peut au contraire se limiter à l'examen des questions décisives pour l'issue du litige (ATF 143 III 65 consid. 5.2; 134 I 83 consid. 4.1; arrêt 4A_400/2019 du 17 mars 2020 consid. 5.7.3, non publié dans l'ATF 146 III 265). La motivation peut pour le reste être implicite et résulter des différents considérants de la décision. En revanche, une autorité se rend coupable d'un déni de justice formel prohibé par l'art. 29 al. 2 Cst. si elle omet de se prononcer sur des griefs qui présentent une certaine pertinence ou de prendre en considération des allégués et arguments importants pour la décision à rendre (ATF 134 I 83 consid. 4.1; arrêt 4A_266/2020 du 23 septembre 2020 consid. 4.1).  
 
5.2. La recourante semble reprocher au Tribunal de commerce de n'avoir pas dressé séparément un état de fait dans lequel il aurait exposé les faits retenus et écartés, et d'avoir confondu l'état de fait avec les allégations des parties.  
Certes, le jugement est excessivement long dans son exposé du déroulement de la procédure et ne contient pas d'état de fait à l'image de celui que le Tribunal fédéral a été appelé à dresser. Le lecteur est, par conséquent, renvoyé à examiner les considérants de droit pour savoir quels sont les points litigieux et quels éléments de fait ont été retenus pour la subsomption. 
Toutefois, contrairement à ce qu'affirme la recourante, le jugement attaqué n'est pas un exposé des allégués des parties. S'agissant en particulier des quatre conditions nécessaires pour admettre des actes de corruption, leur exposé résulte de la partie "Matériellement" et la recourante a été en mesure de savoir quels éléments ont été retenus et de les critiquer. A part formuler des affirmations toutes générales, la recourante ne démontre pas quel fait précis, qu'elle aurait contesté, n'aurait pas été traité. Le grief est par conséquent infondé. 
 
6.  
Sur demande principale, soit sur le droit de la venderesse au paiement du prix des marchandises objets des cinq commandes passées entre le 11 novembre 2014 et le 16 avril 2015, le Tribunal de commerce a examiné l'objection soulevée par la défenderesse, à savoir l'existence d'actes de corruption qui ont été commis à son préjudice et qui justifient, selon elle, la résolution des contrats de vente et, partant, son refus de payer les prix de vente. 
Il n'est pas contesté que le droit hongkongais est applicable aux contrats de vente (art. 117 al. 2 LDIP) et, partant, à la résolution de ceux-ci pour cause de corruption. C'est à l'aune de ce droit que le Tribunal de commerce a examiné les actes de corruption. 
La venderesse recourante ne remet pas en cause l'application de ce droit étranger aux actes de corruption, se limitant à critiquer l'arbitraire dans son application. Elle conteste que les conditions de tels actes soient réalisées, en formulant plusieurs griefs. Après avoir rappelé les motifs du jugement attaqué (consid. 6.1), la Cour de céans examinera donc successivement le grief de l'allégation suffisante des quatre conditions des actes de corruption (consid. 6.2), celui de la réalisation de la condition de "position de fiduciaire", sous deux aspects (consid. 6.3), et celui de la réalisation de la condition de la violation de ses obligations par le fiduciaire à l'égard de sa mandante (consid. 6.4). 
 
6.1. Se basant sur l'expertise du droit hongkongais qu'il a ordonnée, le Tribunal a jugé que les actes de corruption supposent la réalisation de quatre conditions: (1) la personne corrompue a une "position de fiduciaire" à l'égard de son mandant (la question se posant en l'espèce pour la position qu'occupe l'employé corrompu chez son employeuse); (2) le fiduciaire doit avoir violé ses obligations envers son mandant (la question étant de savoir si l'employé corrompu a clairement violé ses devoirs à l'égard de son employeuse); (3) le corrupteur doit avoir agi avec malhonnêteté (la question étant de savoir si le corrupteur a agi ainsi); et (4) l'acte du corrupteur doit pouvoir être imputé à la société ayant conclu la transaction avec la victime (soit la question de savoir si les actes du corrupteur sont imputables à la venderesse).  
Le Tribunal a jugé que ces quatre conditions étaient réalisées en l'espèce. 
En résumé, il a estimé (1) que l'employé corrompu avait une position de fiduciaire et (2) qu'il avait violé ses obligations à l'égard de son employeuse; pour éviter d'inutiles redites, ces deux conditions faisant l'objet de critiques spécifiques seront développées ci-après (cf. consid. 6.3 et 6.4). 
Puis, il a considéré que (3) le corrupteur a agi avec malhonnêteté, parce que le fait de verser des pots-de-vin importants sur un compte personnel du corrompu démontre qu'il savait que ce paiement avait lieu au bénéfice personnel de celui-ci et qu'il voulait empêcher ainsi l'acheteuse de découvrir ses actes de corruption. Enfin, il a considéré que (4) les actes de corruption du corrupteur sont imputables à la venderesse, puisque celui-ci en était le propriétaire réel au moment des actes de corruption, qu'il a vraisemblablement encore la maîtrise de fait sur cette société et qu'il gérait les transactions litigieuses pour cette société; il a déduit cette conséquence du fait que l'ex-épouse du corrompu, qui avec son mari avait des liens avec le corrupteur, s'est vu verser 40'000 fr. (323'627,65 HKD) par la société venderesse, que l'ex-épouse a déclaré que cette société est la société du corrupteur, du fait que des courriels ont été transférés au corrupteur, ce qui signifie qu'il avait un intérêt dans cette société, et que le directeur actuel de la demanderesse n'est qu'un homme de paille du corrupteur, ses déclarations concernant les circonstances dans lesquelles il aurait acquis la société demanderesse n'étant pas crédibles, ni conformes à la réalité. 
En conclusion, le Tribunal a jugé que la demanderesse s'était rendue coupable d'actes de corruption, ce qui justifiait la résolution des contrats de vente par l'acheteuse. Sur demande principale, les conclusions en paiement prises par la demanderesse devaient être rejetées et, sur demande reconventionnelle, la demanderesse devait être condamnée à payer à la défenderesse l'équivalent des pots-de-vin versés, sous déduction d'un montant pour les marchandises livrées et non restituables. 
 
6.2. Dans son 3e grief, la demanderesse recourante soulève un défaut d'allégation en ce qui concerne les quatre conditions des actes de corruption selon le droit hongkongais, estimant que les allégués de la réponse et demande reconventionnelle ne sont pas conformes aux art. 55 al. 1, 221 al. 1 let. d et 222 al. 2 CPC suisse. Elle en déduit que, faute d'avoir été allégués, les faits qui ont été constatés n'auraient pas dû l'être, qu'ils doivent être écartés et que ses prétentions en paiement du prix doivent être admises et que la prétention reconventionnelle en dommages-intérêts telle qu'allouée à la défenderesse doit être rejetée. Ce faisant, la recourante ne se plaint pas du défaut d'allégation objectif, lequel relève du droit matériel (art. 8 CC), mais uniquement de la question de savoir si les parties ont bien soumis au Tribunal de commerce le litige qu'il a tranché (fardeau de l'allégation subjectif).  
 
6.2.1. Lorsque la maxime des débats est applicable (art. 55 al. 1 CPC), il incombe aux parties, et non au juge, de rassembler les faits du procès. Les parties doivent alléguer les faits sur lesquels elles fondent leurs prétentions (fardeau de l'allégation subjectif), produire les moyens de preuve qui s'y rapportent (fardeau de l'administration des preuves) et contester les faits allégués par la partie adverse (fardeau de la contestation), le juge ne devant administrer les moyens de preuve que sur les faits pertinents et contestés (art. 150 al. 1 CPC) (ATF 149 III 105 consid. 5.1; 144 III 519 consid. 5.1). À cet égard, il importe peu que les faits aient été allégués par le demandeur ou par le défendeur puisqu'il suffit que les faits fassent partie du cadre du procès pour que le juge puisse en tenir compte (ATF 149 III 105 consid. 5.1; 143 III 1 consid. 4.1). Il n'en demeure pas moins que celui qui supporte le fardeau de la preuve (art. 8 CC) et donc, en principe, le fardeau de l'allégation objectif, a toujours intérêt à alléguer lui-même les faits pertinents, ainsi qu'à indiquer au juge ses moyens de preuve, pour qu'ils fassent ainsi partie du cadre du procès (ATF 149 III 105 consid. 5.1; 143 III 1 consid. 4.1).  
Doivent être allégués les faits pertinents, c'est-à-dire les éléments de fait concrets correspondant aux faits constitutifs de l'état de fait de la règle de droit matériel (c'est-à-dire les "conditions" du droit) applicable dans le cas particulier (arrêts 4A_126/2019 du 17 février 2020 consid. 6.1.2; 4A_243./2018 du 17 décembre 2018 consid. 4.2; cf. FABIENNE HOHL, Procédure civile, T. I, 2 e éd., 2016, n. 1219 et 1229).  
 
6.2.2. Lorsque, comme en l'espèce, les actes de corruption sont soumis à un droit étranger, en l'occurrence le droit hongkongais, les faits pertinents à alléguer sont donc déterminés par ce droit.  
Force est de constater que les quatre conditions auxquelles sont soumis les actes de corruption par le droit hongkongais ressortent déjà des "positions respectives des parties", telles que relatées par le jugement attaqué et que la recourante ne critique pas. Bien que l'expertise juridique du droit hongkongais et son rapport complémentaire aient été rendus après la fin de l'échange d'écritures, la réponse et la demande reconventionnelle ont clairement soumis au Tribunal de commerce les quatre conditions constitutives selon ce droit, à savoir que (1) le corrompu avait reçu des pots-de-vin importants en tant que responsable des achats auprès de l'acheteuse, à quoi la demanderesse a objecté qu'il n'était qu'un simple exécutant, (2) qu'il a agi en violation de ses devoirs au détriment de l'acheteuse "alors qu'elle aurait probablement pu obtenir de meilleures conditions auprès de concurrents, que (3 et 4) le corrupteur, qui a versé ces importantes sommes au corrompu par l'intermédiaire de ses sociétés, l'a fait dans le but d'obtenir des commandes de la part de l'acheteuse, en faveur de ses sociétés, dont il est propriétaire et/ou actionnaire. Ces allégations étaient donc suffisantes pour saisir le Tribunal de commerce du litige portant sur les actes de corruption. Il n'était pas nécessaire de développer dans le détail ces conditions; c'est en effet ce à quoi vise l'administration des preuves. Il n'était pas non plus nécessaire de qualifier juridiquement les faits, par exemple d'utiliser le terme de "position de fiduciaire"; il suffit qu'il ait été allégué que le corrompu était responsable des achats. 
Il s'ensuit que le Tribunal n'a pas statué sur des faits non allégués par les parties. Le grief de violation des art. 55 al. 1, 221 al. 1 let. d et 222 al. 2 CPC est donc infondé. 
 
6.3. En ce qui concerne la position de fiduciaire de la personne corrompue à l'égard de son employeuse (première condition des actes de corruption selon le droit hongkongais), la recourante soulève deux griefs.  
 
6.3.1. Premièrement, dans son 4e grief, la recourante se plaint d'application arbitraire du droit hongkongais, invoquant la violation des art. 96 let. b LTF a contrario en lien avec l'art. 9 Cst.  
 
6.3.1.1. Lorsque la cause est de nature pécuniaire, seule l'application arbitraire (art. 9 Cst.) du droit étranger (art. 95 let. a LTF) peut être invoquée (cf. consid. 2.2 ci-dessus). Le recourant doit satisfaire au principe de l'allégation de l'art. 106 al. 2 LTF, c'est-à-dire soulever expressément le grief et l'exposer de façon claire et détaillée (ATF 143 III 51 consid. 2.3; 138 III 489 consid. 4.3; 133 III 446 consid. 3.1; arrêts 4A_55/2022 du 13 septembre 2022 consid. 4.2; 4A_486/2021 du 9 mars 2022 consid. 5.2.2.1, non publié dans l'ATF 148 III 242).  
Une décision est arbitraire lorsqu'elle est manifestement insoutenable, méconnaît gravement une norme ou un principe juridique clair et indiscuté, ou heurte de manière choquante le sentiment de la justice et de l'équité; il ne suffit pas qu'une autre solution paraisse concevable, voire préférable; pour que cette décision soit annulée, encore faut-il qu'elle se révèle arbitraire non seulement dans ses motifs, mais aussi dans son résultat (ATF 144 III 145 consid. 2; 132 I 13 consid. 5.1; 131 I 217 consid. 2.1, 57 consid. 2; 129 I 173 consid. 3.1). 
Pour être jugée arbitraire, la violation du droit doit être manifeste et pouvoir être reconnue d'emblée (ATF 133 III 462 consid. 4.4.1). Le Tribunal fédéral n'a pas à examiner quelle est l'interprétation correcte que l'autorité cantonale aurait dû donner des dispositions applicables; il doit uniquement dire si l'interprétation qui a été faite est défendable (ATF 132 I 13 consid. 5.1; arrêt 4A_133/2021 précité consid. 6.3.1). Le résultat doit également être arbitraire. 
 
6.3.1.2. Le Tribunal de commerce a considéré, sur la base de l'expertise, que le droit hongkongais reconnaît plusieurs catégories de fiduciaires. Puis, en relation avec la violation de ses obligations par le fiduciaire, il a retenu qu'est un fiduciaire l'employé qui peut influencer le mandant en lui donnant des conseils. Dans la subsomption de son jugement sur ces deux conditions, il a retenu que l'employé corrompu, en raison de ses fonctions dans l'entreprise ("purchasing & production manager" et "head of coordination for logistic & OPC"), était responsable des achats, connaissait personnellement les fournisseurs et était, à l'interne, la personne qui avait le plus d'influence sur le choix d'un fournisseur, qu'il avait fait plusieurs déplacements en Chine, qu'il avait lui-même déclaré qu'il était "la porte d'entrée" du corrupteur auprès de son employeuse et que le corrupteur lui-même a déclaré qu'il lui a versé des pots-de-vin de 558'950 EUR et 835'539 HKD pour le remercier pour l'aide apportée. Le Tribunal en a déduit que l'employé corrompu avait la qualité de fiduciaire puisqu'il avait une grande influence au sein de la société défenderesse, ce que savait parfaitement le corrupteur, à défaut de quoi il ne lui aurait pas versé des sommes aussi importantes. Selon le Tribunal, l'affirmation selon laquelle l'employé corrompu n'aurait été qu'un simple exécutant, est contraire aux éléments du dossier et relève d'une mauvaise foi évidente.  
 
6.3.1.3. Il n'est pas arbitraire d'admettre que peut être assimilée à la "position de fiduciaire" la situation de l'employé qui, même s'il ne négocie pas et ne signe pas les contrats, est le responsable des achats, connaît les fournisseurs et a une grande influence sur l'employeur dans le choix des fournisseurs. Autrement dit, dès lors que l'employeur se fie à son employé pour contracter avec tel ou tel fournisseur, il est tout à fait défendable d'admettre que l'employé corrompu a une position de fiduciaire. La recourante soutient que l'employé corrompu, pour avoir la qualité de fiduciaire, doit avoir un pouvoir décisionnel général important dans la société lors de la conclusion des contrats, qu'il doit être administrateur ou titulaire d'une procuration commerciale, qu'il doit être autonome dans ses choix et ne pas avoir à en référer à ses supérieurs hiérarchiques, qui ont, eux, conclu les contrats. Ce faisant, elle ne démontre pas l'arbitraire de la déduction que le tribunal a tirée du droit hongkongais.  
 
6.3.2. Deuxièmement, la recourante se plaint, dans son 5e grief, d'appréciation arbitraire des preuves en ce qui concerne les circonstances de fait retenues pour la subsomption de cette première condition.  
Lorsque la recourante taxe de non crédibles les déclarations des représentants de la défenderesse, selon lesquelles l'employé corrompu était le responsable des achats, connaissait personnellement les fournisseurs et avait le plus d'influence sur le choix d'un fournisseur, elle se limite à de pures affirmations. De son côté, l'intimée a objecté dans sa réponse que l'employé lui-même a confirmé son influence en déclarant: " J'intervenais pour donner des conseils s'agissant des fournisseurs"; "si cela a été fait ainsi, c'est parce que j'avais une meilleure connaissance du terrain"; "je pouvais alors intervenir pour signaler que tel fournisseur était trop chargé"; or, la recourante s'est abstenue de réfuter cette objection dans sa réplique.  
En réalité, les critiques de la recourante manquent leur cible: en effet, sous couvert d'appréciation arbitraire des preuves, elle remet en cause l'interprétation du droit hongkongais effectuée par le Tribunal, dont il a été admis qu'elle n'est pas arbitraire. 
Au surplus, la recourante tente à nouveau de soutenir que certains faits n'auraient pas été allégués par la défenderesse; or, le sort de cette critique a été scellé ci-dessus (cf. consid. 6.2). 
 
6.3.3. En conclusion, contrairement à ce que soutient la recourante, il n'est pas arbitraire de retenir que les pots-de-vin équivalant à plus de 700'000 fr., versés par le corrupteur à l'employé corrompu pour l'aide apportée, sont la preuve de l'influence exercée par celui-ci sur la défenderesse lorsqu'elle a attribué les commandes de boîtes à la demanderesse, et ce même si les contrats ont été formellement conclus par les supérieurs hiérarchiques de celui-ci.  
 
6.4. Toujours dans son 5e grief, s'agissant de la deuxième condition, selon laquelle le fiduciaire doit avoir violé ses obligations envers son mandant, ce qui, en l'espèce, signifie que l'employé corrompu doit avoir violé ses devoirs de fiduciaire à l'égard de son employeuse, la recourante se plaint uniquement d'établissement et d'appréciation arbitraires des faits.  
 
6.4.1. Le Tribunal de commerce a considéré, en droit, que le fiduciaire qui reçoit des pots-de-vin du cocontractant de son mandant dans des circonstances où il peut influencer celui-ci, agit clairement en violation de ses obligations de fiduciaire; en effet, il existe alors une possibilité réelle que son intérêt entre en conflit avec celui de son mandant. En droit hongkongais, une simple possibilité de conflit d'intérêt est suffisante, une sur-facturation n'étant pas nécessaire et le fiduciaire pouvant même agir sans motif de corruption par exemple lorsqu'il agit après avoir reçu l'argent. Le pot-de-vin n'a pas à être versé pour un contrat spécifique, puisque l'influence du fiduciaire peut continuer à avoir un impact sur des contrats futurs de son mandant.  
Puis, par appréciation des déclarations convergentes du corrupteur et de l'employé corrompu, le Tribunal a retenu que les pots-de-vin ont été versés pour l'aide que le second a apportée au premier en ce qui concerne l'ensemble des sociétés qui appartenaient ou qui étaient contrôlées par celui-ci, et non pour l'aide apportée à une autre société durant une période antérieure. Il a jugé qu'en acceptant ces pots-de-vins du corrupteur, l'employé corrompu a violé ses devoirs de fiduciaire envers son employeuse, s'étant placé dans une situation où son intérêt personnel entrait manifestement en conflit avec celui de celle-ci (précisant qu'en droit hongkongais, une simple possibilité de conflit d'intérêts est même suffisante). L'influence du corrompu sur son employeuse a eu une incidence, même après sa démission, sur les contrats conclus ultérieurement par l'employeuse; en effet, celle-ci n'a appris que plus tard quelle était l'ampleur de la corruption et qui en était à l'origine. Le Tribunal en a conclu que le corrompu a clairement violé ses devoirs de fiduciaire envers son ex-employeuse. 
 
6.4.2. La recourante soutient que les pots-de-vin ont été versés à l'employé corrompu pour des contrats passés avec une société autre que les sociétés du corrupteur et qu'il n'a pas été allégué que les contrats avec cette société auraient concerné une période antérieure (2005-2006), ce dont elle conclut que le corrompu ne peut donc avoir violé ses devoirs d'employé à l'égard de son "mandant". Par cette simple affirmation, la recourante ne démontre pas l'arbitraire de l'appréciation du Tribunal.  
Si elle mentionne que le Tribunal criminel aurait admis que l'employé corrompu n'a pas violé ses obligations d'employé, la recourante se limite à cette affirmation qui ne trouve aucun appui dans les faits constatés dans le jugement ici attaqué. 
Par ailleurs, on relève que la recourante ne formule aucune critique d'arbitraire à l'égard de la réalisation des troisième et quatrième conditions, qui concernent précisément la malhonnêteté des actes de corruption du corrupteur et l'imputabilité de ceux-ci à la société demanderesse. Donc si le corrupteur a versé des pots-de-vin à l'employé corrompu, sur son compte personnel ouvert spécialement dans ce but, pour favoriser les commandes passées par la défenderesse à la demanderesse, on ne voit pas comment l'employé corrompu pourrait ne pas avoir violé ses devoirs d'employé à l'égard de son employeuse, la défenderesse. 
 
6.5. Tous les griefs de la recourante étant ainsi écartés, on ne peut que constater que le Tribunal de commerce pouvait, selon le droit hongkongais applicable en vertu de l'art. 117 al. 2 LDIP, considérer que les actes de corruption justifiaient la résolution des contrats de vente et, partant, prononcer, sur demande principale, le rejet des conclusions en paiement du prix formées par la demanderesse.  
La question de l'obligation de la défenderesse de restituer les marchandises livrées par la demanderesse ou, plus exactement, la non-restitution de ces marchandises et ses conséquences a été traitée par le Tribunal dans le contexte de la demande reconventionnelle, sous le titre de "practical justice", selon le droit hongkongais. 
 
7.  
Sur demande reconventionnelle, soit sur le droit de l'acheteuse de réclamer à la venderesse une indemnité pour le dommage que lui ont causé les actes de corruption, le Tribunal de commerce a retenu que, conformément au droit hongkongais, la défenderesse a droit au montant total de 5'876'369,28 HKD. Ce montant correspond à celui des pots-de-vin versés au corrompu et à sa femme durant la période de 2010 à 2015, la défenderesse alléguant que le prix de vente des marchandises aurait pu être réduit d'un montant équivalent (art. 105 al. 2 LTF). Le Tribunal en a toutefois déduit la valeur des marchandises livrées (et non restituées) par l'acheteuse à concurrence de 2'570'180 HKD. Il a donc condamné la demanderesse à payer à la défenderesse le montant de 3'306'189,28 HKD avec intérêts à 5% l'an dès le 17 juillet 2015. 
Dans son grief n° 2, la recourante conteste que le droit hongkongais soit applicable à la demande reconventionelle; selon elle, le droit suisse est applicable et, faute d'allégation et de preuve du dommage, l'action reconventionnelle devrait être rejetée. Subsidiairement, pour le cas où le droit hongkongais serait appliqué, elle soulève, dans son 6e grief, que cette action viole l'art. 17 LDIP, soit la réserve de l'ordre public suisse. 
 
7.1.  
 
7.1.1. Le Tribunal de commerce a admis l'application du droit hongkongais à l'action reconventionnelle. Examinant en fait si l'on se trouve en présence d'une relation commerciale préétablie ou plutôt de négociations précontractuelles, il a tranché en faveur de la première hypothèse: il a considéré qu'il faut prendre en considération la relation contractuelle entre les parties dans son ensemble, et non la voir comme une succession de contrats de vente distincts; selon toute vraisemblance, les actes de corruption ont été commis dans le cadre d'une relation commerciale préétablie qui s'est poursuivie jusqu'à la découverte des pots-de-vin, c'est-à-dire dans le cadre de contrats valablement conclus, respectivement dans la perspective d'autres commandes encore, excluant qu'il ne se soit agi que de négociations précontractuelles.  
Examinant ensuite si la relation ainsi constatée remplit les conditions de l'art. 133 al. 3 LDIP, il a considéré que la première condition, celle du rapport juridique préexistant est remplie, tout en se référant à Dutoit (BERNARD DUTOIT, Droit international privé suisse, Commentaire, 5e éd. 2016, n. 4 ad art. 112 LDIP). 
En ce qui concerne la deuxième condition, le Tribunal a considéré qu'il faut que l'acte illicite constitue une violation des devoirs résultant du rapport juridique préexistant, car un lien fortuit ne justifie pas une dérogation au critère de rattachement ordinaire de l'art. 133 al. 2 LDIP. Selon lui, tel est le cas en l'espèce, les actes de corruption ayant un lien très étroit avec la relation commerciale qu'entretenaient les parties et donc avec le rapport juridique qui liait celles-ci. En voulant, par ses versements à l'employé corrompu "le remercier" pour le volume des commandes passées et l'encourager à continuer dans cette voie, la venderesse a violé ses obligations contractuelles et poussé le corrompu à violer ses propres obligations de loyauté envers son employeuse, ce qui exclut un lien fortuit. 
Le Tribunal en conclut que le partenaire commercial qui "manipule" un employé de son cocontractant pour en tirer des avantages financiers est susceptible de lui causer un dommage en l'amenant à financer à son insu les profits illégitimes réalisés par son employé. Partant, le droit applicable à l'action reconventionnelle doit être le même que celui applicable à la relation contractuelle, c'est-à-dire le droit hongkongais. 
 
7.1.2. Dans son grief n° 2, la recourante invoque la violation de l'art. 96 let. a LTF, soit l'application du droit étranger hongkongais en lieu et place du droit suisse imposé par la LDIP, l'art. 133 al. 2 LDIP étant, selon elle, applicable. Le tribunal n'aurait pas motivé (art. 29 al. 2 Cst.) pourquoi la thèse de la responsabilité précontractuelle serait convaincante. Selon elle, l'art. 133 al. 3 LDIP ne serait pas applicable, à défaut de rapport juridique préexistant. Le droit suisse est applicable en vertu de l'art. 133 al. 2 LDIP parce que le prétendu acte illicite - la prétendue corruption de l'employé et de sa femme - s'est déroulé en Suisse et que le résultat se trouve en Suisse au siège de la défenderesse lésée. Or, en droit suisse, l'application de l'art. 41 al. 1 CO exige la preuve d'un dommage, lequel n'a été ni allégué, ni prouvé, ce qui conduirait au rejet de la demande reconventionnelle. Les autres conditions de l'action de l'art. 41 al. 1 CO ne seraient pas non plus réalisées.  
De son côté, la défenderesse intimée soutient que l'art. 133 al. 3 LDIP est applicable: selon elle, les pots-de-vin visaient à remercier le corrompu pour le volume de commandes passées et encore à passer; la venderesse était en relation commerciale avec elle, en était un de ses fournisseurs agréés; donc les commandes se sont greffées sur un rapport juridique préexistant. Cette relation commerciale n'est donc pas purement factuelle. L'intimée estime qu'il y a un rapport de connexité entre la relation commerciale et les actes de corruption: les actes de corruption n'auraient pas pu avoir lieu s'il n'y avait pas eu de relation commerciale préalable. Il ne serait donc pas possible d'appliquer un droit différent aux actes illicites et à la relation contractuelle; un même droit doit s'appliquer au même rapport juridique. Par surabondance, elle invoque la responsabilité précontractuelle et se réfère à l'opinion de Dutoit précitée. 
 
7.2. Le grief de la recourante de défaut de motivation (art. 29 al. 2 Cst.) relativement à l'opinion de Dutoit doit être écarté. En effet, même si le jugement attaqué ne développe pas le point de vue de cet auteur, il ressort clairement de la référence citée (BERNARD DUTOIT, Droit international privé suisse, Commentaire, 5e éd. 2016, n. 4 ad art. 112 LDIP) : Dutoit admet une notion large du contrat, englobant les litiges sur l'existence même du contrat, et soutient que, même si le dommage s'inscrit dans un contexte précontractuel, le droit déterminant est celui applicable au contrat, puisque la culpa in contrahendo (même si elle ne donne en soi pas naissance à une responsabilité contractuelle) ne s'explique que sur le fondement d'un processus de formation de la volonté des parties au contrat envisagé, peu importe que ce processus aboutisse ou non à une manifestation concordante de volontés et donc à un contrat. Or, la recourante ne démontre pas qu'elle n'aurait pas saisi cette opinion, qu'a faite sienne le Tribunal, et n'aurait pas été en mesure de la critiquer.  
 
7.3. Lorsqu'il n'existe aucun traité international entre les parties (art. 1 al. 2 LDIP), le droit applicable en matière internationale est régi par la LDIP (art. 1 al. 1 let. b LDIP). Tel est le cas en l'espèce, Hong Kong n'ayant adhéré à la Convention des Nations Unies sur les contrats de vente internationale de marchandises, conclue à Vienne le 11 avril 1980 (RS 0.221.211.1), que le 4 mai 2022, avec entrée en vigueur le même jour, soit postérieurement à la conclusion des contrats de vente litigieux.  
Le Tribunal fédéral applique d'office les règles de la LDIP (art. 95 let. a et 106 al. 1 LTF; cf. art. 96 let. a LDIP), sans être lié ni par les motifs invoqués par les parties, ni par l'argumentation juridique retenue par l'autorité cantonale (ATF 140 III 86 consid. 2; 135 III 397 consid. 1.4; 134 III 102 consid. 1.1; 133 III 545 consid. 2.2). 
Il est admis en droit interne que la partie victime du dol de sa partie cocontractante peut faire valoir sa créance en réparation du dommage en se prévalant tant d'un acte illicite que d'une violation du devoir de diligence dans les pourparlers (ATF 108 II 419 consid. 5; GAUCH/SCHLUEP/SCHMID, Schweizerisches Obligationenrecht, Allgemeiner Teil, 11e éd. 2020, T. I, n. 870). Autrement dit, les actes de corruption peuvent donner lieu à une responsabilité pour acte illicite et/ou à une responsabilité fondée sur la confiance déçue. 
Il s'impose d'examiner ce qu'il en est de ces deux droits dans le contexte de la LDIP, applicable en matière internationale, en particulier quelle loi leur est applicable. 
 
7.3.1. En ce qui concerne la responsabilité pour acte illicite, l'art. 133 al. 2 LDIP dispose que le droit de l'État dans lequel l'acte illicite a été commis est applicable lorsque l'auteur et le lésé n'ont pas de résidence habituelle dans le même État (critère de rattachement ordinaire). Toutefois, selon l'art. 133 al. 3 LDIP, le droit applicable au rapport juridique existant entre l'auteur et le lésé est applicable aux prétentions fondées sur l'acte illicite qui viole ce rapport (critère de rattachement accessoire).  
La principale raison du rattachement accessoire réside dans le respect des expectatives des parties: lorsqu'elles sont liées par un rapport préexistant, elles peuvent légitimement s'attendre à ce que le droit applicable à ce rapport régisse les conséquences de l'acte illicite (BONOMI, Commentaire romand LDIP/CL, n. 21 ad art. 133 LDIP; HEINI/GÖKSU, Zürcher Kommentar IPRG, n. 13 ad art. 133 LDIP). Ce rattachement permet aussi de garantir l'application d'un même droit aux questions qui relèvent du contrat et à celles qui ressortissent aux actes illicites, notamment en cas de concours d'actions (HEINI/GÖKSU, op. cit., n. 11 ad art. 133 LDIP). 
L'art. 133 al. 3 LDIP subordonne le rattachement accessoire à deux conditions (HEINI/GÖKSU, op. cit., n. 13 ad art. 133 LDIP; BONOMI, op. cit., n. 23-24 ad art. 133 LDIP). Premièrement, il faut qu'avant la commission de l'acte dommageable, l'auteur et le lésé aient déjà été liés par un rapport juridique (arrêt 4A_620/2014 du 19 mars 2015 consid. 2.1). Deuxièmement, il est nécessaire que l'acte illicite constitue également une violation des devoirs que le rapport juridique préexistant impose à l'auteur. 
En l'espèce, le jugement attaqué ne contient aucune constatation sur les circonstances qui ont entouré la conclusion du premier contrat de vente en 2009. On ignore donc si, comme semble l'admettre la cour cantonale, à tort au degré de la vraisemblance, la venderesse était déjà un fournisseur au moment où le premier pot-de-vin a été versé à l'employé corrompu - que ce soit en vue de la commande ou en remerciement pour celle-ci - ou si, comme le soutient la défenderesse intimée, les pots-de-vin n'ont été versés qu'après la conclusion des contrats, pour remercier l'employé pour le volume de commandes adressées et l'encourager à continuer à en passer. On peut toutefois se dispenser d'examiner plus avant la question dès lors que les actes de corruption qu'invoque la défenderesse sont aussi constitutifs d'une culpa in contrahendo. 
 
7.3.2. La responsabilité fondée sur la confiance (éveillée et déçue), dont la culpa in contrahendo est un exemple, suppose que les intéressés se soient trouvés dans ce qu'on appelle une relation juridique spéciale, qui seule justifie l'application des devoirs de protection et d'information qui découlent du principe de la bonne foi (art. 2 CC). Elle repose sur un fondement propre de responsabilité qui se situe entre le contrat et l'acte illicite (ATF 142 III 84 consid.3.3; 130 III 345 consid. 2.1), soit un chef de responsabilité particulier qui est soumis à des modalités légales propres (ATF 134 III 390 consid. 4.3.2).  
Selon la jurisprudence, le caractère hybride de la responsabilité fondée sur la confiance déçue pose problème en droit international privé, marqué par la distinction fondamentale entre le statut contractuel et le statut délictuel (arrêt 4A_503/2021 du 25 avril 2022 consid. 3). La doctrine oscille entre l'application du droit applicable au contrat et l'application du droit applicable à l'acte illicite, selon que les négociations précontractuelles ont abouti ou non à la conclusion du contrat et en fonction des prétentions précontractuelles en cause (pour un résumé, cf. BONOMI, Commentaire romand LDIP/CL, n. 22 ss ad art. 112-149 LDIP; KREN KOSTKIEWICZ, Zürcher Kommentar IPRG, n. 200 ss ad art. 117 LDIP; OLIVIER RISKE, La responsabilité précontractuelle dans le processus d'uniformisation du droit européen, 2016, n. 1181 p. 444). 
Vu la difficulté à rattacher la responsabilité fondée sur la confiance à l'une ou à l'autre de ces catégories, la jurisprudence préconise de rechercher la solution la plus appropriée au cas concret en fonction de la question litigieuse (arrêt 4A_503/2021 du 25 avril 2022 consid. 3; OLIVIER RISKE, op. cit., n. 1204 p. 454). 
En l'espèce, les actes de corruption se sont produits sur une longue période au cours de laquelle de très nombreuses commandes de marchandises ont été effectuées, sans que le jugement attaqué n'ait pu déterminer plus précisément si la venderesse était un fournisseur de l'acheteuse avant le premier acte de corruption. Les marchandises ont été livrées et ne sont pas restituables. La résolution des contrats par la défenderesse n'est intervenue qu'après coup, pour s'opposer au paiement du prix des cinq dernières commandes et pour agir en réparation du dommage, qui s'apparente d'ailleurs à une réduction du prix excessif convenu. Dans ces circonstances, il y a lieu d'admettre que la présente action reconventionnelle doit être soumise au statut contractuel, soit au droit hongkongais applicable aux différents contrats en vertu de l'art. 117 al. 2 LDIP
 
7.4. Dans son dernier grief (n° 6), pour le cas où le droit hongkongais serait appliqué, la recourante soutient que cette action viole l'art. 17 LDIP, soit la réserve de l'ordre public suisse.  
 
7.4.1. Il résulte du jugement attaqué que le droit hongkongais accorde à la partie lésée par des actes de corruption les allégements légaux suivants: premièrement, elle n'a pas à prouver un motif subjectif de corruption; deuxièmement, elle n'a pas à démontrer que le contrat entaché de corruption a été conclu à des conditions défavorables (c'est-à-dire établir un dommage) ou que la corruption a effectivement influencé le fiduciaire (c'est-à-dire prouver la causalité des actes avec le dommage). La partie lésée a droit au paiement des pots-de-vin non seulement à l'égard du fiduciaire corrompu, mais également à l'égard de la venderesse corruptrice, et ce indépendamment des pertes qu'elle a subies. Si les marchandises livrées ne peuvent pas être restituées, le tribunal oblige le corrupteur à abandonner ses profits et avantages, tout en le rémunérant pour le travail qu'il a effectivement fourni conformément à la transaction. Si la partie lésée subit des pertes supplémentaires, dépassant la valeur des pots-de-vin, la partie lésée peut agir en dommages-intérêts, mais doit prouver ses pertes. Elle dispose également d'une action en restitution des profits contre le corrupteur.  
Ayant constaté que les actes de corruption et le montant des pots-de-vin étaient établis, le tribunal de commerce a condamné la demanderesse à payer à la défenderesse un montant équivalant aux pots-de-vin, sous déduction de la valeur des marchandises livrées (et non payées) et non restituées. Il a écarté le grief que la demanderesse tirait de l'art. 17 LDIP: selon lui, le principe invoqué par la demanderesse selon lequel le dédommagement du lésé ne doit pas conduire à son enrichissement n'est pas couvert par la réserve de l'ordre public suisse, ce d'autant que la valeur de la marchandise livrée a été déduite. En outre, même si le droit hongkongais est "plus strict" que le droit suisse, "on est très loin d'une règle qui violerait de manière intolérable le sentiment du droit tel qu'il existe en Suisse". 
La recourante soutient que l'art. 17 LDIP s'oppose à l'application du droit hongkongais qui permet à l'acheteuse de lui réclamer le montant équivalant aux pots-de-vin de 752'201 fr. 30, puisque la défenderesse n'a pas établi - et n'a pas à établir - son dommage et que le tribunal a même admis qu'il ne peut être exclu que les prix de vente pratiqués n'étaient pas surfaits par rapport à d'autres fournisseurs. Elle estime que la défenderesse vise à obtenir un montant décorrélé de tout dommage et que sa prétention en restitution intégrale des pots de-vin se situe au-dessus de son dommage. 
 
7.4.2. Selon l'art. 17 LDIP, l'application de dispositions du droit étranger est exclue si elle conduit à un résultat incompatible avec l'ordre public suisse.  
 
7.4.2.1. Cette disposition institue la réserve dite négative de l'ordre public suisse, puisqu'elle exclut l'application du droit étranger. Elle permet au juge de ne pas appliquer exceptionnellement un droit matériel étranger qui aurait pour résultat de heurter de façon insupportable les moeurs et le sentiment du droit en Suisse (ATF 129 III 250 consid. 3.4.2; 125 III 443 consid. 3d). De façon générale, la réserve de l'ordre public doit permettre au juge de ne pas apporter la protection de la justice suisse à des situations qui heurtent de manière choquante les principes les plus essentiels de l'ordre juridique, tel qu'il est conçu en Suisse. En obligeant le juge suisse à appliquer une loi étrangère, le droit international privé suisse accepte nécessairement que cette loi puisse diverger du droit suisse. Ainsi, qu'un mécanisme prévu par le droit étranger soit inconnu de l'ordre juridique suisse ou qu'il puisse paraître original aux yeux d'un juriste helvétique ne signifie pas encore qu'il doive être taxé d'incompatible avec l'ordre public suisse (arrêt 4A_133/2021 précité consid. 6.4.2).  
Il ne saurait donc être question d'en appeler à l'ordre public suisse chaque fois que la loi étrangère diffère, même sensiblement, du droit fédéral. La règle est au contraire l'application de la loi étrangère désignée par le droit international privé suisse (ATF 125 III 443 consid. 3d; arrêt 4A_133/2021 précité consid. 6.41;). 
Selon la jurisprudence, le principe de l'interdiction de l'enrichissement du lésé (ou principe indemnitaire), selon lequel l'allocation de dommages-intérêts ne doit jamais conduire à l'enrichissement du lésé, revêt un caractère fondamental en Suisse, aussi bien pour la responsabilité contractuelle que pour la responsabilité délictuelle. Il relève donc de l'ordre public suisse au sens de l'art. 17 al. 1 LDIP (arrêt 4A_492/2021 du 24 août 2022 consid. 10.3, non publié aux ATF 149 III 131, citant l'arrêt 4P.7/1998 du 17 juillet 1998 consid. 3c/aa). 
 
7.4.2.2. Admettre, comme le fait le droit hongkongais que la partie lésée a droit à l'équivalent du montant des pots-de-vin revient à retenir, par une sorte de présomption de fait, que le dommage que celle-ci subit équivaut à ce montant. Ce dommage correspond en quelque sorte à la diminution du prix de vente que l'acheteuse aurait pu obtenir de sa venderesse s'il n'y avait pas eu d'actes de corruption. En effet, économiquement, tout en couvrant ses frais de production, avec un certain bénéfice, la venderesse aurait pu réduire le prix de vente facturé à l'acheteuse du montant des pots-de-vin si elle ne les avait pas déjà versés à l'employé corrompu. Une telle façon de faire n'est pas étrangère à la façon dont le juge suisse doit fixer le dommage lorsque le montant exact de celui-ci ne peut pas être établi, conformément à l'art. 42 al. 2 CO (arrêt 4A_431/2015 du 19 avril 2016 consid. 5.1.2).  
Le montant des pots-de-vin a été prouvé et n'est pas contesté. Comme le retient le Tribunal, la venderesse, qui a corrompu l'employé de l'acheteuse, a conduit celle-ci à financer à son insu les profits illégitimes réalisés par celui-là. Autrement dit, si ceux-ci n'avaient pas été versés à l'employé corrompu, le prix de vente aurait été moins élevé à concurrence de leur montant. C'est d'ailleurs précisément ce que la défenderesse a allégué dans sa demande reconventionnelle lorsqu'elle a fait valoir que "si la demanderesse a versé ces montants à [l'employé corrompu] et son épouse, c'est qu'elle y trouvait manifestement un intérêt au moins égal à cette somme". 
Le résultat concret auquel le Tribunal de commerce est parvenu ne contrevient donc pas au principe de l'interdiction de l'enrichissement du lésé en matière de réparation du dommage et, partant, il n'est pas contraire à l'ordre public suisse. 
L'objection soulevée par l'intimée tirée du fait que le Tribunal aurait constaté qu'il "ne peut être exclu que les prix pratiqués [par la recourante] étaient conformes au marché" repose tout d'abord sur un passage tronqué du jugement attaqué: le Tribunal a retenu que "la défenderesse n'a pas établi - à juste titre puisque le droit hongkongais ne l'exige pas - que la demanderesse avait pratiqué des prix "surfaits" [...] il ne peut être exclu que les prix pratiqués étaient conformes au marché, ce qui est cependant douteux au vu du montant des pots-de-vin versés [...] mais n'a pas besoin d'être établi" selon le droit hongkongais. Ensuite, le dommage ne se mesure pas au prix du marché, mais au prix que l'acheteuse aurait pu obtenir si la venderesse n'avait pas versé de pots-de-vin, qui ont augmenté d'autant ce prix. On ne saurait dès lors y voir l'allocation de "punitive damages". 
Il s'ensuit qu'il n'y a pas de violation de la réserve de l'ordre public suisse de l'art. 17 LDIP
 
8.  
Au vu de ce qui précède, le recours en matière civile doit être rejeté dans la mesure où il est recevable, frais et dépens à la charge de son auteur (art. 66 al. 1 et 68 al. 1 LTF). 
 
 
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :  
 
1.  
Le recours est rejeté dans la mesure où il est recevable. 
 
2.  
Les frais judiciaires, arrêtés à 10'000 fr., sont mis à la charge de la recourante. 
 
3.  
La recourante versera à l'intimée une indemnité de 12'000 fr. à titre de dépens. 
 
4.  
Le présent arrêt est communiqué aux mandataires des parties et au Tribunal de commerce de la Cour suprême du canton de Berne. 
 
 
Lausanne, le 8 décembre 2023 
 
Au nom de la Ire Cour de droit civil 
du Tribunal fédéral suisse 
 
La Présidente : Jametti 
 
Le Greffier : Botteron