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Bundesgericht 
Tribunal fédéral 
Tribunale federale 
Tribunal federal 
 
 
 
 
4A_16/2023  
 
 
Arrêt du 8 novembre 2023  
I  
 
Composition 
Mmes les Juges fédérales 
Kiss, Juge présidant, Hohl et May Canellas, 
greffière Monti. 
 
Participants à la procédure 
A.________, 
représenté par Mes Jean-Christophe Diserens et Domenico Di Cicco, avocats, 
recourant, 
 
contre  
 
Commune B.________, 
représentée par Me Jacques Fournier, avocat, 
intimée. 
 
Objet 
arbitrage interne; résiliation d'un bail à ferme agricole, 
 
recours en matière civile contre la sentence rendue le 12 décembre 2022 par un arbitre unique. 
 
 
Faits :  
 
A.  
 
A.a. En 2011, la B.________, en Valais, a cédé l'usage de divers alpages à A.________ (le fermier) en vertu d'un premier « bail à ferme pour parcelles ». Le 21 mai 2015, les parties ont conclu le même type de contrat prenant effet le 1er janvier 2016 pour une durée initiale de six ans, renouvelable. Son chiffre 9 contenait une clause d'arbitrage et désignait comme procédure applicable celle du Concordat intercantonal sur l'arbitrage (CIA).  
 
A.b. Par lettre recommandée du 5 octobre 2020, adressée à C.________ et A.________, intitulée « Résiliation contrat de bail à ferme », la commune les a informés que le conseil bourgeoisial avait décidé le 28 septembre 2020 de résilier le bail pour le 31 décembre 2021. Elle se référait à l'entretien que les prénommés avaient eu avec le président de la commune. La missive était signée par la secrétaire communale.  
 
A.c. Par pli recommandé du 30 août 2021 adressé au seul A.________, la commune a « confirmé » la résiliation de bail pour l'échéance du 31 décembre 2021.  
 
A.d. Le 29 novembre 2021, le fermier a saisi l'autorité valaisanne de conciliation en matière de bail à loyer. Ayant obtenu une autorisation de procéder, il a déposé une demande le 2 mars 2022 devant le Tribunal des districts de Martigny et Saint-Maurice. Ses conclusions sur le fond étaient identiques à celles formulées dans la requête d'arbitrage (cf. infra let. B).  
Parallèlement, le fermier a désigné Me D.________ en qualité d'arbitre unique par écriture du 7 mars 2022. La commune a donné son consentement. 
Par décision du 16 août 2022, le tribunal de district a décliné sa compétence ratione materiae et déclaré la demande irrecevable. Cette décision est entrée en force.  
 
B.  
Le 1er septembre 2022, le fermier a soumis une requête d'arbitrage à l'arbitre D.________. Son écriture débutait par un premier chapitre consacré à la « recevabilité », suivi d'une reproduction (par « copier/coller », dixit son auteur) des requête de conciliation et demande déposées devant la justice civile. La requête d'arbitrage, s'étendant sur 30 pages, s'achevait par des conclusions. Le fermier souhaitait ainsi faire constater ce qui suit:  
« Sur la recevabilité:  
(...) 
II. Qu'il réintroduit devant le Tribunal arbitral la procédure, dans le délai de l'article 63 CPC, en produisant à l'identique la Requête de conciliation (...) et la Demande adressée (...) le 2 mars 2022. 
III. Qu'il requiert du Tribunal arbitral qu'en application de l'article 63 CPC, il admette la recevabilité de la réintroduction (...) de la procédure (...) initialement introduite devant la Commission de conciliation en matière de bail à loyer et le Tribunal des districts de Martigny et St-Maurice. » 
 
Le fermier ajoutait ensuite ceci: 
« Sur le fond, (...) qu'il plaise à l'arbitre unique prononcer :  
Principalement  
I. La résiliation du contrat de bail à ferme notifiée (...) le 30 août 2021 est nulle et de nul effet. 
II. En conséquence, le contrat de bail du 21 mai 2015 est renouvelé aux mêmes conditions pour une durée de six ans courant dès le 1er janvier 2022. 
Subsidiairement  
III. Le contrat de bail conclu (...) le 21 mai 2015 est prolongé pour une durée de six ans courant dès le 1er janvier 2022. » 
Les parties ont consenti à ce que l'arbitre statue sur la recevabilité de la requête d'arbitrage « préalablement à un éventuel examen de la cause au fond ». 
La bailleresse a conclu à l'irrecevabilité de la requête. 
Par sentence du 12 décembre 2022, l'arbitre a déclaré irrecevable la requête d'arbitrage. Les motifs de sa décision se divisent en deux pans: 
 
- Le fermier s'appuyait sur l'art. 63 al. 1 CPC pour fonder son droit de réintroduire l'instance devant l'arbitre unique. Il avait agi dans les trente jours à compter de la décision civile d'irrecevabilité rendue le 16 août 2022, de sorte que sa requête d'arbitrage du 1er septembre 2022 avait été redéposée en temps utile de ce point de vue. La bailleresse, quant à elle, contestait l'applicabilité de l'art. 63 CPC par un tribunal arbitral. 
Cette dernière thèse devait être suivie. Le Tribunal fédéral ne s'était pas prononcé sur la question. Au sein de la doctrine, nombre d'auteurs plaidaient certes pour une application analogique de l'art. 63 CPC en matière d'arbitrage interne. Toutefois, ils ne motivaient pas leur opinion. Et d'autres auteurs soutenaient l'avis opposé. Comme le soulignait FRANÇOIS BOHNET (CPC annoté, 2022, n° 2 ad art. 63 CPC), l'art. 63 CPC concernait les seuls actes introductifs d'instance énoncés à l'art. 62 al. 1 CPC, lequel ne mentionnait pas les actes d'une procédure arbitrale. En outre, l'arbitrage constituait un monde à part dans le domaine de la procédure civile: la partie du CPC qui lui était consacrée était délibérément dissociée de la procédure civile. Une application par analogie de l'art. 63 CPC entrait d'autant moins en ligne de compte que cette disposition n'exprimait pas un principe de procédure généralement admis ou reconnu. 
- De toute façon, un autre motif excluait d'appliquer l'art. 63 al. 1 CPC: cette règle exigeait de redéposer l' original de l'acte adressé au tribunal incompétent, éventuellement accompagné d'une écriture expliquant l'erreur commise. Or, cette exigence stricte n'avait pas été respectée.  
 
C.  
Le fermier a déposé un recours en matière civile tendant à l'annulation de la sentence et à son renvoi devant l'arbitre unique. Au préalable, il a sollicité l'effet suspensif, subsidiairement des mesures provisionnelles. 
Invitée à se déterminer sur la seule requête provisoire, la commune s'est exécutée le 6 février 2023. Cependant, elle a outrepassé la consigne en se déterminant aussi sur le fond du litige. 
Le fermier a déposé une réplique spontanée le 23 février 2023 contenant une prise de position tant sur la requête provisionnelle que sur le fond. 
Le 31 mars 2023, la Juge instructrice de la cour de céans a ordonné que A.________ soit maintenu dans ses droits de fermier tels qu'ils ressortent du contrat conclu le 21 mai 2015. Elle a interdit à la commune bailleresse de procéder à l'exécution de la sentence arbitrale et à l'expulsion forcée de A.________ des trois alpages décrits dans le contrat. 
L'arbitre unique s'est déterminé sur le fond du litige. 
La commune a renvoyé à son écriture du 6 février 2023. 
Le fermier s'est déterminé sur l'écriture de l'arbitre et a pris acte du renvoi opéré par la commune; il s'est référé à sa propre écriture du 23 février 2023. 
Ces dernières observations, assorties de la réplique spontanée du 23 février 2023, ont été transmises à l'arbitre et à la commune. Cette dernière a encore déposé une brève duplique. 
 
 
Considérant en droit :  
 
1.  
Selon l'art. 407 al. 3 CPC, le droit en vigueur au moment de la communication de la sentence s'applique aux voies de recours. En l'espèce, la sentence attaquée, rendue après l'entrée en vigueur du CPC, est le fruit d'un arbitrage interne: il est implicitement admis que le siège du tribunal arbitral se situe en Suisse et l'on ne discerne aucun élément d'extranéité: les deux parties étaient domiciliées en Suisse au moment de conclure la clause d'arbitrage (art. 353 al. 1 CPC en lien avec l'art. 176 al. 1 LDIP a contrario [RS 291]; ATF 144 III 235 consid. 2.1 1re phrase). Aussi la cause peut-elle être déférée au Tribunal fédéral par la voie d'un recours en matière civile, indépendamment de la valeur litigieuse, en respectant les conditions posées aux art. 389 à 395 CPC (art. 77 al. 1 let. b LTF). La procédure est régie par la LTF (art. 389 al. 2 CPC), sous réserve des règles écartées par l'art. 77 al. 2 LTF et des dispositions contraires énoncées aux art. 390 ss CPC (cf. art. 389 al. 2 CPC).  
Le recours n'est recevable qu'après épuisement des voies arbitrales prévues dans la convention d'arbitrage (art. 391 CPC). Selon l'art. 390 al. 2 in fine CPC, les parties peuvent aussi expressément prévoir un recours devant le tribunal cantonal compétent en vertu de l'art. 356 al. 1 CPC, dont la décision sera définitive: elles peuvent ainsi substituer au Tribunal fédéral un tribunal supérieur servant d'instance unique de recours (TARKAN GÖKSU, in Code de procédure civile, Petit commentaire, 2020 [ci-après Petit commentaire CPC], n° 1 ad art. 390 CPC; MRÁZ/PETER, in Basler Kommentar [ZPO], 3e éd. 2017, n° 4 ad art. 390 CPC).  
En l'espèce, on ne trouve aucune trace d'un accord imposant des voies de recours arbitrales ou désignant un tribunal cantonal en lieu et place du Tribunal fédéral. Le renvoi de la clause arbitrale au CIA ne saurait avoir une telle portée, n'en déplaise à l'intimée. Certes, cette réglementation en vigueur jusqu'au 1er janvier 2011 instaurait un recours en nullité au tribunal cantonal supérieur, pouvant être suivi d'un recours de droit public au Tribunal fédéral (JEAN-FRANÇOIS POUDRET, in Le droit de l'arbitrage interne et international en Suisse, 1989, n. 3.4 ad art. 36 CIA; PHILIPPE SCHWEIZER, in Commentaire romand [CPC], 2e éd. 2019, n° 5 ad art. 390 CPC et n° 2 ad art. 373 CPC sur le fait de se référer à ce texte abrogé). Toutefois, cette voie de droit cantonale a disparu et le système d'une double instance judiciaire a été aboli - étant entendu que le CIA était déjà abrogé lorsque les parties s'y sont référées. L'art. 390 al. 1 CPC exige une déclaration expresse des parties qui fait défaut en l'occurrence. En bref, l'autorité de céans est bel et bien compétente. 
Au surplus, le recours a été déposé en temps utile (art. 100 al. 1 LTF en lien avec l'art. 46 al. 1 let. c LTF) contre une sentence finale (art. 392 let. a CPC), par la partie dont les conclusions ont été frappées d'irrecevabilité (art. 76 al. 1 LTF). 
Rien ne s'oppose donc à l'entrée en matière, sur le principe. 
 
2.  
Les motifs de recours sont énoncés limitativement à l'art. 393 CPC. Le Tribunal fédéral n'examine que les griefs qui ont été invoqués et motivés par le recourant (art. 77 al. 3 LTF). Cette exigence, qui est le pendant du principe de l'allégation pour les droits fondamentaux (cf. art. 106 al. 2 LTF), implique que le justiciable doit préciser le (s) grief (s) dont il se prévaut et développer, pour chacun d'eux, une argumentation précise démontrant en quoi la violation dénoncée serait réalisée (cf. ATF 134 III 186 consid. 5; GRÉGORY BOVEY, in Commentaire de la LTF, 3e éd. 2022, nos 222 et 224 ad art. 77 LTF). 
En l'occurrence, le fermier recourant reproche à l'arbitre d'avoir omis de statuer sur l'un des chefs de sa demande et d'avoir rendu une sentence arbitraire dans son résultat, car consacrant une violation manifeste du droit. Ses moyens entrent dans le numerus clausus légal (art. 393 let. c et e CPC) et offrent une motivation conforme au requisit de l'art. 77 al. 3 LTF.  
 
3.  
Pour mieux appréhender le noeud du litige, il faut commencer par qualifier le lien qui unissait les parties. 
 
3.1. La commune bailleresse s'était obligée à céder l'usage d'alpages contre paiement d'un fermage.  
L'accord conclu le 21 mai 2015 est donc un bail à ferme agricole. En effet, les alpages sont assimilés à des immeubles agricoles (art. 1 al. 3 de la loi fédérale sur le bail à ferme agricole [LBFA; RS 221.213.2]; cf. aussi art. 4 LBFA). Les dispositions de la LBFA, en tant que lex specialis, priment les art. 275 ss CO dévolus au bail à ferme. Au surplus, le code des obligations s'applique à titre subsidiaire, à l'exception des dispositions relatives aux baux à ferme portant sur des habitations ou des locaux commerciaux (art. 276a CO et art. 1 al. 4 LBFA).  
 
3.2. Le bail a pris effet le 1er janvier 2016 pour une durée initiale de six ans, soit jusqu'au 31 décembre 2021. D'après les allégations du fermier, le congé devait être donné un an avant l'expiration du bail. Les parties ont donc repris le régime légal (art. 7 al. 1, art. 8 al. 1 let. a et art. 16 al. 2 LBFA; cf. STUDER/HOFER, Das landwirtschaftliche Pachtrecht, 2e éd. 2014, no 384 ad art. 16 LBFA).  
 
3.3. Une brève remarque sur l'arbitrabilité du litige s'impose encore.  
Selon l'art. 354 CPC, est arbitrable « toute prétention qui relève de la libre disposition des parties ». La doctrine en déduit qu'il est possible de soumettre à la justice privée un différend sur un bail à ferme agricole, étant entendu qu'un litige relatif aux locaux d'habitation du fermier serait « arbitrable » uniquement par l'autorité de conciliation (art. 361 al. 4 CPC; STUDER/HOFER, op. cit., no 631 ad art. 29 LBFA). 
En l'occurrence, le tribunal de district a jugé le litige arbitrable, non sans avoir noté l'absence d'allégations et de preuves selon lesquelles le contrat porterait sur un local d'habitation. Cette décision est entrée en force et la question n'a plus été abordée depuis lors, de sorte que le sujet peut être considéré comme clos (sur la nécessité d'examiner la question d'office, voir ATF 143 III 578 consid. 3.2.2.1). 
 
4.  
 
4.1. Dans une première salve de griefs, le recourant reproche à l'arbitre d'avoir omis de statuer sur un des chefs de sa demande (art. 393 let. c in fine CPC) en prononçant l'irrecevabilité totale de la requête d'arbitrage: selon lui, seule sa conclusion subsidiaire en prolongation de bail serait soumise à un délai d'ouverture d'action (pour lequel se poserait la question du « remède » de l'art. 63 CPC), à l'exclusion de ses conclusions principales visant à faire constater la nullité du congé du 30 août 2021 (I) et le renouvellement du bail (II). Par la même occasion, l'arbitre aurait manifestement violé le droit fédéral et rendu une sentence arbitraire dans son résultat (art. 393 let. e CPC).  
 
4.2. En l'occurrence, l'arbitre n'a examiné que le point de savoir si l'art. 63 CPC s'appliquait ou non en matière d'arbitrage interne, respectivement si le fermier pouvait se prévaloir de ladite disposition pour réintroduire sa demande déclarée irrecevable par les autorités valaisannes. Ayant décidé de limiter l'objet de la procédure à l'examen de la recevabilité de la requête d'arbitrage, il n'avait pas à traiter d'autres questions que les parties ne lui avaient pas soumises.  
En l'espèce, le fermier a soutenu, dans sa requête d'arbitrage, que la recevabilité de ladite écriture dépendait de l'application éventuelle de l'art. 63 CPC. Dans le premier chapitre consacré à la "recevabilité" de sa requête d'arbitrage, le fermier a en effet développé tout un raisonnement axé sur l'art. 63 CPC, laissant ainsi visiblement entendre que ce remède devrait valoir pour toutes les conclusions formulées au terme de la requête, respectivement pour l'ensemble du litige soumis à l'arbitre. A aucun moment, l'intéressé n'a suggéré que la recevabilité de certaines conclusions était indépendante de l'applicabilité de l'art. 63 CPC. Le fermier recourant est dès lors particulièrement malvenu de venir soutenir, pour la première fois devant le Tribunal fédéral, que l'arbitre aurait enfreint l'art. 393 let. c CPC respectivement l'art. 393 let. e CPC car il aurait dû procéder à un examen séparé de la recevabilité de chacune des conclusions qui lui étaient soumises, en tenant compte d'arguments juridiques que les parties n'avaient pas fait valoir auprès de lui. En agissant de la sorte, l'intéressé adopte en effet une attitude incompatible avec les règles de la bonne foi, puisqu'il aurait pu et dû faire valoir pareille argumentation devant l'arbitre. 
N'en déplaise au fermier recourant, l'arbitre n'a pas enfreint l'art. 393 let. c CPC. Il a en effet déclaré « irrecevable » l'entier de la requête d'arbitrage au motif que le fermier recourant ne pouvait pas bénéficier du « remède » de l'art. 63 CPC. Que pareil résultat soit juridiquement correct ou non importe peu sous l'angle de l'art. 393 let. c CPC. Que l'arbitre ait éventuellement omis d'examiner une question importante pour la solution du litige n'est pas davantage décisif, car l'art. 393 let. c CPC ne permet pas de faire valoir semblable argument (arrêt 4A_378/2014 du 24 novembre 2014 consid. 3.1 et la référence citée). Ce qui seul importe ici, c'est que l'arbitre a déclaré irrecevables toutes les conclusions formées par le fermier. Il appert, ainsi, que l'arbitre n'a pas omis de se prononcer sur un des chefs de la demande, mais qu'il a simplement refusé d'entrer en matière sur la requête qui lui était soumise. L'arbitre qui a considéré, à tort ou à raison, qu'il ne pouvait pas entrer en matière n'avait ainsi pas à statuer sur l'éventuelle nullité du congé signifié le 30 août 2021, ni à examiner si le fermier s'était rendu coupable d'un abus de droit en contestant ledit congé. 
 
5.  
Dans une seconde salve de griefs, le fermier soutient que la décision d'« irrecevabilité » dénoterait une violation « caractérisée » de l'art. 63 CPC: l'arbitre aurait arbitrairement refusé d'appliquer cette disposition en arbitrage. 
 
5.1. L'arbitre a exclu l'application de l'art. 63 CPC en recourant à une double motivation (let. B supra).  
Le fermier dénonce une application arbitraire du droit fédéral (art. 393 let. e CPC). Comme il se doit, il critique les deux volets de cette argumentation bicéphale (ATF 142 III 364 consid. 2.4 i.f.).  
 
5.1.1. L'art. 63 CPC, intitulé « litispendance en cas d'incompétence du tribunal ou de fausse procédure », a la teneur suivante:  
« 1 Si l'acte introductif d'instance retiré ou déclaré irrecevable pour cause d'incompétence est réintroduit dans le mois qui suit le retrait ou la déclaration d'irrecevabilité devant le tribunal ou l'autorité de conciliation compétent, l'instance est réputée introduite à la date du premier dépôt de l'acte. 
(...) » 
Il succède à l'art. 139 aCO, abrogé à l'entrée en vigueur du CPC: 
« Lorsque l'action ou l'exception a été rejetée par suite de l'incompétence du juge saisi (...), le créancier jouit d'un délai supplémentaire de soixante jours pour faire valoir ses droits, si le délai de prescription est expiré dans l'intervalle. » 
Le législateur veut éviter que l'introduction d'une action devant un juge incompétent (débouchant sur un refus d'entrée en matière) entraîne de façon inique la perte d'un droit par l'écoulement d'un délai, lors même que le créancier a affiché son intention de faire valoir sa créance, mais s'est trompé de juge (ATF 141 III 481 consid. 3.2.4 et 136 III 545 consid. 3.1). La règle vise aussi bien les délais de prescription que de péremption (Message du 28 juin 2006 relatif au code de procédure civile suisse, FF 2006 p. 6892; sous l'art. 139 aCO, ATF 136 III 545 consid. 3.1; 61 II 148 consid. 5). 
Pour mieux comprendre la problématique, il faut évoquer la distinction entre litispendance et ouverture d'action. La première est une notion de droit procédural, jadis du ressort des cantons. Désormais, le CPC fédéral détermine les actes déclenchant la litispendance (art. 62 al. 1 CPC). Celle-ci empêche notamment de porter la même action devant une autre autorité; elle fixe définitivement le for, l'objet du procès et les parties à celui-ci (ATF 142 III 782 consid. 3.1.3.1). 
La notion d'ouverture d'action, de droit fédéral, a été élaborée à l'époque où la procédure civile était réglée par les cantons: il s'agissait d'assurer l'application uniforme des délais de droit fédéral. Indépen-dante du début de la litispendance alors fixée par les cantons, elle vise l'acte introductif par lequel le demandeur s'adresse pour la première fois au juge, dans les formes légales, aux fins d'obtenir la reconnaissance ou la protection du droit qu'il invoque (ATF 110 II 387 consid. 2a; cf. déjà ATF 33 II 452 consid. 3 et 4). L'ouverture de l'action permet d'interrompre la prescription (art. 135 ch. 2 CO) et de sauvegarder le délai de péremption (cf. art. 64 al. 2 CPC). Désormais, litispendance et ouverture d'action coïncident (ATF 142 III 782 consid. 3.1.3.2; arrêt 4A_560/2015 du 20 mai 2016 consid. 4.1.1; Message précité, FF 2006 p. 6891). 
L'idée de supprimer l'art. 139 aCO est apparue dans le projet législatif du Conseil fédéral: le futur art. 63 CPC devait « généralise[r] l'application du principe de l'art. 139 CO, qui p[ouvai]t ainsi être abrogé » (Message précité, FF 2006 p. 6892 ad art. 61 du projet; cf. CHRISTOF BERGAMIN, Unterbrechung der Verjährung durch Klage, 2016, n. 173). Deux avocats ont montré les lacunes qu'entraînerait une telle suppression: en tant que règle procédurale, l'art. 63 CPC s'appliquerait aux seuls tribunaux internes, tandis que l'art. 139 CO, comme règle de droit matériel, s'imposait également aux juges étrangers ou aux arbitres chargés d'appliquer le droit suisse (STACHER/WEHRLI, Postulat gegen die Streichung von Art. 139 OR, in recht 2008, p. 92 i.f. -93 et 98; BERGAMIN, op. cit., n. 174). Cette mise en garde a provoqué l'adjonction du futur art. 64 al. 2 CPC, consacré aux « délai[s] de droit privé »: même si cela allait de soi pour le Conseil fédéral, il fallait faire comprendre que l'art. 63 CPC remplaçait l'art. 139 CO et que ce correctif permettait non seulement de faire rétroagir la litispendance, mais aussi de sauvegarder les délais de prescription et de péremption (BERGAMIN, op. cit., n. 44 et 175-177).  
L'arbitrage interne est traité dans la partie 3 du CPC, conçue comme un volet indépendant. La litispendance fait l'objet d'une disposition propre (art. 372 CPC) et l'on n'y trouve pas le pendant de l'art. 63 CPC
D'où la question suivante: le « remède » qu'offre l'art. 63 al. 1 CPC est-il applicable par analogie dans une procédure arbitrale? 
 
5.1.2. Sous l'ancien CIA, d'aucuns admettaient l'application analogique de l'art. 139 aCO pour autant qu'il s'agisse d'une action de droit fédéral (POUDRET, op. cit., p. 87 n. 1 ad art. 13 CIA et la réf. à l'ATF 108 III 41 concernant l'action en validation de séquestre).  
Lorsqu'ils ont critiqué le projet visant à abroger l'art. 139 aCO, MARCO STACHER et DANIEL WEHRLI ont soutenu que le futur art. 63 CPC était une règle purement procédurale fixant le début de la litispendance, tandis que l'art. 135 ch. 2 CO, de droit matériel, s'attachait à définir les actes susceptibles d'interrompre la prescription (et, par analogie, la péremption: ATF 110 II 387 consid. 2b). Partant, le futur art. 63 CPC vaudrait uniquement devant la juridiction interne, à l'exclusion des tribunaux étrangers et/ou arbitraux (STACHER/WEHRLI, op. cit., p. 94-95). Quelques auteurs ont adopté cette ligne de pensée (DANIEL STAEHELIN, in Zivilprozessrecht, [Staehelin et alii éd.] 3e éd. 2019, § 12 n. 4; STEFANIE PFISTERER, in Basler Kommentar [IPRG], 4e éd. 2021, n° 29 ad art. 181 LDIP; DOMINIK INFANGER, in Basler Kommentar [ZPO], op. cit., n° 5 ad art. 63 CPC; cf. aussi SUTTER-SOMM/HEDINGER, in Kommentar zur Schweizerischen Zivilprozessordnung [ZPO], [Sutter-Somm et alii éd., ci-après Kommentar Sutter-Somm] 3e éd. 2016, nos 22-24 ad art. 63 CPC). Cependant, les deux chefs de file prénommés ont pris leur distance. 
Depuis lors, un courant fortement majoritaire de la doctrine, emmené par MARCO STACHER, prête à l'art. 63 CPC une nature hybride: cette règle procédurale régissant la litispendance comprend également un trait de droit matériel (qui ressort à l'art. 64 al. 2 CPC) : elle assure aussi le respect des délais de droit fédéral dans lesquels une action doit être intentée pour sauvegarder un droit. Aussi a-t-elle vocation à s'appliquer par analogie dans les causes d'arbitrage - que le justiciable agisse devant la justice étatique incompétente puis devant le tribunal arbitral compétent, ou qu'il fasse le contraire (MARCO STACHER, in Berner Kommentar, 2014, nos 66-67 ad art. 372 CPC, qui se réfère à l'interprétation historique et téléologique; FELIX DASSER, in Schweizerische Zivilprozessordnung, Kurzkommentar [ci-après Kurzkommentar ZPO], 3e éd. 2021, n° 6 ad art. 372 CPC [qui opère un revirement par rapport à la 2e éd. 2014]; BERGER/KELLERHALS, International and Domestic Arbitration in Switzerland, 4e éd. 2021, n. 1076; GÖKSU, in Petit commentaire CPC, op. cit., n° 5 ad art. 372 CPC; le même auteur, Schiedsgerichtsbarkeit, 2014, n. 1480; ISABELLE CHABLOZ, in Petit commentaire CPC, op. cit., n° 2 ad art. 63 CPC; MYRIAM GEHRI, in Basler Kommentar [ZPO], op. cit., n° 16 ad art. 61 CPC; PHILIPP HABEGGER, in Basler Kommentar [ZPO], op. cit., nos 4 et 20a ad art. 372 CPC; CHRISTOPH MÜLLER, in Kommentar Sutter-Somm, op. cit., n° 26 ad art. 372 CPC; MARKUS MÜLLER-CHEN, in ZPO Schweizerische Zivilprozessordnung, [Brunner et alii éd.] 2e éd. 2016, nos 3 et 5 ad art. 63 CPC; BERGAMIN, op. cit., n. 390; ISABELLE BERGER-STEINER, in Berner Kommentar, 2012, n° 9 ad art. 63 CPC; MIGUEL SOGO, in Schweizerisches Zivilprozessrecht, eine kritische Darstellung aus der Sicht von Praxis und Lehre, 2010, p. 614; URS ZENHÄUSERN, in Schweizerische Zivilprozessordnung [ZPO], [Baker & Mc Kenzie éd.], 2010, n° 24 ad art. 372 CPC; dans ce sens aussi STANCHIERI/VAN DER STROOM, Rechtshängigkeit bei fehlender Zuständigkeit und falscher Verfahrensart, in RSJ 2021 p. 758 s. et p. 761 i.f.; sur la nature hybride de l'art. 63 CPC, voir aussi CARLO HAMBURGER, Fehlerhafte Schlichtungsgesuche und Verjährung, 2019, p. 28-29).  
Quelques auteurs se contentent d'évoquer la controverse sans prendre position (SUTTER-SOMM/SEILER, in Handkommentar zur Schweizerischen Zivilprozessordnung, 2021, n° 3 ad art. 372 CPC; FRANCESCO TREZZINI, in Commentario pratico al Codice di diritto processuale civile svizzero, 2e éd. 2017, n° 22 ad art. 63 CPC; DANIEL WEHRLI, Die Schieds-gerichtsbarkeit, in Die künftige schweizerische Zivilprozessordnung, 2003, p. 120). 
 
5.1.3. A ce jour, le Tribunal fédéral n'a pas eu l'occasion de trancher directement cette question, comme le souligne l'arbitre unique.  
L'autorité de céans a déjà été saisie d'un litige où la justiciable avait commencé par requérir d'un tribunal civil qu'il désigne l'arbitre. Econduite pour n'avoir produit aucune convention d'arbitrage, la partie avait alors déposé une demande en libération de dette devant le même tribunal comme juridiction civile ordinaire. La cour de céans a jugé que la justiciable « ne pourrait revendiquer le bénéfice de l'art. 63 al. 1 CPC que si elle avait, par hypothèse, [re]déposé » l'écriture initiale; or, elle n'avait pas respecté cette exigence (arrêt 4A_213/2019 du 4 novembre 2019 consid. 3, cité par BOHNET, CPC annoté, op. cit., n° 2 ad art. 63 CPC). 
Dans une autre cause, l'autorité de céans a laissé au tribunal arbitral le soin « de se prononcer sur l'éventuelle application par analogie de l'art. 63 CPC » (arrêt 4A_65/2015 du 28 septembre 2015 consid. 1.4). 
Sous l'ancien droit, l'autorité de céans avait précisé dans un obiter dictum qu'il n'y aurait aucun arbitraire à appliquer par analogie l'art. 139 aCO dans le cadre d'une action en reconnaissance de dette d'abord intentée devant les autorités judiciaires civiles incompétentes, puis devant un tribunal arbitral (ATF 112 III 120 consid. 1 et 4).  
 
5.2. Ainsi, la discussion tourne autour de la nature de l'art. 63 CPC et de son ancrage dans une loi régissant la procédure devant les tribunaux internes (cf. art. 1 CPC).  
Il faut admettre que l'interprétation historique atteste de la nature hybride de l'art. 63 CPC: cette disposition ancrée dans le Code fédéral contient une règle procédurale précisant le moment où débute la litispendance lorsque le plaideur saisit successivement une autorité incompétente, puis une autorité compétente. Cependant, lue en conjonction avec l'art. 64 al. 2 CPC, cette règle fixe aussi la date d'ouverture d'action, déterminante pour la sauvegarde des délais de prescription et de péremption; or, déterminer si le droit déduit en justice existe toujours ou s'il est prescrit/périmé est une question de droit matériel, relevant en droit international de la lex causae.  
Il faut en outre garder à l'esprit qu'en abrogeant l'art. 139 aCO, le législateur n'avait pas l'intention de diminuer la protection entourant le respect des délais de prescription et de péremption (STACHER/WEHRLI, op. cit., p. 97; BERGAMIN, op. cit., n. 178). Toutefois, la solution adoptée entraîne une insécurité que la doctrine dénonce à juste titre lorsqu'un tribunal étranger ou une juridiction arbitrale doit appliquer la législation helvétique pour résoudre le litige: il y a fort à parier que le juge étranger ou l'arbitre ne discerneront pas la composante matérielle inhérente à l'art. 63 CPC et écarteront son application sous prétexte qu'il s'agit d'une lex fori (STACHER/WEHRLI, op. cit., p. 98; BERGAMIN, op. cit., n. 182; cf. aussi LORENZ DROESE, in Kurzkommentar ZPO, op. cit., n° 2 ad art. 63 CPC). Sans compter que le délai d'un mois pour réintroduire l'action pourrait poser problème dans les litiges internationaux. Ceci dit, la discussion peut s'interrompre à ce stade, vu les motifs qui vont être exposés.  
 
5.3. Le recourant met en exergue des failles dans le raisonnement de l'arbitre: il se serait appuyé principalement sur un commentaire de FRANÇOIS BOHNET dont il tirerait des conséquences erronées. Il méconnaîtrait en outre que la doctrine prône à une écrasante majorité l'application analogique de l'art. 63 CPC en arbitrage.  
Les critiques du recourant ne sont pas dénuées de fondement. Le commentaire du professeur BOHNET est consacré essentiellement au résumé de cas jugés par le Tribunal fédéral (BOHNET, CPC annoté, op. cit., n° 2 ad art. 63 CPC), et l'on ne peut rien en déduire quant à l'applicabilité de l'art. 63 CPC en arbitrage. Et, contrairement à ce que soutient l'arbitre, MARCO STACHER développe son point de vue, même s'il le fait de manière concise (STACHER, op. cit., n° 67 ad art. 372 CPC). Enfin, il faut reconnaître que la minorité d'auteurs déniant l'applicabilité de l'art. 63 CPC en arbitrage a encore perdu une voix (DASSER, cité supra).  
Il n'en demeure pas moins que l'arbitre unique était confronté à une question non tranchée par le Tribunal fédéral, ce que le recourant lui accorde. Et même si la doctrine fortement majoritaire reconnaît le caractère hybride de l'art. 63 CPC, lu en conjonction avec l'art. 64 al. 2 CPC, elle souligne aussi les lacunes et incertitudes causées par l'insertion d'une telle réglementation dans un code procédural destiné aux tribunaux internes. Dans un tel contexte, l'on ne saurait taxer d'arbitraire le refus d'appliquer par analogie l'art. 63 CPC au présent litige (cf. arrêts 5A_117/2021 du 9 mars 2022 consid. 2.1 et 5A_20/2020 du 28 août 2020 consid. 4.2 i.f.; sur la notion d'arbitraire, voir par exemple ATF 137 I 1 consid. 2.4).  
En résumé, le point de vue adopté par l'arbitre sur cette question, soit le refus d'appliquer l'art. 63 CPC en arbitrage interne, n'a rien d'insoutenable. 
Dès lors, point n'est besoin d'examiner le second argument tiré du fait que le fermier n'a pas redéposé l'original des écritures présentées à la justice civile. 
 
6.  
Au vu de ce qui précède, le recours doit être rejeté dans la mesure de sa recevabilité. Les mesures provisionnelles ordonnées le 31 mars 2023 sont révoquées immédiatement. Le fermier recourant, qui succombe, devra payer les frais de la procédure fédérale (art. 66 al. 1 LTF) et indemniser son adverse partie (art. 68 al. 1 et 2 LTF). 
 
 
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :  
 
1.  
Le recours est rejeté dans la mesure où il est recevable. 
 
2.  
Les frais judiciaires, arrêtés à 5'000 fr., sont mis à la charge du recourant. 
 
3.  
Le recourant versera à l'intimée une indemnité de 6'000 fr. à titre de dépens. 
 
4.  
Le présent arrêt est communiqué aux parties et à l'arbitre unique. 
 
 
Lausanne, le 8 novembre 2023 
 
Au nom de la I re Cour de droit civil  
du Tribunal fédéral suisse 
 
La Juge présidant : Kiss 
 
La Greffière : Monti